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Automne An 6 ~ Sous la canopée


Il lui avait fallu du temps - bien plus que ce qui aurait été nécessaire pour la plupart des créatures - pour réaliser que sa vaine quête ne valait pas de risquer mourir loin de chez lui, de sa "maison".
Il n'avait pas d'amis (qu'était-ce-que cela ?), plus beaucoup de famille : plus qu'un père, une mère qui l'avait toujours rejeté malgré ses maints efforts. Là-bas. Pourtant, il s'agissait bien de sa meute, de sa famille, de sa forêt, de son chez-lui.

La réalisation lui avait valu un visage désormais balafré. Mais c'était un petit prix à payer pour l'acquisition de la conscience. Partielle, évidemment. On ne passe pas de simple d'esprit à génie en un tour de baguette magique.

Désastre releva la tête, humant l'air humide d'Alteron. Il ferma les yeux : tel changement après l'atmosphère brûlante et sèche du désert.
Le désert. Il ne l'avait que trop côtoyé depuis son enfance. La chaleur étouffante et le soleil étaient devenus synonyme de terreur, de mort, et de guerre.
Alors que la canopée obscure et fraîche de la forêt... C'était apaisant pour son esprit troublé.
Il rouvrit les yeux, heureusement épargnés par les griffes démesurées de l'ours.
Il était à la maison. Mais il connaissait les règles, et il accepterait la punition de sa désertion, quelle qu'elle fusse. Tant qu'il puisse retrouver sa terre natale.
Astre gonfla sa gorge pour lâcher un hurlement rauque et sombre.
On ne change pas d'un tour de baguette magique, mais un voyage rempli du même échec incessant, en revanche...

Rien ne semblait avoir changé depuis son départ : les arbres étaient toujours le même, le soleil se trouvait toujours derrière le dôme du volcan à cette heure-ci. Et pourtant... Astre n'avait pas la moindre idée des bouleversements radicaux qu'avait connus la meute cette dernière saison.
Il ne bougea pas un instant de sa position, sachant parfaitement que quelqu'un le connaissant finirait par se montrer suite à son appel. Qui, en revanche, restait mystérieux, quoique l'identité de celui qui le trouverait le premier serait sans doute déterminante sur son avenir immédiat.
Mais cela n'avait pas d'importance en cet instant, et Astre était loin d'être du genre à se pencher sur ce genre de détails.

Il ne fallut pas si longtemps avant que la végétation bruisse autour de lui. Ses oreilles tordues basculèrent dans la direction d'où venait l'individu approchant, et il pivota sur lui-même pour lui faire face.
Son propre père sortit alors des ombres et le détailla d'un air dur avant de s'approcher de lui.
- Désastre. Que s'est-il passé ? Ou étais-tu ?
Le torrent de question déstabilisa le loup balafré et il cligna des yeux le temps de rassembler ses pensées. Il n'avait pas pensé devoir répondre à des questions tout de suite.
- Je cherchais Cal. Il y avait une piste. Répondit-il finalement, sa voix enrouée du fait de son manque d'action pendant si longtemps. Cela étant dit, il baissa la tête en geste de subordination.

- J'imagine que tu ne l'as pas retrouvée.
Désastre se renfrogna. En effet, il ne l'avait pas retrouvée... Et s'il était devant son père maintenant, cela signifiait bien qu'il avait abandonné tout espoir (ou intention) de la retrouver...
Désormais, et jusqu'à preuve du contraire, Calamité avait rejoint le coin hanté de l'esprit de Désastre, là où séjournaient ses souvenirs d'Horreur et Malheur.
- C'est la dernière fois que tu te permets ce genre d'escapade. Je comprends que tu aies eu envie de retrouver ta sœur, mais ta loyauté envers la meute passe avant tout.
Si Astre s'étonna de tant de clémence, il n'en montra rien. Pas plus qu'il ne réagit à une formulation qui suggérait que Blade avait atteint le sommet de la hiérarchie.
Le loup sombre inclina la tête docilement.
- Oui, père. Acquiesça-t-il.
Blade le dévisagea une nouvelle fois, son regard acier insistant sur les larges cicatrices qui passaient en travers du visage de son dernier fils.
- Comment t'es-tu fait ça ?
Astre releva suffisamment la tête pour croiser le regard de son géniteur.
- Un ours. Répondit-il simplement. Qu'y avait-il de plus à en dire ?

Désastre perçut le léger changement dans l'attitude de son père, sans pour autant en comprendre la raison. Il se redressa un peu plus, levant les oreilles, curieux de cette semblant chute de sévérité.
Blade étudia encore un peu plus la peau à nue sur le visage de son fils, visiblement pensif.
- Viens, rentrons. Tu me raconteras tout ton voyage plus en détail une fois que tu te seras reposé.
Le père fit volte-face pour s'enfoncer plus avant dans la forêt, sans attendre de réponse. Mais Astre n'avait pas besoin de se faire prié pour emboîter son pas, bien trop heureux d'être - apparemment ? - gracié, et donc de pouvoir retrouver sa canopée natale pour l'heure.
- Je ne suis pas fatigué. Nota-t-il néanmoins, à voix haute mais sur un ton qui suggérait qu'il ne savait pas vraiment s'il se parlait à lui-même ou à son père.
C'était pourtant vrai : le tronçon le moins mouvementé de son périple avait sans nulle doute était celui qui le ramenait à Alteron. De plus, après s'être remis de sa rencontre avec le grizzly (longue convalescence que ce fut, puisque Désastre était loin d'être soigneux envers sa personne), il avait de suite repris la direction d'Alteron. Et ne se souciant plus de retrouver Cal, il avait pu faire montre d'un peu plus de bon sens, avait mieux mangé et s'était mieux reposé.

Son père ne répondit rien à cette dernière remarque et Astre ne s'en formalisa, évidemment, pas, continuant de le suivre sagement, contemplant avec un ravissement primaire le paysage familier et mélancolique.
Il ne remarqua rien lorsque Blade lui lança un nouveau regard inquisiteur, mais son attention fut toute sienne dès qu'il lui adressa de nouveau la parole.
- Je veux que tu rejoignes la Brigade Royale. Tu iras voir Talon, demain. Il t'expliquera ce que tu devras faire.
Ses oreilles crochetées se redressèrent et il fixa le dos de son père avec curiosité.
Brigade ? Talon ? Ca, encore, lui disait quelque chose. Mais le qualificatif "royale" le rendit confus.
Il hésita quelques instants avant de se lancer à poser la question :
- La Brigade... Spéciale... ? Testa-t-il, ne sachant comment formuler autrement sa perplexité et son sentiment d'avoir manqué un détail...
Et quel détail important que l’ascension au trône de son père !

- Royale. Pendant que tu étais à la recherche de ta sœur, Rapier m'a provoqué en duel et je l'ai vaincue. Je suis donc le nouveau Roi de la meute.
Pendant un instant, le masque inexpressif du loup noir se fissura, laissant apparaître un visage surpris, les yeux écarquillés et la gueule entrouverte.
Non pas qu'il ait jamais douté de la force de son père, mais son esprit avait tout de même un peu de mal à assimiler l'idée que Rapier, la terrible Reine de toujours, avait fini par être dépassée par son fils aîné.
Mais tant mieux. Le souvenir de Shank et du risque qu'il avait représenté pour Blade lui fit hérisser l'échine alors que son visage se fermait de nouveau.
Mais malgré tout : qu'est-ce-que cela allait changer pour lui, Désastre... ?
- C'est pourquoi j'ai dissout la brigade spéciale pour lui donner une autre utilité, et j'ai besoin de loups en qui je peux avoir confiance, comme toi.
Astre se redressa automatiquement de fierté : une telle marque de confiance de la part de son père (et Roi, désormais) signifiait beaucoup pour son esprit simple.
Néanmoins, une interrogation, peut-être un vague inquiétude, persistait :
- Qu'est-ce-que je devrai faire ?

Le père et le fils arrivèrent bientôt devant un obstacle sur leur route, que Blade franchit avec une aisance arrogante, alors que son fils se hissait lourdement dessus, se laissant couler de l'autre côté avec les manières du reptile dont il avait acquis le surnom.
- Tu devras surveiller les membres de la meute et exécuter les missions que je te confierais. Ne t’inquiète pas. Je suis sûr que tu t'en sortiras très bien.
Astre dressa l'oreille : si son père avait confiance en lui pour remplir ce rôle, il le ferait au mieux de ses capacités. Il acquiesça du chef avant de tourner la tête pour admirer le paysage. Pris d'un soudain mouvement de nostalgie, il détendit ses muscles, son visage fondit dans une expression aux lignes plus enfantines, malgré l'apparence effrayante de son visage. Il se retourna vers Blade, hésitant.
- Tu m'as manqué... Papa... Gargouilla-t-il, la voix rendue éraillée par une timide émotion qui osait enfin se découvrir.

Blade se retourna pour le dévisager curieusement et Astre baissa légèrement les oreilles, malaisé par sa propre tentative pour rétablir un lien père-fils. Mais le sourire que lui offrit son géniteur suffit à regonfler son estime et ses oreilles crochées se dressèrent de nouveau sur son crâne.
- Toi aussi mon fils.
Bien que loin d'être assez fin d'esprit pour être sûr d'analyser correctement les intonations et les subtilités contenues dans cette phrase, le mâle sombre se sentit instinctivement soulagé par celle-ci, reprenant pied dans la familiarité nostalgique du moment et du lieu.
Et alors que Blade reprenait son chemin, Désastre le talonna de près, l'esprit éclairci par ces brèves retrouvailles et le sentiment qu'il avait enfin eu une "bonne" idée en revenant chez lui.

FIN