Entre chien et loup.

Entre chien et loup.

Automne | An 6
RP privé | Tanvir

Curieuse, la jeune chienne avait exceptionnellement faussé compagnie à ses frères et sœurs pour se couler doucement à l'extérieur et observer la vie au Camp alors que le crépuscule montrait ses premiers rougeoiements. En quelques minutes de divagations, elle avait atteint la bordure du terrain d'entrainement des chiens. Il en restait une bonne dizaine à courir, aboyer, sauter, écouter, obéir sous les ordres de leur Deux-Pattes qui les récompensaient souvent quand le résultat semblait leur plaire. Cette complicité fit vibrer la jeune chienne intérieurement. Elle qui n'avait pour l'instant encore aucun maître à cause de son handicap et de sa forte aspiration à vivre en solitaire pour ne plus s'attirer les regards plaintifs de sa camarades, elle aurait voulu sauter sur le terrain, là tout de suite maintenant, montrer qu'elle valait autant qu'un chien normal. Mais elle ne pouvait pas...

« Huf... »

Soupira-t-elle. Décidément, elle se demandait si quelqu'un pourrait la comprendre un jour, et si elle arriverait à surmonter tout ça, le fait de ne pas pouvoir articuler correctement un mot.

Concentrée dans son observation des chiens adultes, elle aperçu soudain une forme différente qui venait d'arriver, puis qui lui sourit avant de s'approcher d'elle. C'était le tout jeune fils de Cyrus, reconnaissable entre mille avec son poil flamboyant et son allure plutôt noble pour un jeune chiot. Elle l'aimait bien même s'il elle n'avait eut que de rares occasions de le côtoyer, à part le temps qu'ils viennent chercher un chiot de sa fratrie pour venir jouer. Pourtant, son assurance et sa droiture avait tendance à rassurer la petite Whisper, avec un je ne sais quoi qui faisait qu'on pouvait voir confiance en lui.

« Bonsoir Whisper ! »

Tout proche maintenant, il lui donna un léger coup de patte pour signifier sa présence amicale. Whisper frémit à son contact, à part sa mère, elle était peu habituée à se faire toucher par les autres chiens, d'autant plus quand ce contact ne venait pas de sa propre intention. Néanmoins, elle se retint de prendre ses distances. Elle devait faire des efforts si elle voulait paraitre normale. Et ça commençait maintenant.

« Ils courent vite, hein ?! »

À ces paroles, la petite chienne ne pu s'empêcher de regarder les chiens dont il parlait. Leurs mouvements paraissaient presque flous tellement ils étaient exécutés rapidement, pas comme les petites courses maladroites qu'avait pu avoir Whisper avec d'autre chiots du clan.

«Tu veux qu’on fasse une course ? Comme ça on s’entraine ensemble ! »

« Awwwr... »

Couina-t-elle difficilement pour montrer son approbation. Elle n'était pas contre se dégourdir un peu les pattes. Et puis, avec les Deux-Pattes présents, c'était aussi une façon de se faire remarquer, et pourquoi pas choisir pour enfin avoir son maître rien qu'à elle !
Se remettant vite fait sur ses quatre pattes, Whisper se mit à la hauteur du jeune chien qui déjà était plus grand qu'elle. Sa queue battait joyeusement contre ses flancs. Les défis, elle avait peu l'habitude d'en relever, et le fait de se l'être fait proposé par un autre louveteau, spontanément, c'était un peu comme un miracle pour Whisper, qui comptait bien en profiter à fond !

Tanvir sembla bien réagir et son acquiescement. Peut-être avait-elle finalement trouvé les "mots" pour se faire comprendre, même si elle ne parlerait jamais comme les autres. D'ailleurs, elle était contente que ce soit finalement le roux qui la fit bouger de sa solitude. Malgré son jeune âge, elle avait souvent entendu ses jeunes camarades parler de lui comme le chef de la bande. Et c'est bien connu, quand le chef commence à apprécier quelqu'un, ses camarades se précipiteront à faire de même pour se faire bien voir. Peut-être que ça pouvait jouer... Mais encore fallait-il qu'elle prouve sa valeur à la course, car malgré son corps svelte, la synchronisation entre ses pattes, ça n'était pas toujours ça...
Ils marchèrent, juste le temps de prendre place à l'extrémité du terrain, pour que la course dure quelques foulées de plus, qu'elle soit plus longue. Un meilleur défi en somme pour les deux jeunes chiots. Tanir se plaçait déjà pour le départ, sortait rapidement la jeune Whisper de ses pensées.

« Quand tu veux ! Mais j’te préviens ! J’suis déjà fort ! »

Ils étaient côte à côte, seulement quelques pattes les séparaient l'un de l'autre, et elle pouvait, de là où elle était, sentir les muscles tendus de Tanvir tressaillir en attendant l'effort, et sa motivation aussi. En le regardant, Whisper ne pu s'empêcher de sourire. Il prenait cette course vraiment à cœur.

« ... »

Articula-t-elle silencieusement en claquant des mâchoires, attendant avec une impatience inhabituelle que la course commence. C'était un peu un jeu, même si elle se doutait qu'elle serait loin d'être la vainqueur. Malgré tout, elle ne serait pas seule et cela lui réchauffait le cœur.

Whisper eut une seconde d’hésitation alors que le mâle s'élançait déjà dans la course. L'entendre aboyer, ça avait fait comme bondir son cœur et se resserrer sa gorge, avec une irrémédiable envie de faire pareil, faire pareil... Si seulement...
Reprenant ses esprits, elle s'élança à son tour, rattrapant vite le chiot qui prenait de petites foulées pour lui laisser le temps de s’accommoder. Pas d'emmêlage de pattes pour le moment, c'était un bon début. Whisper sourit à nouveau, sentir un léger courant d'air courir sur sa frimousse et entre ses poils était un véritable renouveau pour elle qui se faisait discrète habituellement, et donc, lente et silencieuse pas définition. Une fois à la hauteur de Tanvir, Whisper le regarda à nouveau. Il avait l'air tellement à l'aise alors qu'elle devait se concentrer pour ne pas perdre pied et poser un mauvais appuis. Le filou se mit même à lui mordiller l'oreille en profitant de leur proximité se qui surpris beaucoup la jeune chienne, mais qui ne se mit pas à trembler cette fois-ci. Le contact, amical, la rassurait plutôt, un peu comme un "Tu peux le faire !" revigorant. Puis il rit avant d'annoncer :

« Aller la cousine, donne tout ce que t'as ! »

Le chiot roux pris rapidement de l'avance, en quelques foulées seulement. La chienne hésitait à le suivre dans sa course folle, n'étant pas bien sûre qu'elle arriverait sans tomber au bout de leur jeu. Mais la joie de Tanvir la fit bientôt changer d'avis. Il ne fallait pas abandonner si tôt. Faire des efforts, elle devait faire des efforts. C'était juste une façon ou une autre de commencer.
Whisper pris une grand inspiration et se mit en tête de rattraper le jeune chien qui filait à vive allure devant elle. Elle allongea ses foulées, prenant garde aux placements de ses pattes, puis, augmenta la poussée de ses pattes arrières, pour bondir plus en avant à chaque fois. Le temps de s'habituer à ses quelques changements, elle vivifia son allure jusqu'à avoir un petit espoir de rattraper le jeune chien dont elle ne voyait plus que le popotin bouger devant elle, à quelques mètres tout au plus. Concentrée dans son effort, elle laissa même pendre sa langue à l'extérieur de sa mâchoire, bien trop occupée par ses foulées pour penser à faire rentrer dans sa gueule.

Le roux était toujours devant elle alors que la course se terminait à l'autre bout du terrain de dressage. Elle n'aurait pas eut cette hésitation, seules quelques foulées les aurait séparées au passage de la ligne d'arrivée fictive. Whisper s'arrêta, trottinant sur un petit cercle encore quelques instants puis s'affala sur son popotin en respirant rapidement pas saccades. Elle avait un large sourire sur les babines, et son regard se porta immédiatement sur son camarade roux, qui lui aussi, semblait un pu fatigué par la course. Néanmoins, il semblait d'apparence plus digne que la petite chienne qui peinait à se remettre de l'effort. Il fallait dire qu'elle n'avait pas l'habitude ni de courir, ni de faire quelque entrainement que ce soit, préférant restée cacher toute la journée pour éviter le regard des autres.

«  Je ne savais pas que tu courrais aussi vite ! t’étais pas loin ! Si tu t’entraines … »

Whisper était contente que Tanvir la complimente un peu. C'était rare venant d'une personne autre que sa mère aimante. La petite chienne sourit encore plus largement au mâle, sa queue touffue s'agitant en rythme battant le sol meuble. Prenant une pose surprenante, comme pour lui dire un secret, la patte posée devant sa gueule, le chiot continua :

« … tu pourras me dépasser ! »

La jeune chienne mima un jappement de joie. Elle qui n'était pas de nature battante, elle était assez heureuse de savoir qu'elle avait les capacités pour la course, et pourquoi pas être dans un attelage plus tard. Et avec lui, ça serait encore mieux...

« Va falloir que je m’entraine encore plus alors ! »

Le souffle de la petite chienne se calmait peu à peu, et son intérêt pour le jeune chiot, lui, augmentait par la même proportionnalité au fur et à mesure de ses paroles. Il était fascinant de voir à quel point son avenir lui tenait à cœur, à quel point les entrainements faisaient partie de sa jeune vie.
Tombant sur le dos, le jeune continua à la fixait ce qui la gênait un peu. Elle aimait peu les regards, en encore moins posés sur elle, mais, celui-là était différent. Il n'y avait pas cette pitié, cette condescendance qui brillait en fond pour lui rappelait son sort. Ce regard, il était juste franc et vrai. Et avec le sourire l'accompagnant, ça la rassurait sur ce que pensait Tanvir. Mais elle était loin d'imaginer que ce n'était pas sa condition de muette qui le rebutait le plus, mais le fait qu'elle soit plus louve que chienne, malgré tout l'attachement qu'elle ressentait pour le clan.

« Si il faut, on se retrouvera un jour dans le même attelage ! ce serait cool hein ? »

La chienne se laissa à son tour tomber sur le dos, les quatre pattes en l'air, regardant le soleil qui faisait rougir le ciel, et qui laisserait bientôt place à la nuit. Entre chien et loup, c'était ce moment de la journée qui prenait ce nom. Avant que le chien ne rentre se mettre au chaud près de son maitre, et avant que le loup sorte faire ses sombres desseins emplis de sang et de hurlements.
Elle claqua doucement des mâchoires pour montrer son approbation, et le fait qu'elle puisse avoir un appui, ici, au sein même du clan la rassurait. Et le fait qu'il la voit encore ici, dans quelques années, entrainée et avec un maitre qui plus est, c'était un peu comme si tout cela allait bientôt se réaliser. Le temps passait vite, il emportait les souvenirs et les chiens avec lui, les faisait évoluer, partir vers d'autres destins, d'autres contrées.

Ses oreilles frémissaient à chaque son provenant du camp attenant : cris d'enfants, bruits de pas, frottements constant des femmes en train de tanner les peaux, glissement des traineaux poussés par les Bipèdes déterminés à gagner la grand course organisée pour la prochaine lune sur les plaines. L'agitation la berçait, et elle se laissa confortablement aller, les yeux fermer, à imaginer chacune de ces scènes comme si elle y était. Elle était attachée à tout ce qui faisait sa vie au milieu de cette tribu mixte. Le moindre détail, le moindre son, la moindre odeur la réjouissait à l'extrême. Et être là, allongée à côté d'un "ami', c'était un sacré moment que la petite chienne s'efforçait de graver à jamais dans sa mémoire.
Elle sentit soudain que Tanvir avait roulé tout contre elle, le contact durant quelques secondes. Elle rouvrit les yeux, le regardant un peu interrogative. Le jeune roux s'était vite relevé en détournant son regard. Whisper fut amusée de sa réaction. Malgré tout, il semblait peu disposé un contact physique, un peu comme elle. Ou alors, il regrettait de ne s'être relevé sans faux pas. Mais dans chacun des cas, la petite chienne espérait que ce n'était pas car elle semblait trop sale pour lui.

«  Bon .. euh, beuh .. Tu as faim ?! Ahah ! »

Whisper ne tarda pas à imiter la position assise du jeune chien. Une fois sur ses pattes, elle observa une nouvelle fois Tanvir, la tête penchée sur le côté, se demandant bien ce qu'il avait vraiment voulu dire. Néanmoins, elle devait avouer que le coucher de soleil était toujours synonyme de repas pour elle et son estomac semblait d'accord avec l'idée de faim à cet instant.

« Je connais un endroit où ma mère cache les meilleurs morceaux de viande que les deux-pattes nous donnent. »

Avait dit Tanvir, plus sérieux d'un seul coup. Redressant sa tête, la chienne approuva en acquiesçant de la tête et sa queue battant avec joie le sol derrière elle. Elle ne serait pas contre partager le moment du repas avec quelqu'un d'autre que sa mère. Surtout si c'était proposé avec tant d’entrain ! Et puis, il se mit soudain à rire.

« Elle est pas préteuse »

Lui souffla-t-il, de l'amusement dans la voix.
La chienne rit silencieuse à son tour, esquissant un large sourire pour compenser son mutisme. Décidément, il n'était pas qu'un chiot déterminé, il s’avérait aussi très malin et avait les mots justes pour chaque situation. La chienne l'enviait un peu, elle qui ne pouvait en prononcer aucun était plus handicapée pour se faire comprendre.
Vite coupée dans ses pensées, elle remarqua que le roux était déjà sur ses quatre pattes et lui en tendait une, comme une invitation à le suivre. La jeune chienne était flattée d'avoir autant d'attention de sa part, elle qui avait juste l'habitude des regards fuyants et des détours pour éviter son chemin, que quelqu'un l'invite, c'était bien la première fois !

« Puis si tu veux, on ira ensuite écouter les deux-pattes chanter ... Ensemble ?  »

En... Ensemble ? La chienne avait du mal à penser tellement les idées se bousculaient dans sa tête. Alors, il voulait bien de sa compagnie ? Il... Il l'acceptait, elle qui n'avait rien pour elle, qui n'avait pas de discussion ? Et en touchant juste en plus... L'écoute était le point fort de la chienne qui s'empressa de sautiller de joie pour rejoindre le jeune chiot et lui montrer à quelle point elle était heureuse de sa proposition.

Avec toute la joie qu'elle ressentait, pas un instant la petit chienne n'avait vu la gêne de son compagnon canin, ni même son hésitation les quelques secondes avant qu'elle ne montre son entrain à écouter les chants des humains. Elle savait plus écouter que voir.
Arrivée à la hauteur du jeune chien roux, tout deux partirent en direction du camp, côté à côté, leur deux jeunes corps se touchant fréquemment au gré des aspérités du sol sur lequel ils marchaient, et aussi des petits trébuchement de la jeune chienne. Les premières fois, Whisper frissonna doucement, pas encore très habituée à ce que quelqu'un la colle autant, mais elle appréciait cette proximité qui lui mettait du baume au cœur.
Tanvir la guida au milieu du camp, sans jamais qu'elle ne douta de son intention. Elle sentait qu'il ne lui ferait pas faux bond, il ne s’éclipserait pas devant le regard des autres chiens contrairement à d'autre jeunes de son âge qui dédaignaient sa compagnie s'ils devaient être vu avec elle. Elle avait rarement pu observer la vie  l'intérieur du camp, recluse dans un coin de l'enclos depuis sa naissance, n'osant sortir que sous la protection de sa mère. Les huttes étaient hautes et les dominaient de beaucoup, semblant veiller sur eux affectueusement. Les Deux-Pattes s'agitaient beaucoup, marchant habilement d'un côté à l'autre des huttes, les contournant, en sortant, portant des objets à l'utilité inconnu ou différents mets à l'odeur alléchante. Les yeux divaguant d'un côté à l'autre, guettant la moindre activité, la petit chienne était fascinée par ce qu'elle voyait.
Ils arrivèrent rapidement à l'endroit voulu. Le coup d’œil de Tanvir lui confirma son pressentiment. Les deux jeunes se faufilèrent entre deux huttes où de nombreux paniers en osier étaient entreposés. Les différentes odeurs mêlées qui en parvenaient intriguait beaucoup la jeune chienne qui allongea le cou, la truffe frémissante pour délier ce que pouvait être toutes ses créatures. Connaisseur, le jeune chien souleva deux paniers avant de trouver un appétissant volatile qui aurait sûrement du être le repas de Cadence. Elle espérait de le fait de subtiliser cette proie ne lui apporterait pas de problème, et surtout, que Tanvir ne se ferait pas gronder. Le chiot roux lui fit signe de le suivre à nouveau. Ils parvinrent sans difficulté à l'extérieur du camp où il déposa sa proie au sol. Le Soleil avait laissé quelques traces orangées dans ciel mais avait totalement disparu de l'horizon. La nuit ne tardera pas à tomber, mais cela ne l'angoissa pas beaucoup ce jour là. Elle avait de la compagnie pour se rassurer.
Une légère mélodie de flûte résonna quelques instants dans les airs. Tanvir poussa doucement le volatile mort vers elle.

«  Ma meuman et moi, on t'invite de bon coeur ! »

Whisper esquissa un grand sourire. L'humour et l'accentuation très marqué du mot par le jeune chiot e pouvait que la faire fondre.

« Sers toi ! »

Un peu gênée de se voir offrir de la nourriture autre que quelques bouts de viandes dont les hommes ne voulaient généralement pas, la petit chienne attendit quelques secondes. Secondes pendant lesquelles elle vit le jeune chien roux plonger avidement vers la volaille, avec entrain et beaucoup d'envie. Puis se relever tout aussi vite, gêné. La chienne rit silencieusement, baissant la tête et approchant une patte de sa gueule, comme pour retenir ce rire qui ne sortait pas. Il devait avoir trés faim, et elle regrettait de ne pas pouvoir lui rendre la pareille car sa mère et sa fratrie étaient moins bien vus par les Deux-Pattes et recevait les rebuts de nourriture, à moins d'aller chasser eux-même ou charparder ce qu'il leur falait pour se remplir l'estomac.
Passée l'envie de rire, la chienne s'approcha doucement de la proie, mordant fébrilement d'abord la peau fine de l'animal, puis elle choisit une cuisse, assez dodue, qu'elle entreprit d'essayer de manger. Son regard doux invitant Tanvir à faire de même puisque lui aussi avait sa part à prendre.

Tout en mangeant délicatement, un peu gênée d'avoir un si bon repas à sa disposition et encore plus de le partager avec le fils du chef, la jeune Whisper pu observer discrètement celui avait qui elle partageait un si beau moment. Bien que jeune, on voyait déjà que les efforts de ses entrainements étaient loin d'être vain. Sous les courbes encore potelés de son corps de chiot, on distinguait nettement les premiers traits de muscles qui ne tarderait par à sculpter son corps comme une adulte. Il serait bien battit, avec une carrure plus imposante que son propre père peut-être, mais toujours assez fin et rapide pour être celui qui dirigerait avec une patte habile et un esprit aiguisé son attelage. La jeune chienne en était certaine, il ferait un Chef formidable car, hormis d'autres fils vagabonds et son propre père, Cyrus ne pouvait plus porter que son choix et son amour sur ce cher Tanvir qui méritait amplement son respect.
Rougissant d'avoir pu épier le chiot sans se faire remarquer, elle porta son attention sur la viande qu'elle dégustait. C'était tendre et fin, moins faisandée néanmoins que la viande des gros gibiers que les Deux-Pattes rapportaient parfois. Le goût de la volaille était doux et peu filandreuse, un vrai régal ! La chienne redoutait déjà ses futurs repas qui lui paraitraient bien fade comparé à ce soir. Surtout si sa mère et elle recevaient encore du poisson gras qui rendant sa boche pataude à chaque bouchée.
Son museau touche inconsciemment plusieurs fois celui de Tanvir, ce qui la faisait doucement tressaillir, une onde de chaleur envahissant son corps à chaque contact. Elle ne trouvait néanmoins pas cette sensation désagréable, c'était même le contraire... Vers la fin du repas, le contact dura plus longtemps, Whisper, comme paralysée, ne bougea pas, attendant que le moment se passe, mais désirant tout à la fois qu'il dure encore et encore. Sentir son souffle chaud sur son museau, c'était un peu comme partager quelque chose de plus avec lui.
Levant les yeux vers le chien roux, elle se sentit rougir sous le poil de ses pommettes. Néanmoins, ce ne fut pas elle qui stoppa le contact. Tanvir se retira puis s'assit, la fixant, lui aussi.

« Je sais ce que l’on dit de toi, Whisper. »

Lui dit-il. Son ton était triste, presque navré, comme si il pesait sur elle une malédiction qu'elle ne pouvait comprendre. Elle croyait savoir, mais...
Whisper s'assit elle aussi, regardant le chiot, la tête légèrement penchée, inquiète à l'idée de ce qu'elle pourrait entendre.

« Mais s’il te plait, ne les écoute pas… »

La jeune chienne croyait comprendre ce qui chiffonnait Tanvir. Elle avait beaucoup entendu persiffler autour d'elle, les adultes ne se cachaient même plus pour la dénigrer devant tout le monde. Pourtant, elle n'était ni sourde, ni aveugle. Mais ce n'était pas l'envie qui lui manquait de répondre aux sottises que toutes ces vilaines personnes racontaient à son sujet. Ce 'était pas parce qu'elle était différente et que ses oreilles ne tombaient pas qu'elle n'avait pas le droit elle aussi de vivre décemment au camp, mais peu de gens, Bipèdes compris, semblait l'entendre de cette oreille. Et avec ses paroles, il semblait que Tanvir ait rejoint son idée. Elle était contente que, malgré l'éducation de son père, il puisse se faire son propre avis sur elle, et ne pas rester bloquer à de vieilles histoires de familles. Elle même ne comprenait toujours pas pourquoi il y avait tant de rancœur après tant d'années.

« Tu ne parles pas ? Ok … Puis, ensuite ? Je suis sûr que tu arriveras à te faire ta place, ici, tu me l’as montré lorsque l’on a couru. N’écoute pas ce qu’ils peuvent dire à ton sujet. Je sais j’ai l’air d’un con avec ma leçon de moral à deux balles mais … »

Whisper se releva légèrement, assez pour que son regard plonge dans celui du jeune chiot, le rassure à son propre sujet. Elle était douce, et il était loin d'avoir l'air aussi bête qu'il le croyait dans ses propos. Il était juste et droit, et avait là, déjà l'étoffe d'un bon Chef en qui elle pouvait avoir confiance et pour qui elle donnerait volonté sa vie. Il était le seul ici à la comprendre sans parole et à ne plus la juger comme une louve qu'elle ne se sentait pas être.

« Je crois en ce que je te dis ... »

Finit-il par dire. La chienne baissa les oreilles, les yeux pétillants à la fois d'une joie extrême, mais aussi d'une forte émotion. Elle avait l'impression que son cœur allait exploser et qu'un boule dans sa gorge allait finir par l'étouffer. Glapissant silencieusement aux paroles du chien roux, elle s'approcha à nouveau d'un pas pour coller son museau tout contre la sien, comme un réconfort, mais aussi, une récompense et un remerciement à ce qu'il faisait pour elle.

Au loin, alors que les premières étoiles commençaient à éclairer le ciel, le bruit de flûte se mit à nouveau à retenir. Et malgré elle, Whisper sentit ses oreilles se redresser, à l'affut du bruit. Muette, elle avait réussit à compenser avec une ouïe hors-pair, mais qui pouvait lui jouer des tours, et rendre certains instants un peu cocasses, comme maintenant.

Corps contre corps. Un frisson la parcourut de la point de ses oreilles à la peau de ses coussinets, laissant rebondir dans sa poitrine, son petit cœur dans une danse à l'étrange rythme saccadé. Une chaleur intense l'envahit alors que le contact, doux et léger, se gravait pour l'éternité dans les mémoires de la jeune chienne. Elle apprécia grandement ce moment, comme si elle l'avait attendu toute la courte existence qu'elle avait vécue pour le moment.
Et puis, la musique et les chants lui revinrent aux oreilles, la faisant à nouveau oublier où elle était vraiment. Ses oreilles vibrèrent, changeant de direction par acoups, cherchant la provenance exacte de ces mélodies sublimes. Un rire proche vint se mêler à tout ces sons, celui doux et singulier de Tanvir. Il était rassurant, et la petit chienne ne le savait pas moqueur en cet instant.

« Aller, viens jolie rouge, les deux-pattes ont commencés à chanter ! »

Lui dit-il, se détachant d'elle pour la mener au centre des festivités. Tous le clan, ou du moins, tous les Deux-pattes disponibles semblait s'y être rassemblés. Ils étaient nombreux et les voix entremêlées de leurs discussions, chants et sons d'instruments en tout genre lui étaient incompréhensibles, même si elle ressentait les émotions qu'ils voulaient faire véhiculer. La joie, les peines, les petits secrets, la colère. Elle écoutait sans rien dire, et sans savoir qu'en penser. Ils étaient si étranges, qu'ils en devenaient fascinants. Suivant à quelques pattes près son guide pour la soirée, la chienne s'installa près du feu, contre un des longs troncs installés comme banc pour les deux-pattes. Un peu à l'écart de la fête, certes, mais assez prêt pour observer avec joie à quel point le camp faisait la joie de Tanvir. Se joignant au chœur des Humains, il aboyait gaiement comme pour apporter sa propre voix aux chants. À son deuxième aboiement, des bambins bondirent sur lui, ne tarissant pas en caresses en tout genre. Whisper l'envia à ce moment, elle n'avait pas vraiment eut la chance de connaitre ce genre de traitement avec les Hommes. Mais à peine avait-elle eut le temps d'y penser qu'une main se posa affectueusement sur son front, lui ébouriffant sa tignasse. Levant les yeux pour voir l'auteur de cette caresse inespérée, elle vit une femme, frêle à l'air pâle, maintenant dans son bras et contre sa poitrine, une petite chose gigotant légèrement. Elle sourit tendrement. Les bébés Humains avait l'air tellement faibles sans poil pour survivre aux longs hivers...
Elle aperçut brièvement le regard de Tanvir se poser sur elle, et s'empourpra à nouveau, ses pommettes s'embrasant. Il était tellement gentil avec elle. La caresse cessa, elle avait entendu le nourrisson s'agiter plus fort dans les bras de sa mère et pousser quelques petits cris réclamant qu'un autre bras soit à disposition. La jeune chienne regarda à nouveau la mère, se jurant de protéger son enfant quand il grandirait pour la remercier de l'instant qu'elles avaient partagé.
Tanvir s'approcha, puis, d'un geste amical, la poussa à le rejoindre au centre des festivités.

« Aller Whis’, viens danser ! »

D'abord hésitante, elle se leva finalement puis suivre son agréable hôte. La terre et l'herbe tassée au cœur du camp ne ressemblait pas à la boue qui recouvrait l'enclos des chiens. Le contact avec ses pattes était doux ici, et lui donnait l'envie non pas d'y courir, mais de s'y lover confortablement, sous l’œil rassurant du chiot roux. Mais elle n'en fit rien, bien trop heureuse de pouvoir à nouveau montrer la maigre étendue de ses talents à celui qui partageait cette douce nuit. Elle s'avança, de quelques pas, levant le regard vers les Humains qui la dominaient largement. Elle était aussi attentive aux mouvements qu'à leur son à cet instant. Et puis tout naturellement, comme si un démon s'était emparé de son corps, elle jappa silencieusement, puis commença à bouger, à sauter dans tous les sens, essayant happer les sons avec sa gueule et un immense sourire gravé sur ses babines.

La musique se tut petit à petit, ne laissant que les voix chantant d'étranges cantiques et autres contes fabuleux dans une langue qu'elle ne comprenait toujours pas. Toujours est-il qu'elle aimait le ton qu'ils employaient à ce moments et se plaisait donc à se couleur doucement, dans une chorégraphie reptilienne et aérée, entre leur jambes, espérant attirer un peu d'attention sur elle, mais surtout, marchant au rythme hypnotiques de leur paroles que tous les Bipèdes semblaient écouter avec une attention tout particulière. Ils étaient tellement grands. La jolie rouge se mit à rêver qu'il n'étaient que des arbres campés sur leurs deux troncs sans racines et plein de vie et de chants sans fin. Et cela la fit à nouveau rire silencieusement, tout en continuant son étrange manège.
Quelques fois, elle en oubliait de se concentrer sur ses pas et regardait Tanvir, allongé à quelques foulées de là, mais le simple fait de croiser son regard lui enflammait les pommettes et la faisait tressaillir. Échappant encore quelques instants à cette attraction, elle se coula contre la jambe d'un des ancêtres du clan, dans une démarche presque féline, ce qui fit bien rire les Hommes spectateurs de la scène. Ils semblaient tous avoir entendu les soucis qu'avait la petite chienne, mais beaucoup semblait aussi surpris de son changement soudain de comportement et la joie de vivre qu'elle montrait à ce moment. Ce qui ne déplaisait pas non plus à la jolie rouge.

Un peu épuisée par ce trotting improvisé, et lasse de ne plus entendre que les voix rauques des chasseurs parler surement que leurs dernières proies, elle se dirigea vers son charmant compagnon de soirée, qui n'avait pas bougé d'un poil depuis leurs dernières œillades. Sa frimousse illuminé par la joie et un sourire large, elle espérait que le chiot n'avait pas changé d'avis sur le fait qu'elle pouvait se montrer avec lui sans le gêner.
La chienne se glissa tout contre le roux, posant à son tour sa tête sur ses pattes, ses flancs se soulevant doucement au rythme de sa respiration. Elle se mit à penser à quel point elle se sentait bien à ses côtés et espérait que jamais il ne se retournait contre elle, jamais il ne se moquerait sincèrement de son handicap. Elle espérait qu'il resterait, là, tout contre elle, aussi longtemps qu'il le pourrait.

La journée s'était écoulée si rapidement. La petite chienne n'en revenait toujours pas, mais elle comptait bien en profiter encore un peu, jusqu'à ce que la Lune ait atteint son zénith et que les dernières secondes du jours viennent clore cet instant magique. Leurs deux poils mélangés dans une complicité parfaite, leurs deux petits corps collés l'un à l'autre comme si leur vie en dépendait. Les yeux fermés, le sommeil venant toquer avec douceur sur ses paupières, la petite femelle faillit s'assoupir alors que le poids rassurant de la tête de Tanvir sur son échine la berçait, sentant son pouls s'accorder à celui du mâle. Elle se sentait tellement bien, et elle s'était tellement détachée du monde qui l’entourait qu'elle n'entendit même pas quelqu'un s'approcher, encore et encore, jusqu'à n'être qu'à quelques pas des deux jeunes.
Un raclement de gorge la fit revenir sur terre. Qui... ?

« Salut les mioches ! »

Cette voix... Non ! Ça n'était pas possible ! Pas ici, pas maintenant !
Whisper ouvrit immédiatement ses yeux, ses iris, d'abord aveuglés par la faible lumière du feu de camp, s'agrandirent par la suite de surprise. La voix parvenait de derrière, et un instant, elle hésita à tourner la tête pour constater qui se trouvait là, bien qu'elle en connaissait déjà la réponse. Et là se tenait son père, le seul et l'unique, avec un sourire qui dépassait l'entendement. Il avait du bien s'amuser à les regarder s'amuser toute la soirée. Apeurée par la réaction qu'il pourrait avoir à son encontre, ses oreilles s'abaissèrent jusqu'à se coller contre sa nuque. Presque tremblante, elle n'osa rien dire, rien faire. Seul son regard trahissait son angoisse.
Soudain, son compagnon de soirée se dressa, ses pattes fortement ancrées dans le sol, un grondement sortant de sa gorge. Il se plaça entre la petite chienne et son propre père, par une posture de défense, comme si Hunter pouvait lui être néfaste, comme si il... Il cherchait à la protéger d'un danger imminent.
Encore légèrement embrumée, et la situation lui échappant totalement, Whisper ne comprenait pas grand chose à ce qu'il se passait sous ses yeux. Tanvir semblait vouloir se confronter à son propre père, mais pourquoi ? Il... Il n'était donc pas différent des autres ? Lui aussi haïssait-il son père comme tous les chiens du clan, comme un vulgaire cabot ? Cette évidence lui tordit le cœur dans un nœud douloureux. Elle étouffa un râle silencieux. Pourquoi ? Pourquoi alors que tout se passait tellement bien...
Un autre grondement de Tanvir et encore une fois, un tremblement. Non, elle ne pouvait pas laisser faire ça, elle ne pouvait pas laisser les deux mâles qu'elle aimait se confronter devant elle, pas maintenant, pas ici...

Son corps ne sembla soudain plus lui appartenir, comme si elle obéissait à une force inconnue pour laquelle elle ne savait ce qu'elle devait réaliser avec exactitude. Elle se leva, et marcha les quelques pas qui lui suffisait à s'interposer entre les deux mâles, ces quelques pas qui marqueraient la fin du conflit, elle l'espérait du plus profond d'elle-même. D'un regard doux qu'elle plongea dans celui du jeune Tanvir, elle lui intima de stopper son grondement, et de l'écouter, ou du moins... La laisser faire.
Puis, elle se tourna vers son père, prête à affronter toutes les foudres du monde si elle devait les subit de la part de son père. Et puis, elle était certaine qu'il serait clément. Ils se connaissaient peu, mais il savait à quel point elle avait du mal à s'intégrer au clan et espérait qu'il ne la laisserait pas reproduire ses propres erreurs.

« ... ? »

La tension était tellement palpable que la petite chienne avait l'impression de se noyer dans cette courte étendue froide qui bouillonnait d'un je-ne-sais-quoi dangereux au milieu des deux mâles. Tous ses muscles étaient bandés et frissonnaient sous l'effort, crispés, espérant que tout ceci se terminerait bien et sans effusion de grondements plus hauts les uns que les autre et de sang. Elle avait déjà trop vu les chiens se battre entre eux pour des futilités. Elle ne tenait pas à ce que son nouvel ami et son père en fasse de même, surtout aussi proche des Humains.
Whisper risque quelques regards discrets au Bipèdes aux alentours, encore trop obnubilés pas leurs affaires et les chants pour faire attention au drôle de manège des trois canins. Cela la rassurait, il n'était pas le moment que son père et elle soit encore pris dans des évènements à leur défaveur. Beaucoup de chiots lui avaient souvent répétés ça en rigolant sur son sort quand elle arrivait à leur indiquer qu'elle n'avait toujours pas de maître.
Mais, devant ses yeux, la situation sembla se délier, dans un aspect plutôt positif. D'abord, ce fut son père qui céda, apparemment content de voir sa fille en compagnie. Whisper tendit son cou alors qu'il lui soufflait affectueusement dessus. La chaleur de son accueil était un vrai ravissement pour elle. Un peu comme une marque de calme et de sagesse. Ce qui était rare chez son trublion de père. Heureuse, la petite chienne se détendit un peu, attendant encore la réaction de Tanvir qui, déjà, avait stoppé ses grognements.

« Détends toi petit, je ne suis pas un ennemi. Je m'appelle Hunter, et toi ? »

Whisper se tourna alors vers son jeune camarade roux, avant de définitivement relâcher la pression qu'elle avait accumulé en lâchant un petit soupir silencieux. Malgré tout, elle espérait qu'ils arriveraient à s'entendre, ou au moins, en ferait l'effort devant elle. Tout ça pour une stupide histoire de famille... La vie était déjà assez compliquée pour elle, pourquoi devait-elle encore s’accommoder de vieilles rancœurs pour se construire ?

« Tanvir. »

Le sourire du chien la rassura encore plus, et elle n'hésita pas un instant pour s'asseoir à ses côtés alors qu'il poursuivait.

« Le fils de Cyrus et Cadence. »

Le fait de citer sa famille n'était peut-être pas le meilleur moyen de tisser des liens, mais soit. Tendant encore une fois son museau en direction de son père, indiquant premièrement que le rouge était son père au jeune roux, Whisper espérait aussi qu'Hunter comprendrait là le fait qu'il devait accepter qu'elle fréquente quelqu'un de moins tumultueux que lui.