Drôle de carcasse...

Automne An 6 ~ Les grandes plaines.
Au pied des montagnes brunes.



Salama avait finalement pris son courage à quatre pattes et avait pénétré les plaines. Mais dire qu'elle était nerveuse et vigilante aurait été un euphémisme... Le moindre craquement la faisait scruter les environs pendant cinq minutes avant de reprendre sa marche. La moindre odeur canine la projetait derrière l'abri le plus proche, qu'il soit rocher, broussaille, buisson, fourré...
Certes son masque lui offrait un peu plus de sérénité : au moins ne la reconnaîtrait-on pas de loin, mais il suffisait qu'un poursuivant connaisse son odeur pour qu'il la traque et la retrouve sans l'ombre d'un problème... Elle trouvait néanmoins un peu de réconfort dans l'odeur quelque peu sulfureuse qu'elle avait conservé de son passage au bassin thermal. Peut-être cela suffirait-il à brouiller sa piste... Le ciel savait que les chiens avaient un odorat bien peu développé !

Sa prudence et son attitude agité lui avait fait perdre énormément de temps, et elle en avait mis bien plus que prévu pour atteindre cette partie des plaines, au pied des montagnes brunes derrière lesquelles se trouvaient un tout autre climat.
La louvarde les toisa, obligée de lever haut la tête pour apercevoir les sommets enrobés de nuages.
Ses pattes s'enfonçaient dans un mélange plus liquide que solide de boue, d'eau et de première neige : elle avait l'impression de marcher au fond de la rivière du désert... en beaucoup plus froid...
Son regard se rabaissa pour parcourir l'horizon devant elle. Une horizon très... humide. Elle ne pouvait espérer continuer plus au nord.
Son corps se tendit en songeant que sa seule chance de trouver Chrono et Ciaran avant qu'ils n'atteignent le camp des hommes était... de justement commencer à se diriger vers l'est... et donc de se rapprocher du dit camp et de ses habitants...

Soudain, son instinct s'alluma comme on actionne un interrupteur. Ses oreilles se dressèrent brusquement et elle tourna automatiquement la tête dans la direction qui s'imposait à elle : quelque chose était proche.
Son coeur sursauta et elle chercha frénétiquement une cachette. Ne trouvant rien de probant, elle eut le réflexe de se jeter au sol, rouler une fois sur elle-même pour se couvrir de bouillasse et ne plus bouger, sa tête protégée par le crâne d'antilope restant à ras du sol comme le vestige d'une bête morte.

De la neige! De la vraie neige! Enfin de la névasse, des trous d'herbe, de la boue et du froid, mais... euh, de la neige quand même ! Enfin, c'est ce qu'il aurait pensé si les circonstances avaient été différentes.

Après leur bref séjour à Inaria, lui et sa soeur étaient repartis bredouille sans espoir de trouver solution. Ils avaient été témoins du changement de saison et de la dorure des feuilles dans les arbres, mais la myriade de couleurs différentes ne suffit pas à remonter leur moral. Ils s'étaient engagés vers le Vallon. Bien que tout deux doutaient de l'Existence d'un guérisseur habile habitant ces Terres, tout deux devaient en avoir le cœur net. Ils ne devaient pas abandonner, peu importe le fruit de leurs efforts.

En logeant les montagnes brunes, le changement de climat se mit à affecter Ciaran. Au début, ni l'un ni l'autre ne s'en rendit compte. Ils ignoraient les symptômes et continuaient leur chemin. Comme elle ne pouvait pas ressentir la température, c'est son corps qui manifesta un changement. Un jour elle fut incapable de marcher, et elle s'était mise à trembler. C'est là qu'ils soupçonnèrent le début d'une hypothermie. Chrono décida de faire halte. Il mena Ciaran à l'abri qu'ils avaient trouvé plus tôt - l'entonnoir d'une grotte - puis, la recouvra de plantes sèches et se blottit contre elle afin de lui prodiguer de sa chaleur.

Lorsqu'elle s'endormit, il se leva, sortit maladroitement de leur abri et entreprit de sonder les terres à la recherche de quelque chose à manger.

Il tira une grimace dégoûtée lorsqu'il retombas en plein dans un trou où se mêlait de la neige fondante et de l'eau. Il secoua ses pattes afin de se remettre en route, claudiquant de la gauche en sentant sa patte postérieure marquée perdre son appui. En temps normal, il aurait été ravi de marcher dans l'herbe ( l'herbe lui assurant une stabilité ), mais de la voir détremper dans l'eau sale freinait son enthousiasme. Tant pis, il n'avait pas le choix de continuer d'avancer.

Il tressauta soudain lorsque ses yeux captèrent un mouvement non-loin. Un mouvement qu'il ne reconnut pas, et donc qui l'intrigua. Il s'approcha en sautillant - pas le choix s'il ne voulait pas s'enfoncer dans les flaques boueuses - les oreilles basses, l'air alerte. Il s'agissait de la forme d'un loup. Surmonté de... qu'et-ce que c'était que ça ? Un... hybride?... Un mutant ??... Une excroissance des os ...?

Chrono pencha sa tête sur le côté, jetant un regard par-dessus son épaule, alors qu'une certaine incertitude le saisissait. Son malaise lui fit doubler de prudence. Il se mit à trottiner en décrivant un cercle autour de la... dépouille? sans la quitter des yeux. Sa queue fouetta l'air, un peu par signe d'énervement. En temps normal, il aurait été curieux de déterminer de quel animal il s'agissait, mais présentement... Le pire devait être la sensation qu'il semblait connaître cette dépouille. Le sentiment qu'il vivait lui était familier.

Il émit une sorte de miaulement malaisé, avant de lever les yeux au ciel et de constater le ciel gris où s'agglutinaient les nuages. Signe qu'il pleuvrait. Signe qu'il avait intérêt à trouver de la nourriture avant qu'il ne se mette à pleuvoir - à défaut de ne pas vouloir se nourrir de vers de terre. Et il avait froid. Et il voulait prendre une pause. Alors il se coucha près de la dépouille, espérant que celle-ci puisse lui couper le vent.

Il fallut un moment avant qu'une présence ne se manifeste vraiment, et Salama commençait à ressentir vivement le froid de l'eau dans laquelle elle était allongée et où fondait une neige molle et humide.
Lorsqu'elle sentit l'individu dans son champ physique, elle ne put dire tout de suite de quoi il s'agissait, et elle était trop inquiète pour risquer de bouger sa tête, sachant que le risque de ne rien apercevoir à travers les orbites vides de son masque était important.

A ras du dos, la truffe presque dans la gadoue, elle ne parvenait pas à sentir l'odeur émanant de la chose qui gambadait autour d'elle. Néanmoins, lorsque l'individu se mit à l'encercler, ses oreilles et le peu qu'elle put voir de la forme qui passa brièvement à portée d'yeux lui indiquèrent qu'il s'agissait bien d'un canidé. Elle retint son souffle, quoiqu'il lui semblât qu'il s'agissait plus vraisemblablement d'un loup que d'un chien.
Better safe than sorry...

Un son bizarre, à mi-chemin entre le gémissement et le miaulement s'éleva de l'énergumène, et Salama dut fait tous les efforts du monde pour empêcher ses oreilles de se relever accompagnées du vacarme de sa boucle d'oreille contre l'os.
WAT !
Quel genre de canidé pouvait-bien émettre un son si bizarre ? Un hybride ?
Elle se concentra sur sa respiration, la ralentissant et la rendant plus profonde comme Sigma lui avait appris.
Lorsque son souffle fut assez régulier, elle se rappela de ce qui l'entourait, et à sa grande stupeur constata que le nouveau venu s'approchait et...
Quoi ?
Mais oui ! Il venait vraiment de se coucher contre elle.
Ahurie, la femelle ne tiqua toujours pas, bien que ses yeux se soient agrandis de stupeur derrière son crâne.
La mince couche de boue qui la recouvrait empêchait la chaleur du corps étranger d'atteindre le sien, mais de se savoir en contact avec un potentiel danger la fit frissonner. Lequel tremblement fut assez fort pour faire cliqueter entre elles les parcelles de sa boucle d'oreille.
Elle sursauta de nervosité avant de se figer de nouveau, coupant complètement sa respiration.

Il avait fermé ses yeux. Il n'avait été qu'un louveteau pendant l'Occupation. Il n'était pas responsable des dégâts, pas vrai? Non, c'était faux. Il était aussi un louveteau alors qu'il avait tenté de faire une transfusion. Est-ce qu'il devait chercher à se déresponsabilisant en jouant la carte du " je ne savais pas " ? Non, il devait relever le menton, serrer les dents et avancer. Assumer ses actes était le premier palier avant de devenir un adulte. Et continuer à se morfondre dans une flaque près d'un cadavre n'était pas une façon d'assumer ses actes.

Chrono envisagea de se relever que ses oreilles captèrent le son d'un cliquètement. Il se raidit en ayant l'impression d'avoir sentit quelque chose se mouver derrière lui. Venait-il de rêver ? Il tourna sa tête. Ses yeux discernèrent le tonus musculaire de l'autre se crisper au travers de sa chair. Le regard de Chrono se peignit d'effroi.

Aussitôt, il s'arracha du sol dans un bond vertical, arrachant un GAAAH! étouffé, roulant maladroitement au sol après avoir glissé. Lorsqu'il se releva enfin, il arqua son dos et hérissa sa queue, le souffle court.

En réponse de son raidissement, Salama sentit le corps de l'autre en faire de même et l'atmosphère se chargea soudain d'une pesante énergie.
Un instant plus tard, le corps près d'elle se projetait debout dans un cri qui la fit elle-même bondir, prête à en découdre -ou plus vraisemblablement à s'enfuir.
Elle fit d'abord face à l'étranger qui avait glissé et roulé dans la boue, confuse par l'enchaînement rapide de la situation alors que le froid de son immobilité trop longtemps tenue engourdissait ses réflexes.

Il s'agissait bien d'un loup en face d'elle, couvert de boue, tout comme elle, à présent.
La crasse altéra son jugement et elle ne le reconnut pas tout de suite, statufiée une nouvelle fois telle un golem de boue et d'os.
Mais durant long silence qu'elle passa à fixer l'énergumène, elle ne put manquer à quel point les yeux bleus qui lui faisaient face lui étaient familiers. De même que la tignasse blonde, bien que mouchetée de marron.
La surprise la rendit muette. Elle l'avait trouvé ! Ou bien le contraire... Peu importait ! Elle l'avait retrouvé sans avoir à se rapprocher des terres de ce malade de Blight...

- Chrono ! Parvint-elle enfin à échapper.
Puis, retrouvant son impulsivité commune, elle se jeta sur le louvard sans égards pour sa propre apparence macabre.

Le carcasse s'était elle-même levée en catastrophe avant de lui faire face. Chrono ne lisait aucune émotion dans ses énormes orbites oculaires. La chose devant lui était dépourvue d'âme. Peut-être n'existait-elle même pas. Peut-être étais-ce même la manifestation physique de sa culpabilité. Si c'était bien le cas, comment pouvait-il en découdre ? Est-ce qu'une manifestation physique était comestible? Il raya l'idée aussitôt: il avait l'étrange pressentiment qu'il ne devait pas tenter de manger ce carnassier à la tête d'os.

— Chrono !
Ce-dernier sentit son sang de glacer. Soudain, la chose devant lui se mit à trépider sur place avant de s'élancer et se jeter sur lui. Chrono écarquilla ses yeux, pilant dans la boue en cherchant à l'esquiver d'un bond arrière. Au lieu de continuer à céder à sa peur, il retourna sa chemise. Il se braqua en montrant les crocs.
— RRaarrrgnnn ! Il fit alors qu'il se jetait à son tour vers la créature, cherchant à lui mordre le museau. Ses crocs glissèrent contre la surface lisse avant de agripper aux arrêtes du chanfrein. Il se sentit soudain plaqué au sol par le corps de la bête. son encolure et sa tête s'écrasèrent dans la boue et il entrouvrit ses yeux, tenant dans ses crocs...
aaAHhhh! Il ouvrit aussitôt sa bouche en échappant un glapissement de frayeur. Le crâne vide, dénuée d'âme retomba dans la boue.

Ca pue !
Lui cria son instinct alors même que ses pattes quittaient le sol pour l'emmener à la rencontre de son ami.
Trop tard !
Lui répondit-elle dans un glapissement mental.

De fait, Chrono l'accueillit en grognant, crocs découverts, encolure hérissée. Il se jeta à sa rencontre, tentant de mordre son masque. Ses canines dérapèrent sur sa surface dure et lisse, jusqu'à venir se prendre dans une aspérité. Accroché par les dents acérées, le crâne tressauta sur son visage et s'en déboîta, suivant la trajectoire du jeune mâle.
Pendant ce laps de temps, Salama finissait sa chute - déséquilibrée pas l'intervention du petit louvard - jusqu'à s'écraser son celui-ci, les catapultant tout deux dans l'eau poisseuse.
- aaAHhhh! Hurla Chrono, la tête renversée vers le crâne.
- Shhh ! Shhhtt ! C'est bon, c'est moi ! Voulut le calmer la louvarde, qui finit par l'obliger à ramener sa tête vers elle en l'agrippant avec ses griffes.
- Hey... ! Souffla-t-elle, commençant enfin à sentir le soulagement la submerger.

— Shhh ! Shhhtt ! C'est bon, c'est moi !
En entendant le monstre débiter des mots - et en sentant des griffes dans son visage - Chrono tourna brusquement sa tête et ses yeux en sa direction, avant de croiser son regard
— AAA !!-- l'effroi dans son regard sembla laisser place à la confusion. Aahhhhh ?
— Hey... ! Chrono cligna les yeux, l'air penaud, penchant sa tête instinctivement alors qu'il tentait de considérer dans son esprit la succession d’événements qui venait de se passer.

Il fronça soudain les sourcils avant de la repousser d'une patte, s'asseyant. Après un moment de calme, il parvint à retrouver son souffle - sa fourrure reprit des dimensions normales, et il s'essuya le front du revers de la patte ( afin de ne pas rajouter de la boue dessus )

Il rouvrit les yeux avant de lever un sourire crispé.
— ... Tu peux m'expliquer ? Il fit, une patte sur le visage, incapable de soutenir son regard à elle, ou celui de sa... deuxième tête, pour le peu qu'il en savait.

Enfin, le louvard couvert de boue finit par se calmer, mais la confusion était immanquable dans son regard. Salama lui adressa un sourire, ce à quoi il répondit par un froncement de sourcils avant de la repousser pour se relever.
La métisse s'écarta, le regard rêveur : c'était nostalgique ça !

Chrono prit un moment pour se remettre de ses émotions et la vagabonde constata avec contentement qu'il reprenait une allure plus sereine (mais il était évidemment toujours couvert de boue et d'eau...).
Elle l'observa porter une patte à son front, visiblement désemparé par le tour que prenait son... petit tour dans les plaines ?
Salama abaissa une oreille penaude. Pour sûr qu'elle n'avait pas fait dans la dentelle ! Mais elle n'y pouvait rien si, premièrement, elle était sur le qui-vive en ces lieux, et deuxièmement, si elle s'était suffisamment faite à son couvre-chef pour en oublier la gêne qu'il occasionnerait le plus souvent autour d'elle...
- ... Tu peux m'expliquer ?
La jeune louve déglutit, rendue mal à l'aise par l'intensité de la question.
Elle laissa échapper un petit rire crispé, cherchant à cacher son trouble en contournant son camarade pour remettre la patte sur son masque immacu-.... brun.
- Eh b-bien... Probablement... Eluda-t-elle. Mais c'est une longue histoire...
Elle soupira en se retournant vers le louvard, pointant ses oreilles qu'elle agita légèrement comme pour en exhiber les nouveautés et insister sur le fait que ce n'était pas une histoire pour là tout de suite...

Sa question fit échapper à Salama un rire nerveux, auquel il répondit derrière sa patte par un grommellement contrarié. Non, vraiment, il n'y trouvait rien de drôle.

D'abord, après être partie au début du printemps, elle n'avait pas donné de nouvelles - alors qu'ils s'étaient pourtant promis de le faire à chaque nouvelle saison. Il s'était donné le bénéfice du doute. Après tout, elle venait d'arriver: ses priorités étaient peut-être ailleurs. À la mi-printemps, à l'arrivée d'Elon, Azula et Enzo, ni lui, ni Ciaran et ni Chrysanthos avaient reçus de ses nouvelles. Soit, ça passait encore. Peut-être qu'il lui fallait deux ou trois mois avant de s'ajuster complètement au rythme du Clan du Loup, qui sait.

En été, la nouvelle portée grandissait au même rythme que leur inquiétude. Aucun hurlement ne leur vint aux oreilles. Comme sa sœur et lui en avaient assez d'attendre, ils mirent le cap sur Inaria. Chrono ne devait pas se laisser laisser distraire par son inquiétude, après tout. Ils devaient aller de l'avant !

Alors pourquoi c'était en automne, lorsque le temps était gris et sans le moindre préavis qu'il recroisait Salama ? Ça n'avait pas de sens. Ce n'était pas ainsi qu'il s'était imaginé d'aussi importantes retrouvailles- à ses yeux. Il ne pouvait pas s'empêcher de se sentir à la fois soulagé de la voir - signifiant qu'elle était vivante ( et pas une manifestation physique de sa culpabilité ) - à la fois dépassé par les raisons de son mutisme.

—  Eh b-bien... Probablement... Mais c'est une longue histoire...
Il savait qu'elle regrettait sans doute de ne pas avoir donné de nouvelles. Mais il ne pouvait s'empêcher de se sentir trahi, du moins rien qu'un peu, alors que ses autrefois grandes oreilles s'abaissèrent le long de sa tête.
— Okay, j'ai compris. Il posa sa patte dans la boue, se dressant sur ses pattes. Je suis désolé, mais là j'ai pas vraiment le temps... Il tourna la tête et les talons. Je vais chasser. Il lança un regard par-dessus son épaule. Euuh... tu peux venir si tu veux. Il ne la chassait pas, mais, présentement, il avait d'autres priorités.

La déception qu'elle lisait dans le regard du louvard la fit se sentir misérable. Elle n'avait donné aucune nouvelle depuis le printemps... Ne s'était jamais montré au rendez-vous d'été, ni même à celui d'automne... Les circonstances particulières de son court séjour chez les hommes étaient certes indéniables, mais la froide réaction de Chrono lors de ces retrouvailles lui fit craindre le pire lorsqu'elle devrait également annoncer qu'elle n'avait rien trouvé pour les aider. Ou plutôt : qu'elle n'avait rien cherché. Elle se sentit blêmir sous son pelage.
Les mots qui lui parvinrent ensuite n'arrangèrent pas son inquiétude croissante...
- Okay, j'ai compris. Je suis désolé, mais là j'ai pas vraiment le temps...
Salama inspira brutalement, blessée. Il allait la rejeter ? Lui dire de dégager. Lui annoncer qu'il ne voulait plus la revoir... ?
- Je vais chasser.
Silence. Comment devait-elle le prendre ? Il lui avait tourné le dos et commençait à avancer.
- Euuh... tu peux venir si tu veux. Lança-t-il en lui jetant un regard par-dessus son épaule.
La louvarde expira, ses épaules se détendirent sous le coup du soulagement et elle se dirigea vers lui pour l'accompagner.
- Je veux ! Répondit-elle avec enthousiasme avant de se rappeler de quelque chose. Ah...
Elle chercha son crâne du regard et s'empressa de le récupérer et de repasser la tête dessous dans un claquement.
Tant pis si Chrono avait du mal, elle n'allait pas abandonner un cadeau comme ça.
Elle le rattrapa de nouveau, guettant l'expression du louvard.

— Je veux ! répondit l'autre, ce qui fit apparaître l'ombre d'un sourire dans le visage de l'autre loup. Il l'entendit s'approcher avant de l'entendre revenir sur ses pas. intrigué, il garda la tête tournée. Oh. Son crâne. Il leva les yeux au ciel. Bien sûr, évidemment.

Il ne comprenait pas vraiment pourquoi elle était attachée à cet objet, mais après la surprise initiale, il pouvait comprendre qu'elle aussi avait eu son lot d'expériences à vivre. Il dut s'arrêter de marcher un moment, le temps que sa patte arrière marquée retrouve son appui. Ceci signifiait que c'était celle avant qui allait bientôt perdre le sien.

Il poussa un soupir, changea d'antérieur et se mit à boitiller, repliant sa patte inutile contre son poitrail.
— Alors, il fit après un moment. Et si tu commençais par m'expliquer au moins ce qui s'est passé au printemps ? Il haussa les épaules - du mieux qu'il le put, considérant sa position. Il fallait bien commencer quelque part.

Salama le vit lever les yeux au ciel en la voyant de nouveau couverte de son crâne, lui arrachant un sourire amusé invisible aux yeux alentours.
Elle garda un oeil sur lui assez longtemps pour remarquer la façon dont il avait soupiré en repliant son antérieur meurtri pour se mettre à clopiner. Sa bouche se tordit dans une expression troublée et soucieuse : de toute évidence, leurs recherches n'avaient pas encore abouti...
D'ailleurs, où était Ciaran ?
Salama redressa la tête pour jeter un coup d'oeil derrière eux.
- Alors. Elle se retourna vers l'avant, décidant que la petite femelle crème attendait sans doute le retour de chasse de son frère quelque part. Et si tu commençais par m'expliquer au moins ce qui s'est passé au printemps ?
Elle resta silencieuse le temps de rassembler ses idées.
- Je ne suis pas sûre que le printemps soit vraiment la partie la plus importante dans cette histoire... Mais okay... Elle prit une profonde inspiration avant de commencer : Hormis l'extravagance du camp des bipèdes, il ne s'est pas passé grand chose les premières semaines. Déjà, j'ai bien cru que j'allais devoir repartir dès le premier jour : les bipèdes ne me prêtaient pas attention...
Elle ne s'attarda pas sur le pourquoi de cette question, son ego ne supportait pas de reconnaître tout de suite que cela avait été son tour d'être regardée comme une naine...
- J'ai fini par me lier à une jeune femme, Esmée. Je l'appréciais beaucoup... Souffla-t-elle, nostalgique. En songeant à la suite, elle fronça les sourcils et sa voix se fit plus grave : Et puis un jour... Il y a eu ce chien... Rhinjin...
Silence.
- Il m'a emmenée voir quelqu'un... Mon père... Annonça-t-elle enfin. Puis, connaissant Chrono - et à cela elle roula des yeux - elle trouva plus prudent de préciser : Mon vrai père.

— Je ne suis pas sûre que le printemps soit vraiment la partie la plus importante dans cette histoire... Mais okay...
— Hey, donne-moi une chance, lança Chrono, un peu ronchon. Sala prit une grande respiration avant d'entreprendre son récit.
— Hormis l'extravagance du camp des bipèdes, il ne s'est pas passé grand chose les premières semaines. Il écoutait, tout en scrutant le sol à la recherche de la piste d'un quelconque rongeur. Il espérait croiser le chemin de marmottes, de mulots ou même de souris. Il se maudit intérieurement: s'il avait prêté plus d'attention aux explications de JD, jeune, il aurait pu déterminer si les rongeurs étaient du genre à se vautrer dans la boue ou se cacher dans leurs terriers. Salama poursuivait. Déjà, j'ai bien cru que j'allais devoir repartir dès le premier jour : les bipèdes ne me prêtaient pas attention...
Les oreilles de Chrono se redressèrent. Hein? Comment ça les bipèdes ne lui avaient pas prêté d'attention? Salama était la yearling la plus enthousiaste qu'il connaissait. Il voulut tourner sa tête afin de la regarder dans les yeux, mais tout ce qu'il croisa fut les orbites vides de son masque. Il pinça sa langue avec ses crocs avant de détourner la tête.
— J'ai fini par me lier à une jeune femme, Esmée. Je l'appréciais beaucoup... Son ton sembla se modifier. Et puis un jour... Il y a eu ce chien... Rhinjin...
Rhinjin? Qu'est-ce qu'il faisait dans cet histoire, Rhinjin. Et pourquoi un silence? Est-ce qu'elle venait de trouver la piste d'un rongeur? Il raya l'idée. Improbable. Sous son casque taché d'eau souillée, Salama devait être incapable de pouvoir relever la moindre empreinte. Elle reprit d'ailleurs le fil de sa pensée, le ton comme... morne.
— Il m'a emmenée voir quelqu'un... Mon père...
— ... War... bound ? se risqua Chrono, incertain de la pertinence de sa question. Si c'en était une.
— Mon vrai père, répondit Salama. Chrono ferma les yeux un instant, fronçant légèrement les sourcils. Il était plus qu'improbable qu'elle soit la fille d'un humain. Il rouvrit les yeux.
— Ça signifie que ton... "vrai père" est un chien ? Ses oreilles s'ourlèrent vers l'arrière. À t'entendre, on dirait pas que tu es très enchantée de l'avoir rencontré.

Elle le vit froncer les sourcils, comme réfléchissant.
- Ça signifie que ton... "vrai père" est un chien ?
Elle acquiesça d'un mouvement de tête.
- À t'entendre, on dirait pas que tu es très enchantée de l'avoir rencontré.
Un rire sombre la saisit. Quelle ironie...
Pendant ce temps, leurs pas commençaient à les amener dans un coin un peu plus sec, clairement plus propice à la chasse. Elle prit un instant pour scruter les terrains, cherchant les indices de la présence de petits animaux (le gros gibier aurait demandé plus de temps et de marche).
- Ca m'a fait un choc, tu t'en doutes... Répondit-elle enfin. Mais il est venu me voir plus tard, avec des intentions très louables. Finalement, on s'est beaucoup rapprochés...
Elle n'osa parler de leurs quatre cent coups au détriment des autres chiens et des hommes.
Ses oreilles sautèrent en avant : elle avait repéré un bruissement caractéristique.
- Maintenant, chut ! Souffla-t-elle à voix basse.
Elle huma l'air, puis se débarrassa lentement et silencieusement de son masque. Elle repéra bientôt une touffe d'herbe qui s'agitait et se tapit au sol pour ramper vers la petite chose qui s'y trouvait. Maigre menu que cela ferait... Elle regrettait ses chasses abondantes en compagnie de sa bipède...
Elle se tendit en se souvenant que Chrono était là et de sa fâcheuse tendance à la chasse... Elle ne put s'empêcher de jeter un regard circonspect par-dessus son épaule, gardant les oreilles dirigées vers sa cible.

Bonus
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— Ça m'a fait un choc, tu t'en doutes...
Chrono s'apprêtait à lancer un " pas vraiment ", mais préféra tenir sa langue, pour une fois. Salama poursuivait.
— Mais il ( son vrai père ) est venu me voir plus tard, avec des intentions très louables. Finalement, on ( elle et son vrai père ) s'est beaucoup rapprochés... Chrono leva faiblement un sourire, comme pour montrer à son amie qu'il la soutenait.
— Ouais mais... _{non c'est bon}, content pour toi, Sal.
Cool qu'elle se soit rapprochée, mais il ne comprenait toujours pas l'espèce de tension au fond de sa voix lorsqu'elle l'avait mentionné. D'ailleurs, est-ce que ce "vrai père" avait un nom ? Vrai père, vrai père. Qu'est-ce que c'était étrange à penser. Il s'imaginait dans les souliers de Salama, à la réaction qu'il aurait si Chess s'était révélé être son faux père, et qu'un chien du Clan du Loup se serait révélé être le vrai. Ses oreilles tiquèrent. Qu'est-ce qui lui prenait de réfléchir à autant d'absurdités.
— Maintenant, chut ! Oui, la chasse. ... La chasse? Il sortit de ses rêveries tout en tournant sa tête afin de dévisager l'autre louve, qui se défit de son casque-masque pour se tapir au sol. Il ne l'imita pas vraiment, surtout lorsque ses oreilles captèrent un bruissement derrière lui. Lui-même se tapit dans les herbes, rampant en silence, les yeux fixés sur un amas de branches mortes dans un tas d'herbe ( et un trou d'eau sale ).

Soudain, son champ de vision bifurqua vers l'arrière alors qu'un éclair doré et vert jaillit de l'herbe (un faisan!) pour se lancer devant Salama. Chrono suivit son instinct, détalant dans la boue le ventre à ras le sol, bousculant Salama - qu'il avait complètement occulté - en pourchassant sa proie.

À cet instant, une seule chose lui importait: survivre.

Voyant Chrono qui se mettait sagement en position de camouflage, Salama retourna à son affaire.
Malheureusement, elle avait sous-estimé la capacité inouïe du louvard à foutre en l'air toutes ses chasses...
Mais à son grand étonnement, ce ne fut pas une fourrure crème qui lui passa devant le nez, mais un oiseau à longue queue. En revanche, ce fut bien Chrono qui l'envoya mordre la boue dans sa précipitation pour courir après le plumage galopant.
Salama se redressa bien vite, fixant d'un regard éberlué la forme s'éloignant de son ami.

O-kay...
Finalement c'était peut-être mieux ainsi... Elle doutait que Chrono aurait la patience de chasser de petites proies avec elle en cherchant à lentement les piéger...
De toute façon, elle n'aurait pas de mal à le retrouver, désormais.
Laissant son crâne là pour le retrouver plus tard, elle s'éloigna donc dans le sens opposé (pour être sûre de ne pas le voir débouler au mauvais moment), cherchant un nouveau terrain à peu près sec.
Elle n'avança pas longtemps avant qu'un nouveau mauvais - très mauvais - pressentiment la saisisse.
Mais trop déterminée à se rendre utile pour regagner l'estime de son ami, elle n'y prit pas garde...

Une piste toute fraîche de lièvre l'attendait un peu plus loin. Un sourire enthousiaste apparut sur son visage et elle la remonta en remuant la queue.
Au bout de peu, une nouvelle odeur lui fit hérisser le poil et elle se redressa vivement, les pupilles dilatées.
Elle voulut faire demi-tour mais quelqu'un lui barrait le passage.
- Tiens, tiens... Mais qui voilà...
Un chien noir et gris se tenait devant elle. Il était certes bien plus petit, et elle avait déjà réussi à l'assommer une fois. Mais Salama n'était pas stupide au point de penser qu'il serait seul pour patrouiller le coin... Surtout si, comme elle le pensait, c'était précisément elle qu'il cherchait...
- C'est ça que tu cherches ? Dice fit jouer la dépouille du lièvre entre ses pattes.
Salama rabattit les oreilles. Elle avait été trop naïve et trop imprudente... Et elle avait laissé la seule chose qui aurait pu la faire passer au travers des mailles du filet à l'endroit où Chrono et elle s'étaient séparés...
Un sourire mauvais étira les babines du chien.
- Viens le chercher !
Il aboya et, aussitôt, une autre voix lui répondit. La louvarde sentit son sang se glacer : elle ne savait pas assez bien se battre pour escompter se débarrasser de deux chiens entraînés... D'autant que d'autres pourraient venir pendant le combat.
Elle fit donc la seule chose qu'elle pouvait faire : elle pivota sur elle-même et se mit à courir en rebroussant chemin.

Quelle chance d'être tombé sur un faisan ! Si les circonstances avaient été différentes, il aurait échappé une exclamation d'enthousiasme, aurait frétillé la queue, se serait mis à rire ou aurait regardé l'oiseau s'éloigner, rêveur.

Mais voilà, il ne pouvait plus. Il n'était plus un louveteau. Ce n'était plus à tonton JD, Maman, Papa ou les autres loups de capturer ses proies. C'était à lui. À lui de les pourchasser, de les traquer et de délivrer le coup fatal. Au début de leur voyage, lui et Ciaran étaient partis tout en confiance: ils trouveraient quelqu'un à Inaria et leur problème serait vite réglé. Mais une journée de marche dans le désert leur montra que leurs bons espoirs se frottaient à la dure réalité. Le sentier menant au bonheur n'était pas un sentier, mais un désert interminable, où le seul ennemi, le seul obstacle pouvant nuire à leur voyage était leur propre motivation.

Ils avaient passés quelques nuits sans manger. Certes ils savaient chasser ( maman Sun avait tout de même eu la décence de leur donner un ou deux outils ), il y avait un monde de différence entre chasser des chauve-souris ( qui s'agglutinaient à la même grotte ) et TROUVER de la subsistance. Désormais, après avoir passé plusieurs mois à ne compter que sur sa sœur et lui, trouver une proie éveillait chacun de ses sens. Survivre était primordial. Survivre, et faire survivre sa sœur.

En détalant dans la boue, mesurant sa respiration, Chrono avait complètement oublié l'existence de Salama, son crâne ou ses problèmes. Ses yeux fixaient le faisan en avant et ses pensées étaient bombardées par l'occasion. Il gagna du terrain, l'oiseau déploya ses ailes ( il fut ralentit lorsque le vent le poussa vers l'arrière ), envoyant une décharge d'adrénaline chez le louvard. C'était sa dernière chance de l’attraper avant qu'il ne s'envole. Il quitta le sol dans un saut en longueur, ses pattes étirées, comme un puma en chasse, ne réussissant qu'à raser la queue de ses griffes avant qu'un aboiement non-loin le déconcentre.

Son geste parvint à fouetter l'oiseau et lui fit échapper un piaillement étouffé, mais sans plus. Il se freina dans la boue et glissa sur un mètre avant de s'immobiliser complètement, sa queue fouettant l'air afin de lui redonner de l'équilibre.

Salama...?

L'oiseau au sol, cherchait à se relever : il s'était empêtré dans la boue et les plumes de ses ailes semblaient s'être collées l'une sur l'autre. Survivre, ou Salama? Ciaran... ou Salama ? Il fronça les sourcils. Ciaran n'allait pas mourir. En revanche, Salama...

Chrono tourna la tête, juste assez pour pouvoir voir du coin de l'oeil le faisant se traîner debout et s'éloigner en se dandinant.
Il pinça sa langue entre ses crocs, et rebroussa chemin.

Merde ! Merde, Merde Merde !

— Sal ! il l'appela, espérant que sa voix puissent percer le cri du vent qui s'était mis à siffler dans ses oreilles, comme présage du mauvais augure.

Salama se risqua à jeter un coup d'oeil par-dessus son épaule, sans ralentir l'allure : le premier chien avait bien été rejoint par un second mais, a priori, ils n'étaient que deux...
C'était déjà un soulagement. Mais bien maigre compte tenu qu'elle se faisait pourchasser...
Elle retournait là d'où elle venait, mais un doute angoissant la freina sans qu'elle le réalise : pouvait-elle vraiment retourner là où elle avait laissé Chrono... ?
Elle était venue jusqu'ici pour s'assurer qu'ils ne s'approchent pas du camp des hommes, et voilà qu'elle était justement en train de mener les chiens jusqu'à son ami !

Son hésitation fut suffisante pour permettre aux deux plus petits canidés de la rattraper.
Le deuxième parvint à bondir de sorte à lui happer un postérieur et Salama trébucha jusqu'à s'écrouler dans la boue.
Les sbires de Blight l'entourèrent, lui tournant autour avec des yeux pétillants.
- Sal !
Salama se raidit, n'osant pas répondre à l'appel. Mais il finirait tôt ou tard par trouver sa piste et venir jusqu'ici...
Les deux chiens, eux, s'étaient immobilisés et échangeaient un regard.
- Ooh, tu as amené un copain ? Fit finalement l'un d'eux. Intéressant...
La louvarde se hérissa, serrant les crocs.
- Foutez-lui la paix ! Il n'a rien avoir avec moi ! Siffla-t-elle.
Le noir et gris lui jeta un regard torve avant d'aboyer de nouveau, sans que Salama ne sache si c'était pour appeler des renforts ou pour amener Chrono jusqu'à eux...

Lancé au galop, il n'entendait plus les éclaboussures de boue qu'il causait à chaque foulée, fixant ses yeux sur un point au loin. Il discerna la silhouette effilée de sa comparse, avant de fronçer les yeux: la silhouette s'était dédoublée. Il y avait trois individus au loin. Un aboiement étranger vint confirmer ses soupçons. Il vit la silhouette de Salama s'effondrer au sol.

Son coeur se mit à s'affoler: ces étrangers n'étaient pas leurs alliés. Chrono mit les freins et s'immobilisa, à quelques mètres des deux inconnus.
— ...
Il eut un mouvement de recul. Voilà qu'ils étaient plus grand que ce qu'il pensait. Mais au lieu de s'éloigner et de fuir, comme le reste de son corps semblait lui crier, il fit complètement l'opposé: ses yeux s'écarquillèrent. Il les braqua en plein sur ceux du chien noir et gris, celui qui avait aboyé. Ils ne se connaissaient pas. Si les circonstances avaient été différentes, Chrono aurait hésité avant d'ouvrir la gueule.

— Qu'est-ce qui vous prend ?! Il ignora les deux ennemis avant de tourner sa tête vers la louve qui baignait dans l'eau sale.
— Sal ! Qu'est-ce qui se passe ! Il releva la tête, regardant tour à tour les deux chiens, arquant son dos à petit feu et hérissant sa fourrure. Il eut comme un déclic, fronçant les sourcils. Alors c'est ça, sa longue histoire ? En fait elle s'est fait des tas d'ennemis ? En ourlant ses oreilles. Génial.

Le second chien, brun au museau noir et à l'air crétin, la bouscula avec assez de violence pour le faire chuter dans la boue.
Le noir et gris se retourna vers elle et ricana sèchement.
- Tu te souviens de moi, j'espère ? Je m'appelle Dice, et lui c'est Rost. On s'occupe de ton pote et ensuite tu vas nous suivre bien sagement si tu veux pas que je rajoute quelques trous à tes oreilles...
Au loin, Salama entendit le rythme d'un galop rapide. Elle coucha les oreilles et releva les babines en direction de Dice.
- Allez vous faire voir, je vous suivrai nulle part ! Grogna-t-elle.
Le brun l'attrapa par la peau du coup et le premier approcha ses crocs de son visage.
- Ton "papa" nous a ordonné de te ramener... de préférence vive. Tu connais l'autre option, alors choisis intelligemment, bâtarde !
Le chien se détourna pour "accueillir" Chrono et Rost la laissa retomber dans sa flaque.
- Qu'est-ce qui vous prend ?! Sal ! Qu'est-ce qui se passe !
La louvarde leva les yeux vers lui, contrite.
Mais en voyant les deux chiens se dresser devant elle, une crête apparaissant sur leur dos, elle se releva vivement et se fraya un chemin entre leurs corps.
- Dégage, Chro ! Cria-t-elle.
Dice lui asséna une gifle qui la fit reculer d'un pas.
Tant pis. Elle n'avait plus le choix et il ne fallait pas que Chrono s'en mêle... Ce serait catastrophique...
Elle mordit à pleine dent dans la croupe de Rost qui hurla de douleur avant de se retourner, baissant la tête pour envoyer un coup de crâne dans son thorax.

Salama et lui s'échangèrent un regard, dans lequel il put deviner une sorte d'embarras. Mi-figue mi raisin, le petit loup leva la tête afin de regarder les deux autres chiens qui, peu à peu, semblait se hérisser. Son amie se redressa en panique.
— Dégage, Chro! elle lui jeta en cherchant à se frayer entre les deux chiens. L'un d'eux la gifla, arrachant un glapissement déconcerté chez le loup. Il ne s'était pas trompé. Ces deux individus étaient des ennemis.

Chrono tressauta en entendant le cri qu'avait échappé l'un des deux après s'être fait mordre la croupe. Il sentit comme une décharge d'adrénaline le parcourir. C'est maintenant, pensait le loup polaire en écarquillant ses yeux. C'est maintenant qu'il devrait mettre en pratique les techniques de combat qu'on lui avait enseigné. Il s'était souvent battu contre Ciaran, sa soeur, mais il y avait un monde de différence entre se battre contre un membre de la famille et se battre contre un ennemi.

C'est maintenant. Chrono lova sa queue vers le bas, s'approchant de Rost en bondissant sur place, le dos arqué, ses pattes raides, rasant le sol. Il se risqua d'un bond et referma ses crocs sur sa truffe, avant de se décaler d'un bond vers l'arrière. Il s'accroupit, retroussant ses babines, écho à un chaton enragé.

Salama dut rapidement se rendre à l'évidence que Chrono ne l'avait pas écouté et, bien au contraire, se jetait à son tour sur le brun.
Trop tard maintenant... Il était impliqué. Et s'ils arrivaient à sortir de cette situation et à échapper aux deux émissaires, elle ne doutait pas que ceux-ci rapporteraient toute la scène à Blight...
La louvarde lâcha prise lorsqu'elle remarqua que Dice s'apprêtait à attaquer le blondinet. Elle bondit devant le chien qui en profita pour ouvrir grand les mâchoires et la saisir par la peau du dos, l'envoyant valser derrière lui par une torsion de sa nuque.
Salama retourna s'écraser au sol avec un glapissement.
Comment était-ce possible d'être si petit et si redoutable ?! C'était décidément un miracle qu'elle soit parvenue à l'assommer au camp, à l'époque de sa fuite...
L'image de Blight se superposa à celle du chien noir et gris et la métisse sentit son sang bouillir.
Elle revint à la charge, prenant son élan pour sauter sur le dos de Dice, dans le même style que ce qu'elle lui avait déjà fait subir.
Cette fois cependant, le petit canidé amortit le coup en roulant sur lui-même, jusqu'à se retrouver au-dessus de Salama.
- Ça ne marchera pas deux fois, gamine ! Gronda-t-il avec un sourire.
La louvarde ne répondit rien, mordant dans la joue du chien sans avertissement. Celui-ci aboya avant de la gifler de nouveau pour lui faire lâcher prise.
Du sang coulait de la morsure infligée au chien, ainsi que de l'égratignure que la gifle avait laissé à Salama.
- Tant pis pour toi. Cracha Dice avant d'enserrer la gorge de la louve entre ses mâchoires.
- CHR-ROo ! Parvint-elle à échapper, suffocant peu à peu, au rythme lent des crocs qui se resserraient à chacune de ses inspirations.

Le dos arqué, les épaules hautes, Chrono se releva à demi, reposant son poids sur ses pattes postérieures, comme une marmotte à l’affût. Contrairement à une marmotte cependant, la forme de ses dents était loin de manifester un intérêt pour des baies ou des noix. Sa queue fouetta l'air alors qu'il avait figé ses yeux sur Rost, prêt à toute éventualité. Presque toute, car Salama et son adversaire se battaient dans son angle-mort. Heureusement, la louve parvint à s'attaquer à Dice avant que ce-dernier ne réussisse à s'attaquer à lui - son râle détourna son attention et il se décala en pas de chassé, le souffle court. Rost de son côté, se remit tant bien que mal de la douleur à sa truffe avant de secouer sa tête avec force. Il fusilla du regard le petit loup.
— RRRrrr.... J'vais t'écrabouiller ! Il aboya en se jetant vers lui. Chrono échappa un crachement strident qui fit se cabrer l'autre chien, comme déconcerté par la position, la façon de se mouver - ou de se battre de son adversaire. Il était habitué aux jeux de dominance ou à croiser l'émail... pas à... ça !
— CHR-ROo ! parvint à échapper Salama, ce qui fit dresser les oreilles du louvard. Chrono fronça les sourcils. Il s'approcha de Rost en sautillant. Rost pencha sa tête, étirant la nuque, retroussant ses babines. L'attitude du freluquet commençait à l'énerver. Il tenta de se lancer vers l'avant avant de regretter son geste: la dernière chose qu'il vit fut un éclat de malice brillant dans les yeux de l'autre, avant de goûter la boue. Chrono écrabouilla la tête de Rost de ses pattes et l'enjamba ensuite, se lançant contre Dice. Il ne parvint pas à se réceptionner convenablement et se contenta de bouler au sol. Il précipita sa nuque vers l'avant et ouvrit grande la gueule, plantant maladroitement ses crocs n'importe où, avant de fermement retenir la membrane muqueuse de Dice entre ses incisives.
— RRanggnn !

Salama commença à douter que son ami n'intervienne à temps...
D'ailleurs, comment s'en sortait-il seulement face au second chien ? Elle ne voyait rien et sa vision commençait même à se brouiller légèrement. Pour autant qu'elle savait, Chrono avait peut-être été dominé par Rost, et c'en serait fini d'elle.
Quelques instants plus tard, le louvard crème apparut dans son champ de vision, s'attaquant immédiatement à Dice qui n'eut d'autre choix que de défaire sa prise lorsque les crocs du loup vinrent lui arracher les babines.
Le chien poussa un cri de douleur et de rage. Il se libéra finalement en se débattant, provoquant le déchirement complet de sa babine, entaillée profondément sur quelques centimètres de hauteur.
Il se recula, montrant les crocs, toute lueur d'amusement disparue de son être. Rost le rejoignit, couvert de boue et le museau perlant de sang.

Salama put enfin prendre une profonde inspiration et elle se releva tant bien que mal, prenant une position défensive face aux deux chiens qui les toisaient durement.
- Si vous croyez que vous allez vous en sortir à si bon compte... Râla Dice. Il se remit à aboyer.
Horrifiée à l'idée que des renforts ne s'en mêlent, Salama bondit vers le chien. Elle le plaqua, mais le mal était fait. Rost intervint pour l'arracher à son camarade.