Tant qu'un tison persiste

Il avait préféré marcher lui même que d'être escorté par Sunshine. Après tout, comme il le soupçonnait, si le Beta n'avait pas daigné aller à sa rencontre, c'était peut-être parce-qu'il désirait lui parler seul à seul, de quelque chose d'important. Réflexe de louveteau, JD ne pouvait s'empêcher de penser qu'il avait mal fait, et que la discussion viserait à le réprimander.

Il secoua doucement sa tête, riant de sa propre absurdité: il était désormais un adulte et il aidait la meute du mieux qu'il le pouvait, au lieu de se contenter d'aller et venir profiter de leur hospitalité. C'était ici que sa portée était née, ici que sa famille vivait, et ici qu'il voulait rester. Il croisa le chemin de quelques loups et celui de bien bon nombre de louveteaux, avant d'aviser au loin la silhouette robuste du beta Fireblow, qui se tenait à la lisière de l'Oasis, tout près des remparts de pierre.

JD étira ses foulées pour presser le pas, dodelinant la tête à chaque mouvement à cause de l'étirement que lui faisaient ses pattes arrières. Ainsi reprendre le pas lui fit le plus grand bien, et il s'approcha, quoique la démarche un peu rigide en direction de l'autre loup, s'éloignant des agglomérations denses de l'Oasis.

Dans la quiétude et silence, le vent balaya le sable et la poussière entre les dalles de pierre, faisant brinquebaler la collerette de fourrure de l'ancien Voyageur. Il avait relevé sa tête, adoptant une posture reposée.
— Navré de vous avoir fait attendre, Beta Fireblow. Sa queue basse s'arqua et se recourba poliment sur l'une de ses cuisses. Comment puis-je vous êtres utile ?

—  Merci de t'être déplacé jusqu'à moi JD, lui répondit calmement son supérieur, suffisant à lui inspirer confiance. JD ne put s'empêcher de lui rendre son sourire, ravi de constater que  les anciens Gardes d'Élites avaient pris l'habitude de l'appeler par le nom qu'il s'était choisi, et non par celui qu'on lui avait donné. Capitaine Swiftkill n'avait de cesse d'utiliser son ancien nom, alors que lui, insistait gentiment pour la dissuader. Le grand Fireblow le surplombait d'une dizaine de centimètres, le recouvrant de son ombre à contre-jour. Il s'avança ensuite, intimant son subalterne de l'accompagner.
— Si tu veux bien me suivre, j'aimerai m'entretenir avec toi. JD laissa sa queue redescendre vers le sol.
— Certainement, il répondit en opinant du chef. Puis, il alla à sa suite, marchant à quelques pas derrière sa queue.

Même si le suivre à la queue était aussi un réflexe de sa nature de loup, il n'avait pas le choix de faire ainsi: l'étroit passage dans lequel ils s'avançaient ne leur permettait pas de marcher côte à côte. Cela ne l'empêchait pas de demeurer attentif.

Le corridor s'élargissait au fil de leurs pas, rendant leur marche moins confinée, mais toute aussi ardue. Si Fireblow était capable de marcher sans éprouver d'inconfort, il n'en était pas de même pour JD, qui peinait à lever ses pattes postérieures et à les fléchir convenablement. Ainsi, il claudiquait à la suite de son supérieur, sans espoir d'arrêter l'élancement qui venait de le saisir. Il s'agissait cependant d'une douleur bénigne, qu'il put facilement ignorer afin de prêter son attention aux propos du meneur.

— Bien. Comme tu le sais, ma promotion au rang de Capitaine implique la nomination d'un nouveau Bêta. JD redressa sa tête d'un rebond. Fireblow se trompait: il l'ignorait. Il avait pris l'habitude de le considérer comme le Beta, suivant les ordres de de l'Alpha. À bien y réfléchir, sa hausse en grade n'était pas si désarmante: après son rapprochement avec le Capitaine Swiftkill, il allait sans dire que son compagnon se tiendrait à ses côtés pour former le couple alpha. Devant son erreur, il ne put qu'humblement baisser la tête.
— Le Capitaine Swiftkill et moi même avons donc discuté à ce sujet, et considérant la confiance que nous t’accordons, nous avons décidé de t'attribuer ce rôle, JD. La patte de JD sembla rater son appui. Il chancela vers l'avant et se rattrapa de justesse. Sa surdité lui jouait des tours.
— Je n'ai pas besoin de te dire à quel point il s'agit d'une grande responsabilité. Il n'avait pas rêvé. Il sembla se redresser, se remettant de son choc. Il s'était comme mué dans un profond mutisme, les yeux fixés au sol, les dents serrés dans un mélange d'incompréhension, et d'amertume reliée au sentiment. Lui, Beta ? Lui, responsable de mener la meute à bien auprès des Alphas? Il n'était qu'un humble voyageur. Comment un humble voyageur pouvait-il pouvoir espérer monter en grade ?
— Prends donc le temps d'y réfléchir si tu n'es pas certain de pouvoir l'assumer.
— ... C-certes...
Étonnamment, ce qu'il ressentit à ce moment là ne fut pas le battement de son coeur affolé, mais la lourdeur de la collerette de fourrure qu'il s'acharnait de garder. Et pour quoi, au final? Il ne vivait plus dans le nord, ainsi une nuque aussi fournie ne lui avançait rien, sinon de l'inconfort pendant les saisons chaudes, ou un voile où se cacher lorsqu'il ne savait que dire. Il en allait de même pour la fourrure de son poitrail. Il leva mieux les yeux pour voir les longues mèches de ses cheveux lui obstruer une partie de son champ de vision. En plus de ses articulations atrophiées, il se sentait lourd de ce qu'il portait, son fardeau.

Est-ce que ses responsabilités avaient nécessairement besoin d'être un fardeau ? Une éclat de lumière sembla traverser ses yeux qui s'étaient ternis dans le silence. Capitaines Swiftkill et Fireblow avaient discuté ensemble, de lui, pour lui. Pour si peu, il s'émeut. Un fin sourire point à ses lèvres, alors qu'il avait respectueusement fermé ses paupières, le temps de prendre de longues respirations. Il s'arrêta de marcher pour enfin sortir de son mutisme.

- Je suis... je suis bouche-bée, Be-- Capitaine Fireblow. Je ne croyais pas être assez conséquent au sein de cette meute pour que vous ou Capitaine Swiftkill me considériez comme un choix... i...-idéal.
Il secoua sa tête, cherchant à dénouer sa langue. Il se reprit.
- ...Ce serait un honneur de travailler au développement de la communauté, à vos côtés.
Il redressa son port de tête, son museau et ses oreilles, sans baisser les yeux, cette fois.
- Vous pouvez compter sur moi. Il leva un sourire bienveillant. Votre confiance me touche.

- Et je suis certain que tu feras du très bon travail, mes félicitations, Bêta JD.
JD baissa les yeux, laissant échapper quelques rires. Il n'était pas au dessus de l'auto-dérision.
- Bonté divine, il souffla sans perdre sa bonne foi. Je ne sais plus où placer mes mots, Ha-ha-ah... ! La proposition, la nouvelle et les données l'avaient tous pris de court, bien entendu, mais la cerise sur le gâteau devait avoir été sa décision précipitée. Une réaction qui ne semblait pas lui ressembler. Cependant, Fireblow semblait avoir compris ses bonnes intentions et avait accepté son bafouillage comme une réponse. Il devait sans doute se douter que le vieux loup aurait besoin de préparation, autant mentale que physique. Il lui avait déjà dit lui faire confiance. JD redressa sa tête, reprenant du poil de la bête, en tassant son excitation et ses incertitudes de côté.
- Si vous me permettez, Capitaine Fireblow, puis-je rentrer à l'Oasis ou avez-vous quelque chose à ajouter ?
Il abaissa ses oreilles, se sentant légèrement embarrassé.
- J'aimerais annoncer la nouvelle à quelqu'un qui m'est proche.

Contrairement à ce que s'était imaginé le Capitaine Fireblow, ce n'était ni à sa compagne Fei, ni à leurs enfants qu'il désirait annoncer la nouvelle, mais à sa belle-nièce, Sunshine. Dans les moments difficiles, c'était toujours elle qui réussissait à éloigner ses idées noires. Certes Fei savait en faire de même, il esquivait les discussions trop faramineuses visant ses convictions et l'ensemble de sa personne.

Il en allait de même avec ses enfants: ils n'avaient pas à savoir la souche de ses tracas. Sunshine, cependant, était sur la même longueur d'onde que lui. Tout deux se comprenaient dans leur vision des choses, bien que celle de la louve fut un tantinet plus pessimiste que la sienne; tout deux avaient foulé un chemin similaire et comprenait les maux de l'autre, aussi lui assurait-il d'être toujours disponible pour tendre l'oreille ou lui prêter son épaule, si besoin était.

Inversement, lorsque les événements le dépassaient, rien de tel que la répartie et la logique d'une jeune adulte pour lui rappeler ce qui lui était cher, et méritant de préserver. Ainsi, le nouveau Beta trouvait d'ordre logique qu'elle devrait être la première à savoir la nouvelle.

— C'était tout ce que j'avais à te dire, lui répondit Fireblow. Tu peux y aller.
JD courba la tête et le cou, collant de nouveau sa queue à sa cuisse dans un signe se voulant respectueux.
— Au plaisir, Capitaine Fireblow.

Lorsqu'il se redressa, il leva sa patte gauche pour faire une courte volte, claudiquant vers le chemin du retour.

(the end? =D)