Il faut tomber pour mieux se relever

Si le voyage d'aller avait été pénible, ce n'était rien comparé à celui du retour. Certes, ils revenaient victorieux, enivrés par leur victoire écrasante sur ce peuple de loup-poissons qui n'avaient aucune chance après que leur cachette ait été découverte. Mais la fatigue et les blessures de la bataille restèrent difficiles à porter sur le long trajet de retour. C'était probablement le cas pour tout le monde, qu'ils le montrent ou non. Désastre faisait parti de ceux qui ne laissaient rien paraître, c'était devenu une seconde nature, un talent qu'il s'était efforcé de perfectionner après le massacre d'Horreur dans le désert.

Plus que sa fatigue et les blessures de la chair qu'il avait récoltées, contre les Oerbas dans une moindre mesure, mais surtout contre le loup à la fourrure de givre de la forêt noir, c'était la séparation avec Calamité qui pesait le plus au jeune loup.
Alors qu'elle était repartie auprès de leur père juste après l'annonce de la guerre, on avait ordonné à Désastre de se battre pour la gloire d'Alteron et de Rapier, ce qu'il avait fait avec beaucoup de zèle, appliqué qu'il l'était à ne pas faire un pas de travers qui pourrait encore une fois résulter en... désastre.
Il songea machinalement qu'il portait bien son nom. Après tout, le désastre de sa jeunesse était de sa faute, au moins en grande partie, selon lui.
Il aurait donc souhaité rejoindre sa soeur dans le désert après leur brillante victoire mais il n'y avait pas été autorisé, son devoir étant d'assurer le rapatriement des prisonniers jusque dans la jungle.
Cela faisait quelques jours qu'ils étaient arrivés et Astre espérait pouvoir de nouveau exprimer le désir de partir dans le désert. Sa soeur lui manquait vraiment, il se sentait un peu comme un chiot abandonné. De plus, malgré la honte que lui inspirait sa culpabilité dans la mort d'Horreur, il désirait également revoir Blade.

Au pied du séquoia géant, il espérait trouver quelqu'un qui pourrait répondre à sa demande.
Il était un peu nerveux. Jusque là, ses ordres lui étaient toujours parvenus par l'intermédiaire d'un membre lambda de la meute. Cette fois, il lui faudrait s'adresser aux plus hauts gradés. Son statut de fils de Prince faisait bien de lui un membre un peu privilégié mais il n'avait, en réalité, jamais été face à face avec la Reine, sa grand-mère, et rien ne supposait qu'elle sache seulement qui il était.
Ce qu'il trouva dans le lieu de réunion de la meute fut, en revanche, loin d'être inquiétant, mais Dés' avait appris sa leçon : ne pas se fier à l'inconnu. Aussi aborda-t-il le louvard immobile avec méfiance, gardant ses distances et le fixant avec insistance.
Même s'il appréciait de plus en plus les louveteaux, celui-ci s'approchait plus de l'âge adulte et prudence était toujours mère de sûreté.

Toujours immobile face à l’arbre géant, et perdu dans ses pensées, Kriss ne fit pas attention à ses arrières. Il fixait le tronc et se demanda depuis combien de temps il était dans cet état. Et surtout si on l’avait poussé ou s’il était tombé de son plein gré ? En réalité en se posant autant de question le jeune se renvoyait lui-même les questions, l’arbre n’était qu’un moment de détourner pour ne pas se recevoir la vérité en pleine tête. Car le vrai dans tout ça c’était que l’arbre n’avait pas résisté aux ravages d’une tempête, et Kriss serait-il capable de résister longtemps aux différents vents ? Dont la tornade principale était Shank. Certes il comprenait désormais davantage son frère, bien qu’idiot Shank avait le cœur tendre, bien plus que leur mère. Il espérait même créer un lien avec son frère pour qu’il se retrouve du bon côté, qu’il soit protégé. Mais hélas le manque de neurone de son aîné était un gros handicap, et ainsi Kriss n’était pas certain de pouvoir faire confiance à son lourdo de frère. Il soupira, il s’emmêlait les pinceaux. Il secoua la tête et une odeur inconnue lui arriva droit dans la truffe. Il frissonna, bien que l’odeur fût celle d’un alteron, il y avait une arrière odeur de sang. D’un coup il se retourna, face à l’ennemi.

Kriss assit pu alors voir le visage du loup. C’était un jeune adulte, et ses teintes étaient bien sombres. Ses yeux rouges étaient bien ténébreux. L’odeur de sang était ancienne, et il avait l’air fatigué. Kriss fit la rapide déduction qu’il revenait de la guerre, et puis il y avait bien un peu d’odeur de la mer, mais le jeune ne l’avait encore jamais vu, donc à vrai dire il ne fit pas le rapprochement. Le louvard fut à la fois excité et terrifié. Il fut légèrement curieux de savoir comment ça c’était passé, certes ils étaient vainqueurs (en même temps), et ils avaient ramené des prisonniers, mais sinon qu’est-ce que c’était la guerre ? Kriss était trop faible pour y aller, bien entendu que Shank y avait couru ! Mais lui non, il avait bien trop peur, son corps se serait brisé sur des rochers. Dans le fond, ce qu’il voulait absolument savoir c’était qu’est-ce qu’Oren était devenu, l’unique être qui lui avait donné un semblable d’amour. Il continua d’analyser l’étranger et ne sentit pas en lui l’âme d’un grand meurtrier, mais les apparences sont toujours trompeuses, et la vie lui avait appris à se méfier. Kriss ne faisait confiance en personne. Le silence donnait presque vie à l’endroit. Ils se fixaient, sans rien dire. Paradoxalement le louvard était bavard en comité privé, mais surtout avec lui-même.

Kriss se demanda si ce loup l’avait vu pathétiquement tomber et se relever de façon exagérément héroïque. Il avait à la fois honte et en était fier, c’était un étrange sentiment qui brouillait ses pensées plus recherchées pour le moment. Il inspira à fond, et certainement pour la première fois de son existence il fut celui qui brisa le silence. Il voulait savoir à tout prix ce qu’était devenu Oren, il ne l’avait pas croisé, et la peur de ne pas le voir revenir l’avait rendu très nerveux ses derniers jours. Cependant, il avait beau être faible, il était subtile et intelligent, il n’amènerait pas cela comme un cheveu sur la soupe, il fallait donc commencer par le début, normal.

D’une voix neutre, et sans tremblement, il déclara : « Que venez-vous faire si près de la tanière de la Reine ? »

Kriss lui était son fils, prince renié certes, mais il avait encore son droit d’être plus près que les autres loups dans les environs. De plus, la Reine n’était pas là. Il fallait lui laisser un message après le hurlement sonore, mais Kriss n’était pas tout à fait le genre de répondeur qui pouvait faire passer les messages. Forcément on ne l’écoutait jamais.

Désastre ne bougeait pas, observant le jeune individu qui semblait perdu dans ses pensées. Il aurait presque voulu le prévenir, l'avertir que ce genre d'attitude résultait souvent en une erreur fatale, comme cela avait failli être son cas lors de la guerre, mais il n'en fit rien : il ne le connaissait pas et ils étaient chez eux, ce devait être une assurance suffisante.
Enfin, le jeune loup sembla se secouer de ses songes et il se figea alors que Désastre l'entendait renifler l'air ainsi déplacé. Les oreilles du fils de Blade pointèrent vers l'avant, se demandant s'il allait le remarquer. De fait, le louveteau se retourna brusquement vers lui. Les deux Alterons restèrent immobiles, se toisant à une distance respectable. Désastre n'avait pas l'air bien menaçant si l'on omettait sa fourrure souillée de sang et son anatomie un peu particulière.

Astre observa le jeune loup, non comme on fait l'inventaire d'un individu pour être capable de s'en souvenir ou de trouver une faille, mais avec la même curiosité qu'un louveteau face à un élément nouveau. Une curiosité sincère qui cherchait plus à admettre l'individu dans les amis et les appréciables qu'à le juger pour le classer sans connaître ses véritables attributs.
Le louveteau était très sombre, comme lui, et comme beaucoup d'autres Alterons à vrai dire. Une sorte de masque clair lui prenait le visage et ses yeux bleu clair semblaient contemplatifs.
Le jeune loup aux yeux rouges ne fit aucunement le rapprochement avec son jeune oncle Shank. Ni physionomiste, ni capable de déduction, ce n'était pas la présence d'un si jeune loup si proche de la tanière royale qui allait suffire à lui mettre la puce à l'oreille...

Quelques minutes s'écoulèrent ainsi en silence. Dés' n'était pas non plus bavard, du moins plus depuis le carnage dans le grotte du désert. Il aurait peut-être fini par parler le premier, une fois sa curiosité à son paroxysme, ou au contraire lorsqu'il aurait perdu son intérêt pour le petit loup, mais ce dernier inspira soudain profondément.
- Que venez-vous faire si près de la tanière de la Reine ?
Sa voix encore enfantine était posée, sûre d'elle. Désastre cligna les yeux. Un si jeune loup était-il le garde de la tanière ? Il pencha la tête sur le côté, confus.
Il mâcha du vide un moment avant d'utiliser sa voix pour la première fois depuis quelques jours.
- Je... Chercher la... permission de me rendre au camp du désert. Répondit-il, butant sur les mots alors qu'il cherchait comment les agencer pour former une phrase correcte et formelle.
Un silence s'installa un instant et Désastre ajouta :
- Es-tu le garde de la tanière ?
Astre était sincèrement perplexe et intéressé, sans trop savoir pourquoi d'ailleurs. Le simple fait qu'un si petit loup puisse être en charge de la surveillance de la tanière était intriguant pour lui.
Il ne s'embarrassa pas non plus de vouvoiement, façon de parler qu'il n'avait au final développer qu'envers la Reine. Il ne vouvoierait probablement plus que les Alphas de meute jusqu'à la fin de sa vie.

Après avoir formulé sa réponse, le jeune loup qui lui faisait face l'avait fixé en plissant les yeux, ce que Désastre interpréta comme un signe de méfiance. Finalement, même s'il n'en avait pas le physique, il se pouvait bien que ce minuscule Alteron fusse le garde de la tanière, ce qui fut confirmé par les propos suivants du petit loup :
« C’est cela. Je suis ici pour veiller à ce qu’il ne se passe rien de compromettant, et que les loups de sang non royal ne séjournent pas trop longuement. »
Astre cligna une nouvelle fois des yeux, un peu de soulagement s'insinuant en lui, invisible à la surface : si les loups de sang royal pouvaient se présenter ici, il n'avait rien à craindre... Enfin normalement.
Il fut pris d'un doute quant à la valeur de son sang à lui : il était le fils de Blade, Prince Alteron, autrefois favori de la Reine, aujourd'hui dans une position que Désastre ne comprenait que trop peu. Le loup à face de crocodile ne savait pas bien où cela le faisait se tenir, totalement ignorant de la lutte des héritiers. Sa soeur lui avait dit qu'ils étaient Prince et Princesse, mais la meute ne lui avait jamais tellement donné le sentiment de voir en lui autre chose qu'un membre lambda.
Par conséquent, et dans le doute, il ne dit rien, masquant son identité de la même façon qu'il masquait ses expressions.
Cependant, il voulut répondre à la question du jeune loup concernant son désir d'aller dans le désert. Après tout, toute occasion de mentionner sa soeur était bonne à prendre ! Un léger mouvement de la queue le trahi.
- Je veux rejoindre ma soeur. Déclara-t-il calmement, bien qu'une pointe d'excitation ne perce dans son timbre. Et mon père.
Il avait ajouté le second avec plus de circonspection, se demandant comment celui-ci l'accueillerait. Blade avait toujours été un modèle inatteignable pour lui, un modèle dont il avait peur du rejet après ce qui était arrivé à Horreur, en partie par sa faute.
Ses oreilles le démangeaient presque à vouloir se plaquer contre son crâne mais il resta stoïque face au petit loup.
Astre se mit à regarder de droite à gauche, guettant une apparition noire et blanche. Ne voyant rien, il reposa ses prunelles grenat sur le gardien de la tanière.
- Quand doit rentrer la Reine ? Demanda-t-il. Derrière son masque solidement en place, il brûlait d'impatience et de nervosité.
Il ne savait pas exactement ce qu'il ferait si la permission lui était refusée. Calamité était tout pour lui, la seule famille qui semblait encore l'accepter comme tel. Il n'aimait pas la savoir loin, peut-être en danger...
Un éclat de danger parut dans son regard à ce prospect.

Naturellement, Désastre n'avait absolument pas remarqué la surprise du petit loup, pas plus que ses yeux calculateurs qui l'analysaient en silence. Astre était bien loin de ce genre de tactique et de réflexion : il croyait ce qu'il voyait et souvent ce qu'il entendait. Il avait progressé dans ce domaine cependant et savait faire preuve d'un peu plus de discernement. De là à lui demander de remarquer quand un individu essayait de le cerner et de le berner avec subtilité, il y avait un gouffre.
Au moins, le fils de Blade pouvait compter sur ses muscles, ses crocs et ses griffes pour compenser son manque d'intellect. C'était d'ailleurs ce qui l'avait sauvé dans la forêt noire. Pour survivre, il fallait bien l'un des deux : l'esprit, ou le corps. Ceux qui possédaient les deux pouvaient s'estimer heureux.

Le gardien resta aussi stoïque que Astre après que celui-ci ait posé sa question. Si le grand mâle remarqua la vitesse soudaine à laquelle son camarade de meute avait répondu, il n'y vit rien d'anormal, peut-être juste de l'impatience ?
Désastre se demanda si le petit loup était également chargé de faire déguerpir les membres de la meute et s'il lui posait donc problème à rester assis là, attendant sagement le retour de Rapier.
- Quand elle aura fini son œuvre.
Les yeux rouges le fixèrent, sans expression. Mais derrière eux, Désastre était perplexe : une oeuvre ? Quelle oeuvre ?
Le jeune adulte savait que sa grand-mère était bien de retour dans la jungle car il avait fait parti du groupe qui l'avait raccompagnée, laissant quelques membres de la meute faire connaissance avec leurs nouvelles terres marines.

Une profonde inspiration réveilla Dés' qui avait, sans y penser, continué de fixer le gardien masqué. Il sentit la tension grimper autour du petit loup et réitéra sa pensée de plus tôt. Mais si il était censé chasser les importuns, pourquoi ne tentait-il rien ?
Désastre commençait seulement à comprendre à quel point son apparence pouvait intimider ses camarades, mais en l'occurrence il ne se montrait absolument pas menaçant.
Il pencha la tête sur le côté, essayant de comprendre.
- Vous comptez rester ici jusqu’à ce qu’elle arrive ?
Le visage du crocodile s'alluma d'un soupçon de surprise. La réponse était pourtant évidente.
- Oui. Répondit-il, sincèrement étonné.
Pourquoi ne l'attendrait-il pas ? Il avait besoin de sa permission, donc partir dès maintenant était hors de question. Pour le reste, malgré la rudesse de la meute, en voyant son état, personne ne lui avait ordonné de partir en patrouille. Désastre était donc libre de ses allers et venues pour le moment et il comptait mettre ce temps à contribution pour demander sa permission à la Reine.
Cependant, dans un élan de doute et par curiosité, il demanda :[/b]
- Je te dérange ?
Il ne savait pas vraiment ce qu'il ferait si tel était le cas mais l'attitude du petit loup le laissait étonné et curieux. Probablement irait-il attendre un peu plus loin si le gardien lui répondait par l'affirmative.

Désastre observa étrangement l'attitude de plus en plus fébrile du petit loup. Pour ce que le grand mâle en savait, il semblait agité et gêné. Astre se demanda s'il avait mangé quelque chose de mauvais et avait besoin de se soulager. Une de ses oreilles se tourna vers l'arrière, il commençait à penser qu'il devrait peut-être partir quand même mais le petit loup répondit enfin à sa question.
- Non, no—
Le fils de Blade repointa les oreilles bien en avant dans sa direction, attendant la suite... qui se fit attendre.
Attentif alors qu'il s'attendait à d'autres paroles, Dés' fut surpris par lui-même de remarquer les expressions diverses qui traversaient le visage du gardien. Il ne savait pas les déchiffrer mais il voyait bien que son camarade réfléchissait très fort, allant jusqu'à fermer les yeux.
Lorsque cela fit un petit moment que le gardien fermait les yeux, Désastre s'apprêta à demander ce qu'il faisait, pensant qu'il dormait peut-être...
- Puisque vous possédez du sang royal votre présence est acceptable. Termina enfin le gardien.
Désastre baissa le museau contre son poitrail, les oreilles se dirigeant vers l'arrière mais restant droites. Il ne se rappelait plus de la raison pour laquelle il avait attendu la suite, et les propos du petit loup ne lui permettaient pas de s'en souvenir.
Il abandonna bien vite la tentative de se creuser la cervelle à ce sujet, et accepta les mots du gardien d'un hochement de tête compréhensif. Il ne releva pas non plus que le loup sombre savait qu'il avait quelques gouttes de sang royal dans les veines.
Ses yeux se remirent à papillonner autour de lui en attendant l'arrivée imprévisible de la Reine. Lorsque son regard vint se reposer sur le jeune loup par hasard, il le surprit en train de le fixer intensément. Désastre lui rendit son regard, toujours paisible mais curieux. Il trouvait que le gardien le fixait beaucoup et en conclut qu'il faisait donc bien son travail, même si, à son avis, son physique laissait à désirer pour éloigner les ennemis. Mais bien que limité intellectuellement, Astre savait que les apparences étaient parfois trompeuses. Paradoxalement, il se fiait lui-même beaucoup à ce qu'il voyait. En l'occurrence, de voir ce petit loup devant la tanière en clamant qu'il en était le gardien était suffisant pour qu'il le croit.
Et puis-je connaître vote identité ? Demanda le jeune, ses yeux clairs toujours dardés sur Désastre.
Celui-ci ne broncha pas, trouvant normal cette question alors qu'il attendait un entretien avec Rapier. Il cligna des yeux.
- Désastre. Répondit-il machinalement, la voix et le visage neutres. Ce n'était qu'une formalité. Le gardien ne lui avait rien demandé d'autre que son identité et donc l'idée de mentionner son ascendance ne lui traversa même pas l'esprit. D'ailleurs, le gardien semblait déjà en savoir beaucoup, ce qui ne dérangeait pas Désastre, il ne se posait même pas la question de savoir si cela était normal ou pas, il l'acceptait juste comme cela venait.
Finalement, Astre se releva. Sa patience n'était pas sans limites et pour ce cas particulier, le mâle aux yeux rouges était très pressée : plus tôt il trouverait la Reine, plus tôt il pourrait partir, plus tôt il reverrait sa soeur. Son plan était aussi simple que cela...

un p'tit coup d'oeil?:

Le loup noir bleuté n'avait certes pas choisi son nom, mais il lui convenait, de même que sa soeur acceptait le sien. Maintenant il en connaissait certes la signification mais cela lui importait peu. Ce nom portait aussi sa responsabilité dans la mort d'Horreur : un désastre.
D'autre part, ce nom était aussi impressionnant que son porteur et, même s'il n'en avait pas conscience, le protégeait d'une certaine manière. Et puis, un jour, un petit loup lui avait dit que "ça fait fort".
Le silence retomba donc sur ce nom porteur de drames, sans que son propriétaire ne cherche à connaître l'identité du gardien. Il était curieux, en quelque sorte, mais sur ce genre de sujets. D'ailleurs, lui demander son nom ne lui avait pas même effleuré l'esprit.
Désastre s'était donc relevé et s'apprêtait à partir lui-même à la recherche de la Reine lorsqu'il remarqua un nouveau camarade se diriger de façon un peu hésitante vers lui et le gardien. Il cligna les yeux en apercevant ceux laiteux de l'individu. Il se demanda s'il pouvait voir avec des yeux si étranges.
Son attitude était neutre, ni dominante, ni soumise, et Astre le considéra avec une calme réserve.

- Vous faites quoi à poireauter comme ça? Interrogea le loup brun sans préambule, mais Dés' n'était pas du genre à réfléchir aux détails commandés par l'étiquette.
Il répondit donc du tac au tac :
- J'attends la Reine.
C'était une raison suffisante pour "poireauter", non ?
Le jeune fils de Blade commença à s'interroger. Entre les deux loups qui semblaient intrigués, même lui était capable de se demander s'il faisait quelque de chose de surprenant ou d'anormal.
Ses yeux grenat passèrent d'un individu à l'autre.
De toute façon, il allait partir.
- Je vais la chercher moi-même. Ajouta-t-il finalement et il fit quelques pas pour s'en aller, sans regarder en arrière.

- J'attends la Reine. lui répondit le violacé en se levant. Mais Havelock ne savait pas sil était assit, couché, à l'envers, ou s'il existait seulement: seuls les tressaillements du vent lui rapportèrent son odeur, odeur qui se déplaçait. Sa voix d'ailleurs traduisit ses intentions, quoique simples:

- Je vais la chercher moi-même.
Inutile de lui préciser que la reine était de sortie, songea Havelock. Il sourit intérieurement: c'était bien plus amusant de voir ce grand loup la trouver ailleurs plutôt qu'attendre là à poireauter. Et puis, s'il était réellement aussi simplet qu'il le montrait, ça voulait dire qu'autour de lui gravitait beaucoup de chance: la preuve, Havelock s'était approché de lui ( et de son comparse silencieux ) sans le connaître! Et il s'éloigna. L'aveugle l'entendit franchir quelque pas, puis, alors que lui-même semblait sur le pas de repartir, une voix l'interpella. L'autre à la voix fébrile:
- Je suis le gardien des environs. il lança comme seule explication. Havelock se tourna vers un arbre, certain d'être tourné vers ce qui lui servait d'interlocuteur. Il manifesta son scepticisme:
- Le gardien. il répéta, circonspect. L'autre jugea bon de préciser, ou dans ce cas-ci, de broder:
- Je veille sur les lieux pour alerter des troubles. Havelock arqua ses deux sourcils, abaissant la tête, se mettant à renifler le sol. Il fit un très lent tour sur lui-même, s'avançant en zigzaguant en direction de Kriss, jusqu'à ce que son nez n'effleure sa patte. Il se redressa subrepticement, inhalant une grande bouffée d'air, remuant les narines pour inspecter les effluves autour.
- Famille royale, il constata. Puis, il leva l'une de ses pattes pour la dresser devant-lui, et du bout de ses griffes, toucher le poitrail de l'autre. Sa patte se mit à toucher alternitivement le corps de Kriss, tantôt son poitrail, tantôt sa tête, ses flancs, croupe, patte, visage, délimitant chaque angle, chaque arrête, chaque contour sinueux, chaque muscle. Enfin son constat fait, Havelock dressa ses oreilles, deux triangles qui remuaient au sommet de sa tête:
- Et malgré ce titre, ton souffle sonne court et tes muscles sont creux.
Il recula sa tête, plantant son regard inerte dans les yeux de Kriss, sans pourtant le voir.
- Dans cet état, je doute que tu sois capable de garder quoi que ce soit.Havelock tourna sa tête, et subséquemment son corps, se dirigeant à tâtons entre les végétaux. Il garda sa tête haute:
- Si tu t'ennuies et que tu trouves rien à faire, vient chasser: y a un manque de volontaires depuis qu'ils sont tous partis pêcher.
Et il se mit à trot, levant un vrai sourire, qu'il lui présenta en tournant sa tête de biais.
- Qui sait, peut-être que ça te plaira.

Le pas autour de lui se succédèrent rapidement, mécaniquement et il sentit l'odeur de l'autre le contourner, même, le devancer. Havelock recula la tête pour ralentir son pas, laissant Kriss prendre les rênes du duo, se concentrant seulement à deviner quelle proie le petit avait senti. Il y avait quelques lièvres qui sautillaient autour, se dissimulant entre les herbes hautes. Il y avait un loir qui les épiait du haut de son arbre, quelques oiseaux qui avaient cessés de chanter de peur d'être repérés, et une harde, plus loin, de cerfs qui paraissaient oisivement. L'une de leurs biches s'était égarée, se rapprochant tout doucement. Son odeur était forte aux narines de l'Aveugle: cela signifiait que Kriss devait l'avoir sentie elle aussi.
- Je la sens mais je ne la vois pas encore…
- Je ne la vois pas, tout court, gloussa Havelock, railleur. Il s'avancèrent encore furtivement, avant de ralentir leur marche, et de s'accroupir. Le ventre à ras-le-sol, Havelock gardait ses oreilles dans le cran, cherchant à éviter à la biche de les apercevoir.
- Prends la droite, fit-il après avoir humé l'air de nouveau. Je prends la gauche. Il s'éloigna prestement, se glissant entre la végétation sans la faire craquer, connaissant chacun de ses détails par coeur. La biche avait redressé soudain sa tête, mais ce n'était pas par alerte: c'était simplement après avoir entendu un oiseau chanter. Ses minces oreilles s'étaient tournées vers la droite, puis, vers le gauche, comme si elle cherchait à analyser les sons l'entourant. Elle abaissa sa tête, broutant, paisible.