La tempête se prépare

Au-dessus de leur tête, le ciel était obscurcie. Ténébreux. Pourtant, les âmes vaquaient çà et là, indifférente à la lourdeur des cieux. Se traînant dans cet habitat qui leur était étranger, cherchant tant mieux que mal à se trouver un coin plus confortable où dormir. Après tout, les plaines humaines contrastaient du tout au tout avec les profondeurs de la jungle, car là où habituellement il y avait étroitesse et promiscuité obligatoires, ici régnait un espace presque infini, et beaucoup trop grand pour leur esprit d'ordinaire si encadré. Non retenues par la végétation touffue de la jungle, leurs pensées s'envolaient avec beaucoup trop de liberté, laissant leur réceptacle vide, victime idéal d'une peur insidieuse. Pourtant, ils n'avaient pas peur, non. Tous portés par leur victoire précédente, où ils avaient écrasé sans grande misère les Oerbas, ils avaient le sang encore chaud, avide d'en découdre de nouveau ; sensation encouragée par les têtes dirigeantes. Bien sûr, ce n'était pas tout le monde qui se laissait emporté par cette folie meurtrière : certains gardaient leurs craintes, leurs réticences. Mais ces doutes (ou cette morale) passait inaperçue sous la soif de domination de la masse. Et au final, ils étaient tous ramassés dans cet escadron disparate et pourtant se mouvant au rythme d'une seule volonté. Lui, parmi tout cela, avait finit par se retirer de la foule. Pas bien loin, certainement pas ; Rapier n'aurait de toute façon pas permis qu'il s'éloigne de la périphérie de leur camp monté à la hâte. Mais il était à l'abris de cette ambiance timorée, grouillante d'un trop plein de sentiments, à l'abris de ce rôle de bouffon qui lui collait à la peau. Autrefois, il s'y moulait avec facilité, agissant avec un entrain tout naturel pour égayer la meute. Mais depuis l'automne dernier, cette petite étincelle semblait l'avoir quitté, ou du moins brillait avec beaucoup moins d'éclat. Et malgré la route bien (trop) rectiligne que semblait emprunter les Alteron, il ne pouvait s'empêcher de se questionner lourdement sur le futur du monde.

La lune avait finit par se lever, ramenant enfin un peu de lumière sur la plaine. Comme si là où le soleil n'avait réussit à percer, toute la journée durant, l'astre lunaire brillait même par-delà les nuages, d'une telle façon qu'on eut dit qu'un morceau de ciel pouvait être perceptible autour de sa lumière, restreinte par la nuée. En plissant les yeux, Howahkan parvenait presque à apercevoir quelques étoiles ; mais peut-être n'était-ce que le fruit de son imagination. Il était bien difficile de passer derrière le halo éclatant de la lune pour aller chercher une brillance moindre. Non, la lune trônait dans cette nuit comme une Reine, fière de son triomphe sur l'obscurité et les nuages. Pourtant, aussi clair que pouvait être son règne, jamais il ne pourrait arriver à la cheville du soleil.

Éventuellement, un hurlement qui avait bercé l'air depuis de lentes minutes toucha à sa fin, s'éteignant dans quelques dernières notes mélodieuses. Survivant au chant, le Fou resta encore quelques instants en silence à contempler l'horizon. Grâce à l'éclairage argenté, il pouvait à présent voir les nuages tourbillonner au loin, entrer en collision, former un ballet qui ne présageait rien de bon pour les prochains jours. Il aurait put rester encore un bon moment, perdu dans ses pensées. Il en avait l'habitude. Pourtant, la fin du chant l'avait lentement ramené sur la terre ferme, comme s'il ne lui était plus nécessaire d'être ainsi en retrait. Ou plutôt, comme s'il se rendait compte que cela ne changeait strictement rien, malheureusement. Ainsi, il se mit en marche vers l'attroupement mobile qu'il distinguait à peine dans le noir, mais qu'il savait présent. Mais son regard noir fini par obliquer vers une silhouette large qui elle aussi se tenait à l'écart, et bientôt tout son corps suivit la motion. Des paroles lui vinrent aux oreilles. Pourtant, pour autant qu'il puisse en juger, Gunthaer se trouvait seul. Comment expliquer alors cet éclat de rire manifestant sa bonne humeur ? Howahkan continua d'avancer, jusqu'à ce qu'il se trouve à quelques mètres derrière le mâle aux couleurs sombres, où il resta immobile, à son tour balayé par une rafale puissante.

- Y'a-t-il si peu de gens prêt à vous tenir compagnie en cette sombre nuit que vous dussiez monologuer à vous-même ? Posa-t-il doucement.

L'ombre devant lui sursauta violemment et se retourna avec empressement, sous le regard curieux d'Howahkan. Bien sûr, il était apparut sans faire trop de bruit et aurait put faire peur à n'importe qui, mais il ne se souvenait pas avoir eu vent que le Messager se fasse si facilement surprendre. Mais Gunthaer sembla perdre de son effarouchement lorsqu'il reconnu la silhouette maigre de l'Oméga.
- Eh bien eh bien, Mister Couleurs, on ne salue pas Mistress Luna?
Sans répondre, le prénommé Couleurs leva le museau vers le ciel, contemplant à nouveau le cercle argenté. Mais bien vite, il rabaissa la tête pour regarder l'individu devant lui ; il avait déjà assez contempler la lune pour ce soir. Et Guns offrait un étrange spectacle, qu'il observa à nouveau sans faire le moindre bruit. Encore entraîné dans son curieux manège, la violette s'était remise à divaguer, parlant à la lune comme à une amante que l'on essaierait de courtiser. Et ce soir, Howahkan était désintéressé par ces manières.
- ...Y a-t-il si peu de gens prêts à vous tenir compagnie en cette sombre nuit que vous dussiez quitter Alteron pour retrouver quelque âme perdue et lui redonner sa lumière?
- Ah.
Cette fois, la pensée l'interpella un peu plus. Il pencha la tête de côté, basculant légèrement vers l'arrière pour dégager son front de ses mèches volages.
- Il s'agirait plutôt de moi qui ne recherche point leur compagnie, en cette sombre nuit. Corrigea-t-il d'un ton effacé. Puis, il poursuivit : Votre âme est donc perdue ? Voilà qui semble nouveauté.
Pas tant qu'elle le soit, mais plutôt qu'il décide de le commenter à voix haute.

- ... Tiens donc.
Un changement drastique de ton ; Guns était donc entré dans une autre phase. Mais cela n'était pas pour déplaire à son collègue, qui n'aurait peut-être pas supporter ses plaisanteries bien longtemps. "Heureusement" pour lui, Guns se modula rapidement à la situation, quoiqu'il semblait légèrement dérouté de constater ce manque d'entrain chez le bouffon.
- Hee... hee, ais-je seulement une âme ?
Légèrement interloqué par cette réponse (quoique, à quoi s'attendre de sa part ?), Howahkan porta brièvement son regard sur le mâle épineux, avant de le retirer pour observer à nouveau l'horizon.
- Ça, ce n'est pas à moi d'en juger. Trancha-t-il doucement, avant d'ajouter d'un ton avec un rire étouffé dans la voix : Après tout, vous avez apporter l'idée d'une âme.
- Vous me semblez bien terne, mister. Ce sont les mots qui vous ennuient ?
Guns s'était adoucit, bien que son début d'inquiétude n'émouvait pas tant son compatriote.
- Les mots, non, mais les bouffonneries me semblent trop lourdes ce soir, acquiesça-t-il, avant de concéder : Terne. Ah, peut-être bien. Ce sont les salissures de la guerre, j'en ai bien peur.

- Qu'attendez-vous pour fuir?
Lui proposa alors le Messager, l'air tout aussi détendu que s'il lui avait offert d'aller boire à un ruisseau. Sauf qu'il parlait de trahison. Il élabora même le fil de sa pensée, qui bien que logique et parfaitement saine d'esprit lui vaudrait sans aucun doute un sévère châtiment, si elle était rapportée aux oreilles de Rapier. Mais pour l'oméga, ces paroles étaient plutôt un brin rafraîchissantes, ou peut-être apaisantes. Bien qu'il restait surprit d'entendre de propos si graves, il ne pouvait cacher que cela le changeait agréablement des autres membres aveuglés de la meute. Et en même temps, cela l'angoissait sourdement ; à présent qu'un autre avait exprimé ses propres craintes, le moment d'agir semblait plus pressant. Pourtant, c'est avec son calme habituel (pour cette nuit, en tout cas), qu'Howahkan alla prendre place aux côtés du mâle, s'assoyant dans l'herbe tendre. Croisant brièvement le regard azuré, il préféra fermer ses yeux et lever à nouveau le museau au ciel, un léger sourire aux bords des lèvres ; attristé.
- Ah, mais ça, ce serait une trahison et une lâcheté.
Il abaissa la tête, se camouflant à demi dans son poitrail encore garni par l'hiver (son corps avait encore de la difficulté à se départir de ses instincts arctiques).
- Et je ne désire faire ni l'un ni l'autre. Le règne actuel s'enfonce dans un état qui.. Qui pourrait frôler la déchéance. Y demeurer m'enlève de mes couleurs, vous le voyez bien. Pourtant.. Comment espérer que les choses changent en fuyant ?
Il rouvrit les yeux, lançant cette question aux étoiles, tentant de trouver la réponse à ses doutes.
- Je souhaite ardemment ce changement, mais j'ignore que faire pour l'obtenir. J'ai trop d'attachement envers cette meute pour baisser les bras et m'enfuir de nouveaux. Cette situation ne m'est pas intolérable physiquement, mais psychologiquement. À quoi bon fuir ailleurs, sachant que les massacres se poursuivent ?

- Ceux que tu veux sauver cherchent-ils seulement à l'être?
Le mâle amenait une bonne pensée, mais pourtant celle-ci s’avérait inutile ; depuis l'aube de sa vie, le timberwolf se posait cette question. Il avait longuement douté de la réponse, qui semblait aussi varier selon les circonstances. Beaucoup de causes semblaient aux premiers abords perdues. Pourtant, si l'Humaine lui avait bien laissé un apprentissage, c'était de toujours tenter à créer le bien autour de lui. Que ce soit en aimant, en guidant, en divertissant, qu'importe. Il avait fait de sa vie une inclinaison vers le Bien, à tendre vers l'harmonie de tous. Ou plutôt, à préserver le monde comme il avait toujours vécu, ce qui n'impliquait aucun changement, et cette absence de changement devait inévitablement passer par des changements. Car s'il laissait la roue suivre sa piste avec autonomie, elle ne ferait que s'enfoncer dans la décadence. C'était déjà ce qui se passait. Tout explosait, tout devenait façonné par des pattes guidées par la folie, comme l'avait corrigé Guns. En dépit des paroles de ce dernier, il ne pouvait pas se contenter de regarder la situation dégénérer de loin. Cela irait à l'encontre de ce qu'il était.
- Si vis pacem, para bellum. Si tu veux la paix, prépare la guerre. Voilà ce que croit la meute. C'est une noble pensée, tu ne trouves pas?
Termina le violacé, provocant une douce négation de tête de la part de son compatriote. S'il pouvait comprendre le raisonnement, cette fois il ne pouvait l'approuver.
- Malheureusement, cette guerre n'est même pas la conséquences de leurs aspirations à tendre vers la paix. Ce n'est qu'embobinage d'esprit et oublie de notre réelle nature, qui elle est plus noble que tout cela. La paix ne s'achète pas dans le sang, les histoires l'ont prouvées, poursuivit-il d'un ton murmurant. Ils sont tous influencés, et trop aveuglés pour s'en rendre compte. Peut-on alors réellement se dire qu'ils ne désirent pas notre aide et tenter ainsi de se déresponsabiliser ? Les laisser à leur sort serait tout aussi sadique que combattre pour eux. Mais en les suivant, peut-être aurais-je la chance de trouver le changement que je recherche.

- Ou de vous oublier, et de les suivre dans leur marche automate.
Lui prédit-on alors, avec un optimisme phénoménale.
- J'en doute fort, contesta le bouffon d'une nouvelle négation de tête, le sourire dans la voix.
Pourtant, il n'y avait rien ici qui pouvait porter à sourire. Ils conversaient de sujets sombres, lourds, d'anéantissement de l'espoir, médisant sur la meute et ses dirigeants. L'un brillait d'une lumière ternie, l'autre se complaisant dans la noirceur de son vide, bien que Guns l'accusait à présent de cacher un désir de destruction, lui aussi. Il haussa les épaules, en ayant déjà à moitié conscience ; après tout, pour arriver au changement désiré, à un "plus grand bien", n'était-il pas près à malmener certains éléments ? Ce n'était peut-être pas le désir de destruction à l'état pur, mais cela restait un enclin à causer de la souffrance.
- Il est trop tard pour eux, Howhakan. J'ignore comment vous pourrez les illuminer par votre Lumière habituelle.
Divergeant de cette opinion, il garda le silence quelques instants. Si cette discussion était noire, elle lui apportait quand même de l’apaisement, ne serait-ce que parce qu'il pouvait enfin exprimer ses pensées avec un autre. Qu'importe que l'autre ne partage pas ses points de vue, qu'il manifeste un pessimisme inébranlable. Cela lui permettait de réfléchir tout en se confortant dans ses décisions.
- Ah, mâle de peu de foi, exprima-t-il simplement. La lumière risque peut-être d'être engloutie dans certaines obscurités trop profondes, mais ce genre d'obscurité est plus que rare. Alteron est loin d'être rendu à ce stade, vous le savez aussi bien que moi. La Reine, en revanche.. Il laissa sa phrase en suspens, l'idée n'ayant même pas besoin d'être plus élaborée. Le fait qu'elle soit dévorée de l'intérieur entraîne ses sujets dans la déchéance. Couper la tête du serpent, et ses têtes de rechange, changerait-il quelque chose ? Faut-il la laisser s'enfoncer ou lui opposer un chevalier lumineux ? Je l'ignore. Mais j'ai foi que, sans influence néfaste, Alteron redeviendra ce qu'elle était autrefois : une meute. Individuellement, vous les connaissez ; pour la plupart, ils ne sont pas plus sadiques qu'un autre. Mais en s'unissant, ils peuvent accomplir de grandes ou terribles choses.. Il s'agit de les éclairer vers un meilleur chemin. Je ne crois pas qu'ils soient au-delà de tout espoir.

Après avoir finit de discourir, on eut dit qu'il était parvenu à se rassurer lui-même du bien fondé de sa cause. En avait-il réellement douté, ou n'était-ce que Guns qui avait ouvert la porte aux craintes ? Quoiqu'il en soit, il s'était sentit légèrement perdu, précédemment, ou plutôt, rendu amer par les répulsions que lui inspirait cette guerre. Mais dialoguer avec un être l'incitant à abandonner n'avait fait que lui rafraîchir l'esprit, lui remettant ses idéaux bien en tête. Son compagnon sembla être arrivé à la même réalisation,
- Serais-tu prêt à parler à chaque membre dans le but de leur enlever cet esprit d'union qu'ils ont lorsqu'ils guerroient?
Le Corbeau garda le silence, analysant la situation.
- Je peux t'aider.
Surprit par l'offre, Howah le regarda de biais, sans trop savoir pourquoi il se faisait offrir une telle proposition.
- Mais rien n'arrive sans sacrifices, Howhakan. Que serais-tu prêt à sacrifier ?
Les deux mâles avaient à présent leur regard ancré dans les yeux de l'autre, dans une échange d'intensité. Puis, le plus petit se fendit d'un sourire léger et ferma les yeux, air autrefois alloué à ses simagrées de bouffon.
- Ahah, pour parvenir au Bien pour tous, je suis prêt à sacrifier mon être à la souffrance, sans problème.
Aucune doute ne perçait de sa réponse, ni de peur. Pourtant, l'idée même de devoir périr au bout de lentes souffrances le terrorisait plus que tout. Mais il n'était pas encore rendu à cette extrémité. Rouvrant les yeux, il prit un grand inspire, savourant l'air frais de la nuit.
- Pour être vraiment efficace, une aide doit être offerte sans désir de contrepartie.
Il pencha la tête, regardant de nouveau Gunthaer avec un faible sourire en coin.
- Votre aide me serait fortement appréciée, il en va sans dire.
Il inclina légèrement du chef, avant d'ajouter d'un ton moins réceptif, mais toujours doux :
- Toutefois, elle doit être réellement bénéfique. Si pour m'aider, vous devez obtenir quelque chose en échange, alors je ne crois pas que ce soit la meilleure décision à prendre pour oeuvre pour le Bien.

-Ahhh, and that is where you're wrong.
S'il avait réussit à apprendre quelques expressions fréquemment utilisées de cette langue étrangère, Howahkan n'en saisissait toutefois pas toujours le sens. Il haussa donc légèrement les sourcils, incitant son interlocuteur à expliquer sa pensée.
- Ne te méprends pas sur mon cas. Je ne veux rien en retour. Mais toi, tu auras besoin de sacrifier quelque chose.
Cette fois, ses sourcils s'abaissèrent légèrement. Il ne comprenait pas tout à fait quel était l'angle recherché par Gunthaer. Peut-être s'était-il en effet égaré et avant assumé autre chose que ce qu'avait voulu dire l'individu pourpre ; ou peut-être celui-ci l'avait-il délibérément conduit en erreur. Il retint son souffle, attendant la suite.
-Rien n'arrive sans rien, Howhakan, ou, comme les miens disaient, no pain, no gain.
- Ne vous inquiétez pas, j'en ai parfaitement conscience, murmura-t-il en expirant.
À nouveau, ses yeux volèrent vers les cieux, comme pour aller y chercher les étoiles, mais il ne put voir que les nuages grondants.
- Enfin, consentir à ce sacrifice est bien beau, mais si je ne sais où l'appliquer, il demeura en vain. J'ignore ce qui arrivera. Advenant une victoire, Alteron se prélassera dans sa puissance, notre Reine poursuivra sa déchéance, et bientôt une nouvelle guerre commencera.
Il haussa les épaules.
- Notre quotidien sera le même, et c'est là le plus triste. Ils ne réaliseront pas qu'ils s'enfoncent dans les ténèbres. Et advenant une défaite.. Eh bien, nous ne seront sûrement plus en vie pour en témoigner.
Un fugace sourire traversa sa physionomie, pourtant la question de fond demeurait. Cette fois, il n'était plus sûr de comment agir pour orienter le monde vers un avenir meilleur.

Au contraire de son habitude, Guns ne lui répondit pas par des mots mais plutôt s'inclina vers lui, amenant son museau contre son épaule. La poussée, d'abord douce, devint plus insistante, et Howahkan dû relever légèrement la patte et porter son poids vers le côté opposé pour ne pas être déséquilibré. Sauf que là était l'intention de Gunthaer : en moins de deux, le Direwolf le repoussa vers le sol. Surpris, il n'émit aucune résistance mais se laissa couler en douceur contre l'herbe ; après tout, il avait des années de pratique pour adoucir les chutes. Le Messager se tenait à présent au-dessus de lui, imposant, pourtant son aura était toujours la même. Pas une once d’agressivité de plus, à l'exemple d'Howah qui ne manifestait pas plus de peur. Il levait simplement les yeux vers la silhouette le surplombant, l'air interrogatif.
- Question: où se trouve l'avenir d'Alteron? Demanda Guns avec plus d'entrain, amenant son visage près du sien. Réponse: dans ses enfants.
Il leva alors une patte pour se désigner, adoptant des manières de comédien, bien qu'il maintenant encore avec force l'Oméga contre le sol.
- Les enfants ne sont pas idiots, contrairement aux adultes: ils se contentent d'aspirer tout ce qui leur est transmis par ces-derniers. On ne naît pas bête: on apprend à le devenir.
La patte vint à présent lui effleurer la gorge, comme un rappel qu'il le tenait à sa merci, pourtant il n'en ressentit aucune crainte. Suivant ce geste, Guns se décala fluidement et le libéra, bien qu'Howah préféra resté contre le sol, observant les cieux au-dessus de lui.
- On ne naît pas cruel. On apprend à le devenir.
- Certes, acquiesça-t-il avec effacement. Sauf que la nouvelle génération est embobinée dès la naissance dans la cruauté. Vois seulement l'état des louvards : l'héritier ferait tout pour plaire à sa mère, sans comprendre qu'elle ne lui cédera jamais le pouvoir. Et les autres sont relégués à l'arrière-plan.
Il laissa sa tête glisser de côté regardant à présent le mâle violet. Un sourire revint s'afficher, et soudainement, il éclata de rire.
- Ah ! Me voilà bien pessimiste, moi qui le vous reprochait il y a quelques paroles à peine !
Roulant sur le ventre, il se releva avec agilité et trottina quelques pas, avant de bondir et s'arrêter là où il était atterri.
- Bien entendu qu'il y a espoir auprès de la jeunesse ! Poursuivit-il, joyeux. Tant qu'une braise éclaire encore, il est toujours possible de faire revenir le flambeau ! Et un jour, quand les têtes tordues seront tranchées, les nouvelles pousses ne seront pas contaminées.

- Voilà qui est mieux, fit le mâle non loin de lui, puisqu'il l'avait suivit dans sa bref course. Quelques instants plus tard, il le poussa à nouveau, mais sans chercher à le renverser.
- Tant qu'une infime petite lumière brille au fond des ténèbres, tout n'est pas perdu.
Ses yeux se plissèrent alors, pourtant sa voix restait toujours enthousiaste.
- Vous êtes cette infime lumière, Howhakan.
Le prénommé pencha légèrement la tête, étonné du compliment.
- Ce n'est pas pour rien que je n'arrête pas de vous appeler Couleurs.
- Effectivement ! Il faut alors s'assurer que les infimes petites lumières continuent de briller et les protéger, ne croyez-vous pas ?
En dépit d'avoir été qualifié d'infime lumière, Howah cette fois ne s'incluait pas dans le lot. Les infimes lueurs, c'était la jeunesse, et les esprits encore assez lumineux malgré leur âge vieillissant. Sa fonction à lui était donc de les protéger, de les encourager à flamber.

- Alors faites vite avant qu'elles ne s'éteignent, Howhkhan...
L'interpellé le regarda plus attentivement, trouvant ces paroles curieuses. Mais Guns l'ignora, se concentrant à présent à replacer ses mèches.
- Ce n'est plus qu'une question de temps. Crut-il bon d'ajouter, le ton soudainement devenu plus simple, presque grave. Tu auras jusqu'à la tempête je crois. Après, il sera trop tard.
Les paroles, lourdes, sonnaient comme un prophétie. Le Bouffon fronça légèrement les sourcils devant cet connotation presque fataliste, alors que le mâle pourpre leva la tête pour jeter une note claire dans la nuit. Bientôt, il se fit accompagné par les voix gutturales des bipèdes. Laissant son esprit être emporté par le chant, Howahkan fredonna légèrement, sans toutefois décider de joindre sa voix à la sienne. Il se contentait d'observer la plaine, porté par la musique derrière lui.
- Ah, nous verrons bien, souffla-t-il simplement, sans chercher à ce que Guns l'entende derrière son hurlement.
Puis, un sourire vint lui étirer doucement les babines.
- Il n'est jamais trop tard. Ce sera simplement plus difficile.
Il ferma brièvement les yeux, inspirant avec énergie l'air nocturne, puis les ouvrit, brillant d'une nouvelle force. Oscillant légèrement sa tête vers le chanteur, il ajouta :
- Passez une belle fin de soirée, Mister.
Puis, il s'éloigna avec lenteur, retournant dans l'enceinte du camp.