Taillé dans le noir.

Été An 5 ~ Le coeur de l'oasis ~
Sous l'occupation Alteron.


Tout avait été rapide. Très rapide. Cela avait commencé au beau milieu de la nuit et c'était déjà fini avant même que l'aube se lève.
L'oasis était tombée aux pattes de l'ennemi en l'espace de quelques heures.
Salama, comme tous les autres sans doute, était encore sous le choc. Fondamentalement, lorsqu'elle regardait autour d'elle, rien ne semblait avoir changé, si ce n'est que des inconnus se baladaient librement dans l'oasis, et que des gardes s'assuraient que les autochtones ne quittent pas l'oasis.
C'était surréel à quel point rien ne semblait avoir bougé. Alors que dans sa tête, tout avait été bousculé. Son grand-père et son arrière grand-père avaient été abattus. Les quelques adultes restés à l'oasis expliquaient lugubrement que c'était pour montrer l'exemple, probablement.
Salama, elle, restait juste estomaquée, ne réalisant pas encore que sa famille venait encore de diminuer.
La surabondance de loups noirs la mettait également très mal à l'aise. Elle n'avait jamais supporté cette couleur... non... cette absence de couleur. Chaque fois qu'elle en croisait un, elle le suivait des yeux, le coeur battant pour une raison inconnue, le souffle court, et se dépêchait de s'en éloigner. Mais l'ennemi paraissait taillé dans ce noir, au point où les Alterons qui ne l'étaient pas ressortaient étrangement parmi leurs congénères.
Deux jours avaient passé depuis l'assaut et Salama ne réalisait toujours pas.

C'était comme irréel de se déplacer à même ces Terres qu'ils n'avaient pu observer que de loin. De n'y voir aucun gêneur, sinon les quelques prisonniers aux mouvements limités. Le point d'eau était médiocre, les arbres étaient volumineux à souhait mais aussi grugés par toute sortes de parasites, le sol était plat et chaud,... Nulle part on ne se sentait à l'abri. Enfin, ça, c'était pour les prisonniers. Maintenir les louveteaux en otage avait été un plan judicieux pour ces individus qui agissaient comme une grande famille. Gunthaer se ressassait les évènements en troquant les blackblood par des Alterons. Si quelqu'un tentait de pénétrer la Jungle et de les asservir, prendre des gamins en otage n'aurait fait battre aucun cil ( enfin, sauf ceux d'Oren ). À cette pensée, Gunthaer ne put s'empêcher de sourire pour lui-même. Il aperçut quelques loups le toiser avec déférence. Il leur répondit en leur rendant un tendre et charmant sourire. Quelques grognements en réponse. Il plissa les yeux. Les grognements se turent. Rengorgé par cette espèce de dominance qu'il avait sur les autres, Gunthaer se mit à parader sur place, donnant des yeux partout, cherchant à faire baisser la tête des prisonniers en plissant juste assez les yeux pour se donner un air sévère. Inconsciemment ou presque, sa queue se mit à se balancer de droite à gauche, alors qu'il piaffait fièrement dans un petit sentier menant au point d'eau. C'est alors que son oeil lui renvoya l'image d'une grande louve de sable, aux yeux injectés de sang. Il tituba sur place tant l'image le déstabilisa. Le dessin de Spearheart perdura devant ses yeux, avant de s'effacer, remplacée par l'image d'un tout petit louveteau au loin, qui semblait s'être éloigné de la proximité des autres adultes. Son air guilleret disparut au profit d'une calme, sinistre sérénité, alors qu'il se coula à pas de loup derrière elle.
- Qu'avons-nous là...
Il la surplomba de toute sa taille, la toisant de haut.
- Un agneau qui aurait perdu son troupeau ?
Il secoua tout doucement sa tête.
- Les louveteaux dans ton genre ne doivent pas s'éparpiller partout, tendre miss.

Une voix inconnue la tira de sa torpeur dans un sursaut que seule la tension dans son statut de prisonnière (et d'otage) avait fait naître.
- Qu'avons-nous là...
Elle jeta un regard coupable derrière elle, levant les yeux vers l'étranger qui l'avait approché. Elle nota avec un faible soulagement qu'il s'agissait d'un des rares individus qui n'étaient de noir vêtu.
- Un agneau qui aurait perdu son troupeau ?
À vrai dire, à ses yeux de louveteau innocent et naïf, il avait l'air plutôt affable. Un visage rassurant au milieu de ceux plus sévères et violents de ses congénères.
Elle redressa doucement les oreilles.
- Les louveteaux dans ton genre ne doivent pas s'éparpiller partout, tendre miss.
Salama regarda autour d'elle, constatant qu'elle était en effet bien loin de ses compagnons. Un frisson d'angoisse la parcourut à la pensée que seule ainsi, elle était d'autant plus vulnérable. Une proie facile pour l'ennemi.
Une horrible pensée la traversa alors. Si ce n'était pour la solidarité de sa race, qui la regretterait réellement si elle disparaissait ? Sans famille ou presque, elle serait un moindre sacrifice pour sa meute.
- Euh... Dans ce cas, je vais... repartir... par là... Balbutia-t-elle avec de grands yeux inquiets.

Hameçonnée. Le sentiment incertain de la peur et de l'insécurité commençait peu à peu à s’immiscer en Salama, manifestant le tout d'un frisson: elle s'était mise à réaliser qu'elle était vraiment éloignée de sa famille, vraiment seule, et même, vraiment (et réellement) vulnérable. Sans les guerriers pour les défendre, les blackbloods- ces loups au sang noir - erraient en oscillant dans l'incompréhension et la peur. Cette petite n'y fit pas exception. Comme sa famille avait littéralement été arrachée de son arbre généalogique en quelques secondes, elle s'était mise à se questionner sur sa propre valeur. Avait-elle réellement de la valeur ? La pleurerait-on si elle finissait par se faire abattre, de la même manière que les aînés avaient chuté ? Il lui restait assez de contenance pour bafouiller ce qui semblait être une phrase intelligible:
- Euh... Dans ce cas, je vais... repartir... par là...
- ...
Gunthaer se pencha, la poussant de son museau.
- Est-ce que tu te sens capable de marcher ? Si tu veux, je peux te soulever.
Il réitéra, plus ferme.
- Si tu veux.

- Est-ce que tu te sens capable de marcher ? Si tu veux, je peux te soulever.
Salama regarda ailleurs, pas très rassurée par la proposition.
- Si tu veux. Répéta le loup violet.
La louvette écarquilla un peu les yeux.
- Hum, non merci, ça va aller ! Répondit-elle à toute vitesse, lui envoyant un sourire tellement crispé qu'elle sentait ses lèvres frémir. Elle se mit ensuite à s'éloigner à reculons, toujours ce sourire coincé sur le visage, les oreilles se baissant en rythme avec ses pas.
Naturellement, elle trébucha sur une pierre et s'étala de tout son long, sur le dos, avec un "hmph" penaud. Le nuage de poussière qu'elle avait soulevé la fit éternuer et oublier un instant ce qu'elle était en train de faire.

Visiblement discuter avec l'ennemi n'arrangeait en rien son anxiété. Salama avait arrondit ses yeux un peu plus, s'empressa de " poliment " refuser l'offre, dans un sourire crispé.
- Hum, non merci, ça va aller !
Gunthaer arqua un sourcil, peu convaincu de l'adresse de la petite, qui s'éloignait déjà à reculons, ses oreilles disparaissant peu à peu derrière sa tête. Son sourire nerveux aux commissures tremblotantes marqué aux lèvres, elle ne l'avait quitté des yeux, comme si lui tourner le dos aurait signifié la mort. Un seul geste de sa part aurait suffit pour mettre un terme à sa vie, de toute manière. Mais elle l'ignorait: prendre autant de précautions était instinctif et non logique. Elle concentra toute son attention sur sa fuite improvisée qu'elle oublia de sonder les environs, et se retrouva bientôt sur le dos, trébuchant sur la proéminence d'un bête caillou. " Hmph ! " avait-elle lâché par réflexe. Elle éternua, comme le nuage de poussière qu'elle avait soulevé sembla retomber. Derrière le nuage de poussière, le loup aux yeux ternes s'avançait, sans bruits, sans faire cliqueter ses griffes au sol. Il se pencha au dessus de la petite, un air à la fois amusé, à la fois las.
- Tu en es certaine ? Mon offre tiens toujours, il susurra à mi-voix, cherchant à dissocier l'image de Salama de celle de sa mère.

L'étranger apparut soudain au-dessus d'elle avec une expression trop neutre, calme, elle ne savait pas trop, pour être innocente.
- Tu en es certaine ? Mon offre tiens toujours.
Salama ne bougea plus d'un cil pendant quelques instants, fixant le loup violet avec perplexité. Quelque chose de bizarre. Il y avait quelque chose de bizarre.
- Pourquoi vous insistez tellement... ? Finit-elle par lâcher, plus curieuse qu'inquiète à ce moment exact. Pourtant sa position ne semblait pas s'arranger.
Elle plissa les yeux, suspicieuse.
- Vous avez l'intention de m'emmener quelque part de louche ? Accusa-t-elle.

- Pourquoi vous insistez tellement... ?
Gunthaer haussa ses deux sourcils, pivotant une oreille vers l'arrière. Il la désigna de la truffe. Il était clair qu'elle avait besoin d'être portée pour se rendre à destination. Elle semblait difficilement capable de faire elle-même le voyage. À être si peu perspicace, elle finirait pas se blesser, qui sait. Mais Salama ne semblait pas l'entendre de cette oreille. Elle bondit aussitôt à une conclusion.
- Vous avez l'intention de m'emmener quelque part de louche ? un peu dérouté par la question Gunthaer répondit pourtant, plus sérieux que jamais:
- Tout à fait, mais j'attend ton consentement avant de t'y emmener.
Ses épaules remuèrent alors qu'il rigolait tout bas, secouant doucement sa tête.
- ...Si j'avais eu cette intention depuis le départ, je ne t'aurais pas demandé ton avis, je pense...
Il pouffa, s'asseyant. Cette petite était plus distrayante qu'il l'aurait cru.
- Tu imagines les kidnappeurs polis, toi ? Ha ha ha ha ha !

- Tout à fait, mais j'attend ton consentement avant de t'y emmener.
Salama fronça les sourcils, ne sachant pas comment elle devait prendre cette remarque.
L'étranger se mit à rire tout bas, lui indiquant qu'il se payait sa tête.
- ...Si j'avais eu cette intention depuis le départ, je ne t'aurais pas demandé ton avis, je pense...
Il n'avait pas tout à fait tort... pas tout à fait...
- Tu imagines les kidnappeurs polis, toi ? Ha ha ha ha ha !
Elle roula sur le flanc, se redressant légèrement.
- Ben. Si vous aviez réussi à me convaincre et à gagner ma confiance, ça vous aurait facilité la tâche. Pas de cris, pas de tentatives de me dégager. Personne d'alerté, donc personne au courant de ce que vous pourriez me faire. Raisonna-t-elle, contemplant les conséquences d'une approbation de sa part à la proposition de l'Alteron.
Un petit silence puis :
- Tout le monde sait que la viande est plus tendre quand elle n'est pas stressée... Termina-t-elle sur une moue renfrognée.

- Ben, fit la petite en développant sa pensée. Si vous aviez réussi à me convaincre et à gagner ma confiance, ça vous aurait facilité la tâche. Pas de cris, pas de tentatives de me dégager. Personne d'alerté, donc personne au courant de ce que vous pourriez me faire. Gunthaer hocha la tête, un air sérieux au visage. Oui, oui, ça se tenait. S'il gagnait sa confiance il aurait pu la pousser à faire n'importe quoi. Il ne répondit rien, préférant peser la tension avec le silence plutôt qu'avec une réponse implicite. Salama lâcha, sur une moue renfrognée, boudeuse:
- Tout le monde sait que la viande est plus tendre quand elle n'est pas stressée... Gunthaer rigola, toujours assit, se contentant de baisser la tête en bas de ses épaules. Il se redressa.
- Ne te fais pas d'illusions, tu es déjà tendre à souhait, petite miss ♥
Il leva la tête, un air songeur.
- De toute manière, je crois que le plaisir de ce genre de malotru provient de la détresse qu'il lit dans le visage de sa victime. Son visage s'assombrit. Il ne s'amuserait pas autant si celle-ci concédait sur-le-champ.
Il porta la patte à son visage.
- Heureusement pour toi, je ne suis pas ce genre de malotru ! Quelle chance! ♥
Il déposa sa patte, l'incitant d'un mouvement de la tête.
- Allez, debout.

Cela le fit de nouveau rire. Le son détendit étrangement Salama. Le rire lui était familier. Et quelque chose de familier était exactement ce dont elle avait besoin pour se calmer et reprendre confiance.
- Ne te fais pas d'illusions, tu es déjà tendre à souhait, petite miss ♥
Elle lui adressa une grimace en réponse.
- De toute manière, je crois que le plaisir de ce genre de malotru provient de la détresse qu'il lit dans le visage de sa victime. Il ne s'amuserait pas autant si celle-ci concédait sur-le-champ.
Salama pencha la tête, observant le loup violet avec intérêt. Son expression songeuse mais sombre était intrigante, et inquiétante...
- Heureusement pour toi, je ne suis pas ce genre de malotru ! Quelle chance! ♥ Allez, debout.
Elle s'exécuta, se remettant sur ses quatre échasses et se trémoussant pour faire tomber la poussière.
- Si vous êtes pas "ce genre de malotru", alors vous êtes quoi ? S'enquit-elle.
S'il n'avait pas l'intention de l'emmener quelque part de louche, de la manger ou quoi que ce soit, quelles étaient alors ses intentions ? Il devait bien en avoir puisqu'il s'agissait d'un ennemi et qu'il insistait auprès d'elle.

Elle obtempéra à son ordre, se levant, s'ébrouant. De même, il en profita pour se lever à son tour, lui qui s'était simplement assit, s'étant attendu à de la résistance de sa part. Mais il s'était trompé, et ce n'était pas plus grave. Il maintenait sur l'agneau un regard presque protecteur, l'intimant déjà de prendre le pas, comme un berger menait les brebis égarées. Le petit agneau, qui était en fait un louveteau, se sentit assez à l'aise pour poser une question à son berger, qui avançait très lentement, avalant la distance qui les avait séparés momentanément.

- Si vous êtes pas "ce genre de malotru", alors vous êtes quoi ?
- Hum...
Gunthaer leva la tête, plaisant les yeux, fronçant les sourcils. Il les haussa en se retournant vers Salama. Il haussa les épaules, sur un air penaud.
- Je ne sais pas. Il repointa leur destination de son museau, observant Salama du biais de l'oeil. Qu'est-ce que toi, tu penses ?

Elle s'était mise en marche, se laissant conduire par l'étranger sans protester. À quoi bon finalement ? Et elle songeait que s'il ne lui avait toujours pas fait de mal, les chances pour qu'il le fasse maintenant étaient minimes, alors autant imaginer qu'elle pouvait lui faire confiance... Autant de confiance que l'on pouvait accorder à un serpent endormi sur une pierre chaude, évidemment...
- Hum... Je ne sais pas.
Salama tourna la tête pour lui jeter un regard incrédule.
- Qu'est-ce que toi, tu penses ?
Elle garda le silence un moment, reportant ses yeux devant elle.
- C'est évident non ? Déclara-t-elle sans lâcher le sol du regard. Vous êtes ici. Vous êtes un ennemi. Un envahisseur.
Elle aussi haussa ses minces épaules. C'était la stricte vérité. Elle faillit ajouter qu'il devait aussi être un meurtrier mais elle ne voulut pas tenter sa chance, pas à ce point.

- C'est évident non ? Gunthaer tourna sa tête juste un peu pour lui montrer qu'il ne trouvait pas la chose aussi évidente qu'elle. Elle adopta la même lassitude: Vous êtes ici. Vous êtes un ennemi. Un envahisseur, clarifia-t-elle, en haussant à ses tours ses épaules. Gunthaer avait ralenti sa marche, faisant mine de réfléchir, puis, après avoir levé ses deux oreilles, entreprit d'accepter la vision qu'avait la petite de lui:
- Entendu. Si c'est ce que tu penses, alors c'est ce que je serai. Il tendit la nuque, la secouant, faisant remuer ses longs rideaux de poil à ses flancs. Il en avait profité, avant l'assaut pour les trimer convenablement. Il pencha la tête, lui tendit ce qui voulait être un sourire rassurant, réconfortant. Un peu comme si le meurtre des autres loups ne lui était même pas venu à l'esprit. Un peu comme si l'assaut brutal qu'ils avaient lancés sur l'Oasis n'avait été qu'une simple promenade.

Un nouveau silence s'installa et Salama lui jeta un coup d'oeil pour voir ce qu'il faisait. Il semblait en pleine réflexion.
- Entendu. Si c'est ce que tu penses, alors c'est ce que je serai.
Elle tressauta, levant brusquement la tête pour poser des yeux écarquillés sur le loup violet. Qu'est-ce-que ça signifiait... ? Elle se félicita vivement de ne pas avoir rajouter son "Vous êtes un meurtrier" à la liste...
Elle déglutit, soudain mal à l'aise à nouveau. Pourtant, l'étranger ne semblait pas plus menaçant, au contraire, il lui offrit même un charmant sourire qui aurait pu la déranger si elle n'avait pas été encore si innocente.
Elle entrouvrit la gueule.
- Vous avez l'air de vous en taper complètement. Lâcha-t-elle, un peu sans le vouloir, profondément désarçonnée par le comportement inhabituel de cet individu ennemi. Était-il à ce point sans coeur pour se montrer si nonchalant, si paisible face à leur misère ? Non... Ce n'était pas ça. Les Alterons en leur ensemble étaient la preuve qu'il se contre-fichait de leur sort. En tout cas, elle observa les gardes à l'horizon, il n'était certainement pas le seul.

- Vous avez l'air de vous en taper complètement. lâcha le louveteau, désemparée quant à la nonchalance presque inquiétante dont faisait preuve son berger. Gunthaer haussa ses deux sourcils, un peu par stupeur. Il lâcha, un peu au hasard.
- Ah ? C'est l'impression que je donne ?
Il tourna sa tête vers elle, exposant sa théorie:
- Si tu as l'impression que je m'en tape, c'est peut-être parce-que toi aussi, tu t'en tapes un peu.
Il leva un nouveau sourire.
- Non ?

- Ah ? C'est l'impression que je donne ?
Même si la remarque devait être pour lui-même, elle acquiesça en le regardant, guettant sa réaction.
- Si tu as l'impression que je m'en tape, c'est peut-être parce-que toi aussi, tu t'en tapes un peu. Non ?
Salama s'arrêta nette, bouche bée. Puis elle planta son regard jaune outré dans le sien.
- Comment je pourrais m'en taper ?! Vous nous attaquer sans raison, aucune, vous... vous... tuez des membres de ma famille, de ma meute, et vous, vous pensez que je m'en fiche ? S'énerva-t-elle, mêlant la colère à la surprise, à l'incompréhension. Quel genre de loup pouvait penser une chose pareil ? Celui-là, de toute évidence, mais elle espérait que c'était un modèle unique. Le contraire serait triste, ou effrayant, ou les deux...
Elle détourna la tête, serrant les crocs contre une vague de tristesse et de manque assez forte pour lui faire monter les larmes aux yeux.

Elle s'était arrêté de marcher pour le dévisager. Il l'imita, se stoppant, posant sur elle un regard aux yeux désintéressés malgré l'air qu'il semblait donner.
- Comment je pourrais m'en taper ?! pépia-t-elle soudain. Vous nous attaquez sans raison, aucune, vous... vous... tuez des membres de ma famille, de ma meute, et vous, vous pensez que je m'en fiche ? Gunthaer ne sourcilla pas. Il ne leva pas les yeux au ciel. Il n'abaissa pas les oreilles. Face à cette accusation, il demeura de marbre, fixant simplement cette petite chose qui refoulait sa colère et sa peine en serrant les crocs. Elle s'échappa lorsque ses yeux s'embuèrent de larmes. Gunthaer leva un demi-sourire forcé, balayant l'air d'un mouvement de la queue.
- Oui. Aucun éclat ne brillait dans ses yeux. Si tu ne t'en fichais pas, tu aurais fait quelque chose, non ? Il affûta son regard. As-tu fait quelque chose ?

L'étranger s'arrêta à son tour, posant sur un elle un regard bleu glacier d'un calme qui la fit frémir de malaise. Ce n'était pas un regard rassurant. Il était neutre, trop neutre.
La réponse à sa question, qui n'attendait pas vraiment de réponse, claqua dans l'air :
- Oui. Si tu ne t'en fichais pas, tu aurais fait quelque chose, non ? As-tu fait quelque chose ?
Le visage se Salama se décomposa, ses lèvres frémirent, alors que cette constatation s'insinuait comme un poison dans son esprit. Non. Elle n'avait rien fait... Rien du tout.
Elle haussa cependant la tête, se tenant droite, essayant de s'empêcher de se briser en mille morceaux.
- Mais je ne pouvais rien faire ! Vous croyez quoi ? Que je suis capable de repousser une armée ? Rétorqua-t-elle pour se justifier. Qu'est-ce-qu'un louveteau comme elle aurait pu faire ? En essayant quelque chose, elle n'aurait réussi qu'à se faire tuer, peut-être même à provoquer la mort d'autres personnes encore dans son acte inconscient.
La louvette dorée lui lança un regard noir.
- C'est vous qui n'avez pas d'excuse ! Cracha-t-elle.

Le poison de ses mots s'infiltra dans son esprit, alors que le visage si rayonnant de vie de la petite perdit peu à peu ses couleurs, se ternissant à petit feu. Elle réalisa sa vulnérabilité, de nouveau. Mais quelque chose chez elle la poussa à relever la tête et à darder ses yeux pétillants dans ceux sans vie de son berger. Ses yeux pétillaient plus qu'avant, d'un espoir qui cherchait à rester, d'une lumière vive. Comme le dernier retour de lumière d'une chandelle, avant de s'éteindre.

- Mais je ne pouvais rien faire ! Vous croyez quoi ? Que je suis capable de repousser une armée ? elle se justifia en fronçant durement ses sourcils. C'était vrai: qu'aurait-elle pu faire ? Elle aurait pu se débattre et mourir: là, elle aurait fait quelque chose. Ou du moins, elle aurait tenté. Mais Gunthaer ne s'en fit même pas la réflexion, fixant d'un calme placide la petite chose qui s'évertuait à se faire entendre raison.
- C'est vous qui n'avez pas d'excuse ! elle cracha, s'enflammant comme des braises. Malgré l'air vide que lui attribuait Gunthaer, il avait gardé ses traits avenants. Il les effaça: son aura de chaleur se fit balayée par le vent, arrache d'un seul coup, comme si ses yeux aux touches colorées étaient soudain devenus glacials.
- ... ... ... ...Et ? Un petit sourire, un petit rictus, qui tira ses commissures vers le haut, en coin.
- J'ai dit qu'il y en avait une ?
Il plissa les yeux, condescendant.
- Qu'est-ce qui pourrait bien pousser des individus à attaquer une meute qui " n'a rien fait " ?
Il clôt les yeux, soufflant.
- Tu es maligne pour ton âge, tu dois être capable de me répondre. ... Non ?

L'étranger perdit son air affable, confirmant à la petite que ce n'était qu'une façade. Une façade d'apparence rassurante, aimable, alors qu'en réalité il n'en avait vraiment rien à foutre.
- ... ... ... ...Et ? J'ai dit qu'il y en avait une ?
La colère et la peur se disputèrent alors en Salama. Des tremblements incontrôlables la secouèrent.
- Qu'est-ce qui pourrait bien pousser des individus à attaquer une meute qui " n'a rien fait " ? Tu es maligne pour ton âge, tu dois être capable de me répondre. ... Non ?
Elle ne voulait pas lui répondre. À vrai dire, elle ne voulait plus lui parler. Elle voulait juste se carapater d'ici et aller se mettre à l'abri. Plus la discussion avançait et plus un horrible pressentiment rampait sous sa peau. Elle sentait soudain le danger comme si elle pouvait le goûter.
- On n'a rien qui puisse vous intéresser. Déclara-t-elle d'une voix larmoyante, tendue comme un arc et se remettant un mouvement, plus vite, pour instaurer plus de distance avec ce loup violet.
Intelligente ou pas, elle était trop jeune pour simplement imaginer une autre raison que la recherche de quelque chose pour s'en prendre à une meute innocente. À vrai dire, elle n'était pas sûre de vouloir connaître les autres raisons qui pourraient pousser des loups à tuer d'autres loups...

- On n'a rien qui puisse vous intéresser, lâcha Salama en étouffant un sanglot, soudain très inconfortable en réalisant la proximité qu'elle avait avec cet ennemi.
- C'est ce que tu crois ? Tu en es sûre ?
Il la tenait fermement du regard, malgré sa nonchalance apparente. Il l'avait vu tenter de se décaler sur le côté afin de creuser entre eux une distance. Soit: il la laissa s'éloigner, comme s'il n'éprouvait pas le même malaise qu'éprouvait la petite en poursuivant ce qui semblait être une discussion. Sa queue balaya de nouveau l'air, alors qu'il avait changé de patte dominante, pour prendre une rythme plus symétrique.
- Très bien alors, vous n'avez rien qui puisse nous intéresser.
Il pouffa, remuant ses épaules dans le mouvement.
- Ahh, mais cela voudrait signifier qu'Alteron vous a attaqués pour rien, vous tient en otage pour rien, et n'a rien à s'expliquer. Enfin, selon ta théorie.

- C'est ce que tu crois ? Tu en es sûre ?
Salama l'ignora superbement, décidée à ne pas se relaisser prendre au jeu.
- Très bien alors, vous n'avez rien qui puisse nous intéresser. Ahh, mais cela voudrait signifier qu'Alteron vous a attaqués pour rien, vous tient en otage pour rien, et n'a rien à s'expliquer. Enfin, selon ta théorie.
Elle agita les oreilles, agacée et perturbée par ses propos.
- Ouais. Finit-elle par céder. Ça veut dire que vous êtes là pour rien.
Elle grinça des dents en réalisant qu'il la poussait à envisager ces autres raisons qui pouvaient amener les Alterons à les attaquer.
- On n'a vraiment rien qui puisse vous intéresser. Donc ça veut dire que vous faites ça... parce que ça vous amuse ? Parce que vous voulez nous détruire ?
Un silence estomaqué fit écho à sa déduction. Les histoires des Anciens lui revenant en mémoire.
Les habitants de l'oasis étaient beaucoup restés dans le vague quant au sort de Rapier après leur Exil, mais espions et messagers avaient fini par rapporter qu'elle avait disparu d'Inaria peu après et qu'elle aurait établi son propre règne quelque part.
Le sujet de discussion était loin d'être un favori parmi leur race. Tout le monde se remplissant d'amertume et de rancoeur lorsque le sujet était évoqué. C'est pour ça que Salama n'avait pas réalisé tout de suite. Pour les jeunes nés à l'oasis, cette affaire d'Alteron ne restait qu'une vague histoire plutôt nulle que personne n'avait envie de leur raconter plus d'une fois, de toute façon.
Mais maintenant qu'elle l'avait dit à voix haute, cela devenait évident. Ils n'avaient rien d'intéressant à offrir, n'avaient rien fait. La haine et la cruauté étaient visiblement les seuls moteurs de cette attaque.
"Mais ils ne nous ont pas tous tués... Alors qu'est-ce-qu'ils veulent ?"
La naïveté s'effaçant, la peur la glaça alors qu'elle examinait le loup violet d'un nouvel oeil.
Qu'est-ce-qu'ils allaient leur faire... ?

- Ouais. Finit-elle par céder. Ça veut dire que vous êtes là pour rien. Gunthaer répondit sur un sourire exubérant, comme un fier professeur devant son élève qui apprenait.
- Oui ! Il perdit son sourire. Enfin, selon ta théorie, crut-il bon d'ajouter, un peu penaud. Salama ralentit peu à peu sa marche, comme si plus la réflexion qu'elle se faisait a fil de la conversation était forte, plus ses nerfs moteurs se freinaient. Il ne l'avait pas dit pour rien: cette petite était vraiment maligne, si on la comparait au reste de son espèce. En fait, elle lui rappelait même quelqu'un, dans sa façon d'être. Mais étrangement, aucun nom ne lui venait à l'esprit. Salama ouvrit de nouveau sa bouche, beaucoup moins à l'aise qu'elle l'avait été plus tôt.
- On n'a vraiment rien qui puisse vous intéresser. Donc ça veut dire que vous faites ça... parce que ça vous amuse ? Parce que vous voulez nous détruire ?
Un silence. Quelque chose en elle avait sonné. Comme si elle commençait à comprendre ce qui avait poussé cette meute d'hurluberlus à s'attaquer à eux, eux qui ne participaient pas aux échanges entre les meutes, eux qui s'éloignaient de la guerre, eux qui s'étaient reclus dans le désert après un injuste exil. Elle avait toutes les pièces. Il lui suffisait de les mettre en ordre. Si Gunthaer ne savait pas à quoi pensait cette petite, il n'était pas dupe pour autant: lentement le visage aux traits adoucis et crédules de la petite se fondit peu à peu en frayeur pure, comme si elle voyait de lui un nouveau message. Gunthaer lui répondit par un sourire, nettement plus fin que le dernier, dressant hautes ses oreilles.
- Alteron en a après vos vies, voilà ce qui intéresse.
Ses yeux s'ouvrirent enfin, perdant leur air affable, ses pupilles étaient dilatées, aspirant toute la couleur de son iris, toute la lumière extérieure. Comme un trou noir où n'y brillait aucun éclat.
- Qu'est-ce que tu vois, maintenant ?

Avec un sourire qui lui aurait paru inoffensif quelques minutes plus tôt, le loup violet confirma ce qu'elle craignait :
- Alteron en a après vos vies, voilà ce qui intéresse.
Il la fixa alors avec des yeux aux prunelles rongées par le noir de ses pupilles. Salama aplatit les oreilles sur son crâne, eut un geste de recul en avalant sa salive.
- Qu'est-ce que tu vois, maintenant ?
Comme une proie piégée, elle n'osa plus bouger, fixant toujours les yeux inquiétants de l'ennemi.
Elle ne répondit rien, mais son regard parlait de lui-même : "Un monstre. Un meurtrier."
Un aboiement retentit, quelque part derrière le mâle. Salama ne réfléchit pas et passa de l'inertie la plus totale à une course rapide, le coeur battant à tout rompre et les yeux humides.
La terreur de ce qui allait arriver au sien alimentèrent sa fugue, le regard rivé devant elle, incapable de se retourner pour moi s'il était à sa poursuite.
S'ils ne les avaient pas encore tués, qu'attendaient-ils ? Qu'allaient-ils imaginer avant de les mettre à mort... ?