Brise fleurie

Un an plus tard, il était revenu parcourir les terres du Verger. Pour lui, peu avait changé. La vie au Vallon avait mis un baume sur ses blessures, mais de par la petitesse de leur meute, et leur position recluse, il en était venu à s'ennuyer. En bref, il reconsidérait ses choix, d'où sa venue à la terre qui l'avait accueillie suite à sa fuite d'Alteron. Ici, par contre, tout avait changé. Pour venir, il avait dû patauger dans une rivière débordée, puis avait dû éviter certaines zones trop boueuses. Des loups, provenant d'Inaria, s'étaient réfugiés dans le Verger, se préparant peut-être pour un voyage quelconque. Avant qu'il n'ait pu surprendre une conversation, la meute s'était envolée.

En ce moment, la matinée qui venait à mourir le trouvait à zigzaguer entre les arbres. Il atteignait presque la frontière ouest du Verger, à côté de la végétation verte d'Inaria. Il allait d'un arbre à l'autre, fixant son regard sur leur tronc pendant quelques secondes, s'en détachait, puis recommençait le manège un peu plus loin.

Bien concentré à fixé l'écorce d'un arbre, qui n'était pas celui qu'il cherchait, Howahkan ne sembla pas remarquer la venue d'une autre présence. Tout à l'inverse, la femelle bicolore l'avait découvert et ne manqua point de s'approcher de lui. Bien qu'il finit par avoir conscience de sa présence (n'étant pas complètement coupé de ses sens), Howahkan n'eut aucun mouvement pour la saluer. Même lorsqu'elle prit la parole, lui demandant son nom et la raison de sa présence, le petit loup ne montra nul signe de l'avoir entendu. Cela dit, il répondit tout de même, de façon bien courte :
- Howahkan. J'admire la vue.
Les mots et le ton étaient détachés, presque décousus, et un peu pensifs. Avec un peu plus de loquacité, le petit loup lança par-dessus son épaule :
- Renseignez-moi, qu'est-ce qui a changé par ici ?

- C'est vrai que le Verger est magnifique. J'imagine que la grande inondation a changé bien des choses...
Après ses premières paroles lancées avec assurance, le murmure était bienvenu dans la forêt. Mais Howahkan nia de la tête, insensible à sa douceur.
- Non, ce n'est pas cela..
Sa voix ne s'était pas haussée, mais il demeurait perplexe. Il continuait de fixer l'écorce, ne comprenant toujours pas, puis un soupir s'échappa de ses lèvres.
- A votre tour de me renseigner...
Enfin, il daigné de tourner la tête vers son interlocutrice. Il s'agissait d'une jeune louve aux couleurs opposées, d'une taille plus grande que la sienne - exploit facilement réalisable.
- Qu'est ce qui fait qu'entre toutes les merveilles de l'Alliance vous choisissiez un verger à demi-inondé pour voir "admirer la vue" ?
De belles paroles auxquelles Howahkan aurait pu rivalisé, s'il en avait eu le temps. Mais ce n'était pas le cas.
- J'ai à faire.
Comme s'il se rappelait justement de cet état de fait, il se releva et commença aussitôt à marcher.
- Je dois trouver un arbre.
Son pas s'arrêta alors, et l'idée lui ayant venue, il tourna sa tête vers la femelle bicolore. Pour la première fois, son regard pâle s'accrocha au sien.
- M'aideriez-vous ?

- Si je le peux, accepta-la femelle.
Howahkan eut un hochement de tête; bien, très bien. Sans se soucier de converser, il continua à avancer, observant de loin les troncs, mais pouvant éliminer plusieurs malgré la distance.
- Ce doit être un arbre très spécial et précieux pour qu'il soit cherché avec autant de passion, fit Moonstone pour maintenir la conversation. Qu'a-t-il qui puisse aider nos recherches ?
- Si, très précieux, affirma-t-il avec un bref hochement.
Réalisant qu'il se devait de lui donner quelques détails, Howahkan arrêta brièvement sa marche et coula un regard dans sa direction.
- C'est un..
Il s'interrompit courtement, et son air détaché qui le suivait depuis leur début se mua bientôt en sourire.
- Cerisier !
Il s'écria, comme bienheureux de sa plaisanterie, et reparti à la marche entre les impressionnantes rangées d'arbres - de cerisiers.

Estomaquée par sa réponse, la femelle resta en retrait. Mais bien vite, un éclat de rire fusa derrière le loup clair, lui arrachant un nouveau sourire.
- Avec autant d'informations, je m'étonne que vous ne l'ayez pas encore trouvé !
Moonstone plaisantait, et sa bonne humeur avait fini par percer la réflexion du petit mâle. Son état d'esprit s'étant amélioré, il retrouva sa loquacité usuelle :
- Je me dis la même chose, voyez-vous !
Il continua à cheminer, mais cette fois, ce fut la femelle qui marqua une pause. Réalisant qu'elle n'était plus à ses côtés, Howahkan pivota lestement et la trouva du regard, assise en retrait.
- Alors lequel d'entre vous est notre objectif...?
Intrigué, il suivit ses yeux, qu'elle avait fixé sur les cerisiers.
- Oh, vous parlez le "arbre" ? En voilà, un talent utile !

- Parmi de nombreux autres !
Elle continuait de jouer le jeu, et il continuait de sourire. Lorsqu'elle se releva pour s'approcher de certains arbres, Howahkan trottina pour aller à sa rencontre.
- Vous êtes sûr que votre cerisier n'a aucun signe particulier ?
Passant à faible distance d'elle, il la contourna sous son nez pour aller se poster un peu plus loin.
- Des griffures sur son tronc ? Jeta-t-il sur son passage.
Il laissa à nouveau échapper un petit rire, cette fois amusé par lui-même.
- Je devais être dans les vapes, quand je l'ai choisi.

Cette fois, Moonstone ne lui répondit point, et son regard distant attira la curiosité du petit mâle. Sautillant d'une patte à l'autre, Howahkan finit par s'approcher d'elle, puis dû tendre l'oreille lorsqu'elle s'exprima d'une voix basse.
- Ne serait-ce pas celui-ci ?
Le regard du voyageur se porta aussitôt sur l'écorce, mais il dû nier de la tête.
- Ah, bel essai mais.. non. Les griffures y sont trop désordonnées.
Il prit quelques secondes pour en être dépité, puis étira le cou pour effleurer la fourrure bicolore du museau. Un sourire était réapparut sur ses traits, et il préféra se remettre en marche.
- Enfin, laissons tomber ! Au lieu de quoi, dîtes moi donc la raison qui vous porte au Verger ?

- Je...hum... je venais vérifier quelque chose...mais tout va bien je vous rassure !
Le bouffon échappa un rire, le changement de ton - et d'assurance - l'amusant. Comme pour reprendre son hésitation, la jeune louve poursuivit :
- Je m'excuse, j'en oublie de me présenter. Mon nom est Moonstone.
- Enchanté, Moonstone.
Le prénom roulait agréablement sur sa langue ; oui, c'était un bon choix. Il continua d'avancer, bien simplement. Puis, sa posture se redressa quelque peu et il tourna un regard en direction de la femelle. Un nouveau sourire était venu poindre à ses lèvres, goguenard.
- Bien sûr, votre vérification ne porterait pas, par le plus grand des hasards, sur les loups d'Inaria de passage au Verger ?

L'intéressée se figea. Un " How did you..." échappa à ses lèvres, et le glissement de langue, combiné à sa surprise, firent sourire le pâle. Mais la femelle veilla de se reprendre rapidement, peut-être d'une façon naturelle, mais peut-être aussi par force.
- Inaria is fine, posa-t-elle, sans une hésitation. Nous allons parfaitement bien.
Sa voix avait reprit sa douceur, malgré ses propos (trop) déterminés. Howahkan s'en amusa, et il tourna exagérément sa tête contre son épaule, regardant à présent la femelle dans un angle incongru.
- Vous semblez sur la défensive, remarqua-t-il. Est-ce parce que vous croyez qu'un si petit loup comme moi, en solitaire, peut être une menace pour la plus grande meute de ces terres ?

Le bouffon ne s'attendait point à la complexité de cette réponse, ou du moins, à sa longueur.
- Vous extrapolez ma question.. Échappa-t-il faiblement, d'un ton presque blessé.
Et alors qu'elle poursuivait ses paroles, il pouffa d'un rire bas, comme s'il était amusé de voir le traumatisme qu'avait laissé la guerre sur leur pensée.
- Certes, acquiesça-t-il, mais le déplacement d'une meute complète ne pourra pas rester inconnu bien longtemps. Le territoire est tapissé de vos odeurs, malgré votre disparition.. Et bien peu semble se rediriger vers la forêt. Avons-nous droit à une meute en vadrouille ? ~ 

La mine de son interlocutrice se plissa, comme si elle ne comprenait pas et développait une légère inquiétude.
- Posséderiez-vous un sixième sens ?
- Si peu.. Pouffa-t-il d'un ton volontaire.
Il laissa la femelle poursuivre, tentant de retrouver un peu de son sérieux, mais y ayant quelques difficultés. Pourtant, le sujet avait de sa gravité. La meute d'Inaria était en temps trouble, et Moonstone n'hésitait point à la défendre - signe que, peut-être, le clan était en position de faiblesse. L'idée l'intrigua donc plus que tout, mais comme la jeune louve poursuivait - et changeait de sujet -, Howahkan jugea préférable de lui laisser ce petit répit. Elle redirigea donc la conversation envers sa personne, s'enquérant de son état de solitaire, en le comparant à ce qu'elle avait cru connaître de ce "groupe". Certes, elle ne manifestait pas de la même étroitesse d'esprit de chacun, mais le discours, si semblables d'autres, le fit soupirer.
- L'ignorance se trouve chez tous les peuples..
Il redressa le buste, prenant une inspiration, comme pour se donner de la force.
- Je suis Vagabond de nature, mais point solitaire, détrompez-vous. Je suis affilié à la meute du Vallon.

- Le Vallon ? J'en ai entendu parler... une meute pacifique...
Il hocha poliment de la tête, lui confirmant ses dires.
- Il y a beaucoup de rumeurs à votre sujet, mais je ne sais pas trop qui croire... Poursuivit-elle, hésitante.
- Oh, il n'y a rien de spécial..
Le ton détaché se mua très rapidement du côté de l'amusement, alors qu'il poursuivait sans aucun sérieux :
- Hormis le rituel sacrificiel de chaque nouvelle lune, pour que la Déesse-Mère nous accorde la paix, mais outre cela, nous sommes très sains d'esprits.

À nouveau, la femelle embarqua dans son jeu, ne relevant pas le ridicule de sa question, mais plutôt s'y pliant. Howahkan échappa un rire, puis se calma, désirant tout de même faire (légèrement) taire les ragots sur la meute. Pas que cela l'importait, mais les membres du Vallon restaient toujours à la recherche de nouveaux compagnons.
- Plus sérieusement, notre credo est de vivre en paix dans un monde utopiste ~ Plaisanta-t-il à moitié. Nous acceptons toute race, par ailleurs, ce qui est une vraie innovation !
Puis, une pensée le frappa :
- Oh ! Par ailleurs, nous avons Selen et Lonely qui viennent d'Inaria, si vous les connaissez. Elles se portent à merveille.