Au coeur des brousailles

Les alentours de la mare sablonneuse semblait déserts en ce début d'après midi caniculaire. Il aurait d'ailleurs fallut être sacrément dérangé pour venir trainer dans les parages a ce moment de la journée alors que les cavernes ombragées du grand rocher promettait aux sabres une fraicheur rédemptrice. Pourtant, les hautes herbes tressaillirent soudain au passage d'un félin.

Pour Kasha, aussi discrète et insaisissable qu'elle pouvait être en mission, la chasse dans la savane en plein milieu de journée n'était pas aussi aisée. Autant son pelage noir lui était utile pour se glisser dans les ombres la nuit, mais pour se camoufler dans le paysage brûlé et aride de la savane, ce n'était pas précisément le plus efficace.

La marre sablonneuse était bien un des seuls endroits ou l'herbe était assez haute pour la camoufler entièrement. Ce n'était pas un terrain de chasse très praticable a cause des nombreux trous de sable mouvants. C'est d'ailleurs dans un de ses trous que Kasha enfonça sa patte arrière. Le museau de cette dernière se plissa avec irritation mais ses yeux ne quittèrent pas la gazelle famélique qui broutait juste devant elle. Voilà plus d'une heure qu'elle pistait cette petite saleté, se rapprochant au rythme d'un mouvement par minute. C'était pas maintenant que ce satané trou allait faire tout foirer!

Tout en tachant de faire le moins de bruit possible, Kasha essaya de dégager sa patte. Après quelques minutes de torsions et après avoir mentalement énumérer toute sa liste d’insultes et de jurons connus, sa patte se libéra avec un léger bruit de succion. Kasha s'immobilisa, arrêtant même de respirer. La gazelle leva subitement la tête et ses fines oreilles pivotèrent dans tout les sens. Il fallait agir et vite, ou elle allait détaller et lui filer entre les pattes! Il ne manquait encore qu'un tout petit mètre a ramper avant d'être sûre de bondir d'assez près pour avoir une chance de l’attraper!

Les épaules de la sabre roulèrent sous son pelage lustré, un pas... Encore un petit pas... Presssquuuue..

Si Kanshu ne lui accordait aucune attention, ce ne serait pas le cas de sa mère, s'était promis Hubert en se levant ce jour-là. Certes Kasha n'était pas aussi aimante que le laissait supposer toutes les autres félines, sa rigidité et ses entraînements répétitifs avaient finis par inculquer une certaine... discipline à son petit. Bien qu'il n'osait l'avouer à voix haute, Hubert s'entraînait à chasser toutes les nuits - de ridicules proies comme des insectes ou des feuilles, lorsqu'il n'y avait pas d'animaux - cherchant à affûter ses sens et à s'améliorer sans cesse. C'était un rêve illusoire, mais il espérait peut-être se renforcer au point d'être admis à la Guerre d'Inaria. Il ne voyait pas vraiment l'intérêt de toute cette agitation Sabres/Loups, mais s'attaquer personnellement à Shukka, qu'il avait considéré presque comme un oncle ( enfin, il avait été un peu FORCÉ par Kanshu à considérer Shukka presque comme son oncle ) avait été la goutte d'eau qui fit déborder le delta.

Il avait décidé de chasser aujourd'hui. À peine âgé d'un an et d'une saison, Hubert se sentait d'attaque pour battre une antilope! Ou une gazelle... Il ne savait pas vraiment comment le dissocier. Il avait réussi à en repérer une, bien éloignée de sa harde habituelle, sans doute, à brouter, nonchalamment, reine de son univers. Ses côtes saillantes démontrait une sous-nutrition presque réconfortante, aux yeux du jeune sabre. Comme sa mère lui avait appris, il s'écrasa au sol - un peu maladroitement, pour changer -, et se mit à s'avancer doucement, se fondant avec la terre et la boue, cherchant à disparaître dans les hautes herbes. L'ongulé ne l'avait pas repéré, heureusement. Il l'avait suivi sur plusieurs kilomètres. L'ongulé se déplaçait presque aussi lentement que lui. Un sabre expérimenté lui aurait aussitôt sauté à la gorge, mais Hubert craignait pour ses fragiles quenottes: et si elles se brisaient? Il frémit à cette idée, ce qui coïncida avec le vent qui fit frétiller les herbes. Encore inaperçu par l'herbivore, il s'avança un peu plus près. Il n'avait même pas repéré sa mère qui se terrait dans la broussaille tout juste en face de lui, à quelques mètres. L'ongulé se tenait au milieu sans réagir. Hubert abaissa ses oreilles: celles de la gazelle se dressèrent en panique, et il leva sa tête dans un soubresaut nerveux. Hubert serra les crocs. Tant pis, il faudrait y aller.

Il jaillit de sa cachette d'un solide bond, lacérant le vide de ses grosses griffes.
- YAAAAAAH-HAAAAA!! beugla-il à tue-tête pour se redonner du courage. La gazelle se cabra sur le qui-vive, écopant de quelques lacérations - peu profondes, heureusement - avant de se mettre à ruer et à bramer. Hubert reçu de plein fouet un coup de sabot entre les deux yeux. Il retomba au sol, brièvement sonné.
- Rrrrrr! grogna-t-il entre ses crocs recourbés, se relevant en catastrophe pour se préparer à bondir sur sa proie de nouveau.

Kasha était si focalisée sur sa gazelle, qui regardait autour d'elle avec ses petits yeux stupides que tout le reste semblait avoir disparu autour d'elle. Ainsi elle prêta aucune attention aux légers bruissement dans les broussailles non loin d'elle qui aurait du l'alerter.
Quoiqu'il en soit, la gazelle allait détaller d'une seconde à l'autre. Si seulement elle pouvait se rapprocher en contre tout petit peu... Le corps de la gazelle tressaillit soudain, sonnant la charge. Le mécanisme bien huilé de la sabre fit le reste, ses muscles se tendirent et...
- YAAAAAAH-HAAAAA!!
Muette de stupeur, les yeux doré de Kasha s'agrandirent lorsque Hubert bondit des herbes face a elle comme un diable de sa boite. Décontenancée la sabre n'eut qu'une fraction de seconde pour analyser la situation, avant que l'impulsion qu'elle avait pris ne la propulse en avant. La gazelle s'était mise a ruer se déplaçant légèrement vers la droite, ce qui contrecarra le plan millimétré de la sabre dont les griffes s'enfoncèrent dans le sol au détriment du flan de la proie.

Cette dernière avait déjà bien à faire avec Hubert pour se préoccuper de l'adulte qui venait de débouler derrière elle. Un coup de sabot bien placé entre les deux yeux envoya le jeune sabre au tapis. La gazelle esquissa un geste pour fuir mais lorsque elle fit volte face, elle se heurta de plein fouet contre le poitrail de Kasha. Cette dernière ne lui laissa pas le temps de reprendre ses esprits et le envoya une claque dans la face d'un revers de patte. La pauvre créature roula sur le sol et Kasha posa lourdement sa patte sur son cou délicat.

La proie maitrisée, Kasha tourna la tête vers Hubert, dardant ses pupilles glaciales sur son fils. Ses babines se retroussèrent sur ses crocs et ses yeux se plissèrent, bientôt réduits à l'état de fentes. Il lui avait fait une belle frayeur! L'espace d'un moment, Kasha avait bien cru qu'il allait tout faire rater, ce qui n'aurait pas manquer de déclencher la fureur de la sabre. Mais ça n'avait heureusement pas été le cas et Kasha n'avait pas de réelle légitimité pour réprimander Hubert qui ne faisait que s'entrainer comme elle le lui avait demandé. Bien au contraire.

La grimace agressive de la sabre se fondit en un sourire. Pas un sourire affectueux ou bienveillant mais plutôt un des seuls que Kasha était capable de faire: Un sourire fielleux qui ne présageait parfois pas que des bonnes choses. Elle souleva la patte qui maintenait la proie au sol. Libérée de son étreinte, ne croyant pas a sa chance, la gazelle qui s'était résignée bondit sur ses pattes d'abord un peu maladroitement, encore sonnée par la gifle de Kasha, mais elle retrouva bien vite ses esprits, prête a décamper.

- Je te conseille de l’attraper. lâcha la sabre sur un ton ou pesait clairement une menace.

Il n'eut pas vraiment le temps de bondir à vrai dire, car un fauve asséna à sa proie un si violent coup de patte qu'elle alla valdinguer au sol, sonnée, comme lui l'avait été, plus tôt. Encore sur le dos, Hubert pivota sur son axe pour se hisser sur le flanc, envoyant ses pattes arrières dans les airs en comprimant son bassin. Il parvint à se relever, sans trop de mal. Comme Kasha retenait leur - car à ses yeux, il s'agissait d'une chasse en équipe - proie, il jugea bon de noter tous les dégâts que cette chute lui avait causée. Rien de trop mal, si ce n'était qu'une peut-être ecchymose au coude. Ses mèches aussi avaient été entremêlées. levant les yeux au ciel, il les replaça d'une secousse de tête puis de sa patte, soupirant d'aise en constatant par après que la gazelle/antilope/ongulé à cornes se tenait encore là. Il s'en approcha, tout guilleret d'y goûter. Ou de l'achever.

Il sentit soudain le regard de Kasha le saisir. Il tourna nerveusement sa tête vers elle, incrédule. Le feulement furieux de sa mère le fit tressaillir et abaisser la tête. Il baissa aussitôt les yeux. Avait-il mal fait? Non! Il avait bien fait! Il était parvenu à distraire la proie afin que sa mère ne l'attrape! Enfin, c'est ce qui était arrivé, sans sa mère, l'antilope-gazelle-exprès serait sans doute bien loin à l'heure qui est... Lentement, les babines de Kasha se retroussèrent vers les extrémités, creusant les muscles de ses zygomatiques, formant lentement un rictus. Un rictus mauvais où brillait la malice. Hubert déglutit.

Dans une même lenteur, Kasha libéra la proie de son poids, soulevant sa patte, magistrale. Hubert arrondit les pupilles... Elle n'allait pas... L'ongulé se débattit avec fougue, rebondissant sur ses pattes, encore abasourdi de la chance qu'il avait.
- Je te conseille de l’attraper, tonna la voix torve dans les oreilles de l'adolescent. La gazelle eut tout juste le temps de tourner la tête pour assimiler la situation: derrière elle se trouvait le même sabre impétueux de tantôt, qui l'observait d'yeux hagards. Elle ne se fit pas prier. Elle détala aussitôt. Décontenancé, Hubert trépida sur place avant de partir à sa suite.
- Eh!! Euh...-- Reviens ici! l'appela-t-il, fronçant ses sourcils, visiblement mécontent que sa proie ne se fasse la malle pareille. L'image était drôle à voir: la gazelle tanguait d'un côté à l'autre, cherchant encore son équilibre, talonnée de près par un jeune sabre qui semblait tout aussi confus qu'elle.

Le rictus que Kasha arborait, s'estompa lentement alors qu'elle regardait son fils se débattre avec la gazelle qui vacillait anarchiquement.
- Eh!! Euh...-- Reviens ici!
Tout semblant de sourire disparu, les coins de sa bouche tombant et les yeux plissé, on aurait difficilement pu afficher une expression plus blasée. Pourtant la scène prêtait indéniablement a sourire! N'importe qui aurait même rit de voir alternativement le derrière de la gazelle, et celui du jeune sabre émerger des hautes herbes en zigzagant. N'importe qui mais pas Kasha. Laisser une chance au gamin n'avait peut être pas été son idée la plus lumineuse en fin de compte! La sabre entre-ouvrit la gueule et prit une longue inspiration.
- Par tout les esprits HUBERT! Brailla-t-elle pour couvrir les bruits de la cavalcade, Arrête de faire n'importe quoi et attrape moi cette bestiole SUR LE CHAMPS! Comme il s'éloignait de plus en plus et qu'elle n'avait pas fini de crier sur son fils, Kasha se lança a son tour a leur poursuite tout en râlant copieusement.

La gazelle et lui s'échangeaient des regards semblables, comme si ils se questionnaient sur la raison de cette poursuite. Parfois ils se mettaient à trotter, comme pour attendre l'autre, pour qu'ils gardent une distance respectable entre eux. Leur manège prit fin lorsque la voix de Kasha leur vrilla les oreilles à tout deux:

- Par tout les esprits HUBERT!
L'adolescent sursauta d'effroi et la gazelle s'arrêta de courir, comme si elle se sentait aussi interpellée par ce rugissement. De nouveau, l'herbivore et le jeune carnivore s'échangèrent un regard coupable, abaissant les oreilles. Kasha reprit: Arrête de faire n'importe quoi et attrape moi cette bestiole SUR LE CHAMPS!
- M-mais... balbutia le plus jeune en se tassant un peu plus sur lui-même. Il porta un regard implorant à la gazelle qui s'était mise à respirer plus fort, plus vite, piaffant sur place comme elle ne savait pas où se mettre dans tout ce tumulte. Hubert fronça de nouveau ses sourcils, relâchant un court grondement entre ses deux crochets. La gazelle comprit le message, hochant la tête d'un bref mouvement. Tout deux demeurèrent immobile de nouveau avant de se remettre à courir. Hubert écarquilla ses yeux en regardant derrière lui: Kasha s'était mise à la poursuite de la gazelle! Ça allait mal... Il secoua ardemment sa tête pour reprendre ses esprits, puis, alla à la suite de la gazelle ( qui l'intimait presque de l’attraper en troquant sa légèreté habituelle pour une cadence plus lourde ).

Hubert n'avait pas la même force de Kanshu, et encore moins celle de sa mère! Même ses crocs semblaient difformes. Il se ramassa sur lui-même, se trémoussant au sol, avant de tenter un bond: à sa grande surprise, il se propulsa à toute vitesse vers le flanc de l'herbivore. Encore déboussolé, il ouvrit grande sa gueule pour essayer d’attraper un morceau. S'il ne referma pas sa mâchoire sur la cuisse de l'animal, celle-ci se vit crochetée par ses crocs atypiques qui firent basculer la gazelle vers l'avant, complètement déséquilibrée. Hubert pataugea dans les flaques et se rua vers l'avant de l'herbivore, pantelant, cherchant à trouver un endroit où la crocheter de nouveau pour l'achever définitivement.

Mais... QU'EST CE QU'IL FOUT?! C'était la question rhétorique qui tournait en boucle dans la tête de Kasha depuis que la course poursuite avait commencé. Si elle n'avait pas une confiance totale en son acuité visuelle, elle n'aurait pas cru ce qu'elle voyait. Et pourtant si, la course dans laquelle Hubert et sa proie étaient lancés avaient plus l'air d'un jeu qu'une réelle partie de chasse dont l'enjeu aurait été pour l'un une mise a mort et une question de survie pour l'autre.

Médusée, le regard de Kasha passa de la gazelle, qui oscillait entre pointe de vitesses et petit trot guilleret comme pour rester a la hauteur du jeune sabre, et Hubert, qui la coursait sa trop de convictions, semblant même de temps à autre échanger des regards complices avec elle. C'était surréaliste. Et si il y avait bien quelque chose que Kasha arrivait difficilement a admettre, c'était bien les choses surréalistes. Ses vociférations laissèrent a son plus grand soulagement, un froid entre les deux, mais qui fut relativement de courte durée.

Lorsque elle se lança a leur suite par contre, abandonnant son rythme de course habituellement discret et aérien pour un sprint digne d'une rhinocéros furieux, ils firent tout de suite moins les marioles. La charge de Kasha sonna le glas pour Hubert, signifiant au jeune sabre qu'il était peut être temps hasarder quelque chose et vite. Et puisqu'il fallait mieux choisir le moindre des maux, entre la gazelle et sa terrible mère, il bondit sur l'herbivore.

L'attaque maladroite parvint quand même a renverser la gazelle qui s’effondra dans une flaque de boue sableuse. Les crocs atypiques du jeune n'avait fait que la blesser très superficiellement ainsi elle ne mis pas bien longtemps a se redresser. Kasha les rejoignit au même moment, coupant toute retraite a la gazelle. Le museau de Kasha se plissa avec dureté et sans même jeter un regard a l'herbivore, comme si elle n'était même pas digne de son attention, elle lui envoya une seconde gifle magistrale qui la renvoya au tapis, entre les pattes de Hubert.

Car c'était sur lui que les regard étincelant de Kasha était fixé. Elle s'avança d'un pas et pencha la tête en avant, se rapprochant de celle d'Hubert afin qu'il n'ai plus qu'elle dans son champs de vision. La colère flamboyait dans les yeux de Kasha. Un colère peut être illégitime, mais elle ne pouvait pas passer outre. Par ce qu'elle ne pouvait pas comprendre. Il était dérangeant. Il pensait différemment, il se conduisait différemment. il ÉTAIT différent. Les prédateurs ne jouent PAS avec leurs proies! Le simple fait de songer a une idée aussi saugrenue c'était bousculer les principes les plus élémentaires, ébranler un ordre immémorial qui régissait le fossé entre chasseur et chassé.

- Ne peux-tu rien faire comme tout l'monde. murmura-t-elle en dé-serrant si peu les crocs que sa mâchoire sembla ne pas avoir bougé. Tu crois que c'est un jeu ? Reprit-t-elle d'une voie calme que contredisait son regard. Elle laissa peser la question avant de reculer la tête. Elle cligna des yeux. Égorge la. Lâcha-t-elle finalement d'une voie sans appel.

La gazelle s'était relevée malgré tout ses efforts pour la tenir au tapis, puis, d'un coup de croupe, repartait déjà vers l'avant. Leur attention avait été si concentrée dans leur débâcle que tout deux sursautèrent en voyant Kasha barrer le chemin à l'ongulé et lui administrer une baffe si forte qu'elle envoya choir la pauvre gazelle aux pattes de l'adolescent. Hubert releva les yeux: devant lui se dressait l'imposante tigresse aux yeux de feu, dardant sur lui tout son mépris. Il se sentit rapetisser au fur et à mesure qu'elle s'approchait.
- _{Ne peux-tu rien faire comme tout l'monde.} Tu crois que c'est un jeu ?
Il secoua la tête, cherchant à émettre une protestation:
- N-non... Mais...
- Égorge la.
- Mais je n'ai pas faim... il murmura tout bas, dépité. Hubert croisa les yeux affolés de l'herbivore, abaissant ses lourdes oreilles. Il entrouvrit sa gueule:il tremblotait. Certes il s'entraînait régulièrement à chasser, lui fallait-il vraiment tuer ce qui lui avait permis de s'améliorer? Il n'avait jamais ou presque abattu les proies qu'il pourchassait, alors pourquoi le faire maintenant ? Il referma sa mâchoire, serrant les dents, plissant les yeux. Bon, résigna-t-il enfin. Il entrouvrit sa gueule, plus large encore, quelques centimètres, faisant miroiter l'émail de ses dents au soleil. Il y eut un râle grave, une sorte de miaulement, et un jet de sang, puis, plus rien. La gazelle avait cessé de bouger. Hubert relâcha la gorge de sa proie, se reculant, observant d'un oeil absent l'herbivore inerte, se rappelant de sa vivacité de plus tôt. Après un moment, il glissa, tout bas, à son éphémère complice.
- Tu feras un excellent esprit, il se convainc tout bas levant un timide sourire, posant sa patte sur les yeux de l'animal. Il tourna sa tête vers sa mère, soutenant son regard quelques secondes avant de baisser les yeux.
- Je l'ai égorgée... il lui dit sur un ton plat, morne. Déçu, voire...

- Mais je n'ai pas faim... Kasha laissa échapper un bref ricanement. Ce n'est pas pour toi. Trancha-t-elle. Les coins de ses babines retombèrent aussi subitement qu'était apparu son rictus. C'est pour ton père. Elle fixa le jeune sabre sans ciller. Elle n’espérait aucune réaction particulière, elle même ne ressentait rien de particulier. Tout ce qui lui importait en cet instant c'était que le sang de cette damné gazelle se répande enfin et pouvoir tirer un trait sur cette dérangeante succession d'événements.

Il ne fallait pas être bien perspicace pour s'aperçevoir que Hubert répugnait a donner la mort. Quelque chose que Kasha ne pouvait pas concevoir. Elle avait d’abord pris ça pour une passade de chaton. Mais a presque un an, prendre une vie, ne serais-ce que celle d'une créature aussi inférieure que cette gazelle était toujours difficile. Qu'avait-t-elle bien pu faire de travers dans son éducation? Car elle avait forcément fait une erreur quelque part. Kasha avait pourtant fait de son mieux, elle s'était occupée de son apprentissage comme elle aurait rêvé que son père le fasse quand elle avait son âge. Elle avait commencé a l'initier à la chasse dès qu'il avait pu mettre une patte devant l'autre, l'avait durement entrainé dès qu'il avait su se servir de ses griffes... Alors qu'est ce qui clochait?!

Hubert bougea enfin pour se pencher sur le coup de la gazelle. Kasha retint son souffle, fixant son fils. Enfin, l'odeur du sang vint flatter le museau de la smilodon. Kasha se détendit légèrement. En d'autres circonstances, elle aurait été fière de son fils. Elle lui aurait accordé un de ses rares sourires et aurait été contente de partager avec lui la satisfaction d'ôter la vie d'une proie vaincue. Sa première. Mais Hubert n'était pas comme cela, jamais elle ne pourrait partager ça avec lui. Elle observa son fils qui avait toujours la tête baissé vers la gazelle et eut un bref pincement au cœur. Il était si différent d'elle. Si différent de Kanshu. Si différent de Sarkaan. Elle n'avait jamais partagé de moment privilégié avec son fils. Peut être qu'après tout la manière de l'éduquer n'était pas la bonne ? Peut être que si elle essayait de l'écouter.. Peut être que...
- Tu feras un excellent esprit.
Kasha recula la tête avec véhémence, doutant un instant d'avoir bien entendu le murmure de son fils. Hérésie! Il osait parler du monde sacré des esprits des défunts pour une simple gazelle ?! Je l'ai égorgée... lacha t-il d'une voie morne avant que sa mère n'ai eu le temps de s'indigner davantage. Kasha inspira par le museau, ravalant sa leçon de morale. Chaque chose en son temps. Elle se pencha a nouveau vers Hubert et planta son regard dans le sien. Et qu'a tu ressenti en le faisant?

- Et qu'a tu ressenti en le faisant? gronda la voix de sa mère au creux de son oreille. Hubert poussa un soupir, lorgnant de nouveau vers la gazelle.
- Rien.
Il releva la tête.
- Je n'ai rien ressenti, il dit en maintenant ses yeux dénudés de lumière dans ceux de Kasha. Il sourcilla un peu, grimaçant, comme s'il s'apprêtait à la réprimander, mais il se ravisa, détournant le regard, l'air toujours morne.
- Père se fiche de savoir si je sais chasser ou non, il dit après un moment, retroussant peu à peu son museau. Il se retourna, cherchant à soutenir le regard de Kasha de nouveau. Il... n'a d'yeux que pour Inaria. Il eut un sourire crispé, les oreilles basses. Hah. Il fit, sèchement. Je parie qu'il m'aurait porté plus d'attention si j'avais été un loup. Là il aurait daigné me regarder. il lâcha, son ton s'envenimant. Hubert refoula sa rage en troquant sa colère contre de la résignation. Il poussa un autre soupir, agrippant le cou de la gazelle de ses crochets, la tirant déjà pour chercher à la déplacer.
- Tu viens ? papa doit avoir faim.

- Rien. Je n'ai rien ressenti. Le regard éteint du jeune sabre disait clairement le contraire, mais c'était ce que Kasha avait envie d'entendre. Bien. Conclua-t-elle en reculant doucement la tête sans cesser de fixer Hubert en affichant une expression sévère. Bientôt, le regard de son fils fuya le sien.

- Père se fiche de savoir si je sais chasser ou non.

Prise au dépourvu, la surprise se peignit sur le visage de Kasha, pour rapidement faire place a un certain malaise. Sur sa liste des sujets sensibles, celui ci était à la première place. Cette affirmation fut suivie d'un bref silence. Non, c'est faux il... Ce fut a tour de Kasha de fuir le regard inquisiteur de son fils. Elle chercha quelque chose à dire pour lui prouver le contraire, mais rien ne vint.

Il... n'a d'yeux que pour Inaria. Nouveau silence. Hah. Je parie qu'il m'aurait porté plus d'attention si j'avais été un loup. Là il aurait daigné me regarder.
Toute la colère et l'irritation qu'elle avait accumulé avec cette histoire de gazelle retomba comme un soufflet. Cette situation mettait Kasha mal à l'aise. Elle n'avait aucune envie de se lancer dans cette discussion qui d'une part, risquait de lui faire perdre la face, -chose tout simplement insupportable- et de l'autre, la mettait face a une réalité qu'elle préférait complétement occulter.

Kasha avait passé les premières années de sa vie dans l'ombre et la froide indifférence d'un père et elle savait mieux que quiconque l'effet que cela faisait. Sa gorge se noua. Elle n'aurait jamais voulu que son fils vive ce qu'elle avait vécu. Cette vérité qu'il venait de lui lancer au visage, la mettait face à sa propre impuissance. Perdue dans la vague et le regard de biais, pour l'une des premières fois de sa vie, Kasha ne trouva rien a répondre.
- Tu viens ? papa doit avoir faim. Kasha sursauta presque. Toujours enfermée dans son mutisme, elle regarda son fils saisir le cou de la gazelle entre ses crocs et commencer à la trainer, lui tournant le dos. Hubert ne verrait jamais le mélange de tristesse et de compassion qui fissura brièvement le masque d'impassibilité de sa mère. Après quelques instants, Kasha se leva a son tour et rejoignit son fils, marchant a ses coté en regardant droit devant elle.

*Dit quelque chose!* Kasha se borna a fixer l'horizon. Elle poussa finalement un soupir. Un jour. Dit-t-elle soudain d'une voie ferme. Un jour très prochain tu lui fera voir qu'il a un fils dont il devrai être fier. Le museau de Kasha se plissa alors avec agressivité et elle laissa échapper une grondement sourd. Tout ça c'était de LEUR faute! C'était eux qui ravissait l'attention de Kanshu et le détournait de sa chaire, son sang... Son fils. Eux! Les responsables. Une fois que tout ces corniauds de loups serons morts et qu'il aura sa vengeance, il verra. Lorsque la forêt serai rouge du sang des Inaria, alors les choses rentreraient dans l'ordre. Cette absolue certitude était profondément ancrée dans l'esprit de Kasha. La sabre s'apaisa progressivement. Elle tourna alors la tête vers Hubert.

- Ne juge pas Kanshu trop durement. Les loups ont trop souvent pris la vie des nôtres. Shukka était celui de trop.

Sa plaidoirie contre les loups avait exalté Kasha, comme a chaque fois qu'elle abordait le sujet, soulevant l'épais amalgame de haine sourde, de rancune et de ressentiment qu'elle nourrissait pour eux. Si bien qu'en ressassant ainsi ses pensées, elle en oublia presque Hubert qui marchait a ses cotés, titubant parfois sous le poids de la gazelle. Le "Non" qu'il prononça à l'inverse, eut tôt fait de lui rappeler sa présence. Interloquée, Kasha tourna la tête vers lui.

- Tout ça ne rime à rien, maman. La tigresse plissa les yeux et bomba légèrement la poitrine, interpellée par son audace. Et il ne s'arrêtait pas là.
Eux aussi, ils ont perdus beaucoup à cause de nous. Je... Je n'aime pas les loups, mais je ne leur souhaite pas la mort. Et puis Papa s'est déjà occupé du loup qui a abattu Shukka, non? Ça ne lui suffit pas ? Les muscles tendus, Kasha souffla par le museau, s'astreignant au calme. Si cela n'avait pas été Hubert-son-fils-sa-chaire-et-celle-de-Kanshu qui lui avait tenu un tel discours, il aurait immédiatement ramasser une claque, toute griffe dehors, dans la figure. Kasha avait toute fois assez de discernement pour estimer qu'un tel geste n'aurait pas été d'une grande pédagogie.

-Tu ne sais pas que quoi tu parles! tonna la voie de Kasha. Tu n'était pas là, tu ne les as pas vus... Eux, leur suffisance, leur prétention! Si SÛRS de leur domination, bien a l’abri dans leur forêt riche et giboyeuse... Gras et bien nourris alors que nos petits mourraient tous de faim les uns après les autres! La colère faisait trembler la voie de Kasha et ses pupilles se rétrécissaient a mesure qu'elle crachait sa hargne, revivant les moments sombres de son existence. Condamnés a crever sur cette terre ingrate pendant qu'ils nous narguent et nous méprisent, se croyant invulnérables. NOUS avons payés le plus lourd tribu de cette guerre! L'expression agressive de Kasha s'apaisa doucement pour se muer en un sourire sinistre. Il est temps que cela cesse...

- Et s'il ne revenait pas vivant ? Kanshu ? Ne pas revenir vivant? Un long frisson parcourut l'échine de Kasha. Elle n'avait ni envie d'entendre, ni envie de ne serais-ce que SONGER a une telle possibilité. La tigresse ferma les yeux et serra la mâchoire. Assez. Mais il renchérit, d'un ton plus impérieux. Qu'est-ce qu'on deviendrait, nous ? Kasha rouvrit brusquement les yeux ASSEZ! Hurla-t-elle dans les oreilles d'Hubert.

Kasha luttait contre l'hystérie, fermant ses yeux, se bloquant aux propos suintant de vérité qui s'expiait de la gueule de son propre fils. Hubert ne lâchait pas le morceau, gardant ses oreilles basses, fichant son regard encore louvoyant sur la forme de Kasha, sa mère, cette grande guerrière inflexible et invulnérable. De la voir défaillir ainsi lui fit à son tour écarquiller les yeux : ASSEZ!
Hubert recula brusquement sa tête, faisant dodeliner ses épines vers l'avant. Il se rengorgea en serrant fortement ses mâchoires ensemble.
- Gggnnnn.... TU AS PEUR! il cingla alors, les yeux brillant du même feu. Sa pupille à lui s'était dilatée en colère, alors qu'il avait retroussé le museau. Il perdit un peu de son intensité en poussant un court ronflement par les narines, comme s'il cherchait à refouler toute cette hargne qu'elle semblait semer en lui. Il clôt sévèrement les yeux, les plissant, fronçant les sourcils. Lorsqu'il les rouvrit, il semblait habité d'une nouvelle plénitude. Il reprit, plus lentement, plus clair, et pour une rare fois, sûr de ses mots:
- En fait, si père meure à la guerre, je ne suis plus rien à tes yeux... psalmodia-t-il alors, les sourcils haussés, comme s'il ne faisait que souligner l'évidence. Il avait beau aimer sa mère, le fait d'être incessamment couvé par elle et poussé dans ce qu'elle jugeait être le " droit chemin " commençait à former une boule dans sa gorge. Une boule de rage. Hubert fouetta l'air d'une oreille, s'en retournant à sa gazelle, l'harponnant de ses crochets, se remettant à tracter de plus belle.
- On perd du temps, il maugréa entre ses crocs, adoptant un rythme plus rapide que plus tôt.
- Hah ! J'espère qu'on arrive vite, ça commence à me creuser l'appétit, tout ça !

Kasha fulminait. Hubert avait su toucher là ou sa carapace était la plus fine, la ou c'était douloureux, la ou l'incertitude demeurait encore dans l'ombre de ses inébranlables convictions. Elle évitait au maximum de se projeter dans l'avenir. Vivre au jour le jour était la façon la plus aisée d’appréhender les choses dans un univers aussi impitoyable que celui des StoneClaw. Un guerrier ne pense pas a la mort. Il ne DOIT PAS y penser. Seulement la donner. C'était la leçon que son père lui avait apprise. Se projeter dans l'avenir, a l'aube d'une guerre, c'était laisser entrer le doute... Et la peur.

- Gggnnnn.... TU AS PEUR! Les oreilles de Kasha se couchèrent sur son crâne, ses yeux s’écarquillèrent davantage et ses narines se dilatèrent. Kasha était clairement au bord de l'explosion.

- PEUR ?! Sa voie éclata comme le tonnerre et le mot fut craché avec dégout. Si elle ne frappa pas Hubert c'est par ce que son audace l'avait laissée trop interloquée pour réagir. Hubert s'était toujours écrasé devant sa terrible mère lorsque celle ci haussait le ton, mais pas cette fois. Les yeux auburn du jeune sabre qui brillaient de colère soutinrent le regard enflammé de Kasha. Mère et fils se toisèrent un instant dans une atmosphère pesante, avant que la colère du jeune sabre ne s’apaise. Il ne baissa toute fois pas le regard.
- En fait, si père meure à la guerre, je ne suis plus rien à tes yeux... L'une des paupières de Kasha tressaillit. Sans lui laisser le temps de réagir, il tourna la tête, retournant a la proie qui gisait sur le sol, la saisit de nouveau dans sa gueule et commença a la tracter. On perd du temps. J'espère qu'on arrive vite, ça commence à me creuser l'appétit, tout ça ! Cette phrase, énoncée sur un ton léger comme si leur précédente altercation n'était déjà plus qu'un lointain souvenir, fut le déclencheur pour Kasha. La tigresse qui s'était muée en statue de marbre, tremblante de colère et d’indignation se ramassa sur elle même et bondit sur le dos d'Hubert, le percutant a la hauteur de l'omoplate. Le choc lui fit lâcher la gazelle et le poids de la smilodon le plaqua au sol. Une patte sur l'épaule et l'autre sur sa nuque pour l'empêcher de bouger, Kasha laissa échapper un grondement sourd.
- Ne me manque plus - JAMAIS - De respect - de cette façon! Elle maintint fortement la nuque d'Hubert plaquée contre le sol encore quelques secondes avant de desserrer doucement son étreinte. Sa fureur disparut du même fait, remplacé par de l'amertume. Son visage reprit son impassibilité alors qu'elle se penchait vers l'oreille de son fils. Elle soupira. Son haleine chaude fit voleter quelques mèches blondes de la crinière d'Hubert. Oui. Parfois, j'ai peur. Murmura-t-elle d'une si basse et éteinte que ce fut presque inaudible. Elle retint son souffle quelques instants. Jamais encore elle n'avait avoué une faiblesse a qui que ce soit. Si Kanshu meure JE ne suis plus rien. Sa voie fut froide et égale mais son expression se fit douloureuse. Elle relâcha complétement son étreinte et contourna lentement Hubert. Par contre toi... commença-t-elle. Le premier fils du Roi, l'héritier potentiel... Sortit de l'ombre d'un père indifférent, brusquement dans la lumière... Elle s'arrêta un fois qu'elle eu capté son regard et se pencha vers lui. Peut être que c'est ce que... Tu voudrais?

Les pupilles dorés de Kasha fixaient Hubert avec intensité. Elle vit successivement la surprise, l'indignation et la tristesse se peindre sur le visage de son fils, accablée que sa propre mère puisse penser une telle chose. Il soutint le regard de Kasha avec difficulté mais ne ploya pas.

- Tu te trompes, la seule personne que je veux impressionner, c'est... ... c'est toi. Toi !

Kasha entre-ouvrit la gueule, mais aucun son n'en sortit. Stupéfaite, ses pupilles se rétrécirent, frémissantes et elle recula la tête avant de tomber sur les fesses, abasourdie. Une boule se forma dans la gorge de la tigresse qui a cet instant, sous le poids du regard de son fils qu'elle avait blessé, se sentit... Minable. Elle l'avait élevé, entrainé, parfois si durement dans le seul but d'attirer l'attention de Kanshu, sans songer un seul instant que ce fut son approbation... A elle, qu'il cherchait. Troublée, Kasha se mit a fouiller dans sa mémoire. Lui avait-t-elle seulement une fois, montré son approbation? L'avait-t-elle déjà dit un seul mot tendre, fait une seule étreinte ou elle l'aurait pressé contre son cœur et serré très fort comme sa mère le faisait parfois lorsque elle était petite? Lui avait-t-elle dit au moins une fois qu'elle était fière de lui ?

Elle ne s'en souvenait pas. Coupable, l'inflexible guerrière sans peur et sans reproche, baissa la tête, soudain accablée par le poids du regard de son fils, qu'elle n'avait jamais su aimer. Pourtant Kasha savait qu'elle aimait son fils plus que tout. Elle se souvenait du sourire tendre qu'elle n'avait pas pu réprimer, lorsque à l’abri des regards, elle l'avait mis au monde. Mais elle réalisait seulement maintenant, qu'elle ne le lui avait jamais montré.

- J-je ne suis pas prêt à diriger quoi que ce soit. Regarde-moi ! La tigresse sursauta. Elle redressa la tête et regarda son fils se débattre avec sa tignasse dorée d'un air éteint. Elle soupira. Je te regarde... Répondit doucement Kasha. Regarde ça poursuivit-t-il en pointant ses deux canines recourbée. Ça ne peut pas transpercer, ça. Kasha garda le silence. La particularité des crocs d'Hubert, qui avaient commencé très tôt a se recourber, avait toujours inquiété Kasha. Plus que cela même, l'avait agacé. Cela le faisait ressembler à aucun autre, et Kasha aurait souhaité qu'il se démarque non pas par son apparence marginale, mais par ses capacités physiques, de précoces talents à la chasse ou bien une certaine habilité au combat. Ce n'était pas le cas, et elle en avait eu honte. Honte de son propre fils. Et inconsciemment, elle savait qu'elle le lui avait parfois fait payer.

- Je ne sais pas ce que je suis, mais certainement pas un meneur ... acheva Hubert en reprenant la dépouille de la gazelle dans sa gueule. Kasha se releva a son tour. Elle regarda Hubert en silence quelques instants encore, avec une expression indéchiffrable. Prise d'un impérieux élan d'affection pour son fils. Elle rouvrit la bouche pour lui dire ce qu'elle avait sur le cœur mais aucun son n'en sortit. La queue de la tigresse fouetta l'air avec frustration. Elle n'y arrivait pas. Alors sans trop réfléchir, elle leva la patte et la posa doucement sur la tête d'Hubert. Le geste était un peu maladroit mais l'intention y était. Elle laissa sa patte quelques secondes avant de l'en retirer, tout glissant au passage et avec délicatesse, ses griffes dans la crinière blonde du jeune sabre, peignant une de ses mèche pour en retirer des résidus de boue qui s'y était accroché.

Mal à l'aise, Kasha tourna immédiatement la tête et regarda en face d'elle, les longues mèches noires lui encadrant le visage cachant son regard a Hubert. Allons y. Déclara-t-elle en commençant a marcher. C'est toi qui va apporter son repas a ton père. Tient toi droit et redresse ta nuque. Je veux qu'il voit que tu as tué et trainé cette bête tout le chemin, par toi même.

- Je ne peux pas redresser ma nuque, Mes crocs se briseraient. Kasha lui coula un regard contrit. Manquerai plus qu'il se casse les crocs, ce serait le bouquet. Quoiqu'au moins comme ça, elle ne les verrai plus. Mais il avait l'air d'y tenir, a ses... Crocs-griffes alors Kasha laissa échapper un grommellement d'assentiment avant de reporter son attention devant elle.

- Je ne la tiens pas dans ma bouche, Je la... ... euh, " tracte ". Avec ça. poursuivit Hubert en désignant les dit-crocs,visiblement déterminé a prouver a sa mère que ce qu'elle prenait pour un handicap, pouvait se révéler être un avantage. La tigresse maugréa. C'était bien joli mais si il était attaqué par un adversaire, ses précieux crocs lui serait d'une bien moindre utilité. Ce que Kasha faillit lui répliquer d'un ton sec, mais elle se retint au dernier moment.

- C'est plus plus facile, un peu comme si ça allégeait la... euh, " charge " Kasha tourna de nouveau la tête vers Hubert et avisa d'un air blasé la gueule du jeune sabre, a peine serrée sur sa prise, ses crocs faisant le travail a sa place.

- Bah, autant que ces trucs te soit utiles a quelques chose. Elle haussa les épaules et leva les yeux au ciel. Peu importe. Contente toi de faire bonne impression. Devant eux, la silhouette dentelée du grand rocher se précisait a mesure qu'il approchaient.

Lorsque le grand rocher ne fut plus qu'a une centaine de mètres, et que les murmures de conversations des différents membres de clan commença a leur parvenir, Kasha se raidit. Beaucoup de Stoneclaw étaient rassemblés au pied du grand colosse de pierre, certain profitant de l'ombre, somnolant ou discutant entre eux tandis que d'autre s’entrainaient a se battre. Kasha accéléra le pas, pressée d'arriver a la caverne de Kanshu avant de trop attirer l'attention du reste du clan. Malheureusement, attiré par le délicat fumet dégagé par leur prise, Badgi, le maitre chasseur du clan et aussi connut pour être un véritable ventre sur pattes, leur barra le chemin.

- Qu'est-ce que tu as là? Les oreilles de Kasha se couchèrent sur sa nuque alors qu'un grondement sourd enflait dans sa gorge. Bien que l'envie de s'interposer entre Hubert et ce sinistre imbécile fut très puissante, Kasha usa de tout le self contrôle qu'elle possédait pour ne pas bouger un muscle. Badgi était peut être un imbécile, -comme-tout-les-mâles-sauf-Kanshu- mais il était son supérieur hiérarchique et elle n'avait pas le droit de lui tenir tête. Kasha suivit donc l'altercation entre Hubert et Badgi en silence, souriant en son fort intérieur de voir que son fils, malgré la crainte que l’immense Dent-de-sabre devait lui inspirer, ne se laissait pas marcher sur les pattes.
— écoute gamin je me fiche de savoir à qui elle appartient. Donc donne-moi la gazelle gentiment sans faire d'histoires, ou y'aura des bobos. Compris?

- ...N- Le poil de Kasha se hérissa. Mais pour ne pas risquer de faire quelque chose d'inconsidéré, elle gardait le regard fixé sur Hubert. Lorsque Badgi l'interpela, une de ses oreilles pivota vers lui mais comme si il n'était pas digne de son attention, elle l'ignora, rassemblant tout son calme. Elle était devenue très habille a ce petit jeu là.

- Qu'est-ce que tu fais à poireauter là, c'est ton boulot de bien éduquer les chatons ! Kasha tourna très lentement la tête vers lui et avec tout le mépris et l'indifférence dont elle pouvait faire preuve sans toute fois être insolente, elle le regarda.

- Maitre Badgi. Elle le salua d'un très bref mouvement de tête. Comme mon fils s'apprêtait à le dire, cette proie est destinée au Roi. Commença-t-elle d'une voie très calme. Il attend son repas depuis ce matin déjà, il doit être d'assez mauvaise humeur. poursuivit-t-elle d'un ton léger. Elle désigna alors la gazelle d'un mouvement de tête, Mais si tu souhaite la garder, rien ne t'empêche d'allez la réclamer au Roi Kanshu. La tigresse pointa du bout de la griffe, la plus haute cave au sommet du rocher, dont l'entrée était jonchée d'ossement et plongée dans l'obscurité. Hubert et moi t'attendons ici. Elle adressa un sourire doucereux au grand mâle.

Et on venait le déranger. En plus du tapage à l'extérieur, voilà que deux imbéciles venaient lui cacher la lumière de SON soleil dans SON antre. Kanshu se dégagea d'Hadjirah non sans la pousser d'une certaine violence, la laissant se recoucher plus loin, dans une pièce voisine. Une tigresse - qui méritait de se faire appeler une tigresse - se posa à l'entrée, laissant un imbécile traîner ce qui semblait être... une gazelle! Enfin, songea le monarque en sourcillant. Son repas était enfin arrivé.

- Mon Roi. fit la belle voix de l'aussi jolie Tigresse. Mais pour un être devenu immoral par le chagrin, la beauté de sa voix ne lui vint même pas à l'esprit. Le jeune avait déposé à ses pattes la gazelle. Il la fixait, penaud.
- Ton fils est venu t'apporter ton repas.
Il y eut une pause.

L'information ne semblait pas traverser ses oreilles.:

La femelle plus loin aplatit ses rondes oreilles contre son crâne, débitant une protestation inintelligible sur la valeur moindre de son fils, mais Kanshu ne l'écoutait même plus. Il ficha ses grands yeux jaunes dans ceux d'Hubert, dilatant ses pupilles jusqu'à ce que celles-ci n'avale l'entièreté de ses iris. Terrorisé, le jeune lâcha un miaulement effaré, se recula d'un pas, une courbette, et détala en dehors de l'antre en abandonnant derrière lui et Kasha, et Kanshu.
- Quelle mauviette, gronda fortement le monarque avant de s'en aller vers sa gazelle. Il n'attendit pas, plongeant déjà son museau dedans. Hubert revint docilement vers l'entrée, maintenant sa tête basse, ses oreilles dissimulées derrière sa crinière hérissée d'épines. Il jeta un timide coup d'oeil sur la superbe gazelle, son amie de plus tôt, voracement déchiquetée par les dents de sabre de l'adipeux smilodon. Hubert baissa les yeux, soupirant intérieurement. Quel idiot: il aurait du lui tenir tête au lieu de fuir de la sorte... Il tourna d'yeux dépités vers sa mère, serrant les crocs, cherchant des mots qui auraient pu expliquer sa brève fuite. Mais rien ne lui vint. Il se résigna à fermer les yeux, acceptant son sort. Il ne se rendait pas compte que Kanshu l'ignorait royalement - car il n'y a qu'un roi pour ignorer ROYALEMENT - rassasiant son appétit vorace dans une gloutonnerie presque immonde. Voletaient et salive et morceaux, donc une lamelle de viande qui s'écrasa au sommet de la tête de l'adolescent. D'une secousse brève, Hubert se débarrassa de l'immondice. Elle fut rattrapée par une poignée d'autres, l'enterrant dans un mélange d'amylase et de tripes.
-.. ... Beurk, il fit, tout bas.