Dans ma tête ça a d'l'air d'une tempête solaire ~ ♫

Grenouille

[printemps an 5]

( ♫ J'entends la lumière
Pis je vois les sons dans les airs
Ayoye, là je paranoye!
Dans mon crâne y'a du trafic, oh boy
C'est comme essayer de traverser un boulevard à Hanoï
Oh yoye yoye! ♫ )

Mammifère

Si l'une était préocuppée par une chose matérielle, l'autre, était préocuppé par l'absence d'une autre: en effet, JD avait constaté que de moins en moins d'oiseaux ne se perchaient dans les arbres de l'Oasis, comme s'ils avaient décidés d'aller ailleurs pour on ne sait quelle raison. Loin d'être un prophète, JD était pourtant capable de deviner que quelque chose ne tournait pas rond: les oiseaux migraient au sud l'hiver pour fuir les vents froids, or, pas cette fois. Un hiver s'était passé sans oiseaux, hormis quelques mésanges et pies, ainsi que Hal, son ami d'enfance. JD s'était éloigné de l'Oasis pour arpenter le sol de la grande muraille de roc. À peine l'eut-il entamé qu'une odeur faible lui traversa les narines. Il s'avança plus vite, les oreilles droites, contournant les quelques dénivelés pour s'engager sur les plateaux épars. C'est alors qu'il la vit: quoique repliée sur elle-même, comme si elle cherchait à s'éviter le trop plein de lumière de soleil, il n'y avait aucun doute, il s'agissait bien d'elle. La première fleur de cactus! Elle annonçait sans doute le printemps ainsi précairement poussée contre les épines hirsutes du cactus. Il allait se diriger vers elle pour la cueillir qu'il fut saisi d'un mouvement de recul: une louve noire était allongée non-loin du cactus, remuant à quelques intervalles, comme occupée à faire sa toilette. JD abaissa les oreilles, un peu méfiant.
- Aînée Nightrun, est-ce vous?...
JD tenta un pas en direction de l'inconnue à la toison d'ébène, arquant un sourcil circonspect. Non, il ne s'agissait pas de Nightrun: cette carrure n'était pas la sienne. Ce poil non plus, ce poil rêche et court, désignant une santé précaire ne pouvait pas appartenir à son aînée. Non, car quelque chose d'autre venait de lui faire arrondir les yeux: ces marques de brûlures, ces morceaux de chair décharnés. Il n'y avait plus de doute: il ne s'agissait pas de Nightrun, mais d'une autre louve à la toison d'ébène. JD hoqueta de stupeur.
- ...!

Grenouille

Nightrun.

Mammifère

Il avait étiré son cou pour entrouvrir la bouche, cherché à lui dire quelque chose, mais il se ravisa.
- ...— il avait reculé la tête, l'inclinant, de sorte à coller son museau contre son poitrail, comme si on venait de tirer sur des rênes invisibles. Il eut un autre mouvement de recul,, mais se ravisa de nouveau. Il sourcilla, inspira profondément, saisissant son courage à deux mains. Ses deux oreilles se pointèrent vers l'avant, alors que sa queue esquissa un mouvement nerveux sur la droite.

- _Sh—m—...
Sa gorge était nouée. Il clôt les yeux, tentant de s'approcher d'un pas mesuré.
- Shameless? il demanda alors, pivotant les oreilles vers l'extérieur. Ses yeux se remplirent d'espoir.
- E-est-ce que le nom Shameless vous dit quelque chose? Ses yeux se plissèrent dans une grimace douloureuse.
- ...Comprenez-vous seulement mes mots? après tout, cette vieille louve, solitaire de surcroît, devait sans doute avoir oublié comment s'adresser à ses pairs. Elle semblait ne connaître que le langage corporel. Ou alors, elle n'avait sans doute pas eu le temps de faire tinter sa voix. Il abaissa sa tête, l'air las.
- Peut-être ne me comprenez-vous même pas. _{Je ne fais peut-être que m'adresser au vide...}

Grenouille

Elle quitta le sol avec précaution : d’une poussée de ses postérieurs, légère traction des antérieurs, elle arracha son ventre à la poussière et frémit en sentant son dos raide et noueux; ça lui arrivait de plus en plus, et surtout la nuit : la chaleur sèche du jour, bien qu’accablante, lui procurait un certain soulagement. Lorsque la voix de son fils s’éleva à nouveau, toute douce dans le silence vivant du désert, Shameless rabattit légèrement ses oreilles, puis les pointa sur le revenant avec curiosité : elle ne l’avait plus entendu parler depuis des lustres.. son ton avait changé. Nostalgique, elle inclina légèrement la tête : faillit répondre que la dernière fois qu’elle l’avait entendu, il avait encore la voix d’un adolescent. L’intervention de son fils la cloua sur place.

Il lui parla comme à un simple d’Esprit; pire, même. Il s’adressa à elle comme à une étrangère. C’était un affront que son cœur de mère ne pouvait supporter : sa fourrure se fit raide sur son échine, ses babines se retroussèrent légèrement, et sa voix tonna :

« Je suis vieille, Llancelot, mais pas au point d’en perdre la mémoire. » Elle se retint d’ajouter, surtout quand c’est tout ce qu’il me reste.

Mammifère

- Je suis vieille, Llancelot, mais pas au point d’en perdre la mémoire.

Ce nom le mortifia. Il releva les yeux en sa direction, les oreilles dans le cran, la queue plaquée entre les cuisses. Et il se plia vers l'avant, chuintant comme effrayé par cette apparition spectrale. Il se recula lorsqu'elle se leva.
- ... ... C'est bien vous... Shameless...
Ses yeux se plissèrent sur des larmes.
- ... Maman...
Il se risqua un pas vers elle, la gorge nouée.
- ... Je n'ai pas arrêté... un pas. de te chercher... un autre. partout... que... un autre, hésitant... j'ai perdu ... espoir... Il s'arrêta de marcher se sentant soudain nauséeux. Le portrait de Shamless se floua avec ses larmes, ondulant comme une ombre. Une ombre teintée de bleu. JD s'avança d'un nouveau pas, boiteux. Sa gueule s'entrouvrit: Là devant moi... je te pensais morte... emportée par le mal et pourtant... tu es là! Incapable d'avancer plus, il se replia sur lui-même, comme si l'effort de se tenir debout lui était trop fort. Les pattes flageolantes, comme un jeune faon apprenant à marcher, il se coucha au sol, le souffle court. Et pourtant, il continuait à vouloir ramper vers elle, rechercher sa chaleur, se prouver qu'elle existait encore. Qu'elle n'était pas morte, comme Lufia.
- ...
Son corps était secoué de spasmes.
- ... Combien de fois me suis-je imaginé ce moment...
Il se releva sur ses quatre pattes, titubant vers elle. Il arriva enfin assez près pour l'effleurer de sa truffe.
- Tu es là...
Sa truffe se posa contre la nuque de la femelle. Il sentait son souffle aigri par la vieillesse, il sentait aussi son coeur battre. Et le sien. Sa vision s'embruma de nouveau, de même que son équilibre. Il tangua vers l'avant, sa voix se brisant.
- Tu es là!

Grenouille

Elle s’était attendue à une tempête, à un ouragan, à une apocalypse de sentiments contradictoires : lorsqu’il lui était arrivé de visualiser ce moment, elle n’avait vu aucune façon possible de l’affronter dans le calme. Pourtant, à présent qu’elle l’avait devant lui, de retour après autant de couchés de soleil, il lui semblait qu’il n’y avait rien de plus à l’intérieur d’elle qu’une plage tranquille. Elle se sentait sereine, confortée par la berceuse des vagues. Lentement, prostré, Llancelot s’approcha d’elle, et elle le suivit d’un œil grave, peinant à distinguer ses traits qu’elle devinait malgré le brouillard de ses yeux fatigués : ces traits-la, elle les connaissait au-delà de la simple, vue, elle les avait gravés dans le cœur. Il avait cessé d’avancer, mais elle ne vint pas vers lui. Elle s’étira, simplement; tendit le museau, huma son odeur familière et lui accorda un petit coup de langue sur le museau, geste profondément affectueux.

Il se redressa alors, franchit la courte distance qui les séparait encore et, enfin, vint se lover dans sa sombre fourrure. Elle-même plongea alors le museau dans l’encolure fournie de son fils, y frotta son visage qui se perdait dans sa fourrure. La vieille louve, et malgré son corps affaiblit par l’âge, en le sentant tanguer inclina la nuque et bloqua solidement les pattes pour le soutenir tout contre elle, et alors, d’une toute petite voix, elle soupira :

« Je suis là. »

Mammifère

- Je suis là.
- Je n'ai jamais été aussi heureux d'avoir tort, il glissa, rigolant tout bas. JD ferma ses yeux, se lovant dans la fourrure rêche de sa mère, pivotant ses oreilles vers l'extérieur, profitant de ce moment d'accalmie pour calmer sa respiration - saccadée - et son rythme cardiaque - irrégulier -. Il demeura ainsi immobile, jusqu'à ce qu'un drôle de pressentiment ne le fasse sourciller, et qu'il ne se détache de l'étreinte, rouvrant les yeux, repointant ses oreilles vers l'avant, attentif. Son regard se glissa vers le bas, s'arrêtant aux pattes de la femelle tout de noir vêtue. Il lui semblait l'avoir vue s'appuyer sur trois pattes. Une douleur quelconque? Il posa sur elle un regard plus sérieux.
- Ta patte?... " qu'est-ce qu'elle a " aurait été plus convenable d'un gentleman, mais JD coupa ses manières pour s'en tenir à l'essentiel. Il lorgna vers ladite patte, qui semblait être maintenue au repos. Ses méninges tournaient déjà. Blessure? Foulure? Brisée? Paralysée? Empoisonnée? Peut-être, il n'en avait pas vu les contours. Shameless semblait être capable de marcher. Mais elle ne semblait pas être capable de marcher sur cette patte en particulier. Cela-dit, elle semblait fonctionnelle, donc elle ne pouvait pas être paralysée. Quant à sa dernière hypothèse, elle était faussée par un jugement un peu tari par la panique. Il se détendit: peut-être ne s'agissait-il que d'une bête fêlure. Quoi qu'il en soit, il ne lui fallait pas sous-estimer la blessure... si blessure il y avait.

Grenouille

Elle n’approfondit point le sujet, un peu indifférente aux croyances erronées, non pas par mépris de la peine qu’il avait connue, mais simplement car ce moment en était un de bonheur tranquille; elle ne voulait pas laisser quoi que ce soit traverser l’armure d’amour et de paix qui les réunissait dans une simple étreinte; ni fantôme du passé, ni spectre du présent,. Quant au futur, il lui semblait qu’il lui appartenait corps et âme, à présent qu’elle l’avait retrouvé.

Mais alors, Llancelot se sépara d’elle comme si un insecte l’avait piqué, et dès qu’il se fut légèrement éloigné, son regard glissa sur sa patte blessée; elle avait pratiquement oublié la douleur aigue qui l’envahissait lorsqu’elle s’appuyait sur ses coussinets.

« Ce n’est rien. »

Mammifère

- Ce n’est rien. lui dit sa mère, ce qui poussa son fils à lâcher un grommellement contrarié. Il fronça les sourcils, incrédule, et étira sa tête, les narines à ras le sol. Il inspecta la patte, poussant du bout du museau sa mère afin qu'elle ne l'obstrue pas dans son analyse. Enfin il vit la petite épine, et se contenta de hausser les sourcils. Voilà donc ce qu'elle avait? C'était la seule chose qui la gênait? Il poussa un soupir rasséréné, entreprenant de retirer d'un coup sec l'aiguille. Il déposa délicatement ses incisives contre les extrémités de l'aiguillon, puis, il fit glisser ses dents jusqu'à ce qu'elles s’agrippent à la plante de celui-ci, effleurant de ses lèvres le coussinet de Shameless. Enfin, d'une brève contraction des épaules, il poussa son corps à tirer d'un mouvement opposé, et à retirer, sans grande délicatesse ( mais il ne fallait jamais enlever délicatement une aiguille ) l'aiguillon qui incommodait la patte de sa mère. Il le recracha du bout des lèvres, non-loin du cactus, avant de tourner sa tête vers la louve ébène.
- Moi qui m'attendait à une insolation thermique ou à un quelconque problème motrice... Il se laissa tomber, assit, tremblotant.
- Me faire m'inquiéter pour une bête aiguille... il en rit. C'était un rire qui se voulait soulageant, comme si toute sa vie de recherches venait de s'écrouler d'un seul coup, car l'objet de ses pensées était sous ses yeux. Il savait bien que sa réaction n'avait rien d'un gentilhomme, ce pourquoi il redressa son dos et s'essuya la truffe du revers de la patte, d'un mouvement leste.

» La tempête se prépare
» Le calme après la tempête.
» Le calme avant la tempête...
» Partir un moment, se vider la tête.
» Dans le convoi.