Déjà-vu

Taïna continua son discours malgré les protestations du détective, décidée à aller jusqu’au bout. Elle baisse les oreilles, rétive. Elle s’était attendue à une opposition, mais y être confrontée, faire face à l’éclat de vie éclipsé de Lance, n’était guère agréable.
- ...Ton attention comme la sienne me touche, mais je ne déterrai pas les morts. ... Il y a ceux qui restent abasourdis devant leur passé, et ceux qui réussissent à passer au travers. Je fais partie des derniers.
Elle siffle dans sa gueule fermée. L’irritation, l’incompréhension et la frustration baignant dans son cœur refaisant surface. Il recommence… Elle réponds, sur un ton aux accents de froideur prononcés, presque incrédule. Sa queue s’agite dans un coin.
- Déterrer les morts ?! Ils ont parfois bien besoin de l'être pour comprendre le présent.
- ... J'ai choisi de vivre une vie paisible. J'ai pris goût à cette vie. Et puis, un vrai gentleman préconise toujours la sécurité des autres avant la sienne. C'est plutôt à moi de te proposer mon aide.
Elle reste silencieuse quelques instants, ses yeux affrontant ceux de Lance en une joute serrée et implacable. Elle ne désire pas créer de tensions entre eux deux… Mais si cela devait être le seul moyen de faire entendre raison à Lance, elle le ferait. Elle retrousse légèrement ses babines, montrant sans détour son humeur à son comparse.
- Un gentleman… Etre gentleman veut-il dire s'épuiser à son propre détriment ? Je ne crois pas.
Elle fronce ses sourcils, son regard azuré se faisant glacial. Ses canines disparaissent à nouveau sous ses machoires, mais elle ne desserre aucunement les dents.
- Et de ceux là, il y a ceux qui restent prisonniers de leur actes et de leur souvenirs, qui les trainent derrière eux. Et qui s'efforce, justement, de les enterrer, en bon cadavres qu'ils sont, et de les omettre pour régler leur problèmes. La fuite en avant n'a jamais fait avancé. J'en ai assez bien vécue l'expérience pour le savoir.
Elle souffle, contrariée. Intriguée.
- Tu te hérisses comme un hérisson découvert par un rapace… Qui y a t-il de si terrible à dire ? Au vu des circonstances, c'est moi qui devrais agir ainsi…
Elle frotte fugacement une de ses pattes contre le sol, le raclant de ses griffes.Elle baisse la tête, plus calme, bien que la nervosité agitait toujours ses oreilles et sa queue.
- Nous avons tous les deux besoin d'aide, Lance…

- Suffit. Ne me compare pas à toi; je sais que tu ne veux rien me dire de ta condition, et je respecte ce choix.
Sa voix se fit plus neutre, mais toujours plus ou moins froide. La situation s'envenimait.
- Qui te dis que je ne veux pas parler de ma condition ? Que sais tu vraiment ?
- Alors respecte le mien: je n'ai pas à partager les horreurs que j'ai vues, Taïna.
Ses oreilles se rabaissent encore plus son crane. Il n’a pas compris. Encore. Il l’a voit comme une opposante, une fauteuse de trouble venue mettre le chaos dans sa vie désormais calme… Elle aborde un ton qui se veut retenue mais ferme. C'était vrai sur une partie de la ligne... mais pas sur le sujet qu'elle avait abordée.
- Je ne cherche pas à te nuire. Seulement à t’aider.
Elle soupire. A cran. La lueur dans les yeux du blackblood ne lui avait pas échappé. Elle se lève à son tour, tout en gardant ses distances, consciente qu’elle a offusqué son compagnon.
- Je respecterais ton choix. Mais taches de ne pas t’aveugler dans celui ci.
Elle eut un sourire contrit. Elle baisse la tête, ferme ses yeux, les images revenant telles des mosaïques archaïques et anciennes, appartenant à un passé poussiéreux et désuète. Elle eut un rire intérieur. Non. Cela, c’était la vision de Lance. Pas la sienne.
- Tu ne te souviens guère du temps où nous nous sommes rencontrés apparemment… Les souvenirs reprirent une couleur plus vive, bien que diffuse. Ils n’étaient pas tous désespérés. Ni tous plaisants. Mais ils faisaient parti intégrante de ce qu’elle était aujourd’hui… Je ne voulais en aucun cas partager mes horreurs avec toi et pourtant tu ne t’es pas gêné pour t’imposer.
Son sourire évolue en un sentiment de nostalgie et de douceur. Elle murmure, mince filament de sa reconnaissance, chaleureuse.
- Et tu avais raison…
Sa voix se stoppe momentanément, alors qu’un mot reste bloqué dans sa gorge. Elle relève la tête, et détaille le loup brun, ses yeux s’adoucissant subtilement. Peut être était-elle trop brutale en voulant imposer le discours ainsi… Elle soupire encore, plus détendue. Elle dodeline sur ses pattes, gênée, puis finit par se rapprocher, lentement. Elle donne une lape sur l‘épaule du détective, discrète et s’éloigne quelque peu, appréhendant sa réaction. Enfin, au prix d’un grand effort, elle lâche, nerveuse, sincère.
- Merci. Sans toi je ne serais probablement pas là aujourd'hui.

La demi-chienne observe la réaction de son comparse, partagée entre l’envie de le secouer ou de fuir la queue entre les pattes. Finalement, celui ci laisse entrevoir une sincère surprise, et lui retourne sa gestuelle.
- Ha-ha-ah... C'est plutôt l'inverse, tu ne crois pas?
Elle soupir, la chaleur lui montant au joues.
— Idiot. Ne te sous estime pas plus qu’il ne le faut.
Un sourire amusée nait sur sa peau, et elle se retient de donner une tape sur la tête du détective.
- Je n'arrive toujours pas à croire que c'est dans les Montagnes que je te retrouve.
Taina laisse échapper un autre sourire, et se réfugie dans cette étreinte, soulagée que leur discussion se calme.
— Moi aussi… Il faut croire que le destin est animé d’un bien étrange sens de l’humour.
Elle reste encore quelques instants contre le corps de son voisin. La tempête au dehors semble se calmer. Elle réfléchit, quelques instants, sa queue se repliant sur elle même, et ses yeux bleus se voilant d’une subtil nuance. Devrais je lui dire… ? Elle secoue la tête, et la cale soudainement sous le menton de JD. Ses yeux se ferment. Son souffle semble la quitter… Elle respire doucement, presque mollement, et ses babines remuent d’elles mêmes, tremblantes, incontrôlées. Ses résolutions l'assaillent de nouveau. Impitoyables. Je ne peux pas fuir éternellement… Après ce qui semble une éternité, trois simples mots s’échappent de sa gorge, trois simples mots qui lui transpercent le cœur, trois simples mots aussi lourd que des pierres, trois simples mots dont la lueur se ravive. Si l'existence du Réseau peut demeurer cacher pour l'instant, ses sentiments, quand à eux, ont déjà bien trop débordés de leur coupe.
— Je t’aime.
Elle s’enfonce encore plus sous le menton du détective, se cachant, s’oubliant dans la collerette buissonneuse et épaisse de celui a qui elle venait d’avouer ses sentiments. Les mots continuent de sortir cependant, bien que plus hachés et douloureux que jamais.
— Je... me fiche que tu ne ressentes... pas la même chose. Je… voulais simplement… que tu le saches.
Des larmes silencieuses coulent sur son visage. Ce sont des mensonges ; l'espoir naïf est bien là. L'espoir stupide, l'attente qu'il la voit aussi dans cette même lumière, cette même aura. Mais elle ne peut se permettre de revendiquer cela. Elle tremble maintenant de tout son être. Elle s’attend à retrouver le vide et les ténèbres d’un moment à l’autre. Son cœur se serre… A t-elle commis l’irréparable ? Elle le saurait d’une seconde à l’autre.

Aucun mot ne vint. D’abord immobile, lové contre le male, elle tend l’oreille, persuadé qu’elle a raté la réponse inévitable de JD. Mais rien, encore. Ses paroles se heurtent au silence. Elle respire fortement, la panique commençant à prendre racine dans son cœur battant à tout rompre. Elle s’humecte la bouche. Tente de reprendre la parole. N’y arrive pas. Recommence. Mais non. Rien ne vient. Autant d’un coté que de l’autre. Ne sachant que penser, elle reste figée. Perdue. Muette. Confuse plus qu’elle ne l’avait jamais été. Une bourrasque violente vient finalement la tiré de sa torpeur, et elle recule, presque prostrée, sous le choc thermique et la révélation que le détective n’a probablement rien entendu de sa confession… sinon, n’aurait-il pas esquissé un quelconque geste, même infime ? Ne serais ce que pour le repousser ? Lui dire non ? Elle tente a nouveau de dire quelque chose, bafouille sur ses mots, et reprend difficilement sa contenance. La honte l’enveloppe. Ce silence la ronge. Sa queue se refugie entre ses postérieurs, et elle demande, d’une voix plus forte, animée d’une tristesse et d’une irritation conjointe.
— Tu… Tu n’as rien entendu, n’est ce pas ?
Ses oreilles se rabaissent. La bile lui remonte la gorge. Son cerveau est en proie à une lutte intense et viscéral. Elle se sent prête à craquer, submergée par le flot d’émotions contraire qui la traverse soudainement, et qu’elle a contenu, durant toutes ces années.
— Ou alors est ce un jeu ? Un jeu d'énigme, dont tu raffoles tant...
Dans un effort prodigieux, elle se force à se taire sur ces paroles amer, bien que prononcées d'une voix étrangement sereine. Elle baisse la tête à son tour, et détourne le regard. Elle se sent sale... Si sale... Elle se mord la langue de dépit. Le maigre contrôle qui lui reste de son corps lui cri de se détourner, de fuir... Mais a peine pose t-elle une patte en avant qu'elle se sent défaillir. Elle manque de chuter. Se rattrape au dernier moment. Seule. Seule comme jamais dans sa peine.

Toujours déboussolée, elle s’assit, tentant de reprendre son souffle. Les sens assaillis, les bruits lui parvinrent, mais amoindris. Etouffés par ses oreilles bourdonnantes. Etouffés par son corps meurtri. Toutefois l’attitude de JD l’interpelle. Des mots se forment sur ses lèvres. Elle les lut, envers et contre tout. Envers sa révulsion. Envers son envie.
- ... Tu as raison... Nous ne sommes pas seuls.
Ses oreilles se redrèssèrent instinctivement, et le bouchon qui les obstruait s’en alla de lui meme. Les sons arrivèrent. Et avec eux… un sentiment qu’elle ne connaissait que trop bien. Elle hoquète presque et se rapproche de JD, oubliant subitement le froid créer entre eux pour se concentrer sur l’instant présent.
— C’est eux.
Elle se blottit contre lui, les yeux plissés, un grognement rauque et cassé montant dans son poitrail. Le bruit se rapproche. Elle retrousse les babines, menaçante. Elle répète, apeurée, rageuse. Presque révoltée.
— C’est eux.

L’ombre se découpe. Avec elle, le temps paraît se ralentir, anéanti par sa seule prestance, moduler pour lui permettre de pleinement dévoiler son horreur. Elle entrevoit JD rester immobile sous la révélation. Elle grimace mentalement. Les circonstances ne sont pas les meilleures pour apprendre de telles nouvelles… Son attention se reporte cependant vite sur la source des sons. L’aura est terrifiante. Non. C’est encore trop faible pour la qualifier. La haine monte, malgré tout. Une haine vieille, endormie. Elle avait tenté de l’annihiler. Mais on ne peut jamais détruire la conscience. On ne peut que l’endormir. L’heure, néanmoins, n’a pas sonné pour fêter leur macabres retrouvailles. Elle le sait. Et c’est sans doute cela qui l’enrage le plus. Ils devaient encore fuir. Encore et toujours… Comme si toute leur actions, toute leur résistance, ne pouvaient finalement déboucher que sur cette option. Elle grogne. JD la pousse. Elle s’exécute, non sans lorgner la crevasse avec une hargne sans pareil.
- Ne restons pas là.
Les mots qu’elle redoute et espère arrivent.
- Fuyons.
A contrecoeur, elle hoche la tête, résignée.
— Alors ne perdons pas de temps.
Sur cette ultime déclaration, elle s’élance vers la sortie, s’attendant à trouver un agent ou un ennemi au moindre recoin. A peine sortie, le froid l’assaille. Mais… Rien n’arrive. Pour l’instant. Elle continue sa cavalcade, prenant la direction opposée à laquelle ils étaient partis, l’adrénaline affluant dans ses veines. Non loin d’elle, elle entend un bruit de course, mais ignore s’il s’agit du blackblood… ou de quelqu’un d’autre.