Un air d'agitationostalgique

- Sal... Si on est rentrés à l'Oasis, c'est pour se ressourcer avant d'affronter les chiens du Clan du Loup, tu te rappelles ? Notre mission reste la même: trouver un guérisseur qui pourrait nous donner une piste vers un remède qui traiterait notre condition. Qui sait, on ne sera peut-être même pas obligés de les affronter.
De cela, elle doutait un peu... A moins qu'elle ne fasse quelque chose de stupide pour occuper Blight et ses fous pendant qu'ils cherchaient, bien sûr... Mais elle n'allait évidemment pas lui raconter ça.
- Mais au moins, on sera préparés. Je ne sais pas si on peut réellement faire revivre des tissus morts, mais tant que la possibilité existe, je ne peux pas l'écarter. Il n'y a pas que moi qui est concerné. Je le fais pour Ran, aussi.
Salama se sentit tiquer à la mention de "tissus morts". Etait-ce vraiment possible d'être aussi pessimiste ?!
- Ran... Elle s'efforce toujours à sourire pour me remonter le moral, mais je suis persuadé qu'elle me hait ... S'éloigner de moi afin de renouer avec Chrys, maman et JD va lui faire le plus grand bien.
Ah non.
Ah non. Fit-elle à l'instant où cela traversait son esprit. Elle s'empressa d'agripper le visage de Chrono entre ses deux pattes avants, le dardant d'un oeil sévère. Je t'interdis de penser ça ! Tu m'entends ?!
Elle gronda, toujours plus exaspérée par la tendance à l'auto-flagellation de son ami.
- T'es complètement abruti ou quoi ? C'est ta soeur. Vous êtes pratiquement greffés l'un à l'autre ! Dans quel univers parallèle tordu penses-tu te trouver pour imaginer une telle chose.
Elle le repoussa brutalement et recula. Elle avait raison de penser qu'il ne se laissait pas la chance d'être heureux avec ce qu'il avait. A croire qu'il voulait se punir encore plus qu'il ne l'était déjà.

Chrono redressa soudain la tête lorsque Salama agrippa celle-ci dans ses deux pattes.
— Je t'interdis de penser ça ! elle lui cria dans les oreilles. Tu m'entends ?!
— ... mmmque tant que la possibilité existe, je ne peux pas l'écarter ??? bafouilla Chrono, les yeux ronds comme des soucoupes, autant par sa confusion que par sa stupeur (ou, dans ce cas-ci, stupideur). Salama gronda, arrachant un geignement à son ami qui avait abaissé sa croupe en fléchissant de ses pattes postérieures, la queue agitée.
— T'es complètement abruti ou quoi ? C'est ta soeur. Chrono se sentit se calmer. Oh. C'était de ça qu'elle parlait. Il baissa la tête et les yeux, soudain dépité.
— Vous êtes pratiquement greffés l'un à l'autre ! Dans quel univers parallèle tordu penses-tu te trouver pour imaginer une telle chose. Elle le repoussa et il se réceptionna tant bien que mal sur ses trois pattes. En relevant la tête, il chercha à soutenir son regard.
— ... Dans celui où son frère est responsable de lui avoir volé sa sensation du toucher. Celui où elle ne peut plus sentir la chaleur, un câlin, une caresse, le sol sous ses pattes, une, une je sais pas, une bourrade amicale, ou même un tope-là.... Il se laissa tomber sur son séant, portant une patte devant ses yeux, le corps tremblotant.

Je sais ce que tu veux me dire. Je sais qu'elle peut m'aimer comme un frère. Je veux croire ça.

Mais je ne peux pas écarter la possibilité que si elle peut m'aimer comme un frère, elle peut aussi me haïr pour ce que je lui ai fait... l-l'un... n'exclut pas l'autre...

- ... Dans celui où son frère est responsable de lui avoir volé sa sensation du toucher. Celui où elle ne peut plus sentir la chaleur, un câlin, une caresse, le sol sous ses pattes, une, une je sais pas, une bourrade amicale, ou même un tope-là...
Il s'assit et se mit à trembler sous le regard interdit de Salama.
- Je sais ce que tu veux me dire. Je sais qu'elle peut m'aimer comme un frère. Je veux croire ça. Mais je ne peux pas écarter la possibilité que si elle peut m'aimer comme un frère, elle peut aussi me haïr pour ce que je lui ai fait... l-l'un... n'exclut pas l'autre...
La métisse le regarda se décomposer pendant quelques secondes avant de répondre.
- Je pense que tu te trompes. Fit-elle d'une voix douce. Je sais ce que c'est que d'être haïe par un membre de sa famille, Chrono. Et crois-moi que Ciaran a tout sauf l'air de te haïr.
Elle secoua la tête, juste un peu incertaine : elle connaissait la haine, le fait était qu'elle ne connaissait pas l'amour de la famille de sang.
- Mais il n'y a qu'un seul moyen d'en être sûr : il faut que tu lui parles. Conclut-elle. Quoique je ne sais pas ce qui sera le plus dur : pour toi de lui parler, ou pour elle d'entendre tes doutes à son sujet...
Elle soupira de frustration. Pourquoi fallait-il que tout soit tellement compliqué avec Chrono ?
Oh right, parce que lui et sa soeur avaient fait elle ne savait trop quoi pour ressusciter leur père mort alors qu'ils n'avaient qu'un an et qu'ils en avaient récupérés des séquelles d'on ne savait trop quoi.

Pendant leur voyage aux montagnes brunes, Ciaran était tombée malade. Chrono avait toujours su sa sœur débrouillarde (plus que lui), c'est pourquoi la voir dans cet état l'avait complètement désarmé. Malade, elle n'arrivait à rien. C'était à lui d'être à son chevet. C'était à lui de chasser sa portion. C'était à lui de s'assurer qu'elle soit au chaud. C'était à lui de la tenir éloignée des autres facteurs pouvant être néfastes à sa santé. Comme elle ne ressentait plus les signaux sensitifs de son corps, c'était à lui, et à lui seul, d'interpréter ceux-ci du mieux qu'il le pouvait.

Il était responsable de son malheur. Devoir s'occuper d'elle était sa punition pour son acte, et il l'acceptait. Toutefois, punition juste ou non, l'idée que sa sœur lui tienne rigueur l'effrayait. Chrono ne pouvait plus se cacher la tête dans le sable et nier, comme il le faisait enfant. Il devait faire face à la réalité. La voix de Salama le tira hors de ses réflexions.
— Je pense que tu te trompes. Chrono releva doucement sa patte de ses yeux. Je sais ce que c'est que d'être haïe par un membre de sa famille, Chrono. Et crois-moi que Ciaran a tout sauf l'air de te haïr.
— ... Sal.. Intérieurement, il savait la suite du raisonnement de son amie. Il faudrait qu'il en parle à Ciaran. L'option lui glaça le sang.
— Mais il n'y a qu'un seul moyen d'en être sûr : il faut que tu lui parles. qu'elle confirme ses tracas n'améliora pas son état. Il serra inconsciemment ses crocs, ramenant sa patte nécrosée contre son poitrail, indécis.

Quoique je ne sais pas ce qui sera le plus dur : pour toi de lui parler, ou pour elle d'entendre tes doutes à son sujet...
— ...
" Se ressourcer ", se rappela-t-il, en fermant durement ses paupières. C'était peut-être une façon de se ressourcer. Dénouer les nœuds du coeur afin de pouvoir se concentrer pleinement sur leur mission ensuite. À cette pensée, il eut un sourire. Il n'était pas calme pour autant: les commissures de ses lèvres tremblaient, manifestant sa crainte et son indécision.
— Tu as raison... Si je continue à,... à éviter le sujet, ça va nous distraire. Il chevrota alors Il secoua sa tête, passa sa patte dans ses franges afin de les replacer.
— ... Et... " j'ai besoin d'une concentration parfaite pour réussir ". Son sourire se leva timidement. Merci, Sal.

A son grand étonnement, Chrono ne fit pas la tête de mule, ne se trouva pas d'excuse louche pour réfuter la nécessité de parler à sa soeur.
- Tu as raison... Si je continue à,... à éviter le sujet, ça va nous distraire. ... Et... " j'ai besoin d'une concentration parfaite pour réussir ". Merci, Sal.
Elle répondit par un sourire à celui du jeune loup, mais le coeur n'y était pas vraiment. Quelque chose la tracassait mais elle était incapable de mettre le doigt dessus.
Une lueur de panique passa brièvement dans son regard lorsqu'elle envisagea la possibilité que son "instinct" cherchait à lui communiquer un pressentiment.
Mais non. Ce n'était pas ça, ce n'était pas comme d'habitude. Elle regarda Chrono, comme cherchant une réponse à son interrogation nébuleuse sur son visage.
Et la réalisation la frappa alors, la stupéfiant autant que la nature de son trouble l'irrita : elle avait été virtuellement seule et sans famille toute sa vie, avait connu toutes les déceptions possibles quant à ce domaine... Elle pouvait bien attendre encore un peu.
Mais le problème quand on réalise enfin quelque chose dont on n'avait pas conscience : c'est que justement, on en a conscience !
Salama fronça les sourcils, tirant soudainement une tête de six pieds de long. La belle affaire. Finalement, prendre le large et devancer les deux autres au camp ne semblait plus une si mauvaise idée...

Malgré le sourire vide de Salama, Chrono se sentit plus en confiance. Il craignait devoir confronter sa sœur à ce sujet, c'était un fait. Mais continuer à se laisser contraindre par ce nœud du cœur créait un enjeu bien plus grave : Un moment d'inattention pourrait leur coûter la vie. Pas la sensation dans leurs pattes, pas leur équilibre, leur vie.

Cette réalité lui évoqua une image vive d'un autre loup, rencontré il y a deçà deux lunes, dans les plaines détrempées. Chrono se rappelait de sa fourrure pourpre. Comment il aurait pu l'oublier ? C'était la dernière chose qu'il avait vu avant de s'écraser au sol après avoir encaissé son coude dans le poitrail. Le loup avait agi sans la moindre hésitation. C'est ce qui avait rendu son coup fatal.

La résolution prévalait l'indécision, et c'est la confiance qui donnait naissance à la résolution. Ce ne serait que confiant et résolu que Chrono pourrait affronter directement leurs ennemis. Et pour être confiant et résolu, il fallait dénouer ce nœud.
Chrono sentit sa respiration chevroter dans sa gorge. Même en prenant conscience de tout ça, il ne pouvait pas entièrement passer au-dessus de ses craintes. Il n'était pas encore tiré d'affaire: Bon gré, mal gré, il allait devoir confronter Ciaran.

Lentement, il se releva sur trois pattes, repliant son avant-main nécrosée contre son poitrail comme il perdait son appui au sol. Il dressa les oreilles en prenant également conscience des réflexes qu'il avait développé autour de sa condition. Il en avait fait, du chemin. C'était devenu comme sa seconde nature. En levant la tête, il se croisa au regard de Salama, qui venait de perdre son sourire au profit d'une mine renfrognée.
Ignorant l'origine du sentiment, Chrono s'enquit presque aussitôt:
— Ça va? C'est tes côtes qui te font encore souffrir ?

Se méprenant sur l'origine de sa "contrariété", Chrono s'enquit aussitôt de son état :
Ça va? C'est tes côtes qui te font encore souffrir ?
Salama cligna des yeux, le fixant comme si elle le voyait pour la première fois, restant muette quelques secondes avant de secouer la tête pour se ressaisir.
- Ouais. Quequ'chose comme ça. Répondit-elle, lointaine. Je vais aller demander un truc à Jedi pour me calmer.
Inutile de préciser qu'elle n'allait pas demander à sa demi-soeur.
Salama allait se mettre en route, toujours hébétée par sa prise de conscience, mais elle s'arrêta subitement dans son mouvement pour se retourner vers Chrono, le regard plus vif.
- Tu vas voir Ciaran maintenant ? Demanda-t-elle doucement. Puis après une seconde : Tu veux que je t'accompagne ?
Elle ne pensait pas qu'il répondrait oui mais c'était plus l'intention qui comptait : lui faire savoir qu'elle était bien là s'il en avait besoin. Même si, certes, elle lui pétait parfois des plombs à la gueule, mais au moins, ça crevait l'abcès !

— Ouais, lui répondit Salama, un peu ailleurs. Quequ'chose comme ça. Je vais aller demander un truc à Jedi pour me calmer.
— Prrft! fit Chrono en portant sa patte inutile à sa bouche. "Jedi" ! C'est qu'il en venait presque à oublier son prénom, à force de l'appeler toujours " tonton JD ". Il s'égara dans ses réflexions. Mais en fait, ne serait-il pas plus juste de l'appeler Grand-tonton, puisqu'il était l'oncle de leur père, et non le leur ? Chrono secoua sa tête. Pourquoi il pensait à des trucs pareils, maintenant ? Il leva un sourire en coin, crispé. Ce n'était pas avec ce genre de distraction qu'il allait devenir résolu. Salama s'était levée, se préparant à partir de son côté aussi.
— Tu vas voir Ciaran maintenant ? Chrono abaissa ses oreilles.
— Tu veux que je t'accompagne ? Il les redressa, grimaçant d'embarras.
— Non, tu dois aller voir Tonton JD avant, lui répondit Chrono, en relevant la tête et les épaules, solidifiant les ancres de sa posture. Malgré ses traits faciaux un peu usés par son expérience, ils n'avaient pas perdu leur éclat de son enfance. Tu nous rejoindras après, si tu veux. Il rouvrit ses yeux.
— Tu ne serais pas de trop. il ajouta, sur un sourire franc.

- Non, tu dois aller voir Tonton JD avant. Répondit-il, grimaçant son inconfort à la perspective de ce qui l'attendait.
Salama s'en doutait bien et hocha la tête avec un petit sourire encourageant.
- Tu nous rejoindras après, si tu veux. Tu ne serais pas de trop.
Un sursaut invisible la traversa et elle se sentit regagner un peu d'énergie, semblant respirer plus aisément également. Ce qu'elle fit avec un peu trop d'enthousiasme en prenant une grande respiration qui lui arracha une moue d'inconfort, lui rappelant qu'elle ferait vraiment mieux d'aller voir le Bêta guérisseur.
- Bon j'y vais alors. Je vous rejoins... erm... Bah. Je vous retrouverai bien en cherchant un peu... Déclara-t-elle, haussant les épaules. Cela leur laisserait le temps de se dire le plus important... En espérant qu'elle n'allait pas les retrouver bons à être ramassés à la petite cuillère...

— Bon j'y vais alors. Je vous rejoins... erm... Bah. Je vous retrouverai bien en cherchant un peu...
— Si tu te perds, c'est nous qui allons te retrouver, lança Chrono sur un ton badin, un grand sourire aux lèvres. Il remua sa queue, leva sa tête et dressa ses oreilles, invitant son amie à partir. Il allait faire de même. D'abord une douche pour se nettoyer de tout ce qu'elle lui avait susurré à l'oreille. Il s'occuperait du nœud ensuite.

The End!