Pratique [Terminé]

Hiver, An 6

De grands yeux émerveillés admiraient chaque buisson arborant un voile blanc. Ainsi, de plante en plante, la petite louve trottinait, contrefaisant à son esprit volatile. Ce faisant, Sissi espérait emmitoufler son imagination et diriger son attention sur l’environnement tangible. Le territoire lui devenait plus familier ; les arbres, moins effrayants. Elle aimait fréquenter les limites du Grand Nord, là où l’immensité de l’inconnu se dressait devant elle. À présent, sa voix avait croisé celle de plusieurs des membres de la meute. Cependant, très peu l’accompagnaient dans ses épopées à l’orée des terres libres. Elle errait donc seule, sans pour autant laisser la panique l’envahir.

Le décor était silencieux et semblait figé ; personne, excepté Sissi, ne le foulait. Toutefois, un bruit, léger mais réel, parvint aux oreilles de la silhouette modeste. Brusquement, cette dernière s’immobilisa, pivotant le museau et la tête par la même occasion. Le bruissement s’évanouit, et elle se consola en mettant la faute sur la neige qui glissait d’une branche pour aller s’écraser au sol. Poursuivant son investigation, Sissi concentrait toute sa vigilance sur les formes dispersées de la taïga du Grand Nord. Elle s’approcha doucement, insouciante, d’un buisson qui semblait plus épais que les autres. Soudain, elle fut saisie d’une frayeur qui la traversât vivement, sans qu’elle ne puisse réagir.

— BOO!

Tout son corps fût précipité vers l’arrière, dans un mouvement de recul. Sissi se courba, se lovant contre elle-même. De même, ses oreilles s’inclinèrent violemment sur sa nuque, et un couinement d’effarement lui échappa. Elle demeura désemparée et désarçonnée un instant, alors que son regard reflétait la terreur qui l’habitait. 1, 2, 3, elle compta mentalement, en poussant un soupir.

— Pourquoi? se plaignit-elle.

Ce fût le seul mot qu’elle parvint à prononcer. Le cri qui l’avait surprise n’avait pas seulement bousculé son physique, mais également ses pensées, qui s’étaient envolées sur le coup. Elle se redressa alors, prenant lentement conscience de la position qu’elle présentait, de la faiblesse qu’elle dégageait. Elle tenta de feindre un état de contrôle, comme si la consternation ne l’avait pas atteinte. Un air impérieux se glissant sur son visage, la petite louve de sang croisé s’assit sur le manteau de l’hiver, droite, en face de l’assaillant. Sa vue s’obstrua un moment, alors que les mots suivants pianotèrent hors de sa gueule :

— En tout cas, je n’ai pas eu peur!

Sa précédente remarque se glissa aux oreilles de son interlocuteur, alors qu’une brise fit siffler l’air entre les deux loups. Celui-ci redressa la tête et les yeux, intrigué mais troublé. Sissi arbora alors la même expression, devenant un miroir pour son compagnon. Elle releva le museau, fière et curieuse. Toutefois, son vis à vis détona en un rire incontrôlé, surprenant la louve de sang croisé une fois de plus. Elle le contempla en une lueur d’incompréhension. Les éclats s’estompèrent après quelques tentatives, laissant Sissi interdite.

— C'est pas vraiment l'impression que j'ai eut! il plaisanta, provoquant l’apparition d’une mine déconfite chez Sissi. Moi c’est Colden!

Elle présenta un air boudeur à son interlocuteur. Faussement froissée, elle ferma les yeux et tira la langue. Un bref soupir s’évada de sa gueule, la petite louve pardonnant ainsi le dénommé Colden de ses erreurs. Néanmoins, elle s’accrocha à son air revêche, feignant la rancune.

— Je ne te dirais pas mon nom! grommela-t-elle, alors qu’une étincelle de malice se faufilait dans ses pupilles. Sa silhouette se redressa en une expression d'insolence.

Le plaisantin sembla surpris de sa précédente remarque. Toutefois, Sissi demeurait en proie à la même expression boudeuse, le regard voilé, feignant ne pas s’intéresser à Colden.

— Oh, il souffla, consterné.

Ce soupir parvenant aux oreilles de Sissi, cette dernière releva le museau, et ses yeux s’ouvrirent enfin, découvrant un petit air triomphant. Cependant, Colden repris très rapidement l’avantage, en arborant un formidable sourire. Déstabilisée, la croisée timberwolf cloua son regard ébahi sur son compagnon.

— J'ai qu'à t'en trouver un alors! fit-il en paradant autour d’elle. Hmmm...
— Nonnn-on? elle bredouilla, peu encline à écouter les propositions de l’autre.

Ignorant ses réticences, le loupiot la détailla de façon aussi insistante qu’elle savait le faire. Prise au dépourvu, Sissi était immobile ; elle tentait de réagir, mais son esprit était constamment dérangé par les pas de l’autre.

— Aubergine... Nah. Bernadette ? il s’enthousiasma devant Sissi qui semblait sidérée.
— Mmph...
— Choucroute! Ou bien alors... continua-t-il, amusé.

Ne comprenant rien à rien, la petite louve était décontenancée, et son regard était prisonnier de l’ahurissement. Par moments, elle tentait de taire les paroles de Colden, en faisant mine de clore le bourdonnement de son environnement, mais ce fût un échec à chaque fois. Démunie, elle abandonna assez rapidement, renonçant à lui tenir tête :

— Si-ssi! C’est! S-I-S-S-I! elle épela vivement.

Elle posa son regard sur Colden, aussi stupéfaite que lui. Ce dernier semblait satisfait de la défaite de Sissi, qui elle, n’était pas vexée, mais demeurait méfiante. Cependant, le louveteau était accueillant, et elle ne voulait pas inverser ses réactions et émotions en grisaille.

— Ah! Sissi c'est pas si mal non plus, lança-t-il, un sourire taquin trônant sur son museau. Il ajouta, en faisant un pas dans sa direction : Et qu’est-ce que Sissi dirait d’une partie de ... Chat!

La patte avant de Colden vint se placer sur l’épaule de Sissi, avant que celui-ci ne détale. Ébahie, la croisée timberwolf demeura coite, en tentant de jeter un œil sur sa fourrure qui venait d’être effleurée, puis sur son partenaire de jeu. Enfin, ses yeux s’agrandirent, pétillants, des étoiles les traversant.

— Attends-moi! elle badina en se réjouissant.

Se hasardant aussitôt à sa poursuite, un rire léger s’échappa entre ses dents. Sissi s’appliqua à zigzaguer entre les buissons de la toundra pour le rattraper, un air éveillé et brillant sur son visage.

Il avait disparu. Sissi jetait des regards effarés ça et là, trottinait l’espace d’un instant, puis s’arrêtait de nouveau pour tenter d’apercevoir son partenaire de jeu à l’horizon. Rien, toujours rien.

Elle croisa la route d’un buisson ; aussitôt, un bruissement fit pivoter ses oreilles, puis un mouvement brusque la fit bondir en pirouettant. Sa trajectoire étant modifiée, ses prunelles se posèrent sur Colden qui détalait en lui jetant une grimace égayante. Vivement, la petite louve se précipita à la suite de l’autre, un énorme sourire se profilant sur son museau. Ses pattes dansaient contre les branches basses et contre le vent ; elle cavalait en direction de son ami, l’agilité s’emparant de sa silhouette à chaque plante contournée. Enfin, sa truffe la guidant et l’éclairant, la croisée timberwolf esquiva un dernier bosquet, au moment même ou Colden dépassait la même broussaille de façon parallèle. De plein fouet, sa course se mêla à celle de ce dernier, les deux êtres se heurtant. Projetée sur le sol, Sissi contempla la neige qui recouvrait maintenant son museau. Un rire discret et étouffé s’échappa de sa gueule, alors qu’elle posait ses yeux pétillants sur son camarade :

— Je t’ai eu! elle s'exclama, toute fière.

Le sourire amusé de Colden nourrissait celui de Sissi, qui elle, demeurait enthousiaste ; il semblait que rien ne pouvait l’atteindre, l’abattre. Prenant soin de se relever, elle se fit aussitôt droite, prête à détaler aussi rapidement qu’un lièvre pris en chasse.

— Pour ça, tu m'as eu! admit-il en passant une patte sur sa tignasse.
— Attends, je vais t’aider, plaisanta-t-elle en laissant sa silhouette se rapprocher de son ami.

Faisant face à Colden qui se redressait enfin, elle dirigea sa truffe vers la mèche rebelle, et s’appliqua à souffler sur celle-ci. Son premier effort s’avérant être un échec, elle fit une nouvelle tentative, en exhalant de plus belle. Ses prunelles disparurent sous ses paupières, ses sourcils se froncèrent, alors que Sissi s’évertuait à vaincre la chevelure de son partenaire de jeu.

— 1, 2, 3... minauda Colden, un air mesquin et joueur se glissant sur ses traits.

Prise au dépourvu, la louve se recula vivement, et son manège pris fin. Elle lui fit un charmant sourire, puis se carapata plus loin, en cherchant à éviter les buissons enneigés. Jetant des regards émoustillés, elle était en quête d’un arbuste près duquel elle pourrait se réfugier.

Les pas lointains de Colden s’étaient élancés dès que ce dernier cessa de compter ; au même moment où Sissi était en quête désespérée d’un arbuste afin de s’éclipser. Les regards effarés de la croisée timber wolf s’infiltraient entre deux foulées de course.

— Je t'aurai! Tu verras! clama Colden, sa silhouette se confondant avec les buissons de l’horizon.

Néanmoins, les yeux de la jeune louve étaient déjà rivés sur un abri. Vivement, elle se jeta derrière cette nouvelle cachette, en suffoquant pour que sa respiration revienne à la normale. Soudain, ses oreilles s’orientèrent vers la gauche, où une allure brouillait la neige déposée sur le sol et bouleversait le silence. Sissi retint son souffle ; elle attendit patiemment que le nouvel arrivé passe près de sa cachette. Espérant exercer sa vengeance, elle se jeta devant celui-ci :

— BOO! elle s’égosilla. Aussitôt, elle détala, évitant de ce fait même que la patte de Colden ne la frôle.

Un cri s’envola soudainement de la gueule de Colden, se frayant un chemin jusqu’aux oreilles de Sissi qui se redressèrent vivement, tout comme cette dernière. Ahurie, elle se stoppa dans sa lancée, en se laissant hanter par l’immobilité l’espace d’un instant. Aucun bruissement de pas ne se dirigeant vers elle, Sissi entreprit de se retourner lentement et doucement, sans vraiment savoir quelle pensée devait la traverser dans ce genre de situation. Son regard lui dévoila un Colden tapi sur lui-même, reniflant de curieuse façon. La croisée timber wolf fixa le louveteau qui affichait une position ambiguë, sans qu’elle ne puisse la lire. De même, les yeux et traits de Colden lui étaient dérobés, elle ne savait donc pas à quoi s’en tenir. Ainsi, hésitante et indécise, elle progressa lentement vers l’autre canidé, en le contemplant de façon insistante.

— Colden... ? commença-t-elle en une voix étouffée, tout en arborant une expression tendue, la truffe pointée vers son ami. Aucune réponse ne pianotant à ses oreilles, Sissi poursuivit sa marche chancelante. Enfin, elle se posta en face de son compagnon de jeu, en inclinant sa silhouette et son museau pour tenter d’apercevoir les traits de l’autre. Colden ? hasarda-t-elle à nouveau, confuse.

Tout à fait confuse, la croisée timber wolf affichait une fusion entre l’inquiétude et l’hésitation. Un instant incertaine, elle passait de la tourmente à la curiosité aussi rapidement que la vague s’évanouissant dans l’océan. Soudain, un reniflement étouffé s’évada de Colden, et aussitôt, Sissi se raidit, le contemplant fixement. Le louveteau releva alors une de ses pattes pour la poser sous sa tignasse. Puis, brusquement, il tangua vers la citoyenne en la bousculant.

— J't'ai eeeu! annonça-t-il en arborant un sourire victorieux. La jeune louve demeura cependant immobile, une étincelle d’incompréhension dansant dans ses prunelles. Son adversaire filant à l’horizon, elle ne réagit pourtant pas, cherchant plutôt à comprendre ce qui venait de se dérouler.

— Non? protesta-t-elle légèrement, en relevant le museau. C’est plus drôle, Colden! elle s’insurgea en s’asseyant sur le voile blanc. Puis, elle jeta un regard dépité et désillusionné à son compagnon de jeu qui l’avait déçue et effrayée. Ainsi statique, elle ne semblait plus vouloir poursuivre la partie.

— Roooh allez Sissi! fit Colden avec légèreté, en hasardant un pas vers elle. Le museau du louveteau s’était incliné, témoignant de son incertitude. La croisée timber wolf demeurait toutefois aigrie, ses traits grimaçants. Elle semblait résolue au silence et à l'immobilité. S'il te plaaaaît ? insista-t-il, en esquissant un énorme sourire, comme Sissi les aimait bien. Malgré tout, la jeune louve ne se détacha pas de son air désillusionné, et ferma les yeux, jouant les rancunières.

Les pas de son ami se rapprochèrent alors d’elle ; les oreilles de cette dernière pivotèrent, intéressées. Son regard se découvrit, révélant un compagnon de jeu avec une mine renfrognée et revêche. Celui-ci se posa ensuite près de la silhouette aux extrémités bleutées, qui le contemplait silencieusement.

— Je m'excuse, souffla le loupiot, un air morose mais résolu. De nouveau, les oreilles de la citoyenne tournoyèrent vers la provenance des confessions. Celle-ci se redressa, en cherchant le regard de Colden. Une flamme se mit à grésiller à l’intérieur de ses prunelles, alors qu’elle se réjouissait, émerveillée. Un formidable sourire s’infiltra sous sa truffe, le museau tanguant vers son interlocuteur. Le silence fit son apparition, mais Sissi ne cilla point, s’accrochant à son sourire sincère.

— Je m'excuse, bon, répéta Colden, étendant ainsi le sourire que présentait Sissi. Elle observa son ami silencieusement, alors qu’il semblait légèrement froissé. T'es plus fâchée alors ? insista-il, sans pourtant lui offrir son regard.
— Non ! fit Sissi, les coins de sa risette s’estompant de quelque peu, sans pour autant réduire son sourire à néant. Ses pensées étaient gelées ; le moment qu’elle avait passé avec Colden l’avait protégée des ténèbres de son esprit.

Les yeux de Colden semblèrent briller sous sa tignasse, en mêlant renfrognement et légère curiosité. Ce dernier se redressa, leste, déclenchant un mouvement instantané et similaire chez Sissi : elle se releva, bien que plus enthousiaste que le loupiot. Sa queue s’agita en quelques battements délicats.

— Je rentre, lui confia Colden, s’attachant néanmoins à ses airs vexés. Sissi l’imita, en prenant un air pincé à son tour. Tu viens ? il demanda, prêt à se mettre en route. La croisée timber wolf surveilla un instant le reflet d’un sourire s’affichant chez le louveteau, puis un modeste sourire apparût chez elle également.

— Je viens ! s’exclama-t-elle, en se hasardant sur le chemin vers la caverne du Grand Nord. Elle bouscula doucement son compagnon de route, en rigolant, cherchant à vaincre son orgueil.

(Theeee Ennnnnnd)