Pris au piège.

- G-Guns...?
Pas de réponse. Il se contenta de dresser la tête, le regard indicible. Ses oreilles étaient plaquées contre sa nuque, et ses flancs se comprimaient et se gonflaient par rythme saccadé. D'un brusque mouvement de la tête et en ouvrant la gueule, il relâcha quelque chose de filiforme, qui retomba au sol dans un écho sonore. Le silex du collier roula sur la pierre en cliquetant, s'arrêtant aux pattes de Mistyshine. Si elle venait de sortir de l'eau, lui, même si ses flancs frangés détrempaient, semblaient être parfaitement sec de la tête aux épaules. En tendant l'oreille, on pouvait entendre sa respiration rauque, lente, très lente, dissonance oculaire quant au mouvement saccadé de ses flancs.

- Où sommes-nous...? murmura tout bas Mistyshine, manifestant son besoin de réconfort. Gunthaer la savait vulnérable et se savait capable d'en abuser, mais dans ses yeux ne brillait aucun amusement. Pas même l'indicible éclat qui y était lorsqu'il cogitait. Ses préoccupations étaient ailleurs. Il se tenait loin, dans la pénombre de la grotte, distancé de la cuve d'eau. Il analysait. Son regard était dénué d'émotion, comme l'objectif d'une caméra, qui coulissait autour, à la recherche d'un indice, d'une sortie, d'une maigre poussière d'espoir. Son constat fait, il ferma les yeux, sans toutefois dresser les oreilles, ou la queue, ou ponctuer sa phrase d'un ton mélodieux habituel.
- ....Probablement à Oerba. Un ton monocorde, sévère. Une réponse sèche. Il n'avait toujours pas bougé, son regard fixé sur la paroi de leur dôme de pierre, de l'autre côté de la cuve. Son esprit analysait le futur. Qu'est-ce qu'ils mangeraient. Se supporteraient-ils? Est-ce qu'ils la tuerait? Il réfréna un soubresaut d'hostilité. Non. Pas maintenant. S'il la tuait, il allait se retrouver seul avec lui-même. Il avait besoin d'elle. Il devait s'en servir comme palliatif.
- Définitivement à Oerba... ajouta-t-il après un moment, la voix louvoyant vers des octaves de plus en plus graves, s'éloignant de ses notes androgynes habituelles.

- Je vais chercher une autre sortie. lança la voix déterminée de Mistyshine, qui louvoyait entre la peur, la désir de fuir et le désir de se faire réconforter. Elle se leva même sur ses quatre pattes, entreprenant de trouver un endroit qui pourrait les tirer hors de cette prison de pierre. Gunthaer se manifesta, sans tourner la tête vers elle, toujours allongé dans l'ombre. Les épines de sa fourrure semblaient s'être dressées.
- C'est inutile, se contenta-t-il de souffler avec lassitude, haussant ses épaules. Sa voix paraissait calme et imperturbable, comme s'il se contentait de souligner l'évidence.
- Quand bien même tu réussirais à percer un trou dans la paroi de ce... cette prison, tout ce que tu ferais serait la remplir d'eau, et nous noyer au passage.
Son corps toutefois était secoué de spasmes nerveux, et ses yeux semblaient frétiller de terreur. Son ton et sa voix paraissait désabusés:
- Rends toi à l'évidence: à moins que ta breloque ne soit magique et soit capable de faire taire ce courant, nous sommes coincés ici.

Mistyshine avait préféré nier la vérité au profit dune nouvelle ardeur. Elle tournait le dos de l'autre loup, sans noter ses spasmes ou sa respiration lente. Ou ses pupilles en myosis. Ou sa fourrure qui commençait peu à peu à se hérisser, découpant sa silhouette dans l'obscurité de la grotte sous-marine.
- Moi, au lieu de m'apitoyer sur mon sort, je cherche un moyen de sortir de là. La tête de Gunthaer se tourna d'un bloc vers Mistyshine.
- Il n'y en a pas ! vociféra-t-il avec force, dévoilant ses crocs d'un retroussement fugace des babines. Ses griffes se crispèrent au sol.
- Il n'y a pas de tunnel, il n'y a pas de coulisses, pas de brèche ( son débit s'accéléra ) pas de couloir secret pas de puits mis à part cette cuve et on ne peut pas traverser le courant à moins de posséder des NAGEOIRES. Il reprit son souffle. L'eau de la cuve est salée, y a rien à chasser et la nuit sera glaciale. Dans ses yeux luisirent un éclat.
- Gaspiller ton énergie va t'épuiser. Plus vite tu t'épuises plus vite je te tue. C'est ce que tu veux ?
Ses yeux se plissèrent.
- Tu m'as bien compris, Mistyshine? Au moindre signe de faiblesse j'te fais éclater la cervelle.

Non. Il n'aurait pas pu le faire. La seule chose qui l'empêchait de tuer Mistyshine, en ce moment, était la présence de Mistyshine, en ce moment. Mais peut-être se déciderait-elle à abandonner. Peut-être se déciderait-elle à garder des forces. Ils allaient trouver un moyen de sortir d'ici, mais pas en s'épuisant comme ça. Il fallait être stratégique. Il fallait être ordonné. Gunthaer fut prit d'un violent soubresaut. Il se freina, plantant ses crocs dans sa propre patte. Il fallait qu'il se calme.

Si la situation commençait à lui peser? Et comment. Il se savait vulnérable. Il savait que les menaces ne marcheraient pas. Mistyshine était résistante, et au lieu de céder à la peur, elle se braquait et montrait les crocs. Il la savait non-violente, mais il était capable d'envisager d'elle un brusque revirement. Mourir dans cette grotte ? Dans cette grotte, avec elle ? C'était une idée envisageable. Inacceptable, mais envisageable.

- Alors t'attends quoi ? Cracha-t-elle en s'affalant par terre. Vas-y, tue moi.
Gunthaer se leva sur ses quatre pattes, sans rien dire, sans grogner, au contrairement de Mistyshine. Son grognement se réverbéra dans toute la grotte, jusque dans ses oreilles.
- Que des menaces, mais tu ne passe pas à l'acte. Il se mit à s'avancer vers la louve. Celle-ci le toisa d'un regard de braise, sans toutefois réussir à le faire reculer. Aurais-tu peur de perdre des poils ?
- Tu te trompes, lui répondit Gunthaer, sur un ton monocorde.
Il s'arrêta à quelques mètres d'elle. Il ne grogna pas. Sa posture était neutre, mais sa queue s'était plaquée entre ses cuisses.
- Je sais que je devrais avoir peur, mais je n'ai pas de peur. Je t'avertis simplement, Mistyshine: ne devient pas inutile.
Il s'assied.
- Je ne suis plus raisonnable lorsque j'ai faim. Reste calme, et je vais rester calme. Tu comprends ? Tu veux survivre? Tu veux trouver un moyen de sortir?
Il se roula sur le dos, sa voix n'étant plus qu'un murmure.
- Reste calme.