Les pierres, c'est traître (Pv Hirondelle)

Une masse de fourrure rousse s’engagea sur le col, montant tranquillement, jetant de brefs coups d’œil par-ci par-là. Ces paysages désormais familiers n’avaient pas réussi à lasser le mâle, au contraire, il les adorait pour ce qu’ils représentaient.

Kerran était trop heureux d’avoir enfin trouvé une place dans une meute pour penser pouvoir en partir un jour, la présence rassurante des membres du Vallon conjugué à l’enthousiasme de Lonely l’avait conquis. Son poste de garde lui permettait de divaguer ainsi dans ces territoires, chose qu’il aimait aussi beaucoup.

*Crac !!!!*
 
-Waaaah ?!?
 
*Boum !*

Et une gamelle ! A force de rêvasser, le croisé en avait oublié de regarder où il mettait les pattes, la chute d’une pierre avait entrainé la sienne. L’air hagard et les quatre fers en l’air, il ne put qu’imaginer la tête qu’il faisait, le faisant rire de lui-même jusqu’à qu’une présence lui fasse tourner la tête.
 
-Ha … Bonjour Hirondelle, fit-il surprit.

Roulant de côté, il se remit sur ses pattes, s’ébrouant et passant un rapide coup de patte sur sa tête pour remettre un tant soit peu sa fourrure en place et en enlever les saletés. Il devait avoir l’air d’un sacré clown.

« Jolie chute, mais je doute que ce soit ainsi qu'on attrape les lézards. » gloussa-t-elle en lui donnant une tape sur l'épaule.
 
-Effectivement, pour le coup je suis descendu plus vite qu’eux, tenta-t-il de plaisanter.

Pour la dignité, c’était plus que loupé, la chute lui avait laissé quelques égratignures çà et là. Le roux remarqua soudain la grimace de la demoiselle, puis, l’éclat de gravier qui gênerait un mince filet de sang. Ses réflexes de guérisseurs ressurgirent soudain, le faisant s’approcher pour examiner la blessure.
 
« Ah mince. » grogna-t-elle sans pouvoir rien y faire. « Ch'uis bonne à manger du foin moi maintenant. » 

-Hmmm, fit-il songeur. C’est une blessure certes douloureuse mais bien soigné ça passera vite, il faut juste …
 
Il scruta les alentours, à la recherche d’une quelconque plante pouvant aider. Plante se trouvant à quelques mètres plus bas. Il descendit prudemment pour la cueillir avant de revenir vers la blessée et de poser la plante à ses pattes.
 
-Laissez-moi faire, je vais vous arranger ça, fit-il confiant.
 

« Heum... Tu vas devoir m'aiguiller car je ne sais absolument pas quoi faire. J'les mange ? »
 
-A moins que vous vouliez devenir végétarienne, non, fit-il amusé. Je pensais plutôt m’en servir pour désinfecter et protéger la plaie une fois l’éclat retiré…  
 
Visiblement quelque peu soucieuse de ses capacité à la soigné, elle reprit sur un ton malicieux :
 
« Depuis quand tu connais la différence entre une tige de chardon et des baies de houx ? Je croyais que tu étais garde. »
 
-Hermm …. Ouais … J’ai comme un doute du coup … cette plante est peut-être pas l’antiseptique mais celle provoquant la gangrène du membre exposé, fit-il l’air perdu.

L’air de rien, tête baissé comme s’il tentait de se rappeler, il attendait la réaction de sa collègue, en général ce genre de blague c’était ou tout ou rien. Il partit ensuite d’un grand éclat de rire.
 
-Naaannn, je plaisantais ! Avoua-t-il l’air un peu plus sérieux. J’étais une sorte de guérisseur ambulant : je restais avec ceux ayant besoin de mes services avant de reprendre mon chemin. C’est bien après que j’ai rejoint le Vallon en tant que garde.
 
Attrapant avec délicatesse la patte d’hirondelle, il entreprit tout aussi précautionneusement d’extraire l’éclat de gravier pour éviter trop de douleur ou simplement d’empirer la plaie. Il ne lui fallut que quelques secondes pour cela et ensuite désinfecter à l’aide de la sève de la plante et d’en enrouler autour de la patte en guise de protection.
 

Posant doucement sa patte au sol pour tester, la demoiselle lui adressa un sourire ravi, visiblement satisfaite de son travail.
 
« Merci b'in ! » s'exclama-t-elle, en rajoutant l’air de rien. « Tu crois que ça pourrait passer auprès de la meute comme un accident du travail et que je pourrais louper un jour ou deux de garde, dis ? »
 
Il rit, elle ne perdait décidément pas le nord, le roux hocha cependant la tête.
 
-Aujourd’hui au moins et peut-être demain suivant l’état de la plaie, fit-il réaliste. Même protégé, si la croute recouvrant la plaie n’est pas assez solide ou si c’est infecté, cela risque d’enflammer tout le coussinet et de rendre la marche difficile.
 
Beaucoup pensaient qu’une telle blessure était anodine, mais le milieu et le poste de la femelle pouvait empêcher la plaie de cicatriser correctement, à force une réelle gêne pourrait naitre avec des conséquences au quotidien.
 
-Une cicatrisation trop longue ou mal faite pourrait fragiliser votre coussinet, en comparaison de ce qui pourrait arriver quelques jours de repos sont bien négligeables…

« En gros, ça veut dire que je peux rallonger mes heures de fainéantise ? Eh bien, je devrais me blesser plus souvent, c'est bien plus drôle ! Donc deux jours de guérison... Chouette, même Coldsnap ne trouvera rien à me redire ! »
 
La manière de la louve de tirer la langue et de la pincer entre ses dents l’intrigua, elle semblait toute joyeuse de sa réponse, la raison à cela lui échappa légèrement. Certes cela  lui permettait de prendre plus de repos mais à ce point… allez comprendre. Elle s'assit devant lui, visiblement curieuse.
 
« Mais dis-moi, tu ne voudrais pas devenir le guérisseur du Vallon ? Je veux dire, LE guérisseur, ze guérisseur. T'aurais un rang hors du commun, ça serait chouette. Enfin... T'as l'air fort aussi pour faire garde, mais au final, tu ne voudrais pas faire ce qui te plairait ? » 
 
-J’avoue qu’avoir un poste de guérisseur me plairait beaucoup… mais dans l’immédiat la meute à surtout besoin de garde et de chasseur, la meute n’en est qu’à son début. Je suis certain qu’avec le temps plus de rangs seront disponibles…
 
Il hocha la tête, il espérait vraiment que ce changement arriverait. De toute façon, il savait pertinemment qu’un jour malheureusement trop proche,  il ne serait plus en mesure d’assumer le rôle de garde. Un pli soucieux barra son front l’espace de quelques secondes avant qu’il ne s’aperçoive qu’il c’était perdu dans ses pensées.
 
-De toute façon, le fait qu’il y ait des guérisseurs même non-officiels dans la meute commence à être connu. Faut’ dire qu’il y a pas mal de manies qu’on a qui finissent par nous grillé, rigola-t-il. Y’a déjà quelques personne qui viennent nous voir pour des p’tit soucis de santé, à force on finira plus ou moins avec deux postes ! S’éclaffa-t-il joyeusement.

« Enfin, si tu veux devenir guérisseur, ça te permettra de devenir plus polyvalent. Moi je sais que je ne suis bonne qu’au combat, je resterais garde toute ma vie... Et ça me plait. Bon, y’a bien ce grincheux de Warbound, mais au final, on a plutôt la belle vie. Espérons que tu sauras soigner les rhumes de certain l’hiver arrivé. »
 
-Les rhumes ne devraient pas trop poser de problème, rit-il. Si tu aimes ce que tu fais c’est le plus important… être garde ne me déplait pas, j’aime pouvoir parcourir ces montagnes à ma guise, cela me rappelle ma vie de solitaire.
 
Il sourit, légèrement nostalgique, il y avait tout de même eu de sacré bon moments durant cette période, malgré le poids du deuil. Par moment cela lui manquait, mais sa vie actuelle avec Lonely et ceux de Vallon lui plaisait bien plus encore. Il pouvait enfin laisser libre court à ses rêves.
 
« C’est bien calme » marmonna-t-elle. « J’ai jamais été habituée à un tel silence et une telle paix, ça me fait tout drôle. Tu penses que ça va durer longtemps comme ça ? Je veux dire... Tu penses que nous vivrons toujours dans cette même paix ? »
 
-Je l’espère… fit-il songeur. Je suis las des morts et de l’agressivité, la folie n’a que trop duré… les évènements des dernières saisons auront peut-être fait réfléchir certain… j’ai l’impression que la majorité des membres de ce clan ont été bien plus touché qu’il n’y parait par diverses guerres… ça m’étonnerait beaucoup qu’ils décident de s’y jeter à nouveau tête baissée…
 
Il voulut sourire à sa collègue, cependant, le roux ne put retenir la vague de tristesse qui parcouru son visage. L’éventuelle perte d’un autre être cher le terrifiait, subir cela à nouveau signerais à coup sûr un aller simple vers la folie… ou bien la mort.

Un frôlement le fit sortir de ses pensées bien sombres, lui faisant à nouveau posé le regard sur sa collègue.
 
« Allez, va. Te fais pas de bile. Et si on patrouillait, tiens ? Ça nous fera les pattes et je vais pouvoir endurcir mon coussinet blessé ! »
 
-T’as raison… dit-il distraitement.

Un éternuement lui échappa lorsqu’Hirondelle lui passa le bout de la queue sous le museau, voulant certainement le pousser à réagir. Enfin revenu complètement à lui, il s’aperçu qu’il tutoyait sans problèmes sa collègue, une première pour le roux.

Relativement timide malgré les apparences, tutoyé un de ses ainés lui semblait impossible, ne parlons même pas de la gente féminine ! Il était plutôt rare qu’il discute aussi facilement avec une femelle, l’arrivé de Lonely en avait été que plus rocambolesque, sa nièce le lui rappelait encore régulièrement.
 
« Allez, hop, hop, hop ! »
 
Une lueur espiègle alluma son regard tandis qu’il se relevait précautionneusement, la chute ayant réveillé les douleurs de ses pattes, ayant envie de tester l’une des blagues préféré de Lonely. Se précipitant soudain un peu plus en amont de la louve, il déclencha la chute de nombreux petits cailloux.

C’était sans danger, la femelle ne risquant pas de tomber ni de se blessé, mais cela n’en était pas moins impressionnant, la merveille des illusions d’optique. Il laissa échapper un rire amusé avant de commencer à courir tranquillement, se doutant qu’Hirondelle n’allait pas apprécier sa petite blague.

Courant ainsi le long du chemin, le roux oublia un instant tout le reste, profitant de la sensation du vent ébouriffant sa fourrure. Il courrait tranquillement, sans forcer l’allure, le relief l’en empêchait de toute façon. Pourtant, sa collègue se fit distancé, il aurait pourtant parié qu’elle l’aurait rattrapé aves ses puissantes pattes.

S’arrêtant enfin au bord du chemin, ils reprirent tout deux leur souffle. Kerran avait quelque peu perdue l’habitude de courir ainsi entre le moment où il avait retrouvé Lonely et celui où ils avaient intégrés le Vallon. En comparaison, sa nouvelle vie était vraiment pépère, il ne put s’empêcher de penser qu’il se ramollissait.
 
« Bon t'as gagné, mais au combat, j'te parie un mois de patrouille à l'aube que je te bats ! »
 
-Si ça ne te dérange pas je déclare forfait, chez moi le combat vise surtout à se carapater le plus vite possible, s’esclaffa-t-il. Et puis, si j’me bats contre toi, c’est moi qui aurais besoin d’un mois de convalescence…
 
Courir pour éviter le massacre, il l’avait toujours fait, rares étaient les fois où il c’était vraiment battu. Même lorsqu’il n’y avait aucune autre échappatoire, il cherchait en premier lieu à sectionner un tendon pour s’assurer une fuite.
 
-Mouais… marmonna-t-il. Ça n’a jamais été mon fort, trèèèèèèèèsssssss loin de là ! Il pouffa à l’idée d’un combat avec Hirondelle.

« Moi j'aime bien me battre. Enfin, même pour rire. Mais je ne gagne pas toujours, hein. Faut l'avouer, j'suis pas bien fute-fute, j'ai juste des dents de gros méchant loup pour faire beau sur la cicatrice de guerre. »

Le roux hocha la tête, chacun ses gouts après tout. Mais même pour rire, il préférait éviter la bagarre, trop risqué dans son cas.

« Oh ça me donne une idée ! Je te propose... Je t'apprends à faire très mal avec tes dents et tu m'apprends les rudiments de la médecine ! Les autres pensent que j’ai une caboche vide, ben je vais leur prouver le contraire ! »

-Haha, rigola-t-il,  nous deux on va faire un sacré duo. Mais je dois te prévenir : je suis un combattant exécrable, même mes sœurs de portée me battaient toujours…

Il rit en y repensant, il n’était plus à une raclée prêt, même par une femelle, sur ce point il était plutôt blasé. Il reprit cependant bien vite son sérieux.

-Mais… surtout… comment dire ? J’ai… quelques soucis de hanches, il grimaça face à son propre aveu. Il y a malheureusement  des chances pour que mes pattes arrières se « bloquent » donc…

Ce genre d’activité le tentait beaucoup, mais y participer à fond n’était pas vraiment une bonne idée, les risques pour que la louve soit obligée de l’aider à se relever était plutôt importants.

-J’ai pas vraiment mit les autres au courant… donc si tu pouvais garder ce détail pour toi… ça serait vraiment gentil, tu comprends… j’veux pas affoler tout le monde tant que j’ai pas vraiment cerner ce que j’ai, fit-il gêné.

« Motus et bouche cousue ! » fit-elle en mimant une fermeture éclair au niveau de sa gueule.

-Merci, fit-il soulagé.

Au moins ça de bien, la grise n’était visiblement pas du genre à  rompre une promesse comme cela. Il savait bien que le moment d’avouer son problème arrivait, mais le roux estimait qu’il était encore trop tôt. Hirondelle bailla et murmura :

« Mais si on s'entraine maintenant, c'est moi qui vais être bloquée. On se battra plus tard si tu veux, on va pas tarder à rentrer en plus... »

Ses sourcils s’arquèrent de surprise quand il constata le temps passé, pour lui, tout cela n’avait duré au plus que quelques minutes.

« Tiens, en marchant, tu pourrai m'apprendre comme guérir les infections aux pattes ! Enfin un savant au Vallon ! On allait désespérer ! »

Il rit de bon cœur avant de répondre avec une pointe de malice.


-Un ? Je ne suis pourtant pas le seul… mais j’avoue que se servir de cette science pour observer les pattes des jolies demoiselles d’ici, ça, je suis bien le seul à le faire !

Un air malicieux semblable à celui d’un louveteau se peignit sur ses traits, à dire vrai, il avait l’impression de retomber en enfance, ce moment où toute sa famille était encore en vie. Oubliant à cet instant toutes les choses négatives, il laissa définitivement de côté ce masque inexpressif dont il s’affublait si souvent, redevenant le louveteau d’antan.