Vivace comme un chat au soleil ~ Prio' Hubert

Vie de merde, territoire de merde, bouffe de merde. Mais au moins, il était libre. Et ce petit fil de liberté suffisait à tenir sa santé mentale - et ses quelques restes de bonheur - stablement. Il allait mourir, certes, mais comme tout le monde. Ce n'était qu'une question de temps. En attendant, il pouvait peut-être trouver un but, un endroit où aller afin de profiter de sa nouvelle liberté. Ce n'était qu'une question de temps avant que Vardan ne se lasse de son petit rôle de paria et ne décide de l'inclure dans un rôle plus important. De lui accorder des mérites ou, Les esprits nous en préserve, de lui donner son lot de responsabilités. Lui, responsable ? Il peinait déjà à survivre et à tenir à sa propre personne, alors assurer la sécurité chez d'autres individus dont le destin le désintéressait... Enfin. Peut-être Vardan verrait-il sa réelle inutilité et déciderait de le tuer. C'était une perspective à envisager, et surtout, la meilleure pour Stoneclaws.

Encore heureux qu'il évitait de côtoyer les autres ; peut-être qu'un groupe planifiait déjà les détails de sa mort. Tant pis. Autant continuer à vivre pour le peu qui lui restait. Mais quoi faire? La réponse était simple: n'importe quoi. Il pouvait faire n'importe quoi. Il avait le pouvoir de faire n'importe quoi. Et lorsqu'on a vécut toute son enfance et un peu plus entravé par une mère revêche cherchant l'attention d'un Roi déchu, le sentiment de la Liberté est aussi étouffant qu'il est libérateur.

Fleur lui avait appris qu'il y avait d'autres créatures dans la savane autre que les vautours qui pouvaient le nourrir. Il avait appris, un peu à contre-coeur, comment chasser les petits rongeurs qui se terraient sous l'herbe. Il avait faim, mais cette faim commençait à le guider, et il commençait à se sentir entravé par celle-ci. Il mangerait quand il voudrait, pas quand il pourrait. Euh... Il s'arrêta dans sa marche, cherchant à trier ses pensées. Non, ce n'était pas exactement ça, mais ce n'était pas sa faim qui allait dicter... sa faim. Hubert secoua sa tête, jetant un regard distrait vers les quelques arbres des terres herbeuses, croisant les yeux d'un autre félin qui semblait profiter de la chaleur.

Il détourna soudain le regard lorsqu'une douleur dan ses canines le raidit. Il baissa les yeux, constatant que ses crochets commençaient à être longs. Aussi entreprit-il de s'approcher d'une pierre assez grande pour y faire glisser ses longs crocs recourbés, cherchant à limer l'excédent qui commençait à peser sur sa mâchoire. Un crissement strident retentissait à chaque entrechoc émail/pierre, mais c'était un son courant lors de la nouvelle année, où les guerriers ( et ceux qui ne l'étaient pas ) limaient leurs dents devenues trop longues. Comme le faisaient les rongeurs.

Ça s'avançait bien: déjà les recourbures trop marquées disparaissaient. Comme il avait l'habitude de se négliger, ses crocs avaient tendance à pousser vers l'intérieur plutôt que de rester droits. C'est pourquoi il entreprenait de limer l'excédent afin de les garder alignées, du moins le plus possible. C'était une tâche ardue et longue, ce pourquoi il n'aimait pas s'y attarder. Alors que la pierre se marquait de zébrures d'émail, une voix décida de l'interrompre dans sa tâche:
- J'espère que cette pierre est la cause de tous tes malheurs et ceux de ta famille, sinon elle ne mérite pas ce qui lui arrive. Hubert sembla se raidir. Mais même si c'était le cas, je suis certaine qu'il y a d'autres moyens d’apaiser ta colère. Il fouetta l'air d'une oreille, se redressa d'un coup afin de toiser la féline qui avait jugé bon de s'approcher du paria.
- De quoi j'me mêle, il siffla, la dévisageant d'un air las. Sa famille? Ses malheurs ? Qu'est-ce qu'elle savait de lui? Visiblement, rien du tout. Malgré lui, il leva un rictus amusé, se penchant de nouveau sur la roche, y plantant ses crochets, sans quitter les yeux de l'autre du regard. Après s'être crispé, il les fit de nouveau crisser de long en large dans le même tintamarre. Avec un peu de chance, il l’incommoderait assez et elle partirait.

Si elle sembla s'esclaffer devant sa presque réceptivité de son humour, Arya déchanta vite en constatant qu'il n'allait pas s'arrêter de si tôt. Le raclement de ses crochets contre la surface aiguisée de la pierre semblait la rendre inconfortable. Avant l'assaut contre Inaria, lorsque son père était encore en vie, tous les guerriers s'y étaient donnés en même temps. Il s'amusait à s'imaginer la réaction d'Arya alors. Y a pas à dire, se l'imaginer se recroqueviller de douleur avait de quoi de thérapeutique ! La féline - d'ailleurs, de quoi s'agissait-elle? Certainement pas d'une tigresse... - lui envoya un petit coup de queue, cherchant à broder une conversation pour l'inclure de nouveau.

-J'me mêle que ça craint de s'en prendre à ceux qui peuvent pas se défendre ! Attaque-toi à quelqu'un de ton niveau... ou fait des exercices de respirations, pour ce que ça me change à moi. Hubert, sans tourner sa tête vers elle, se contenta de hausser une épaule ainsi que l'une de ses pattes. Elle est bien bonne, celle-là ! il s'esclaffa, avant de déposer sa patte de nouveau, prendre appui au sol et se reculer de quelques pas. Tout en dodelinant de la tête, il vérifia le poids des crocs dans sa mâchoires, ouvrant et refermant la mâchoire, refermant ses molaires ensemble afin de juger si leur force était conséquente. Ses crochets n'étaient pas légers, mais ils n'étaient pas lourds non plus. Il se rapprocha de la pierre, lorgnant des yeux vers la féline.
- Bon, les griffes maintenant ~
Et, sur le même rictus de plus tôt, il se leva sur deux pattes pour battre ses griffes dans la pierre, et, après avoir prit une grande inspiration, il se mit à les racler dessus, sans porter le moindre intérêt aux oreilles fragiles de ce qui se trouvait être une partenaire de clan. C'était un bruit dont il avait l'habitude. Un bruit qui l'éloignait des terres mornes de Stoneclaws d'aujourd'hui en le transportant vers le Stoneclaws d'hier. L'instant avant d'envahir Inaria. L'instant où il voulait se prouver à son père, où il voulait faire briller son rang d'héritier. En bref, le pire moment de sa vie.

Même en les négligeant, ses griffes s'étaient développées de sorte à résister à l'écorce des arbres, d'où la nécessité de tailler l'excédent avec les pierres, à l'instar de ses longs crochets recourbés. Son plan allait de bon train en entendant la féline à côté de lui échapper un râle. Mais un râle, ça ne suffit pas à la faire s'enfuir. Même, son tintamarre strident semblait l'avoir doté d'une nouvelle force, car bientôt elle se plaqua contre son épaule, dans l'espoir de pouvoir l'interrompre dans sa tâche.

Hubert tituba: sa malnutrition commençait à influencer son poids et son équilibre. Ressentir ce genre de contact aussi brusquement lui laissa un goût d'amertume dans la gueule, mais il fit mine de l'ignorer, poursuivant tant bien que mal son concerto.

- Stop ! protestait l'autre. Ça suffit, tes griffes sont déjà parfaites princesse ! Et puis bon sang, les arbres ne sont pas faits que pour les oiseaux ! Hubert la foudroya du regard. " Princesse " ? Dans un mouvement qui se voulait puissant, il chercha à la heurter de l'épaule afin de la faire lâcher prise.
- ... mais dégage ! il aboya avec force, plus incommodé par sa proximité envahissante que par l'insinuation dans ses mots.

Elle finit par le libérer, ce qui sembla soulager Hubert, qui retomba à quatre pattes, la tête basse, le souffle court. La nuque en sueur, ses mèches retombaient mollement sur sa tête, lui collant au front. Il chercha à les essuyer d'un vif mouvement du revers de la patte.

- Ne viens pas te plaindre quand c'est toi qui cherche.
Ses mèches rebiquèrent de nouveau, et il se permit de pousser un petit soupir, ravi de constater qu'elles avaient arrêté de lui chatouiller le front. Il n'y avait rien de pire comme sensation que celle de sentir ses mèches retomber avec lourdeur sur son cuir chevelu. Ses mèches étaient de nouveau hautes et il ne ressentait plus le contre-ballant de l'autre féline. Il était sauf.

- Mais est-ce que tout va bien princesse ? Tu as réussi à te donner mal à la tête avec tout ce boucan ? Fallait m'écouter~
C'en fut trop. Hubert céda à son impulsion. D'abord maladroitement - il devait se remettre de sa dernière chute - il fit volte-face afin de faire front à la féline, puis, retrouvant son agilité, il se lança en sa direction, la tête penchée sur le côté. Contrairement à ce que sa position laissait suggérer, il ne fonça pas directement vers elle, mais plutôt à côté, non pour la plaquer au sol, mais pour happer sa gorge délicate de ses crochets.

Son élan l'aidant, il chercha à la soulever du sol et lui faucher son équilibre. S'il se manquait, il pourrait au moins lui zébrer la gorge d'écorchures. Avec un peu de chance, peut-être cela affecterait ses cordes vocales, et elle se tairait enfin.

Bien qu'il ne réussit pas à la mettre au tapis, l'entendre pousser un râle de douleur suffit à crisper ses babines dans un odieux demi-sourire de triomphe. Arya esquiva l'impact d'un écart rapide, laissant Hubert mordre la poussière: son élan aidant, il n'avait pas la masse nécessaire pour se réceptionner comme il se devait, aussi se mit-il à glisser au sol, à bivouaquer sur lui-même avant de s'arrêter complètement. Il crispa ses muscles en guise de frein. Trois raies de sang strièrent le sol, alors que tout deux semblaient contempler quelque chose; Hubert, le silence, Arya, le principe véhiculant le coup. Elle sortit de sa torpeur.
- Non mais j'y crois pas ! Hubert poussa un soupir: voilà qu'il se rendait compte que sa tentative avait échouée. L'autre renchérit: Tu m'as attaqué à la fourbe ! Tu aurais pu me tuer... Il leva le menton: et alors? Qu'est-ce que c'aurait changé qu'elle soit morte ou non? Comble de la bizarrerie, son adversaire s'esclaffa avec force, un rictus fracassant son outrance. Le tout décontenança le mâle, qui se replia sur lui-même, s'attendant à une nouvelle attaque: qui sait, elle peut-être était réellement cinglée.
- J'adore ton style, je m'y reconnais parfaitement.
- ...? Correction: elle était réellement cinglée. Elle lapa sa patte, la passa sur sa blessure, essuyant le surplus d'hémoglobine.
- Tu sembles en réalité être aussi intéressant qu'irritant... Ne sachant pas sur quel pied danser, Hubert se contenta de ronfler des narines.
- ....J'en dis pas la même chose pour toi. Il secoua sa tête.
- Admire-moi si tu veux, mais en silence. Il se recula d'un pas. Et LOIN de moi. Mi-figue mi-raisin, il était en réalité atterré à l'idée de ce qu'il venait de faire: s'attaquer à un membre du Clan. Pourtant, tout comme le clan ne le respectait pas, lui non plus ne lui tenait aucun respect. Toutefois, d'avoir été endoctriné toute sa vie de respecter les règles de Stoneclaws commençait à affecter sa façon de penser. Certes il était " libre ", il était emprisonné dans cette liberté. Si Arya s'amusait, Hubert, lui, semblait se débattre dans son incompréhension, son désir de s'enfuir et sa nouvelle ( fausse? ) témérité.