Souvenirs d'une haine caché (Prio' Arelan)

Les deux émeraudes  fixaient sans les voir les feuilles rougeoyantes mêlées aux vents d’automne. Rouge sang, rouge malheur, rouge vif. Aussi vif que ces souvenirs, le rouge du sang répandu à terre, ce sang d’êtres tant aimés. Un pas de plus et il serait tombé, inéluctablement. Là, en bas de cette falaise. S’en rendait-il alors compte ? Certainement pas. Comme les feuilles, le loup roux était emporté dans un incessant tourbillon. Si seulement cela avait été que du vent.

C’était la réalité, la dure réalité, celle à laquelle on ne peut que faire face ou mourir. Il avait survécu. Et puis quoi ? Il restait désormais à remuer le passé sur ce stupide rocher au bord d’une falaise, Nora lui aurait à coup sûre collé une bonne raclée. « Crétin, on ne peut pas avancer ligoté à son passé ! Pense à l’avenir toi qui a la chance d’en avoir un ! » L’une des seules pensées que la louve quasi albinos lui avait révélé clairement, le ramenant cruellement à la réalité. Il l’avait toujours sut, mais l’avouer était si difficile, comme si le fait de ne pas le mentionné l’empêcher d’exister. Rêve fou.

Cette folie, il n’était pas le seul à en être rongé. Il l’avait vu au fond des petits yeux emplis de haine et de souffrance, un regard pourtant si jeune. Mais la folie de son protégé était certainement bien plus redoutable encore. Un grondement s’échappa d’entre ses crocs, hérissant sa fourrure sous laquelle était dissimulé son secret, ces fines cicatrices zébrant son arrière train sous lesquelles des dégâts bien plus importants étaient cachés jusqu’alors. Pour la première fois depuis des années, il était en colère, ces cicatrices maintenant exposés n’arrangeaient rien à cela, il aurait voulu attendre encore pour ça.

Sa queue fouetta l’air d’un coup sec tandis qu’il fit volte-face, fixant son regard là où se trouvait l’adolescent. Inspirant un grand coup, il s’assit lourdement au sol, l’air aussi sévère que contrarié. Il pouvait paraitre furieux, mais au fond de lui, il avait surtout peur qu’Arelan ne soit emporté par cette folie.
 
-Maintenant que tu sais, peut-être me fera-tu « l’honneur » de m’en dire d’avantage sur tes « exploits », lança-t-il sans préambule d’un ton sec et plein d’ironie.

Le visage du jeune était totalement dénué d’émotions, trop.  Chose qui lui rappela douloureusement d’autres personnes, celles qui avaient péries en emportant leur orgueil, à moins que ça ne soit cela qui ait causé leur perte…
 
-J'imagine qu'Hirondelle a parlé *sigh* s'était prévisible. Et bien j'imagine que par "exploit" tu parle de mes entraînements. Well... c'est assez flatteur ! Et bien oui, je m’entraîne! Seul. Vitesse, force, endurance, agilité, stratégie...mental. Tout. Tout ce qui peut être utile au combat. Tout ce dont j'ai besoin.
 
Cette phrase le fit se décomposer brièvement, Hirondelle, qu’avait-elle à voir la dedans ? Passé ce bref étonnement, ses crocs se dévoilèrent une fois encore, dénotant un agacement plus que prononcé.
 
-Hirondelle ? En quoi est-elle liée à cette affaire ?
 
Sa queue fouetta l’air alors qu’il comprit, cela expliquait l’étrange attitude de certains.    
 
-Mais je n’ai besoin de personne, tu m’as bien entendu ?! PERSONNE ! Pour savoir ce qui se passe Arelan ! Tu crois quoi !?! Que je n’ai pas eu cette sotte idée avant toi peut-être ? Fit-il furieux.

Oh que oui il l’avait eu cette idée, retrouver le meurtrier et le réduire en morceaux, être plus fort pour cela. L’inexorable gouffre sans fin de la haine, il s’en était fallu de peu pour qu’il ne soit précipité dedans.
 
-Ce foutu orgueil des grandes meutes du sud, toi aussi tu ne le lâcheras pas, j’me trompe ? Sa voix se brisa sur ce dernier mot avant de reprendre. Mais vois-tu au moins ce que cela fera de toi ?
 
Tournant la tête de côté pour ne pas qu’Arelan le voit, il serra les dents, retenant ses larmes. Il avait déjà beaucoup perdu, l’idée que le jeune puisse disparaisse à son tour lui était insupportable.

Kerran le laissa parler, croyant presque entendre le louveteau qu’il avait été. Mais quelque chose différenciait les deux mâles : Kerran avait su trouver les mots pour détourner son ressentiment mais surtout l’envie de ne pas tomber dedans.
 
-Pff !!!!! Et tu crois y arriver ainsi ? Fit-il en le désignant d’un geste de la tête.

Ill lui lança un regard noir, mais surtout résigner. C’était allé trop loin, il ne pourrait détourner Arelan de cette voie, plus de demi-tour possible à ce stade. Le roux ne pouvait qu’admettre son impuissance, enfin non, il ferrait bel et bien quelque chose pour lui.

Fonçant tout d’un coup sur l’adolescent, il le renversa sur le dos, posant ses pattes de part et d’autres de sa tête. Il voulait qu’il comprenne, il ne le laisserait pas foutre sa vie en l’air comme ça. La queue haute, il colla presque sa truffe à celle du gris, avant de lancer.
 
-Tu as parfaitement vu les cicatrices qui couvrent mon arrière-train, je ne peux bouger à ma guise, hors je viens de te renverser… Tu es aussi fort que malin Arelan, mais ton adversaire aura l’avantage de l’expérience et tes simulacres d’entrainement ne peuvent rien contre CA… fit-il en insistant sur le dernier mot.

Il s’écarta avant de reprendre, contournant le jeune tout en le fixant comme un professeur le ferait avec son élève.
 
-Mais « Il » n’a que l’expérience d’un loup de meute dépendant surtout des autres pour se défendre, pas celle du solitaire qui a appris à se servir au maximum de ce qu’il sait pour le retourné contre son adversaire. Ce que tu m’as cité là, ce ne sont que des capacités qu’ « Il » aura déjà, apprend au moins TOUT ce qu’il y à savoir avant de prétendre pouvoir arrivé à tes fins. Qu’as-tu pu noter de lui ? Il leva un sourcil curieux en attente de la réponse.

Il avait retrouvé son calme apparent durant cette dernière tirade, s’il ne pouvait empêcher Arelan de se venger, il pouvait l’aider à en apprendre d’avantage afin de terrasser son adversaire. Cette idée ne lui plaisait pas mais il ne voulait pas que le jeune meurt. Il l’entrainerait donc pour augmenter ses chances de survies.

Bien que furieux contre lui, l’adolescent sembla accepter son aide, tentant de faire resurgir de douloureux souvenir. Kerran observa chaque mouvement du jeune, chaque réaction, tout cela ramenait à une dure réalité. Il le suivi cependant lorsqu’il s’approcha de la falaise, prêt à le rattraper en cas de problèmes.
 
- Bon résumons. Je ne me souviens de rien et lorsque j'essaie, je frôle la crise de démence. Tout ce dont je me rappelle, c'est d'un pelage gris, voix éraillée yeux mordorés... ça nous mène loin tout ça.
 
-Plus loin que tu ne le pense Arelan… contesta-t-il. Surtout cette voix que tu décris comme « éraillé », il y a trois causes principales à cela, choses qui pourraient te permettre de prendre l’avantage…
 
Il s’assit, son oreille tiqua, subissant encore le contre coup de l’énervement.
 
-Premièrement : l’âge, ton adversaire est alors beaucoup plus expérimenté, mais plus il est âgé, plus le temps aura fait de dégâts. L’arthrose en fait partie, plus elle est avancé, plus il sera handicapé dans ses mouvements. Il sera plus hésitant, moins rapide, ses membres plus raides voir peut-être déformés. Ses sens seront moins affutés et plus faciles à tromper.
 
Il inspira un coup, redevenant le guérisseur qui accompagnait Nora.
 
-Deuxièmement : une déformation, ça peut toucher seulement les cordes vocales mais souvent la respiration en est affectée. Il s’essoufflera plus vite, s’il ne maitrise pas bien sa respiration il pourrait subir des vertiges plus ou moins importants…
 
Son regard divagua sur la nature environnante, se posant sur diverses plantes avant de retourner sur Arelan.
 
-Troisièmement : la blessure, c’est le cas qui pourrait être le plus intéressant. Une blessure ayant causé un éraillement de la voix aura à coup sûr causé d’autres dégâts, il pourrait ainsi être plus sujet au torticolis, chose qui ne manquerait pas d’arriver si tu le force à faire des mouvements brusques de la tête…
 
Se relevant, un large sourire amusé se dessina sur ses babines.
 
-Mais surtout, ces loups de l'Ouest ont pour la majorité un énorme défaut : plus superstitieux tu meurs. Ri-t-il doucement. Mère n’a certainement pas eu le temps de tout me raconté, mais il n’est pas difficile de comprendre que certains seraient prêts à se ronger une patte plutôt que de faire certaines choses. En tiré partit sera un jeu d’enfant…

-Tu as l'air d'en savoir beaucoup sur le meute de mon père...
 
-Je dirais plutôt sur celle de ma mère… éluda-t-il simplement.

Chose plus précise, sachant qu’il tenait ces informations sur la meute d’Arelan, de sa mère, qui les tenait elle-même de loups migrants. Mais la superstition était malgré tout un fait certain.
 
-Bien, quel que soit le point faible dont soit affecté ce bâtard, compte sur moi pour m'en servir, bien évidemment. Il va regretter d'avoir attaqué les MacDuncans, celui-là !
 
C’est lorsque l’adolescent attrapa l’une de ses pattes pour la mordiller que le roux tiqua à nouveau, il se fichait de lui ou quoi ? S’il croyait qu’il ne le verrait pas il se fichait gravement la griffe dans l’œil.
 
-En parlant de soins...Serait possible que tu m’apprennes le strict minimum ? Désinfecter, stopper une hémorragie, bander une plaie...peut-être un ou deux calmant, au cas où...
 
-C’est l’une des premières choses que je comptais t’enseigner… lâcha-t-il d’un air sombre en grinçant des dents.

Il s’exhorta au calme, inspirant profondément pour éviter de se précipiter sur l’adolescent. Avançant avec un calme plus menaçant qu’autre chose, approcha sa tête de celle d’Arelan avant de plisser les yeux.
 
-Ai-je tort de supposer que la « squatteuse » sur ton coussinet à beaucoup d’autres copines ?
 
Ou la tentative désespéré d’humour pour s’éviter, une nouvelle ou plutôt trop importante, prise de tête. Il s’assit, sa patte avant gauche commençant à s’agiter et labourer le sol de façon nerveuse, seul défouloir convenable qu’il ait trouvé.
 
-Mais la chose pour laquelle je ne peux que supposer est bien sur la manière dont je me suis occuper de toi… il soupira en hochant la tête. Te parler avec plus de franchise aurait certainement été bien mieux pour toi, mais j’avais bien trop peur d’empirer les choses…

Kerran du user de bons vieux exercices de respiration pour se calmer, l’attitude nonchalante de l’adolescent face à sa propre santé avait le don de l’énerver plus encore. Un petit coup de museau contre son épaule le sortit de ses pensées, l’un des rares gestes affectifs d’Arelan.

-Kerran, toi et Lonely avez pris de soin de votre mieux, j'en ai conscience. J'ai aussi conscience de ne pas être un cadeau...d'être loin d'en être un ! Je n'ai rien dit et je ne dis rien. C'est mon choix...c'est ma manière de vous garder loin de tout ça.

Le roux secoua la tête marmonnant d’exaspération de manière totalement inintelligible.

-Mais bon, la franchise n'a jamais été notre fort, n'est-ce-pas ? ~

L’adule se figea tandis que l’allusion à peine déguisée se frayait un chemin dans son esprit.

-Toi et moi...nous avons...nos petits secrets ~ ! Et nous les gardons coûte que coûte.

Toute la fourrure de son dos se hérissa tandis que ses crocs se dévoilèrent, pour le coup il avait réussi à le mettre de nouveau en colère. Un grognement furieux s’éleva de sa gorge.

-Est-ce là une menace Arelan Fergal Liam MacDuncan ? Siffla-t-il entre ses crocs. Que crois-tu ? Que je tiens tant à mes secrets que je laisserais un des membres de ma famille aller droit à la mort ?

Il le foudroya du regard, expirant tout à coup tout l’air contenu dans ses poumons, s’approchant du jeune et fixant les yeux dans les siens.

-Que ce soit bien clair, commença-t-il d’une voix menaçante, tu n’iras nul-part tant que JE n’aurais pas estimé que tu sois prêt à survivre à ce qui t’attend. Les plantes,  le combat et tous les points sensibles à viser, se dissimuler, modifier ou atténuer ton odeur, et tout le reste. TOUT ce dont TU auras besoin. Et ne compte pas partir où que ce soit avant de l’avoir appris ou je te promets que je te ramènerais en te trainant s’il le faut…

Il aboya de mécontentement et de détermination mêlée, il ne négocierait pas là-dessus.

-Nous commencerons demain à l’aube, il grinça des dents, j’ai pas mal de choses à mettre au point avant… Des questions ?

Quel ne fut pas l’étonnement du roux quand le plus jeune prit une attitude de déférence, l’adulte s’attendait plutôt à une nouvelle provocation ou tout autre chose du même acabit.

Cette preuve de bonne volonté eue raison des dernières traces de colère, lui faisant reprendre l’air serein qu’il arborait en temps normal.

-Juste deux. La première : t'es sûûûûr on peut pas commencer plus tôt ? Même un tout petit peu ? Ah et il faudra que je te montre mon "camp".

L’évocation de ce dernier point semblait poser problème…

-Question n°2 : Tu comptes tourner autour du pot avec Lonely ? Elle est plus attentive à ton état que moi...et elle est morte d'inquiétude.

Il sembla se ratatiner sur lui-même, comme s’il avait peur de déclencher une nouvelle fois les foudres de l’adulte.

-Être franc avec elle sera peut-être la meilleure solution, ce n'est plus un louveteau. Enfin, moi, ce que j'en dis...c'est ton corps, c'est ta vie, ce sont tes décisions.

L’adulte soupira à son tour, semblant se perdre dans la contemplation du paysage environnant. En fait, c’était plus dans ses souvenirs qu’il était plongé, les mots de l’adolescent l’ayant renvoyé à son propre désarroi face au silence de sa sœur.

-Si l’on commence maintenant, cela ne pourra être que du théorique… je ne peux me lancer dans un entrainement tête baissé, ça serait l’immobilisation à coup sûr  pendant un moment…

Son esprit divagua brièvement, explorant les diverses solutions possible à son problème. Car solution il y avait, comme souvent, mais cela nécessitait un peu de temps.

-Pour Lonely, comme pour toi d’ailleurs, je comptais réellement vous l’annoncer… il me fallait juste du temps quant au « comment ». Donc… il soupira, je suppose qu’il est largement temps…