Retour sans scrupules

Contre toute attente, Mistyshine s'était résignée à suivre - de bonne âme - le mâle qu'elle venait tout juste de rencontrer. Pas que Gunthaer eut trouvé la chose bizarre - après tout, il développait vite une familiarité avec quiconque s'adressant à lui, mais de la voir accepter de jouer le jeu jusqu'au bout, ça l'avait momentanément désarçonné. Il avait eu tout faux sur sa brève analyse: cette louve ne serait pas comme Dagger, elle ne lèverait pas les yeux au ciel et elle ne chercherait pas à l'égorger. Du moins, en théorie. Le voyage se passa sans détours, lui, la menant le long de la forêt noire pour atteindre le lac de sel, et se diriger à tâtons vers une colline, qui débouchait sur un falaise, qui elle-même se fendait en cascade vertigineuse. Gunthaer mena la femelle en trottant, s'arrêtant de temps à autre pour jeter un coup d'oeil, s'assurant qu'elle le suivait toujours. L'ascension fut brève. Arrivé au sommet le premier, il prit une grande bouffée d'air, tournant son sourire indicible vers sa comparse.
- Eh bien Mistyshine... Il se retourna vers l'avant, le collier qu'il avait au cou dodelinant dans le mouvement.

" Ou du moins, ce qu'il en reste ".

Sur la plage étaient encore découverts les cadavres des loups-poissons qui n'avaient pas survécu à l'assaut. Des oiseaux s'étaient agglutinés sur les ossements en cherchant à y extraire la moelle, et les visages, décomposés certes, reflétaient tout l'effroi que chaque individu avait ressenti à sa mort. Si parler de plage et de mer rendait l'endroit paradisiaque, y voir un sable souillé de sang et de morceaux viciés ainsi que d'une eau sale devait assurément dissuader.

Lorsqu'elle baissa les yeux, il s'attendit à la suite. Il s'attendit à son hoquet de stupeur, il s'attendit à son mouvement brusque de détourner le regard, comme si elle voulait s'en cacher. Mais le massacre était là. Et ses vestiges ses restes, son histoire, l'était aussi.

- C'est horrible !
- ...
Il s'éloigna de quelques pas, abaissant ses oreilles.
- Ne me dis pas que tu ne veux plus courir sur la plage! Et ce désir d'aventure, alors ? Il la nargua avec le même air enjoué que plus tôt, sa queue frétillant de gauche à droite. Mais l'atmosphère semblait avoir changé. Elle ne semblait plus aussi légère, et l'air iodé d'aventure était mêlé aux relents des macchabées.
- Ha ha ha ha ha!

Comme toute réponse à sa moquerie, réalisant qu'elle avait été embobinée - même si c'était elle, au départ, qui lui avait montré le désir de venir sur ces terres - elle darda le mâles d'une paire de yeux étrangement calmes.

- Mon collier. Le mâle de dresser les oreilles. Je m'en vais.
- Wh... at ? c'était sa seule réponse ? C'était ça, sa seule réponse ? Silence. Gunthaer tangua sur un côté, comme s'il avait été abasourdi d'avoir été désarçonné de la sorte. Il demeura quelques secondes à fixer le vide, sans se départir de sa trouvaille. Après la stupeur vint la colère. Sans prévenir, Il se rua sur la femelle, de sorte à la plaquer sur le dos.
- C'est tout !? C'est ta seule réaction !?
Il secoua sa tête avec rage.
- Je t'ai fait marcher jusqu'ici pour te montrer cette, cette vision d'horreur et tout ce que tu as à me demander c'est ton COLLIER !? Une misérable possession matérielle ! Une une...! ---* Le dos arqué, les yeux injectés de sang, il eut comme un déclic. Son corps crispé de partout se détendit d'un seul coup.
- Ah. Ah, je vois.
Il posa de nouveau son regard sur elle.
- Ce collier?
Un vif mouvement de la tête pour le retirer, puis, pour l’attraper dans sa bouche. Ses yeux étincelèrent.
- Par les hommes, hein ?
Il s'appuya au sol, et, d'un vif mouvement de la tête, envoya le collier paître dans les rapides. Un plouf! sonore manifesta sa disparition.
- Go fetch, siffla le mâle, le visage déférent. Heureusement pour Mistyshine, son collier n'était pas perdu pour toujours. Il avait plongé par l'apex dans la cascade, qui débouchait sur le bassin et la plage. D'une manière ou d'une autre, elle serait forcée de rester à Oerba, si elle voulait conserver son bijou.

- Non... NON !
Il la laissa se relever, la laissa se jeter en vain dans le désir d’attraper son grigris en plein vol. Il leva les yeux au ciel, faisant la moue, les oreilles basses.
- Enfin une réaction ! il lâcha puérilement, détachant son attention du collier qui s'était égaré dans le courant de la cascade pour se retourner vers la louve. La femelle lui rendit un regard glacial, en espérant de nouveau le désarçonner. Dans la tête du loup plutôt se formait déjà une carte du chemin qu'il aurait à emprunter pour retrouver ce foutu collier.

- T'es malade... siffla Mistyshine, venimeuse. Il se contenta de pouffer, relevant un mince rictus, comme s'il acquiesçait aux dires de la louve. Une étincelle de malice luit dans ses yeux alors qu'ils partagèrent un long échange. La femelle chercha à scruter au plus profond de son iris, comme pour lui faire receler une certaine culpabilité, mais tout ce qu'elle put y défricher fut une froide complaisance. Lui, put y lire la détresse, l'amertume, la rage, la colère. Si tant absorbé par ces réactions qu'il n'eut pas le temps d'intercepter la patte qui se lança à son visage. Il tituba sur le côté, relâchant un râle rauque, secouant sa tête afin de reprendre ses esprits. Mais quelque chose de nouveau frappa la femelle, et le stupéfia un instant. Quelque chose d’étincelant. Des larmes. Elle pleurait. Gunthaer était médusé. Elle versait des larmes, signe d'une profonde tristesse, pour un bête collier? Elle n'avait qu'à en dérober un chez les hommes si elle y avait attaché autant d'importance ! Quelle imbécile...!
- T'es COMPLÈTEMENT dingue ! lui cracha ladite imbécile, visiblement chaleureuse. Il accepta l'insulte sans sourciller, toujours obnubilé par la présence de larmes. Pourquoi étaient-elles là, d'ailleurs? La haine chez l'autre était palpable.
- Oh et puis tu sais quoi ? J'en ai rien à foutre de toi. les mots rencontrèrent le même extérieur froid, comme s'il ne les avait jamais entendus. Maintenant, je vais retrouver mon collier. J'espère que tu t'es bien amusé, conclut-elle en tournant les talons. Gunthaer se releva sur ses pattes, plissant les yeux, calmant sa respiration.
- L'autre côté.
Il fit mine de déjà descendre de son promontoire pour atteindre les corniches qui mènerait au bassin, qui menait à la plage.
- Le courant va de l'autre côté. J'y comprends rien à ton désespoir face à un objet inutile, mais si tu y accordes autant d'importance, je devrais au moins avoir la décence de te montrer le chemin.
Il fit mine de se plier, puis, entreprit de commencer à descendre de la corniche.
- Ici. d'un ton aussi sec que lui avait lancé la louve.

- Pourquoi ? Pourquoi est-ce que tu m'aides alors que c'est toi qui l'a jeté ?
Il ne répondit rien, descendant une à unes les corniches, les oreilles bourdonnant faute de la cascade vertigineuse qui vrombissait à côté. Le collier était sans doute déjà loin, mais il allait le retrouver. Mistyshine se résigna à l'accompagner, voire même, à le dépasser, se glissant avec grâce sur chacune des corniches, jusqu'à atteindre le sol. Gunthaer la suivit de peu. Il s'ébroua de long en large lorsqu'il atteignirent la berge. Ne restait qu'à traverser le bassin pour atteindre la plage d'Oerba, au loin.
- Dégage. T'en a déjà assez fait.
Il la poussa de sa patte, les sourcils froncés, un air réprobateur.
- Pas avant qu'on atteigne Oerba, et qu'on trouve ton objet.
Il abaissa ses oreilles, la poussant d'une épaule, se lançant dans l'eau, déjà la recherche du collier. Il serra les mâchoires, sa tête tournée vers elle.
- J'ai promis de te le rendre au moment où Oerba serait atteint, non? Il détourna la tête pour scruter de ses yeux le lit du bassin.
- Je n'ai qu'une parole.

Plus il s'éloignait de la rive, plus le lit devenait profond. Bientôt, il n'arrivait plus à toucher le sol. Gutnhaer se surpris à sentir un haut le coeur, battant nerveusement de sa patte arrière à la recherche d'un appui, mais se résigna à accepter qu'il n'en aurait pas tant qu'ils n'atteindraient pas la plage là-bas. Au moins put-il se consoler en profitant du paysage. " Que c'était beau ", en effet. L'eau houleuse était sombre et permettait difficilement de voir au travers, et la plage non-loin n'avait décidément rien d'invitant. À ses yeux pourtant, il n'y voyait là que de l'eau un peu sombre, et une plage tachée. S'il ne ressentait pas de dégoût, c'était peut-être parce-qu'il avait participé lui-même aux hostilités. Un bref souvenir lui revint en tête, où il voyait les jumelles se démener sur la plage. L'inquiétude et la tristesse de l'autre finirent par le touche enfin. Il se mit à humer tout bas, sur une mélodie calme, cherchant à détendre l'autre. Il rasa du regard la plage au complet, mais pas trace de collier. Un oiseau s'approcha pour le picorer. Il se contenta de l'abattre d'un coup de gueule, le retenant au sol pendant qu'il se débattait. L'oiseau lâcha un dernier soupir et se ramollit, inerte, les yeux partageant le même effroi que les quelques loups poissons putréfiés sur la plage. Gunthaer prit le goéland par le cou, le transportant avec lui, longeant la rive à la recherche du collier. Il s'arrêta en constatant que l'eau du bassin semblait déboucher quelque part... quelque part en dessous de la surface. Ses oreilles s'abaissèrent et il grinça ses crocs dans le cou de l'oiseau.
- This won't do, grommela-t-il, le poil de son échine se hérissant peu à peu en constatant qu'il ne pourrait peut-être pas tenir parole.

Les antérieures baignant à moitié dans l'eau, une patte postérieure reposée contre le crâne de l'une des déchus, Gunthaer méditait sur son problème, analysant la surface et scrutant l'eau et la plage à la recherche d'une issue, d'un endroit où ce maudit collier pouvait s'être fait emporter. Étrangement, il se sentait tiré vers l'eau, comme si un quelconque courant cherchait à l'aspirer. L'oiseau toujours en gueule, il tourna la tête pour voir une Mistyshine écroulée au sol en proie à son désarroi, sans doute rappelée à l'ordre par les cadavres. Ses yeux se plissèrent, comme par dédain. Il s'approcha, sans bruits, les oreilles droites, la carrure sans défauts, s'arrêtant net, immobile, fixant froidement cette louve pleurer ces inconnus. Réalisant qu'il avait toujours sa victime entre ses crocs, il la jeta sans façons contre la même pierre qui avait fracassé la boîte crânienne de ce qui semblait être... un autre oiseau.
- La mort, la guerre et le malheur sont toutes des choses naturelles... Plutôt que de les pleurer, nous devrions les honorer. Après tout, c'est elles qui nous font réaliser l'existence du vrai 'bonheur'. Il lorgna sur le côté, poussant un soupir. Son regard se reporta sur Mistyshine, s'apprêtant à dire quelque chose, mais sa gueule se contenta de rester ouverte sur un silence, alors que ses yeux de rapace s'étaient accrochés à un éclat fugace qui semblait provenir du bassin d'eau, bordant la plage.
- ... !! Ses oreilles se rabattirent sur sa tête d'un seul coup et il tituba sur le côté. Il en fut estomaqué.

Le collier!

Il tourna vivement la tête vers la femelle pour lui désigner d'un nouveau mouvement de tête la direction où il avait vu le collier, puis, sans rien dire, pris dans son élan, se lança à folle hâte dans l'eau, dérapant dans le sable. Il plongea tête première dans l'eau afin de s'élancer pour attraper entre ses crocs le fil du collier, sans se rendre compte que le courant les tractait tout deux vers le fond.

Il rata de peu le fil, qui commençait à ballotter bizarrement pour un objet suspendu sous l'eau. Lorsqu'il tenta d'ouvrir la gueule pour l’attraper de nouveau, une vague d'eau lui remplit la bouche et la gorge, l’assommant vers les profondeurs das un violent tumulte. Dans sa cascade il entraperçut la silhouette de Mistyshine, puis, plus rien. Qu'un nuage d'écume. Il n'arrivait même plus à différencier le lit du bassin à la surface. Il déboula et déboula le long du courant, se heurtant aux pierres, aux rocs, à quelques malheureux poissons - morts? Sonné, il cessa de se débattre, fermant les yeux, acceptant son destin.

Au lieu d'être maintenu sous l'eau bien longtemps cela-dit, le courant traça une courbe vers le haut. Sa tête perça la surface de l'eau. Il prit une grande bouffée d'air. Mais il n'y avait plus de ciel, au dessus de sa tête. Qu'un dôme de pierre coupante. Après un regard circulaire, Gunthaer comprit: ils avaient été recrachés dans la cuve menant à la grotte sous-marine d'Oerba. Ses oreilles se couchèrent sur sa tête. D'un mouvement brusque, il replongea dans l'eau, cherchant à battre le courant en pagayant avec force. Il écarquilla les yeux, esquiva le corps de Mistyshine d'un habile mouvement de la hanche, et entreprit de pagayer de nouveau. Il fallait qu'il sorte. Il le fallait. Mais le courant était trop fort. Et à en juger par l'état de la grotte sous-marine, il n'y avait qu'une entrée... et donc, qu'une sortie.

Pour une rare fois épuisé, il s'arrêta de lutter, se laissant flotter jusqu'à la surface, cherchant des yeux une berge, un endroit quelconque où il pourrait accoster pour se coucher, et réfléchir dans le calme. Il pencha la tête pour happer le silex baigné d'eau salée, puis, nagea jusqu'au rebord de la cuve, afin de nerveusement s'y hisser, cogitant déjà la la recherche d'une solution. Si elle était morte, il n'aurait qu'à la manger. Mais il ne fallait pas qu'elle soit morte. Sinon le sauvetage du collier aurait été vain. Il se coucha au sol, cherchant à canaliser sa respiration, à calmer ses violentes secousses.

Un plan. Il lui fallait un plan.

( Ouaip! Nouveau topic! )