Une petite fleur.

Encore un nouveau jour qui se lève sur les terres Inariennes. Et encore un de ces maudits jours où Wagtail partirait chercher Icepaws ou quelconques traces d'elles ou un signe pour le guider, pour qu'il la retrouve enfin. Il voulait à tout prix qu'elle revienne, il ne fallait pas qu'il perde espoir, c'était trop important, pour les enfants, sa famille, pour lui. Non, il devait continuer à chercher. A tout prix.

Il cherchait tellement minutieusement qu'il parcourait tout le territoire en une journée, en partant tôt et en revenant au couché du soleil. Il ne trouvait presque plus le sommeil. Il était fou d'inquiétude. Fou d'amour aussi, mais fou d'inquiétude. Pourvu qu'il la retrouve bientôt. Les enfants avaient besoin d'elle ! Lorien ne disait rien, il restait dans son coin, il parcourait un petit bout de territoire de temps en temps et quand on lui adressait la parole, il haussait les épaules, simplement. Wagtail voyait au combien son fils souffrait de l'absence de sa mère. Il avait peur qu'il lui arrive quelque chose ou qu'il cherche à faire une bêtise. Quant à Siemy, elle était malheureuse comme les pierres et le montrait. La peine de Wagtail n'en était que plus grande encore. Son cœur se déchirait jour après jours, bientôt ce serait sa poitrine et on allait pouvoir voir son sang couler et bouillonner et son cœur exploser et il partirait en éclats lui aussi.

Bientôt il arrivait près du lac. Avec un peu de chance, elle allait être là ?...
Écrasant les galets et le sable, il huma l'air. Rien, aucune trace, pas même une ancienne. Et si il avait finalement oublié l'odeur de sa compagne et qu'il ne la retrouverait jamais ? Non, impossible. Il ne pouvait pas oublier cette odeur boisée, une odeur de pin, de graines de pavots et peut-être même un peu d'orchidée ou tout autre fleurs parce qu'elle en cueillait à Siemy de temps en temps.
Il s'avança vers l'eau et y trempa une patte. Il vit dans l'onde le reflet déformé du ciel nuageux. Une odeur d'orage planait dans l'air, accompagnée de pluie. Wagtail laissa tomber son postérieur sur le sable quand il sentit un vertige. Et si il ne la retrouverait jamais ?

Ses yeux s'embrumèrent de larmes. Il renifla et se frotta un œil avec le dos de la patte, mais il ne put retenir ses larmes qui dégringolèrent sur ses joues pour s'écraser sur le sable déjà humide.
- Ça fait mal comme ça de perdre espoir, alors ? Pensa-t-il pour lui à voix haute. Il se remémora le jour de sa rencontre avec Ice. Elle avait perdu espoir, ne pensant même pas passer le second assaut, alors que lui était gai comme un pinçon, sautillant joyeusement çà et là. Il comprenait désormais ce qu'elle avait ressentit ce jour là. C'était quelque chose de nouveau pour lui, il ne savait pas si il devait être effondré ou s'il devrait paniquer ou encore si il devait entrer dans une colère noire, tout détruire sur son passage, devenir incontrôlable.

Le temps était maussade.
Le ciel grondait d'une façon très menaçante. Comme les pierres, le ciel se parait d'un manteau gris épais et cachait entièrement le soleil, qui ne filtrait plus que partiellement et donnait une teinte blanche aux nuages à certains endroits. Aveuglante, la lumière blanche lui faisait mal aux yeux. Ses yeux eux n'étaient pas gris, autour du violet de ses iris, un rose teintait sa sclère, les vaisseaux étaient visibles, rougit par les larmes à vrai dire. Elle pleurait souvent, à chaque détail qu'elle croisait qui lui rappelait sa mère. La petite parait ses cheveux de fleurs, dans l'espoir d'être un peu plus guillerette. Elle oubliait ainsi quelques instants sa peine. Elle se mettait ensuite à la recherche de tout et n'importe quoi, errant comme un petit fantôme perdu dans le néant qu'était son esprit. Elle ne pensait plus à grand chose, si ce n'était parfois à sa peine, mais comme si son cerveau avait été vampirisé, ou bien sous morphine... Elle se sentait lente, lente et vide.
Elle n'avais pas eu l'impression de perdre que sa mère.
Elle avait égarer son père dans la bataille. Enfin, quelle bataille ? Il n'y en avait pas, elle s'égarait elle aussi.
Mais qu'était devenu son père ? Tout ce qui le caractérisait était parti en même temps que sa mère. Le pelage de Wagtail avait ternis à vue d’œil, sa bonne humeur si féconde et si contagieuse n'était plus qu'un rêve évaporé. Quel était l'état de son père ? Elle ne connaissait pas les mots, mais elle l'aurait bien jugé disparu lui aussi. Pas son corps, mais son esprit. Oui, son esprit et son cœur étaient bien loin, perdus entre deux spires et entre deux gouttes d'eaux.

Gouttes d'eaux qui commencèrent à s'abattre sur le sol.
L'automne commençait, et la jeunette ne l'était plus tant. Siemy grandissait, et poussait de jour en jour. Sa taille n'était pas la seule chose qui évoluait, son tempérament changeait timidement aussi, sa bonne humeur faisait place à un chagrin immense. Ses deux mondes violets s'embuaient de liquide salé chaque fois que le nom d'Icepaws revenait dans la bouche de quelqu'un ou quand une fleur lui rappelait celle qui ornait la sacoche de sa mère adorée. Siemy n'avait aujourd'hui aucune fleur, elles étaient toutes fanées, elles les avaient donc laissées retourner à la terre. La petite s'était réveillée tôt et elle avait vu son père, partir, encore. Elle n'avais pas perdu qu'une mère, elle avait perdu son père car il partait les jours entiers, à la recherche d'Icepaws. Il se tuait toujours un peu plus chaque matin. Tout les matins du mondes, il partait, quittait la tanière, et cherchait sans cesse, jusqu'au soir. Parfois il leur ramenait une carcasse. De quoi manger. Elle baissa les oreilles. Son père s'était stoppé, elle l'avait suivit. Elle n'avait plus le coeur à le voir si triste. Elle avait pensé que si tout les deux tentaient de se remonter le moral, ça irait peut-être mieux.

Siemy sortit des bosquets, et de son petit museau, vint doucement taper dans l'épaule de son père.
Et elle enfouit doucement celui-ci dans ses poils, dans une étreinte dont elle avait terriblement besoin.
Et dont il avait surement besoin aussi, vu les larmes qui coulaient des mêmes yeux que les siens.

Oublions cette histoire de colère noire, de panique ou de grande peine. Un petit museau était venu se frotter contre l'épaule de Wagtail. Il eut un léger sursaut, ne s'entendant pas vraiment à voir sa fille débarquer. Dieu du ciel, de quoi avait-il l'air, comme ça, sur des graviers, négligé et en larmes ? Qu'est ce que sa fille pensait de lui ? Cette dernière s'était plus rapprochée, cherchant le contact, une certaine chaleur. Chaleur que Wagtail avait l'impression qu'il ne pouvait pas lui apporter tant il se sentait froid ces temps-ci. Il passa une patte par dessus les épaules de sa filles, et essuya ses larmes d'un revers de patte. Il tenta de renifler discrètement, mais il n'y parvint pas vraiment. Sa fille aussi, elle pleurait. Alors Wagtail tendit le nez vers elle pour lui lécher les joues, essuyer ses larmes. Elles avaient le goût salé de la peine, mais le chasseur s'en moquait. Ce qui lui importait, là, tout de suite, c'était sa fille, non pas ses larmes. Il colla sa joue contre le haut du crâne de Siemy, la resserrant contre lui.
Depuis combien de temps cette situation n'était pas arrivée ? Cette question le heurta de plein fouet. Si elle avait été matérielle, les dégâts auraient été terribles. Avant, ça se passait presque tout les jours, des jeux, ils chahutaient, ils riaient, se câlinaient, comme les meilleurs amis du monde, lui et ses enfants. Aujourd'hui, cette période semblait être un vague souvenir dans la tête du blond. Il passait ses journées dans la forêt ou la plaine à chercher sans fin Icepaws. Et chaque jours il revenait bredouille, sans même une piste, avec juste le faible souvenir de l'odeur de sa compagne. Son cœur se serra. Parfois, quand il rentrait, ses enfants étaient déjà endormis. Sans doutes qu'ils avaient partagé le repas des nourrices -Sweethowl connaissait bien leur famille, elle devait parfois leur rendre visite-. Et il faisait déjà nuit noire. Wagtail soupira intérieurement. Quel piètre père il faisait, incapable de rester fort, de dominer ses sentiments et son impulsion, même pour ses enfants. Si il se détruisait lui-même -Wagtail était conscient de se détruire-, il détruisait aussi sa famille. Alors il resserra l'étreinte entre lui et sa fille.

- Tu n'as pas mis de fleurs, aujourd'hui, il constata, la voix brisée. Il leva un sourire, mais il était fade, sans lumière, sans couleurs. Un sourire triste. Ce n'est pas grave, tu es toujours aussi belle ma chérie, il ajouta, essayant d'être un peu plus joyeux, sans grand succès.
A l'heure qu'il est, il ne savait même pas où était Lorien. Il ne savait pas comment se sentait Lorien. Il ne savait pas comment se sentait Siemy non plus. Qu'est ce qu'il savait de ses enfants, en cette période de deuil ? Lorien a toujours été enfermé dans ses pensées et dans sa bulle, il n'a probablement pas parlé à qui que ce soit de comment il se sentait. Mais Siemy ? Elle extériorisait, elle. Elle parlait, elle communiquait. Mais son père ne savait rien de ce qu'elle pouvait ressentir. Oh, de la tristesse, oui, ça ne fait aucun doutes. Mais à quel niveau ? Est-ce qu'elle se sentait coupable ? Si oui, de quoi ?

- Comment tu te sens ? Tu fais quoi de beau, de tes journées, hm ? Avait reprit Wagtail sur un plus ou moins franc sourire, cherchant à éviter à tout prix le sujet de son absence et de l'absence d'Icepaws. Il fallait qu'il s'excuse au près de sa fille, mais il ne savait pas comment sans lui faire de la peine ou d'avoir l'air piteux.

Une rivière de sentiments.
La petite n'entendit presque pas les questions de son père, tout n'était qu'une rivière floue de mots. Elle compris par contre qu'il demanda ce qu'elle faisait de ses journées. A cette phrase elle rompit contact et regarda son père de ses deux iris violacées. Faire de ses journées ? Journées ? Quel était ce mot déjà ? Que désignait-il, dans cette folie qui habitaient leurs deux âmes ? Les journées, ce n'était plus quelque chose qu'elle voyait passer, elle ne remarquait que la nuit quand le soleil avait entièrement disparue, et le matin ne se levait que tard, quand les rayons lui piquaient les yeux. Ses paupières trop lourdes s'ouvraient alors, et elle se levait péniblement. Déphasée, voilà ce qu'elle était en ce moment. Elle pencha doucement la tête, elle ne savait comment formuler sa réponse. Les mots se tarissaient doucement dans sa bouche alors que son esprit donnait tout ce qu'il avait pour exprimer ce qu'elle ressentait. Elle finit par ouvrir la gueule, prête à parler, mais ses phrases restaient courtes, elle était bien lasse et fatiguée.

▬ La même chose que toi, papa. Chercher maman.
Elle ferma les paupières, et reposa d'une douceur toujours égale son petit museau contre le poitrail de son géniteur. Wagtail ne portait plus tellement bien son nom, mais pour elle il resterait toujours son papa joyeux qui illuminait d'un sourire toute une assemblée. Elle savait que quand Icepaws serait là, il redeviendrait ce loup fort et dont la puissance passait par le sourire. Cette bonne humeur ne l'avait peut-être pas quitter, après tout. Elle le sentait, au fond d'elle, et au fond de lui... Tout irait mieux, bientôt.
Ou elle l'espérait.
Elle mis fin une deuxième fois à ce câlin tant attendu, et elle regarda de nouveau son papa... Son grand papa ! Elle lui offrit un petit sourire plein de candeur et d'innocence, être auprès de lui lui insufflait déjà de l'énergie. Ensemble, ils y arriveraient. Elle agita ses oreilles, ses yeux fatigués étaient vides, mais au fond il y avait une petite lueur.

▬ C'est pas grave papa si tu va pas bien, ça ira mieux !
Elle lécha doucement la joue de son papa.
Elle était fier de lui, malgré tout.

- La même chose que toi, papa. Chercher maman.
L'état de Siemy trahissait le ton qu'elle essayait de prendre. La pauvre enfant était visiblement exténuée, ou peut-être était-ce ce flot de larmes constant qui lui faisait de telles cernes. Peut-être les deux, finalement. Wagtail poussa un petit soupire quand sa fille revint se cacher dans son poitrail.
- Tu sais que je n'aime pas beaucoup que tu te promènes seule en forêt. Je fais déjà assez souvent la remarque à ton frère, il avait prit le ton le plus détendu qu'il le pouvait, esquissant même un petit sourire. Mais ses lèvres semblaient tellement lourdes, ou peut-être ankylosées, ou peut-être qu'elles avaient perdu l'habitude de sourire, ce qui expliquait la faiblesse de ce dernier.
- C'est pas grave papa si tu va pas bien, ça ira mieux !
Wagtail sentit de nouvelles larmes monter à ses yeux et il papillonna des paupières pour éviter qu'elles ne coulent. Non, ça n'ira pas mieux, pas tant qu'il aura cette obsession de parcourir tout un territoire complet, tout les jours, pour retrouver quelqu'un qui ne reviendra peut-être pas. Son cœur se serra; et si il devait aller la chercher ailleurs ? Plus loin ? Loin d'ici ?
Eh, Wagtail, ta fille est avec toi.
- Je... Je suis désolé, ma chérie, et il lui lécha doucement le haut de la tête. Tu sais que toi et ton frère je vous aimes beaucoup - énormément - plus que tout au monde. Et je suis désolé de te faire de la peine, et je suis désolé que tu ais de la peine - que VOUS ayez de la peine, en partie par ma faute, retenir ses larmes fut un énorme effort de la part de Wagtail, mais finalement sa voix se brisa vers la fin. Il renifla, déglutit, battit des paupières une fois de plus. Puis il éclata d'un léger rire, sans grande raison apparente. Mais il se posa vite la question si c'était un rire ou un cri secoué par des sanglots. Probablement les deux, mais il s'efforça de sourire pour dissimuler toute trace de peine sur son visage. Il regarda sa fille, ses yeux, son museau, ses cheveux. Mais toi alors, qu'est ce que tu es belle ! Et il rit légèrement de nouveau. On pouvait lui pardonner ce changement de sujet soudain et sans intérêt. On aurait put tout lui pardonner, dans l'état où il était.