Pesante solitude (libre)

Eté de l’an 5 (après la prise de pouvoir de Vardan) : au gros rocher (libre).

Allongé à l’ombre d’un rocher, Lorek tentait de dormir, depuis combien de temps n’avait-il pas fermé l’œil ? Les rares moments où il réussissait à sombrer, pour un repos plus que mérité, étaient peuplé de cauchemars récurant. Tous en rapports avec leur cuisante défaite récente et la ruse destructrice dont avaient fait preuves les loups. Le rugissement du torrent et les cadavres le hantaient encore et toujours. Cela prenait de telles proportions qu’il lui sembla que sa tête bourdonnait sous la pression et les questions incessantes.
Un bref soupir exaspéré lui échappa tandis qu’il se relevait, rester coucher sans pouvoir dormir étant pour lui inutile, autant trouver une occupation qui ait un sens. Un léger bruit le fit soudain réagir. Avisant les alentours de ses prunelles d’ambre, il repéra une silhouette qui semblait s’approcher. Même s’il n’en montra rien, il espéra un instant que l’autre soit d’humeur à parler un peu, peut-être pourrait-il ainsi oublier un instant ses problèmes.

Un drôle de crissement lui fit relever les oreilles, franchement désagréable à entendre, dont la source lui était incertaine. Remontant la piste sonore il découvrit une silhouette caractéristique des félins, roulé en boule, semblant totalement abattu. Triste reflet de l’état général des Stoneclaw. Lorek s’approcha doucement, ne sachant trop comment parler au jeune. D’autant qu’il ne tarda pas à le reconnaitre : Hubert, le fils de Kasha et de Kanshu. Il baissa la tête en tentant d’imaginer ce que pouvait ressentir le plus jeune.

Une fois de plus, les souvenirs refirent surfacent, surtout ceux du torrent déchainer. L’ancien roi était mort, Kasha avait été emporté par le courant avec Atlan, tout devait paraitre vide aux yeux de l’adolescent. Surtout que celui-ci était persuadé de la mort de sa mère, chose qu’ignorait l’adulte. Dans le chaos de la rivière il avait vu la femelle soutenue par Atlan, même si elle avait l’air sonné, ils avaient l’air d’aller à peu près bien. Les deux sabres avaient certainement survécu, la rivière avait cependant dû les emporté loin, leur retour prendrai certainement du temps.

Relevant la tête vers Hubert, il stoppa momentanément ses pas, considérant avec stupéfaction l’étrange sillon double l’entourant. Il y réfléchi un peu, puis, décida de l’interprété comme une sorte de frontière qu’il ne devait pas traverser. Peut-être une sorte de petit monde symbolique à part où il pouvait se réfugier. Respectant le petit territoire délimité par les sillons, Lorek s’arrêta.
-Bonjour, lançât-il d’une voix douce pour ne pas trop le surprendre. Ca va aller ?

Malheureusement, son approche eu l’effet complètement inverse à ce qu’il espérait, le plus jeune semblait terrifier. Lorek était perdu, ne sachant comment le rassurer. La diplomatie et la sociabilité n’avaient jamais été son truc, bien qu’il fournissait des efforts pour palier à ce manque, il restait pataud dans ses rares discussions.
-Me tue pas ! Je suis même plus héritier !!
-Ca n’est pas mon intention, tentât-il maladroitement de se justifier.
Hubert se calma enfin, semblant comprendre que l’adulte ne lui voulait aucun mal, la gêne sembla s’emparer de lui. Le mâle bariolé hocha la tête avec compréhension, assimilant sans mal la situation aux nombreux jeunes adultes ayant tenté de prendre le pouvoir. Il n’osa pas imaginer ce qu’il se serait passé si c’était un de ceux-là qui étaient devenue roi, certainement le pire des scénarios possibles.
- Oh. Euh. Désolé, monsieur...
-Je comprends, ces temps-ci ne sont faciles pour personne, dit-il avec compréhension. Oh, et appelle moi simplement Lorek, cela sera bien mieux.
Il lui lança un petit sourire amical, bien que cela soit à peine visible sur son visage figé de manière quasi-permanente. Il avisa des silhouettes se battant un peu plus loin, y reconnaissant deux des abrutis qui s’en prenait à n’importe qui, ceux-ci avaient d’ailleurs tendance à privilégier les plus faible.
-Je suppose que ces lâches se font un malin plaisir à te pourrir la vie, c’est bien leur style …
Les deux belligérants semblaient en avoir fini, l’un d’eux se détourna et avisa Lorek et le jeune. Il y reconnu sans effort l’un de ceux qui avait voulu l’affronté. Un feulement peu engageant invita l’autre à passer son chemin s’il tenait à rester entier.

Un petit sourire amusé fendit son visage face à sa nouvelle appellation. « M’sieur Lorek », voilà qui n’était guère banal, cela restait tout de même un progrès. Mieux valait ne pas trop bousculer le jeune, il avait déjà perdu tous ses repères pas la peine d’enfoncer le couteau dans la plaie. L’angoisse qui le tenaillait était palpable, elle exhalait de lui sans pitié, attirant inéluctablement ceux qui cherchait une victime. Regardant le jeune avec compassion, il répondit.
- Vous voulez pas me tuer ?
-Non, je n’ai aucune raison ou intérêt à faire cela. Et puis je suis un guerrier, mon devoir est de protéger mon clan, que je sache tu en fais partis.
- Ma mère et le Roi sont morts là-bas. Je... ne sais même pas combien de temps je pourrai encore survivre...
Il haussa un sourcil, surpris des dires d’Hubert. Il savait pour Kanshu mais pour Kasha …
-Kasha ? Tu en es certain ? Je l’ai pourtant vu vivante avec Atlan dans le torrent, elle semblait sonner tout au plus. C’est pour cela qu’il l’a suivi d’ailleurs. L’eau les a emporté loin, mais le courant se calme toujours au bout d’un moment, ils ont du pouvoir en sortir. Un tel voyage doit certainement prendre du temps.Lorek était perplexe, il lui était impossible d’imaginé que Kasha ait pu mourir ainsi. Quant aux peurs du jeune …
-Je pense que Vardan à autre chose à penser que cela, ce qui le préoccupe est surtout d’augmenter nos effectifs. Éloigner l’un des nôtres maintenant me parait insensé, certainement à lui aussi. Et puis tu es jeune, ne le prend pas mal mais tu ne représentes pas de réel danger pour lui pour le moment. Tache de faire bonne figure et il devrait vite mettre ceci de coté.

Emporter dans son monologue, il ne compris pas tout de suite que le jeune voulait le questionné, faisant écho aux pensés de l’adulte. Cette histoire de vengeance était réellement une folie, surtout que celle-ci avait été aiguisée à son paroxysme par la ruse dévastatrice des loups. Lorek en était inquiet, les proportions que sa prendrait risquaient fort d’être pire encore. Leur était-il seulement possible d’imaginer cela ? L’adulte posa une de ses pattes sur l’épaule d’Hubert pour le calmer, plongeant ses prunelles d’ambres dans les siennes.

-Oui, c’est certainement ce qu’il va se passer, c’est quasi inévitable à présent. Certes la vengeance de Kanshu à disparu avec lui, mais une pire encore se prépare.

Le sabre bariolé baissa un peu la tête, tandis que ses pupilles se voilèrent sous l’effet de nombreuses émotions contradictoire.

-Réfléchit bien à ce qu’il s’est passé : en faisant céder le barrage pour gagner la guerre, les loups ont tué un grand nombre des nôtres. Penses-tu vraiment que ceux qui ont perdu un proche ou un ami vont pardonner aux loups ? Ils n’auront de cesse que de vouloir les détruire.

Lorek déglutit difficilement en y pensant, ce n’était que la promesse d’un carnage nouveau qui se renouvellerais jusqu’à la disparition des uns ou des autres. Il y avait peu d’issu à cela, il se demanda même s’il y en avait.

-Beaucoup deviendront des corps sans volonté, seulement articulé par la vengeance. Qu’importe qui a raison ou tort, il n’y aura pour eux qu’une perspective de vengeance à accomplir une fois pour toute.

Lorek comprenais sans mal la réaction du jeune, tout cela lui paraissait tout aussi insensé. Reposant lourdement sa patte au sol, il laissa son regard dans le vague, pensif. Tant de souffrance et de mort ne pouvaient être que folies et infamies, l’aveuglement de la majeur partie des leurs devait être proche du non-retour, à moins qu’il ne soit déjà trop tard.

- Non, ça n'aboutira à rien...

-Je comprends, je n’ai pas dit que c’était utile, juste que certain ne voient plus que cela, ce n’est une folle raison pour tenir debout après tant de malheurs.

- Ça va seulement multiplier les cadavres... Et toi-- vous, m'sieur Lorek, vous allez continuer à vous battre ?

Il soupira, exprimer sa pensée était loin d’être simple.

-Oui … je continuerais à me battre car il y a des êtres qui me sont chers et que je ne peux laisser seuls, ils sont trop aveuglé par la vengeance pour voir ce qu’ils font vraiment ou trop vulnérable. Cela finira très probablement par les tuer et je refuse de laisser faire.

Fixant cette fois le jeune dans les yeux, il reprit.

-Il faudrait que quelqu’un ait la volonté et le pouvoir de leur ouvrir les yeux, leur montrer un meilleur chemin, ainsi cette folie s’arrêterais peut-être. Mais peut-être suis-je trop naïf. Qu’en penses-tu, toi ?

Lorek hocha la tête, laissant Hubert dire ce qu’il avait sur le cœur, espérant ainsi que ce dernier puisse se sentir ne serais-ce qu’un peu mieux. Au fil des mots, il découvrait un adolescent qui lui était étrangement similaire, se questionnant sur la guerre et manquant cruellement de confiance en lui-même. Il avait mis un temps fou pour comprendre à peu près le monde des adultes, il avait bien cru ne jamais y arrivé, en toute réponse à cela il c’était fait un masque de glace et d’indifférence.

-Tu sais au fond, même si ça semble totalement faux, les vraies mères ont toujours raison. Il faut juste du temps pour s’en apercevoir.

Le bariolé lui fit un sourire complice, on finissait toujours par trouvé sa voie, il fallait juste de la patiente et de la détermination. Lorek était bien placé pour le savoir.

- Oups! Désolé ! Je pense que... je suis trop ' naïf ' moi aussi. Je ne pense pas autant que toi, -- vous, m'sieur Lorek. Ça me surprend de savoir que vous réfléchissez autant alors que vous êtes un guerrier. Ah, le prenez pas mal... Je pensais que tous les tigres aux dents de sabre étaient du même niveau inte--llectuel de mon père. Des des... 'Grommellements', en bref.

Lorek ne put s’empêcher d’éclater de rire, ce p’tit avait vraiment quelque chose de spécial, et surtout un sens de l’humour caché.

-j’aurais pas dit mieux, dit-il entre deux rires. C’est vrai que certain ne sont pas des lumières, mais y’en a encore quelques-uns qui savent encore se servir de leur caboche, une nouvelle preuve que les apparences peuvent être trompeuses …

Il fallut encore un moment à l’adulte pour se reprendre complètement, bien que cela ne soit pas encore tout à fait ça, l’air de rien le p’tiot avait l’air d’avoir de la suite dans les idées.

-T’as beau dire mais toi aussi t’as l’air de cogité, j’suis certain qu’une fois tout revenu au calme tu pourrais en surprendre plus d’un, faut’ juste un peu de temps.

Lorek regarda le plus jeune avec un sourire en coin, il avait décidément de nombreux point commun avec lui au même âge. Muré dans son idée d’infériorité totale, Hubert semblait vraiment au bout du rouleau. Le bariolé soupira.

-La question est plutôt : qu’est-ce qu’un guerrier ? J’ai vu beaucoup de personne différentes, et tout autant de définitions possible à ce simple mot, je peux d’ores et déjà te dire que tu en représente une toi aussi.

Le jeune était certainement bien loin de s’imaginer que l’adulte en face de lui avait été pareil à son âge, voire peut-être pire suivant les moments. Oui, Lorek c’était grandement amélioré au fil du temps.

-Permet moi de t’raconter quelque chose, une histoire certes, mais une histoire vraie. Y’a quelque années maintenant, il y avait un jeune chaton, il était un peu comme toi : il pensait qu’il était un vrai bon à rien. Ces camarades se moquaient toujours de lui, il passait la plupart de son temps caché, la plus grande partie de ce qu’il faisait échouer toujours lamentablement.

Le bariolé fit une petite pause, en profitant pour réfléchir à comment rendre compréhensibles ses paroles.

-Il était incapable de tenir une conversation avec qui que ce soit, il était tellement persuadé d’être un bon à rien qu’il loupait systématiquement la moindre chose. Quant à la chasse … crois-moi si tu veux mais il a fini un jour dans un arbre pour échapper à la proie qu’il devait chasser, ce sont son père et sa sœur qui ont dû lui venir en aide. Un vrai fiasco.

Le mâle grimaça, pour un fiasco, ça avait été le pire de toute l’histoire de la chasse.

-Inutile d’te dire que les brimades ont empirés, c’était encore pire. Les choses s’arrangèrent pourtant, un autre mâle plus âgé lui vint en aide et l’aida à prendre conscience de ses propres capacités, même si cela prit du temps.

Il eut un petit rire, réalisant l’aspect pathétique du personnage de cette histoire, il regarda Hubert pour voir ce qu’il en pensait.

-C’est dingue, non ? Je pense que la fin te paraîtrait encore plus incroyable si je te la racontais … Tu veux l’entendre ?

Lorek sourit, le jeune semblait intéressé par son récit, la fin ne manquais pas de le surprendre. Il serait difficile qu’il en soit autrement…

-Le jeune prit de l’assurance et apprit surtout à se faire confiance, à partir de là, les choses s’arrangèrent vite pour lui. Il progressait de jour en jour, il participa à la grande chasse, ce fut un succès. Cela marqua aussi la fin des brimades qui avaient marqué son enfance, l’un de ses persécuteurs vint une fois de plus le rabaissé mais le jeune ne se laissa pas faire cette fois. L’autre repartit ventre à terre avec plusieurs plaies, le jeunes en avait quelques-unes mais pas autant que l’autre.

Il fit une petite pause, reprenant son souffle et permettant à Hubert d’assimiler la suite de l’histoire.

-D’autres tentèrent, tous finirent par abandonné, voyant qu’il ne se laissait plus faire. Le jeune avait appris à se servir de ses défauts et de ses faiblesses pour se construire et se renforcer. Assez pour gagner sa tranquillité et du respect. Le jeune est adulte maintenant, pour beaucoup il est comme n’importe quel autre mâle, peu de sabres connaissent cette histoire en entier mais elle est entièrement vraie.

Lorek regarda son cadet en souriant, se demandant s’il avait compris et surtout s’il le croyait, chose moins évidente.

-Ce jeune … c’est moi, annonçât-il d’un coup. C’est peut-être difficile à croire mais c’est vrai, je n’ai pas toujours été ce guerrier que tu vois aujourd’hui. J’ai dû mener ma propre guerre contre moi-même pour en arriver là, ça a mis du temps, j’ai aussi souvent cru que je n’y arriverais pas mais c’est fait.

Levant l’une de ses pattes pour désigner la tête d’Hubert, il reprit.

-C’est là-dedans que ça se passe, commence par devenir un guerrier dans ta tête et là tu sauras devenir un vrai guerrier, réussir et atteindre tous tes objectifs ne sera alors plus qu’une question de temps.

- HEIN !? M-mais...

Le jeune fut surprit de la fin, chose compréhensible au vues de l’histoire. Mais cela n’arrangea visiblement en rien le moral d’Hubert, une sorte de détresse sembla s’emparer de lui tandis qu’il soupirait. Que dire ? Lorek était peu doué avec les mots, cette histoire était la plus longue qu’il ait racontée, la sienne, ayant au final un début semblable à celle d’Hubert.

- Mais il n'y a rien, là-dedans, il fit en pointant sa tête à son tour. Rien pour travailler, rien à réparer, rien du tout. Je...

Il aurait voulu le réconforté mais comment ? Les pensées du jeune n’étaient pas difficiles à deviner pour quelqu’un qui était passé par une phase similaire. Car c’en était une à coup sûr, il fallait juste que l’adolescent trouve le moyen d’enclencher une autre phase et enfin se développer.

- Merci, monsieur Lorek.

Faux sourire pour une vie qui sonnait certainement tout aussi fausse pour lui. Levant un regard à la fois compatissant et désolé au jeune, Lorek soupira doucement.

-Désolé, je suis un piètre parleur… mais sache que chacun est différent et a ses propres atouts, parfois profondément dissimulé au fond de nous. Tu finiras par trouver le tien, j’en suis certain, t’as l’air d’être quelqu’un qui réfléchit vraiment, c’est rare ici. Peut-être que ton talent a en lien avec cela…

Le regard fixant le vide, il tentait de faire un point sur la situation. Non. Il l’avait déjà fait. Seuls les mots lui manquaient pour l’exprimer, comme toujours.

-Y’a plusieurs types de guerrier, têtes ou muscles voir bien d’autres encore… Les temps sont tout aussi troublés que nos esprits, une fois passé on finira bien par trouver ce que l’on cherche…

Du temps, c’était la seule chose pouvant les aidés. Cicatrisant les blessures du corps et de l’âme, il permettait aussi à certaines choses de se révélés.

- Vous avez raison monsieur Lorek. Merci d'avoir pris le temps de m'expliquer tout ça.

Lorek ne savait vraiment que penser, il doutait fortement d’avoir pu apporter quelque chose de positif au plus jeune, d’un autre côté, la nouvelle expression ayant pris place sur le visage d’Hubert semblait montrer le contraire.

Hochant la tête en lui souriant, il préféra s’abstenir de tout commentaire, pensif. Un nouvel entrain semblait s’être emparé de l’adolescent qui trottinait avec engouement. Cela semblait si sincère … et en quelque sorte irréel, le changement était radical.

- Il est grand temps de me ressaisir ! Lui lança-t-il avec un grand sourire.

-Alors bonne continuation, répondit-il doucement.


Tandis que l’adolescent s’éloignait, Lorek nota quelque chose, comme si un énorme poids avait quitté le jeune. Perplexe, le bariolé l’observa s’éloigné encore un moment, avant de se détourné à son tour.

Les temps et les esprits des vivants et des morts étaient troubles … Lorek n’aurait su dire à quel point il l’était lui aussi. Reprenant son masque de glace jusqu’à ne plus laisser filtré la moindre émotion, le mâle s’enfonça à pas lent dans la brousse. Derrière lui, le gros rocher ne fut bientôt plus qu’un point à l’horizon.