Jeu[Prio Mosspelt]

Traîtreusement, ses pattes l'avaient fait dansé jusqu'en bordure d'une forêt qu'elle, malgré son incroyable absence de sens de l'orientation, avait réussit à reconnaître. Enfin. Ses pattes ne l'avaient pas tant porté traîtreusement : c'était surtout que son cerveau n'était pas assez concentré pour s'en apercevoir. Ou que son ventre trouvait la faim trop abominable pour qu'elle puisse continuer seule encore longtemps. Bien sûr, en tant qu'ancienne chasseuse elle aurait bien dû pouvoir se nourrir par elle-même. Sauf que la traque n'avait jamais été son fort, surtout pas après avoir pu dépendre sur les talents de son ancien amant. De nombreuses saisons s'étaient écoulées depuis cette séparation, et même si elle n'avait qu'une vague conscience de l'écoulement du temps, elle avait tout de même une certaine mémoire. Et cette mémoire gardait vivement à son esprit le souvenir douloureux d'un hiver passé sur la Plaine des Deux-Pattes, ou l'absence de proie l'avait très rapidement amaigrie. Obéissant donc à un instinct difficilement répressible (et surtout à une tendance dépendante), elle avait alors erré dans l'espoir de se trouver une meute. Ce qui n'était pas arrivé, chacune trouvant quelque chose à redire sur son caractère.

Bah !
C'était loin de la troubler, protégée comme elle l'était derrière une bulle d'innocence. Mais cette dernière avait été percée par ses besoins vitaux, qui l'avaient orientée plus vite qu'elle n'y avait réfléchit vers son ancien domaine, Inaria. L'idée de revenir sur ses terres natales ne l'avait pas inquiété plus qu'il ne le fallait, et même encore, alors qu'elle arrivait en vue des arbres géants, aucun pincement ne venait lui tirailler le coeur. À vrai dire, si elle bondissait avec allégresse en s'orientant tant bien que mal dans une ligne droite, c'était peut-être moins parce qu'elle avait hâte de retrouver sa meute que parce que c'était une attitude qu'elle adoptait dans quasiment chaque situation. L'idée d'être confrontée par l'alpha, son père, voire même sa fille pour sa désertion ne lui avait absolument pas effleuré l'esprit. En fait, il lui était présentement impossible de projeter son esprit au-devant d'attendre la lisière des arbres et de remplir son estomac.

Elle était ainsi toujours en train de trottiner lorsque son regard capta un éclair au reflet pourpre en périphérie de son champ de vision. Interloquée, Mosspelt tourna aussitôt la tête en direction du mouvement et ne manqua pas d'apercevoir la silhouette étrange d'un loup, qui semblait bondir dans toutes directions selon un schéma étrange. Sans se poser plus de questions, la mince femelle piqua au travers du champ et alla se porter à la rencontre de l'inconnu, attirée par sa course comme un papillon pouvait être attiré par une flamme. Le sourire aux babines, elle ne pensa pas tant à ce que pouvait lui apporter cet étranger, malheur comme bonheur, mais savoura simplement le plaisir de voir une autre âme gambader allègrement.

- Oh, hey ! Vous faîtes quoi ? Lança-t-elle lorsqu'elle arriva à sa hauteur, les yeux pétillants de joie.

Juste au moment où le loup se retournait pour lui faire face, une feuille qu'il avait placé contre son oreille fut projetée vers l'avant : obnubilée par son vol, Mosspelt la regarda voltiger jusqu'à ce qu'une gueule s'en saisit avec délicatesse et l'exhibe devant ses yeux.
" Je pourchassais cette touche de couleur, c'est que l'hiver approche et qu'il rendra le monde d'un monochrome déprimant. "
- Ohhhh.
" Mais le doré vous irait mieux je crois. "
- Peuh !
Sa patte vola jusqu'à ses babines, comme elle tenta d'étouffer un rire aigu.
- Sottises ! Toutes les couleurs me vont bien ! Pouffa-t-elle, convaincue de la justesse de ses propos. Puis le doute commença à s'infiltrer en elle, comme elle avait brusquement tendu son cou afin de regarder le reste de son corps par-dessus son épaule. La jeune louve eut alors un soupir déçut puis afficha un air contrit :
- Bon, d'accord, vous avez peut-être raison. Mais qu'importe ! S'exclama-t-elle avec plus de force avant de ne fixer son regard pétillant sur la feuille, la fixant avec ravissement. C'est pour moi ?

Lorsqu'elle comprit que le mâle voulait bien acquiescer à sa demande, la demoiselle sentit son coeur faire un bon. Trépignant d'impatience, elle dû prendre sur elle pour s'immobiliser le temps que le brunet lui passe la feuille derrière les oreilles, ayant conscience que des bons répétitifs l'empêcherait de bien effectuer sa mission. Il prononça entre ses crocs un " Si tel est votre voeux. " délicat, avant de se retirer. La belle sentit alors un frisson lui parcourir la peau, comme elle souriait coquettement sous le regard soutenu du mâle.
- Cela me va bien ? Demanda-t-elle avec une timidité feinte, alors qu'elle dévorait des yeux la silhouette de son compagnon.
N'attendant pas de réponse, elle fit quelques pas avant de se tourner à l'opposé de Skyglance, sa queue épousant souplement sa trajectoire. La tête courbée sur son épaule, elle le fixa en attendant qu'il la rattrape.
- Dîtes moi, nous sommes bien à Inaria, n'est-ce pas ? Questionna-t-elle d'un ton naïf.

En dépit de sa frivolité, Mosspelt avait pleinement conscience du regard qu'elle s'attirait de la part du mâle. À vrai dire, elle s'y complaisait sans honte ; malheureusement, elle ne put percevoir l'éloignement soudain que mis Skyglance entre eux, suite à sa question. L'esprit emportée par une bulle quelconque, elle ne remarqua pas le doute qui s'insinuait en lui.
- En effet, nous sommes à Inaria. Ces bois vous sont-ils familiers?
Ses oreilles se dressèrent sous le coup de la surprise, avant de s'abaisser au rythme des soubresauts d'un léger rire. Elle fit alors un rapide volte-face et pu se tenir, toute droite et débordante d'énergie, au devant du mâle. Laissant sa queue se relever naturellement, elle répondit à son sourire en dévoilant ses dents d'une blancheur éclatante
- Bien sûr ! Clama-t-elle, avant de préciser d'un ton moins fort : Quoique, non, ces bois ne me disent rien.
Ses yeux se fermèrent quelques secondes comme elle penchait la tête d'un air contrit : évidemment, le sens de l'orientation lui faisait toujours défaut. Mais cela ne l'empêcha pas de préciser joyeusement :
- Mais je suis née à Inaria !

Bien que son esprit papillonnait tout autour et n'avait un taux de concentration réduit environ jusqu'à la moitié, tandis qu'une bonne partie se concentrait sur la feuille lui chatouillant l'oreille, Mosspelt parvint tout de même à comprendre que la prochaine phrase prononcée par son chevalier servant recelait d'une certaine importance. Après un certain effort, elle réussit à fixer son regard, ses oreilles et son attention toutes trois vers lui et écouta ses propos :
- ... vous conduire? Il doit y avoir bien longtemps que vous n'êtes venue ici pour ne pas vous souvenir de ces bois.
Le même sourire était autant étalé sur ses lèvres, mais cette fois peut-être devenait-il un brin figé. La question l'avait quelque peu prise au dépourvu, mais surtout, elle l'obligeait à confronter ce à quoi elle évitait de penser depuis un bon moment : allait-elle vraiment réintégrer Inaria ? L'idée de le faire, les responsabilités que cela impliquaient, l'importance d'une telle décision, tout cela la terrifiait profondément lorsqu'elle osait y penser. Ce pourquoi elle évitait de le faire, justement. Elle n'avait jamais été douée pour prendre les décisions importantes ou choisir autrement que sur un coup de tête. Prendre un moment précis pour le faire, peser le pour et le contre, ne faisait pas parti de son vocabulaire. Pire, cela l'angoissait. Il ne lui fallut donc pas longtemps avant qu'elle ne cligne des yeux et ne se déconnecte de ce sujet, forçant son esprit à ne pas se préoccuper de ce genre de choses.
- Oh, euh.. Les tanières sont toujours autour de la grande rivière sèche, je crois ? Demanda-t-elle avec un sourire. J'imagine que l'endroit me conviendrait !

- Votre retour devrait faire plaisir à quelques membres de la meute non?
- Hm, bonne question ! Le coupa-t-elle avec un sourire, avant qu'il ne poursuive :
- Qui sait, il y a peut être en effet encore une place dans les tanières pour vous? Allons, venez, nous vous trouverons bien un endroit où rester.
- D'accord !
Elle accepta avec enthousiasme, effectuant un petit bond sur place avant de s'immobiliser, prête au décollage. Puis, elle se mit à réfléchir un peu plus à ce que venait de lui dire Skyglance, analysant après coup à ce qu'elle venait d'accepter. Reverrait-elle des gens qu'elle avait autrefois connu ? Elle avait beau bloquer son esprit à cette pensée, elle ne pouvait éternellement se voiler la face. Bien sûr qu'elle reverrait certains visages. Et cela lui causait un choc. Tout comme s'imaginer à nouveau dans une tanière, un logis fixe, sécuritaire, qui resterait immobile. Peut-être le même que dans son enfance. La roue du temps semblait la ramener exactement là où elle était partie, et son esprit se forçait à lui dire que rien n'avait changer. Elle fit quelques pas vers l'avant, se concentrant sur sa route pour oublier ses réflexions.
- J'imagine que papa sera content de me revoir ! Lança-t-elle finalement d'un ton léger.

Son exclamation avait été reçue en silence par le mâle, mais Mosspelt ne lui en tint pas rancoeur ; à vrai dire, sitôt les mots sortis de sa bouche, ils étaient déjà oubliés. Elle se contenta donc de cheminer d'un pas aérien, suivant sans se poser plus de question le brunet.
- Au fait, je me nomme SkyGlance. Ravi de vous avoir rencontrée.
Aux premiers sons, ses yeux s'étaient reportés sur le mâle (plutôt que de traînasser à droite et à gauche). Un nouveau sourire étira ses babines, comme elle répondit :
- Je suis Mosspelt, enchantée !
Elle continua de le détailler quelques instants encore, essayant d'en trouver un écho dans sa courte mémoire.. mais en vain. Les visages se brouillaient dans son esprit, et elle ne pouvait savoir si elle l'avait déjà rencontré, autrefois, alors qu'elle était encore jeune. Légèrement déçue, mais sans le montrer, elle reporta son regard vers les grands arbres qui entouraient la clairière, et qu'ils dépassèrent bientôt. Un semblant d'émotion la saisit alors comme elle foulait pour la première fois sa terre natale depuis plus d'un an. Même si d'apparence elle n'était que frivolité, cela venait toucher une corde sensible, enfouie quelque part. Mais elle élargit son sourire, se forçant à regarder tout autour, profitant de cette nouvelle vue de la forêt.
- J'avais oublié à quel point ils étaient grands ! Pensa-t-elle à voix haute, le visage tourné vers la cime des arbres.

À ses côtés, Skyglance sembla enfin se départir d'une partie de sa méfiance. Mais de cela, elle ne pouvait s'en rendre compte, trop émerveillée qu'elle était de redécouvrir son environnement d'enfance. Elle n'eut de nouveau conscience de sa compagnie que lorsqu'il prit la parole à son tour, commentant son exclamation de plus tôt :
- C'est vrai qu'ils sont impressionnants vus d'ici. Qui sait combien d'années se sont écoulées pour qu'ils atteignent une telle taille. Et puis qui sait, peut-être qu'eux aussi avaient oublié à quel point nous sommes petits comparativement à eux.
Dès les premiers mots, Mosspelt avait affiché un sourire un poil plus éclatant, qu'elle maintiendrait alors pendant un long moment. L'importance des derniers mots lui échappait, la philosophie trouvant rarement un écho chez elle, pourtant elle parvenait à distinguer une certaine beauté de tout cela. Ils purent ainsi cheminer vers les confins de la forêt dans une entente confortable, échangeant par moment quelques remarques sur leur environnement, parfois ponctuées d'un rire enfantin, comme Moss avait déjà oublié ses craintes de revenir chez elle la queue entre les pattes.