Car il faut en parler un jour...

Dans la brumeuse ambiance, la vieille louve assoupie sentit une légère odeur mielleuse et fleurie s’approcher d’elle, aussi légère qu’une plume. Tout chez cette présence était reconnaissable, du bruissement de sa douce fourrure à sa respiration et son haleine fruitée. Sa jeune fille adoptive Coldsnap, centre de toutes ses préoccupations venait la rejoindre.
Relevant doucement la tête, essayant de ne pas grimacer devant l’effort qui faillit lui arracher un gémissement sous ses articulations vieillissante, la louve rouvrit ses yeux d’un bleu laiteux en direction de la silhouette claire. Joyeuse, derrière son corps allongé, sa queue battait en rythme la gaieté d’avoir de la compagnie en cette heure.

« Bon matin, Man'»

Dit la “petite louve” à celle qu’elle appelait sa Mère, bien que par adoption. La vieille louve redoutait d’ailleurs que son statut, si précaire, ne tombe dans l’oubli avec l’annonce prochaine de la vérité qui sonnait si dure à son esprit.
Sa fille s’entendit près d’elle, à demi-immergée dans l’eau. Cette proximité, cette intimité, le calme d’une mâtinée de printemps, tous les éléments semblaient être réunis pour que tout soit enfin dit.

«Bonjour ma Princesse, le réveil est dur ce matin ? »

Sa voix, quoique se voulant rassurante, était chevrotante, sûrement du stress et de l’angoisse de la situation. Elle avait peur de perdre toute considération de sa bien-aimée Coldsnap, celle qui égayait ses journées monotones et lui procurait tellement de bonheur alors que ses autres fils et filles partaient pour de longues missions loin de l’oasis.

« J'en ai marre de refaire ce même cauchemar en boucle toutes les nuits. Je le connais par cœur à force ! »

Sa petite fille avait bien grandit, et avec l’âge, les soucis arrivaient aussi. De loin, la vieille louve avait vu, sentit et ressentit les problèmes que la renarde avait vécu ses derniers temps, mais, elle sentait aussi qu’elle ne devait pas trop s’immiscer dans la vie de ses enfants. Elle en avait laissé beaucoup se débrouiller à partir du moment où ils avaient eu l’âge de chasser seul. Certains plus tôt que d’autres.
Oui, elle savait pour sala « petite louve », elle savait, mais l’avait laissé décider par elle-même, peu importe si son choix lui avait crevé le cœur, seule une mère pouvait décider pour ses propres enfants. Peu en importait le choix… Mais parfois, Fairstep se demandait encore si elle n’aurait pas dû l’aider, la soutenir et, pourquoi pas, garder sur son avis, les rejetons d’une soirée maladroite.
Elle avait tant perdu ses dernières lunes que la louve se sentait même devenir gâteuse. Elle voyait des loups qui étaient morts depuis des lustres, parlaient à des ombres inexistantes, ou même s’assoupissait en pleine chasse ou discussion, se réveillant plus tard en finissant ses phrases ou ses bonds. La vieillesse lui était tellement difficile à vivre…
Se relevant doucement, elle s’assit à côté de sa fille adoptive, frottant sa tête lentement sur son dos pour la masser un peu comme elle pouvait. Elle ne savait que dire pour la rassurer, la consoler…

«Tu sais, ma tanière est toujours disponible si ma fille ne se sent pas bien un soir, je ne t’ai jamais empêché de venir… »

La vieille louve rit doucement, sa voix chevrotait toujours. Après tant de malheurs, elle crut mourir de se convaincre qu’il fallait aussi détruire les convictions de sa petite louve en plus de son moral et de son corps. Mais le temps manquait pour attendre que la renarde se répare de l’intérieur…