Vent du Nord

Dormir. À la chaleur.
Quoi de mieux.
Il y avait bien dormir sous le soleil, mais avec l'air brûlant de ce désert, le mieux restait de demeurer à l'ombre ; ce que Calamité faisait évidemment avec délice. Elle s'était ainsi installée dans à l'entrée du tunnel, autant pour chercher ombre que quiétude, peut-être aussi pour garder une oreille attentive - bien qu'endormis - sur leurs cibles.. ainsi que ceux chargés de les surveiller. Enfin, disons qu'étant située à l'entrée, elle savait parfaitement qui allait surveiller, et quand, et éventuellement, ce qu'il avait apprit - pour peu qu'elle s'en informe. Même en période de repos, elle préférait demeurer près de l' "action" ( "action" désignant bien ces petits actes, dans le tranquille désert) plutôt qu'écrasée par le soleil ardent au milieu du campement, ou bien à l'ombre d'un rocher solitaire.
Ainsi, elle ne fut pas particulièrement surprise de sentir Gunthaer approcher, après qu'il eut passé un bon moment au poste d'observation. Un moment, elle se demanda (avec la lenteur due à la paresse) s'il n'avait pas remarqué quelque chose d'intéressant, puis en vint à la conclusion que cela ne devait pas être le cas, vu son pas si léger et insouciant. Il avait beau sembler par moment étranger aux préoccupations alarmantes de la réalité, il ne se serait assurément pas évaché avec délice sur le sol si un évènement s'était produit. Aussi referma-t-elle doucement son oeil à moitié ouvert, jusqu'à temps que des paroles lui agitent les oreilles.

- Ça manque de femelles.

Elle releva la tête, vaguement amusée, sinon intéressée, par l'attitude du mâle violet. Pesant un moment le pour et le contre de rester silencieuse et finir par se rendormir, Calamité décida finalement de délaisser le repos pour rouler sur le dos et venir ainsi s'approcher du Messager. Avec une bonhomie retrouvée, la loupiotte resta un moment sur le dos, à regarder les nuages inexistant avec un léger sourire, puis tourna la tête en direction du grand mâle et le regarda à l'envers.

« Ouais, j'vous l'fai- Elle arrêta de parler, soupira, pris une moue de scepticisme, et recommença : Je vous l'accorde. »

Vieillissant de jour en jour, gagnant de la responsabilité autant par elle-même que grâce à la confiance de son père, Calamité essayait de délaisser peu à peu son langage enfantin pour en adopter un seyant plus à son rang. Ce qui, évidemment, n'était pas tant facile, puisque les réflexes bien ancrés ne se dissipent pas seulement par un bon vouloir général. Elle s'était cependant mis dans l'idée de réussir, et c'est donc ce qu'elle ferait.
Mais, quoiqu'il en soit, cette courte réflexion lui prit peu de temps, puisqu'elle préféra porter son attention sur l'idée transmise par le Messager. Elle ne comprenait peut-être pas encore tout à fait pourquoi il disait ça, ou pourquoi il se plaignait, lui, mais elle en comprenait l'idée. À vrai dire, elle partageait le sentiment, de façon peut-être plus profonde qu'on aurait pu le croire, dû à un manque de compagnes de jeu. Et, bien que Calamité ne se serait permis de condamner la Reine, cela ne l'empêchait pas de se questionner sur le bienfondé de son décret quant aux loupiots.. Ni d'en subir les conséquences d'un isolement inévitable.
C'est pourquoi prit-elle de nouveau la parole, remplaçant son amusement léger par un sérieux quelque peu dépité [et incluant évidemment sa fratrie dans sa déclaration ] :

« Mais c'est comme ça pour nous depuis qu'on est jeune. »

- Ahh. Vous voulez des copines, et je désire des compagnes...

Interloquée par cette réponse, la jeune femelle tourna vivement la tête vers son interlocuteur.

« Pardon ?! »

Son interjonction avait fusé, d'une voix teintée d'étonnement.

À cet age de changement, mélange entre l'enfance et l'âge adulte, beaucoup de nouveautés venaient se tailler une place dans sa vie, modulait un caractère gagnant en maturité. Mais cela la faisait aussi prendre difficilement place entre opinions d'enfants et d'adulte, entre envies, besoins, responsabilités. Ces nouveaux éléments amenés par la maturation ne manquaient pas de l'étonner, mais, comme elle n'avait même pas finit sa première année, la loupiotte ne trouvait stabilité dans tout ceci. C'est pourquoi, en entendant cette remarque, quelque chose avait sonné en elle, pour lui dire que cela n'allait pas, mais elle aurait été en mal d'expliquer pour quoi. La distinction effectuée par Guns était peut-être beaucoup trop marquée, alors que dans l'esprit de la jeunotte copines et compagnes étaient deux éléments connus pour étant différents.. mais qui se ressemblaient étrangement, sur le moment, maintenant qu'elle y songeait. Les deux partageaient une zone floue, où ils se fondaient l'un dans l'autre.
Cependant, alors qu'elle réflechissait à tout ceci, le mâle avait continué d'exprimer ses pensées, d'une façon telle qu'elle n'eut d'autre choix que de l'écouter. Cependant, comme elle tendait l'oreille, Calamité ne put s'empêcher de laisse l'ahurissement poindre sur son visage. Puis, la surprise fit peu à peu place à l'offusquement, comme le Messager continuait son discours éhonté; elle se mit alors à le fixer avec des yeux ronds comme des billes, complètement ébahie qu'il puisse tenir de même propos. Voire, même, subjuguée par son-- par sa.. par sa connerie.
C'est que, il fallait le dire, plus il parlait, plus il s'y enfonçait.

Un instant, elle envisagea de laisser son offusquement l'emporter sur le reste et répliquer vertement à ce Messager. Mais ce même offusquement la rendait presque muette d'ahurissement. Elle ne savait pas quoi lui répondre. C'était aussi simple que cela. Elle avec des dizaines de réponses à offrir à chacune de ses répliques, chacune plus réprobatrice que la précédente, mais rien ne semblait sortir de spécifique, encore moins au niveau général. Elle était simplement bouche-bée.
Et c'est ainsi que, après un silence probablement trop long où elle ne fit que dévisager le Messager, elle demanda avec toute l'incrédibilité sérieuse dont elle pouvait faire preuve :

« Avez-vous seulement conscience de l'énormité de conneries de ce que vous me dîtes présentement ?! o__o »

Face à cet éclatant sourire, puis ces paroles plus complices, Cal faillit resté dans une surprise froide puis opta pour l'adoucissement. Après tout, restée ainsi congelée ne lui donnerait comme seule envie que de se murer dans un silence froidement offusqué, et la conversation s'achèverait ainsi. Cependant, cela ne les grandirait nullement, ni lui ni elle. Aussi laissa-t-elle filer ses griefs le coeur léger, répondant d'un ton légèrement absent :

« Vous avez sûrement raison. »

Tourna le visage à nouveau vers le ciel, elle en fixa le soleil un court moment, puis dû cligner fébrilement des paupières quelques secondes pour en enlever l'image imprégnée sur ses rétines. L'astre ainsi convoité lui brûlant malheureusement le regard par cette courte admiration, la loupiotte revint porter son regard vers le non-moins ardent Gunthaer. Curieuse de nature, et ne pouvant s'empêcher de vouloir converser sur les êtres de sa meute, elle lui dit après un moment :

« Alors vous vous ennuyez, Messager ? »

Le mâle prit un moment pour réfléchir, puis, après quelques doutes et questionnement, il conclu d'un ton plus léger :

" Je l'ignore ♥ ! Mais je trouve qu'il manque quelque chose à cette expédition. Mais je n'arrive pas à mettre la patte dessus... "

Quelque chose dans ces paroles éloignèrent la situation du désir de Gunthaer, un quelque chose qui vint titiller un fil chez Calamité.

« Moi je sais.
Il manque de l'action. »

Elle avait parlé tout haut, sans réfléchir; mais les paroles avaient tout de même été lancées. Elle devait en fournir une explication, peut-être plus pour elle-même que pour le Messager.

« J'aurais cru qu'il y aura plus d'aventures. Comme une vanne qui s'ouvrait enfin, les mots s'écoulèrent, porté sur quelques illusions enfantines : Des-- je ne sais pas, des missions. Des batailles, pas nécessairement du danger, seulement du mouvement ! Du changement, des apprentissages, des rencontres... »

La loupiotte se tut quelque peu, comme réalisant la futilité de ses envie. Elle contempla silencieusement le ciel, comme si elle pouvait y voir ses espoirs s'envoler, puis referma les yeux pour s’apaiser un moment.
Lorsqu'elle les rouvrit, elle avait chassé ces préoccupations pour simplement porter un regard se voulant interrogateur et curieux vers le Messager, comme si comprendre leur mission pouvait adoucir ses déceptions d'aventures.

« Mais on ne fait qu'espionner, et pourquoi ? »

" Tiens, on dirait que je ne babillais pas d'énormes conneries, en fin de compte ~"

Il ricanait sous sa cape, elle s'en rendait bien compte, mais, comme pour beaucoup d'autres, elle n'accorda d'importance à ses opinions. Cette dernière phrase visait probablement à soulever une quelconque ironie, mais Cal n'avait besoin de l'approbation du Messager; elle chassa donc cette réplique d'un haussement d'épaules. Un fort caractère, peut-être trop, mais tout de même pas un esprit borné à ses propres convictions et mensonges ; elle tendit donc ainsi l'oreille à ses suivantes répliques, à l'affut d'une minime parole de sagesse.

" Ce qui fait le charme de sa majesté est le mystère qui l'entoure. Elle ne communique même pas ses plans à son propre fils. "

Soudainement plus intéressée, la petite leva un sourcil, sceptique. Devait-elle prendre ceci comme un compliment envers Rapier ou un défaut ? Ou bien une allusion à quelque chose qu'elle devrait savoir ? Ou bien un sous-entendu sur son manque d'importance ? Comme souvent, les paroles de Guns semblait porter plus d'un sens ; aussi laissa-t-elle couler, encore une fois.

" Libre à vous de vous morfondre ici, Princesse. "

À présent interpellée personnellement, elle dressa les oreilles. Quittant enfin sa position pour se tourner sur le ventre, elle regarda avec une attention soutenue le mâle violet.

« Me morfondre ? Je ne me-- Et se tut, sembla réaliser, puis repris avec vigueur : Non, je ne me morfond pas, je constate ! Si je me morfondais, je serais la plus grande idiote malheureuse d'une situation créer par elle-même. »

Et son visage prit une moue plus fermée, comme pour ajouter du poids à ses paroles résolues. Bien qu'au fond Gunthaer ne semblait pas tellement intéressé par sa réponse, il avait simplement lancée l'idée dans l'air, comme pour voir de quelle façon elle retomberait. Car, déjà, il était debout et la saluait du chef ;

" Moi, parler d'aventure m'en donne envie. Sur ce, bonne journée ♥ "

S'il avait cru pouvoir la fuir et vaquer à ses propres occupations, il s'était bien fourvoyé. Surtout en faisant ainsi sottement mention d'aventures. En deux temps trois mouvements, la loupiotte était sur pattes et trottinait derrière le grand mâle.

« Et vous allez où comme ça, Messager ? Y'a une missiooon ? »

" Ahhh, et qu'entendez-vous par mission? "

Il continuait ainsi, lançant chaque réplique avec légèreté et désintérêt, si bien qu'elle se demandait s'il portait la moindre attention à ses paroles. Mais, au pire, finit-elle par constater, elle ne se parlerait qu'à elle-même. Ce qui ne la dérangeait pas tant, puisque ça la tenait occupée, et l'amènerait peut-être à réfléchir. C'est pourquoi répondit-elle finalement à sa question pourtant évidente :

« Ben. C'est pas compliqué. Elle se tut un moment, le temps de lui jeter un regard incrédule. N'importe quoi avec un but au bout. »

Et, quelques pas plus loin, ayant pris conscience de l'ennui total de son quotidien, elle accorda en maugréant :

« Ou, en fait, n'importe quoi, point. »

" Laissez-moi essayer. Je suis en train de marcher dans le but de sortir des aires sécuritaires. Ça compte pour une mission, n'est-ce pas? C'est n'importe quoi, avec un but au bout. "

Elle ne put s'empêcher de rouler des yeux à cette réponse ; évidemment, il la prenait au mot près et s'évertuait à présent à tout mélanger. Comme pour faire apparaître son idée plus ridicule qu'elle ne l'était vraiment; cependant, Cal avait foi en sa logique et ne se laissait démonter.

« Ça dépend si c'est utile. Répondit-elle patiemment. Un tier de seconde plus tard, après mûre réflexion, elle nuança : Même si tout peut en fait être utile. »

Songeuse, elle roula quelques instants un caillou de pas en pas, puis repris :

« Donc j'imagine que définir si quelque chose est une mission ou pas, c'est plutôt personnel. Donc ça dépend de ce qu'on considère comme important, ou pratique. Cette réflexion ainsi faite ne l'empêcha toutefois pas de revenir sur son but premier, c'est-à-dire savoir s'il y avait une vraie mission : Je reprends : est-ce qu'on fait une mission utile pour la meute ? »

" C'est un mot polysémique. "

Le regardant comme si deux andouillers lui avaient soudainement poussé sur le front, elle n'essaya même pas de comprendre ce qu'il avait dit. Au contraire, elle resta à le fixer silencieusement tout en se demandant s'il avait un instant crut qu'elle comprendrait ce mot, ou si ce n'était qu'une nouvelle façon de pointer du doigt sa confusion.

« Bien évidemment.. » Souffla-t-elle finalement en faisant preuve d'un scepticisme tangible.

Cette remarque faite, elle avait espéré qu'il réponde à sa question et la renseigne sur leur mission. Mais, au contraire, il vint l'embobiner de nouveaux dans ses questionnements et définitions, la tentant d'une réponse et lui agitant sous le nez que d'autres détours trop philosophiques à son goût.

" Hm hm hm ♥... et qu'entendez-vous par meute, princesse ? "

Elle le regarda d'un drôle d'air, comme rendue incertaine par cette question pourtant évidente.

« Les Alterons. Puis fronça les sourcils, un soubresaut de loyauté la possédant, et grogna : Qui d'autres ? »

" Comment peut-on être déloyal à une meute alors que nous sommes dans une meute ? J'ai peur de ne plus vous comprendre, princesse. "

Elle avait cru qu'il comprendrait; n'avait-elle pas bien expliqué son idée ? Mais, non, il emmêlait encore les concepts et les étalait en une phrase dont elle ne comprenait même pas le sens. Ce qui, réflexion faîte, méritait d'être dit à voix haute ;

« Là, c'est à moi de ne plus comprendre. Pourquoi emmêlez-vous toujours tout ? »

Glissa-t-elle en lui coulant un regard presque curieux de sa réponse. Même si elle se doutait que si elle s'attendait à une réponse claire et précise, elle pouvait attendre encore longtemps... Quoique, il sembla s'évertuer à lui démontrer que chacune de ses présomptions fut fausse, car il répondit de façon on ne peu plus franche à sa prochaine question.

" C'est évident, non? Nous marchons! "

Si elle avait pu lui enfoncer la tête dans le sable à cet instant précis, elle l'eut probablement fait. À défaut de pouvoir le faire, elle écrasa de son postérieur le sable brûlant et arrêta d'avancer. L'air neutre, mais la mâchoire définitivement serrée, elle constata :

« Vous êtes impossible. »