La brume s'est levée

La brume s'était levée à nouveau ce matin-là, comme elle se levait presque à tous les jours depuis qu'ils avaient emménagé dans la Forêt noire. Parfois, les vapeurs s'éclipsaient lorsque le soleil réchauffait assez le dessus des arbres ; d'autres fois, comme aujourd'hui, elles s'épaississaient jusqu'à en devenir de la purée de pois, qui restait tout au long de la journée. À l'endroit où ils avaient établis domicile, soit au sud du lac de sel, l'air s'éclaircissait dès les premières lueurs de l'aube. Mais ici, plus au nord, il en était autrement. Heureusement pour elle, la jeune femelle connaissait son habitat, ou à tout le moins ses lignes directrices. Autrement, elle se serait sans doute égarée, méprisant la silhouette tordue d'un arbre pour un autre, finissant par errer sans but. Un but, elle en avait un, d'une certaine façon ; faire le tour de son territoire, ramener une proie ou deux; patrouiller. Protéger leurs frontières. Avoir conscience de ce qui se déroulait sur le territoire qui abritait sa meute. Être alerte et plus défensif, qu'un autre drame ne se joue pas.

Le brouillard, bien que constamment mobile, commença à danser au lointain. Un bruissement, étouffé par l'ambiance sourde des bois, parvint jusqu'à ses oreilles. Il devint chuchotement, mélange de pas et de murmures. Une ombre passa, des volutes de brume s'engouffrant à sa suite. La brune plissa des sourcils, marquant un temps d'arrêt, puis s'élança. Bien qu'elle pu se fier à son flaire, Calamité aurait probablement finit par perdre la coureuse si celle-ci ne s'était pas arrêtée ; de fait, la solitaire manqua de buter sur sa petite forme, qui ne se détailla que très tard d'être canine, et non rocher. La louve, toute petite, se serait presque fondue dans la blancheur des environs si cela n'avait été de ses extrémités bleutées. Calamité eut un respire, puis un second. Elle pouvait entendre l'autre murmurer. Elle suintait l'angoisse, ce qui mettait la brune sur ses gardes.
- ... Tu fuis quelque chose ?

Des pas hâtés parvinrent à ses délicates oreilles. Son regard, furtif, angoissé, se hasarda vers la source du friselis, qui perturbait le sinistre silence de l’endroit. Une silhouette trouble se dessina à l’intérieur de la brume, agitant les nuages éthérés qui hantaient la forêt. Les sens de Sissi s’aiguisèrent, et bien vite le calme qui l’avait apaisée s’enfuit. Lovée contre elle-même, sa fourrure aux douces couleurs caressant les impuretés du sol, la jeune louve patientait, interdite, effacée. Une allure aux contours soyeux et épais s’immobilisa brusquement près d’elle, la heurtant presque. Consternée, effarée, Sissi se redressa vivement, sa truffe frôlant celle de l’inconnue.

— ... Tu fuis quelque chose ?
— Le… couina-t-elle, confuse. Elle déroba son visage à l’autre, cherchant l’air qui semblait constamment lui échapper. Ses esprits lui revinrent alors, puis son museau se leva, effleurant de nouveau celui de l’étrangère. Le… non ?

Ahurie, Sissi contempla l’espace qui se tenait entre elle et l’inconnue. Elle se recula précipitamment, comprenant alors l’erreur qu’elle venait de commettre. Son regard rivetait les deux prunelles orangées qui luisaient. Son malaise était tel que bientôt elle oublia la terreur qui l’avait saisie auparavant. Toutefois, une brise légère fit siffler les branches d’un arbre. La femelle égarée tressaillit, risquant une œillade aux alentours effrayants et à ses ombres menaçantes. Un, deux… quatre, cinq, six.

La silhouette, complètement immobile à son approche, fut parcouru d'une explosion de vie lorsque Callie s'approcha. La petite sursauta, si violemment qu'elle entra en contact avec le museau de la brune. L'espace d'un instant, Calamité pu détailler son visage aux courbes encore enfantines, avant que l'autre ne se dérobe à elle.
- Le… Fut tout ce qui sortit de celle-ci.
Un seul couinement, une expiration apeurée. La Timberwolf ne bougea pas, non seulement pour ne pas l'effrayer, mais aussi parce qu'elle était plus qu'intriguée. Elle fut prise au dépourvu lorsque la femelle ramena son museau vers le haut, balayant doucement la truffe de Cal.
- Le… non ? Ajouta la blanche, mais sans plus de précision.
Une fraction de secondes plus tard, elle s'était brusquement reculée. Son rythme cardiaque accéléra de plus belle. Calamité n'avait toujours pas bougée, outre avoir agrandi les yeux sous la surprise. L'être en face d'elle dégageait quelque chose d'étrange, fascinant, même. Elle semblait prête à partir à chaque instant, mais ne l'avait pas encore faite, comme retenue à sa place à présent que son chemin avait croisé celui d'une autre. Lentement, la brune brisa son immobilité en faisant osciller sa tête, puis la monta pour la ramener contre elle, dans la fourrure de son cou. Sa respiration resta contrôlée quelques instants encore puis, retrouvant sa curiosité naturelle (souvent dénuée de délicatesse), elle prit de nouveau la parole et chercha à savoir :
- Le nom ? Le nom de qui ?
Elle pencha légèrement son menton vers elle, confuse.
- Tu fuis un nom ? Le tien ?

Elle était demeurée immobile. Elle semblait à l’aise, confiante, dans l’étrangeté de la brume et des ténèbres. Sissi, de son côté, était parcourue d’agitation et de nervosité, noyée par l’effervescence qui grandissait en elle. Les oreilles de l’inconnue s’inclinèrent, suivies de son museau. Les prunelles de la jeune louve arctique contemplaient les moindres mouvements, les moindres tressaillements qui accompagnaient l’autre femelle. Si la peur de l’égarement était disparue, elle avait laissé place à un sentiment bien plus rassurant : la curiosité. Car si Calamité était intriguée, Sissi l’était tout autant par l’être qui se tenait devant elle, cet être calme, inébranlable.

— Le nom ? Le nom de qui ? demanda la femelle au pelage brun.

Sissi dévisagea la louve, contrariée, déconcertée, bouleversée. Qui ? Son passé, une illusion peut-être. Toutefois, ce n’était pas un qui qu’elle craignait, qu’elle fuyait. C’était cette ombre, cet animal, aux yeux flamboyants dans l’obscurité, menaçants dans les éclats de rire qui retentissaient encore à l’esprit de la jeune femelle. Ces éclats se heurtaient inlassablement aux pensées de cette dernière. Ils n’arrivaient cependant pas à effacer la vision de billes luisantes.

— Tu fuis un nom ? Le tien ? s’enquit-elle à nouveau, le regard troublé par la confusion.
— Le tien ? hasarda Sissi, stupéfaite. Le mien ?

Elle ne comprenait pas ; elle ne comprenait plus. Elle demeurait coite, épiant les émotions qui traversaient la figure de la brune, qui se transformaient. L’intérêt qui habitait Sissi avait laissé place au désordre de ses idées qui dansaient à présent de façon détachée, chaotique. Elle s’assit au sol maculé de saletés et de froid. Un frisson se risqua à la surface de la fourrure cristalline et liliale, se répandant du coussinet à l’épaule, se propageant jusqu’aux frêles oreilles qui trônaient au-dessus d’une silhouette réduite et vulnérable. Un bruissement s’aventura entre les buissons à l’arrière, brusquant la forme délicate, la bouleversant dans son questionnement. Son allure se raidit, épinglée par l’effarement, pétrifiée par l’effroi. Sissi bondit vers la femelle immobile, frôlant son poitrail, se logeant presque entre ses pattes.

— …! Il… Le !

La jeune louve ouvrait tout grand ses yeux sur elle, même si, avec un visage aussi petit que le sien, cette ouverture n'était pas bien grande. Mais la taille n'était pas nécessaire pour que Cal comprenne l'émotion se dégageant, ou du moins, toute la curiosité ; et la brunette la lui retournait bien. Au moins, la peur semblait l'avoir désertée, enfin, autant qu'elle pouvait en juger. La petite femelle semblait toujours aussi fébrile, mais l'atmosphère avait perdu de sa noirceur. Peut-être tomber sur un autre être avait-il chassé ses fantômes ? Calamité prit la parole pour le lui demander, mais la réponse incertaine qu'elle reçue ne fit que la confondre encore plus.
- Le tien ?
- Hn ?
- Le mien ?
Les sourcils se bougèrent sur le visage brun, comme la perplexité se dessinait dans l'esprit de Cal. La fuyarde baragouinait des mots compréhensibles, mais ses idées n'avaient aucun sens. Peut-être que, comme son frère, elle pensait différemment de la normale. Elle semblait, à tout le moins, posséder un univers intérieur qui lui parlait mentalement : Calamité pouvait bien voir que quelque chose la travaillait, mais elle n'avait nulle idée de ce dont il s'agissait. Le négatif revint, toujours sans qu'elle comprenne, et la louvarde s'écrasa dans une position assise. Tentait-elle de remettre de l'ordre dans ses esprits ? Il ne suffit qu'un d'un bruissement de feuilles, si fréquent dans la Forêt noire, pour que sa fine silhouette se brusque vers l'avant.
-  …! Il… Le ! Glapit-elle, s'enfargeant presque contre son aînée.
Calamité la réceptionna tant bien que mal, mais son museau se tenait vers le haut. Ses yeux scrutèrent l'obscurité à laquelle ils étaient accoutumés, alors que sa truffe frémissait. Mais non, rien, rien d'autre que du vent. Elle ramena son attention vers le corps fantomatique.
- Okay, calme-toi.
Sa voix avait sa confiance et son entrain naturels, mais elle y avait glissé une pointe de réconfort. L'une de ses pattes glissa contre le corps de Sissi, établissant un contact qui avait pour but de la rassurer. La princesse était là, calme, compétente, alors la louvarde ne devait pas s'en faire. Son visage retomba pour chercher le regard de la louvarde.
- J'sais pas ce que tu fuis, mais y'a rien ici. Pas une odeur de loups, ni d'ours, y'a personne autour.

Blottie contre le sol, contre les feuilles inanimées qui effleuraient son ventre, Sissi avait les prunelles rivées sur la source du bruit, sur les ombres inconnues de cette forêt qui la tourmentait. Trop préoccupée par les fantômes qui la hantaient, elle ne s’était pas aperçue de la femelle à ses côtés qui appréciait la même cible. Il s’agissait peut-être, certainement, véritablement, de cette bête aux yeux luisants qui avait anéanti ses rires et ceux de Grandes Oreilles. Éventuellement, ce pourrait être le passé qui venait la harceler, les songes qui venaient la supplicier. Toutefois, des paroles vinrent s’immiscer dans sa rêverie, chassant les illusions.

— Okay, calme-toi.
— Me… me calmer ?

Non seulement Sissi s’éveilla-t-elle à ces mots, mais la surprise la saisi au cœur, se nouant, s’accrochant, se resserrant, augmentant les battements qui semblaient galoper à un rythme effréné. Oui. Te calmer. Tu es idiote ; tu trembles comme une plume qui ondule dans le vent.

— …

De nouvelles paroles s’emparèrent de son attention. Toutefois, elles étaient plus nébuleuses, imprécises, comme si elles venaient non pas de l’extérieur, mais de l’intérieur. D’abord confuse, Sissi jeta un regard précipité en direction de la louve brune qui paraissait toujours abriter le calme, la confiance. Ce n’était pas elle. Une lueur d’incompréhension naquit dans les yeux inquiets de Sissi qui se parachutèrent dans le vide, s’abandonnant au néant et à la réflexion.

Soudain, une pression légère se lova contre son corps, une étreinte rassurante, réconfortante. Les paupières de Sissi caressèrent ses pupilles dilatées, supprimant la lumière terne des ténèbres du feuillage. Doucement, paisiblement, elle se confia au soulagement, au secours de cette étreinte. Un, … quatre, cinq, six. Les instants s’écoulèrent sur le flot tranquille et harmonieux du silence, noyant la forêt en une quiétude idyllique. Jamais le vent glissant entre les branches n’avait semblé si mélodieux. Délicatement, les yeux de Sissi s’ouvrirent sur la sérénité qui avait dérobé la couronne du trouble et de l’angoisse. Ils trouvèrent ceux de la femelle qui arborait des couleurs dorées, puis s’y plongèrent.

— J'sais pas ce que tu fuis, mais y'a rien ici. Pas une odeur de loups, ni d'ours, y'a personne autour.

À ces mots, les prunelles de la jeune louve se rabattirent encore une fois, mais un modeste sourire lécha le museau de Sissi, accompagnant sa petite tête qui acquiesçait. Ses fines oreilles étaient tendues, attentives à son interlocutrice. Ses courts crocs s’entrouvrirent, et elle murmura alors, simplement :

— Merci !

Les pupilles demeurèrent closes, et le sourire en coin trônait sous la truffe de Sissi, illuminant son air, sa silhouette. Elle était reconnaissante. Apaisée, elle demeurait immobile, sa risette n'ayant pas l'intention de quitter la perche à quelle elle s'était accrochée : le museau de Sissi.

Le contact eut l'effet recherché, raffermissant l'esprit de la louvarde. De par leur proximité, Calamité pouvait sentir les pulsations de son coeur, lesquelles parvinrent enfin à s'espacer alors que les secondes s'égrainaient. Trouvant un calme qu'elle n'avait pas autrefois, Sissi accrocha Cal du regard, maintenant leur échange visuel alors que la louve brune reprenait la parole. Après des mots rassurants aux lèvres, prononcé d'un ton familier, Calamité eut le plaisir de voir la plus petite acquiescer à ses propos, les oreilles dressées vers elle en dépit de son regard désormais fuyant.
- Merci ! Chuchota-t-elle, un sourire dans la voix.
- Mh, pas d'quoi, grommela la brunette, amusée.
Elle garda contact avec sa protégée pour encore un bon moment, désirant être certaine qu'elle s'était recentrée - et puis, la pose ne lui était pas complètement inconfortable. Puis, elle leva à nouveau son museau vers le haut, pointant son regard vers les alentours. Toujours rien de suspect, ni bruit, ni odeur, ni mouvement. La princesse put donc rabattre son regard vers la petite fée entre ses pattes et lui lancer :
- Alright, lève toi !
Combinant ses paroles à l'action, la timberwolf se dressa sur ses pattes, toujours avec entrain mais en prenant garde de ne pas trop secouer sa cadette. Elle la bouscula tout de même légèrement du museau, l'incitant à la suivre.
- Viens, j'vais te faire faire le tour. Y'a rien d'effrayant ici, vraiment.

— Mh, pas d'quoi, intima l’inconnue, alors que Sissi retenait son sourire à son museau, ses oreilles vers l’avant et ses paupières closes. Sa position semblait également s’étendre, lentement, comme le sable effleurant les parois de verre d’un sablier.

Toutes deux demeurèrent logées l’une contre l’autre, contemplant les instants qui s’écoulaient, se consumaient. La jeune louve maintint l’expression qui animait ses traits encore un moment, profitant de cette simple risette pour reprendre le royaume de ses esprits au trouble qui s’en était emparé. Sissi se laissa également guider par l’étreinte, tentant de gagner son calme, se nourrissant de celui qui habitait l’étrangère brune. Le pelage de cette dernière, court mais dense, était doux et apaisant, duveteux et réconfortant. L’air qui avait jusque là résidé sur le visage de la Grand Nord s’estompa peu à peu, glissant au rythme du temps. C’est alors que ses yeux s’entrouvrirent, créant une fenêtre vaporeuse sur le monde extérieur, puis sur la truffe de sa protectrice qui se dessinait. Le regard de la petite arctic wolf rejoint celui qui se trouvait au-dessus d’elle, s’y noyant l’espace de quelques secondes.

— Alright, lève toi ! lança la femelle, débordante de vie.
— ... ? Oui ? souffla-t-elle, revigorée par l’entrain qui se dégageait de son interlocutrice. Toutefois, elle ne put déchiffrer le sens de ces paroles, ou en saisir l’origine, avant qu’un léger coup ne bouscule son épaule.

La même lueur d’incompréhension, caractéristique de Sissi, s’immisça à l’intérieur de son cœur et dans ses yeux, qui s’éveillèrent brusquement au même moment. Une étincelle y dansa, en une parcelle de temps.

— Viens, j'vais te faire faire le tour. Y'a rien d'effrayant ici, vraiment.
— Vraiment ? chuchota Sissi, stupéfaite. Ce mot reflétait non seulement le sentiment de désaccord qu’elle avait à propos de cette forêt, mais également la surprise grandissant en elle, une simple joie de s’apercevoir des charmantes intentions de bienfaitrice.

Finalement décidée et certaine des agréables pensées de sa partenaire, Sissi lui offrit un nouveau sourire, aimable et câlin. Elle se leva ensuite, en un bond, comme si elle renaissait, comme si ses fantômes s’étaient enfuis. Elle caracola vers les buissons qui ne l’effrayaient dorénavant plus ; elle s’élança vers les arbres, qui, quelques instants plus tôt, la terrorisaient. Ses pupilles étaient fréquentées par l’enthousiasme, la légèreté, la malice. Elles pétillaient d’une renaissance, d’un renouveau. Elles concédèrent enfin une attention vers l’environnement qui l’entourait, cherchant le zèle de l’étrangère.

— Je suis Sissi ! lui confia-t-elle, avant que ses yeux ne se réfugient au sol. Et si... elle connaissait l’arbre à oreilles* ? Hésitante, elle ajouta : Auriez-vous vu un arbre à oreilles ? Qui sait, peut-être se trouvait-il dans cette curieuse forêt... curieuse et surprenante.

Les yeux écarquillés, Sissi ne réagit point aussitôt. Elle se contenta de répéter le dernier mot prononcé dans un souffle; était-ce pour l'accentué, ou simplement pour se rattacher à un son ? La matriarche continua de la regarder, intéressée, et la plus petite lui offrit un sourire qui semblait sincère. Soudainement, faisant preuve d'une énergie à laquelle Cal ne s'était point attendu, la louvarde crème se leva d'un bond vif, renaissant. Quittant sa protectrice, elle sautilla sans plus de crainte, explorant la forêt. C'était comme si la brunette avait activé une nouvelle fonction chez la jeune, qui lui avait transmis des impulsions d'enthousiasme et de confiance. Ayant un petit sourire, Cal laissa sa queue retomber contre ses jarrets et avança pour aller la rejoindre.
- Je suis Sissi ! Lui jeta alors l'autre, croisant un instant son regard avant de plonger ses yeux au sol.
- Appelle moi Cal, répliqua la matriarche naturellement.
À présent qu'elles avaient quittés leur immobilité, Calamité préférait poursuivre le mouvement et ne pas s'interrompre. Et puis, à force de marcher et de découvrir, Sissi finirait bien par apprécier la Forêt noire ! Éventuellement, aussi, pourrait-elle lui confier ce qu'elle avait tant fuit.. Mais Cal chassa l'idée de sa tête. Ce n'était pas si important, et elle ne voulait pas ramener la crainte à l'esprit de la louvarde.
- Auriez-vous vu un arbre à oreilles ? Fit-elle alors, avec une touche d'incertitude.
- De quoi ? Échappa l'adulte, éberluée.
D'abord, elle fuyait un nom, et maintenant, elle cherchait des oreilles ?

— De quoi ?
Ces deux mots, conjugués, courts, s’échappèrent de Cal, qui semblait soudainement troquer son calme, sa maturité et son enthousiasme pour de la stupéfaction. Aussitôt, Sissi réagit : son museau plongea au sol, puis se lova contre son poitrail, effleurant sa fourrure soyeuse. Elle se rabroua ainsi, comme si sa précédente question était ridicule et mauvaise. Son allure se figea dans cette position un instant, comme si l’arcticwolf avait honte. Elle souffla :
— Ce... ce n’est rien !

Ses oreilles se firent droites, puis son museau quitta le bas pour suivre un trait le menant vers la femelle aux couleurs sombres. Un nouveau sourire se dessina, généreux et tolérant de l’erreur qu’elle venait de commettre en posant sa question cocasse. Toutefois, Sissi ne comprenait pas faute ; elle feignait simplement son fourvoiement. Vivement, elle reprit le trot léger, espérant que sa bêtise passe inaperçue, à l’abri de toute source d’incompréhension ou de questionnement.

— Jamais, je ne suis venue ici, avoua-t-elle, ses paroles s’inversant par inadvertance. L’articwolf n’en fit pourtant rien ; elle n’en prit même pas conscience. Son attention s'obstinait sur le chemin qu'elle suivait, alors qu'elle tentait d'effacer sa question insensée.

Il ne fallut l'espace que d'une fraction de secondes pour que l'attitude de la jeune louve change du tout au tout. Tout son être se décala vers le sol, replié sur elle-même.
- Ce... ce n’est rien ! Laissa-t-elle échappé entre ses babines.
Calamité fronça brièvement des sourcils, bien intriguée de cette attitude et de la légère touche de honte qui semblait s'en dégager. L'adulte ne comprenait pas trop, mais peut-être avait-elle mal entendu. Sissi choisi alors ce moment là pour se redresser, débutant premièrement par son museau, puis afficha un sourire docile. Ne comprenant définitivement rien à rien, Cal tira pareillement un sourire, n'aillant pas la motivation pour creuser et voir s'il y avait anguille sous roche. Finalement, la louvarde bondit vers l'avant, reprenant son trot, s'éloignant ainsi de la situation.
- Jamais, je ne suis venue ici, lança la louve pêche par-dessus son épaule.
La princesse échappa un petit rire et rejoignit en quelques enjambées sa comparse, devenue bien à l'aise dans cette forêt qu'elle habitait depuis quelques saisons.
- Alors, t'aimes ? Ça doit faire changement de là où t'habites ! La taquina-t-elle, ayant écartée l'incident de plus tôt.
Elle la regarda brièvement la petite louve, et de part son pelage, sa taille, et la direction dont elle était arrivée, elle demanda sans grande peur de s'être trompée :
- Tu viens du Nord j'crois ?

Alors que Sissi trottinait légèrement, presque absente de tout poids psychologique ou de fardeau à porter, la femelle dénommée Cal bondit à sa hauteur, adoptant une démarche parallèle à celle de l’arcticwolf. Également, un petit rire accompagna la venue de la louve brune, enveloppant Sissi d’un réconfort allègre. Aussitôt, la silhouette de deux ans arbora un air qui mêlait stupéfaction et émerveillement ; elle était fascinée par les mimiques de Cal.

— Alors, t'aimes ? Ça doit faire changement de là où t'habites !
— Maintenant, oui! rigola-t-elle, posant le présent avec son arrivée dans la forêt.

Le regard de Cal se plaça alors sur l’arcticwolf, sans que cette dernière ne le constate ; elle évoluait sans vraiment se soucier de son environnement. Ainsi, une patte devant l’autre, l’instant d’une expiration, la citoyenne pavanait entre les branches et les troncs, distraite de la réalité. Néanmoins, les paroles de sa nouvelle connaissance parvinrent à la ramener :

— ... du Nord j'crois ?
— Hm? s’enquit-elle de façon pensive, son museau pivotant lentement vers Cal.

Son air était également inattentif, se mêlant à la négligence, comme si la conversation n’avait droit qu’à la moitié de la concentration de Sissi. Toutefois, une brise siffla sur la canopée ; instantanément, brusquement, l’arcticwolf fût rappelée au réel, à l’animal qui l’avait apaisée plus tôt. Elle fixa de façon insistante les arbres et l’endroit où elle se trouvait, où elle avait atterrit. Bien rapidement, les souvenirs passèrent de l’absence à la renaissance.

— Oh, Cal! Qu’est-ce que tu disais? elle souffla, soucieuse.

La petite louve acquiesça à sa remarque, ce qui ravit quelque peu la matriarche. Calamité entreprit alors d'observer sa comparse évoluer dans l'espace, complètement inconsciente du regard porté sur elle, puis la questionna sur son arrivée. Elle ne tenu toutefois pas compte du facteur "tête en l'air", et bien que Sissi marmonna pour lui faire répéter, elle n'était nullement plus présente en esprit. La louve s'apprêta à s'exécuter, la mine bien peu impressionnée par ce manque d'attention, mais un léger coup de vent fit frémir la végétation. Aussitôt, la femelle réagit avec une vivacité que Cal ne lui aurait cru possible, quelques instants plus tôt ; elle tressaillit et porta son regard sur un coin en particulier, obsessivement. Pourtant, la brunette n'y voyait rien. Elle se racla la gorge, quelque peu troublée par les dernières secondes -- qui ne rimaient décidément à rien. Puis, Sissy sembla reprendre soudainement vie, enfin, passé son absence puis sa fixation.
- Oh, Cal! S'exclama-t-elle. Qu’est-ce que tu disais?
- Euh... Le Nord, tu viens de là ? Répéta-t-elle, un peu au pif.
Ses sourcils s'étaient haussés de par son incompréhension, puis, elle décida de lâcher prise. Cette louvarde était étrange, de toute façon.

— Euh... Le Nord, tu viens de là ? reprit Cal, haussant ses sourcils une nouvelle fois.
— Oui! Là où c’est tout blanc, enchaîna Sissi, qui ne semblait pas déstabilisée par le comportement de la louve brune.

Cependant, le passage de l’incompréhension à l’indifférence ne lui échappa pas. Il se profila comme une étincelle, de façon brève et instantanée, mais Sissi s’y accrocha. Aussi rapidement, elle adopta la même émotion que sa comparse, en troquant son intérêt pour du détachement. La croisée articwolf s’assit sur le sol de la forêt, mettant fin à la promenade. Elle n’avait presque rien découvert, mais Cal ne semblait plus s’y intéresser ; aussi, Sissi préféra se plier à l’attitude de l’autre. Avec une lueur de regret, elle observait sa « nouvelle amie », en séparant parfois son regard, pour ne pas la fixer incessamment.

Soudain, une question pressante surgit à son esprit, et elle abandonna aussitôt sa résolution précédente, celle de suivre les agissements de Cal.

— Tu vis ici? hasarda-elle, espérant intercepter la curiosité de la louve brune.

- Oui! Là où c’est tout blanc, lui acquiesça la louve pêche.
Donc, elle devait probablement habiter avec la meute des Grand Nord.. À moins qu'elle ne réussisse à survivre toute seule ? Mais elle avait l'air si jeune, et si peu.. débrouillarde que Cal en doutait. Assurément, elle ne pouvait vivre en solitaire sur le même territoire que la meute des loups arctiques, si étrange était-elle. À ce propos, alors que Calamité prenait les devants, ayant toujours l'intention de lui faire découvrir la forêt, elle réalisa que Sissi ne la suivait plus. Après avoir tourné la tête pour la chercher, la brunette la découvrit à quelques pas de là, assise sur la mousse froide de la forêt.
- Tu vis ici? Posa-t-elle soudainement.
- Bien sûr, avec ma famille.
Elle répondit en faisant demi-tour, encore une fois intriguée par les agissements de la petite, mais sans plus. D'ailleurs, la question lui ramena quelques pensées à son esprit, et le souvenir de Zéphyr revint, poignant malgré sa rapidité.
- D'ailleurs, je vais pas tarder, reprit-elle avec un ton plus grave. Je ne dois pas les laisser seuls trop longtemps. Et toi, tu dois pas retourner d'où tu viens ?

— Bien sûr, avec ma famille, répondit Cal, en revenant vers elle.
— Une fam... une famille?

Les pas de la louve brune se rapprochant de Sissi, cette dernière esquissa un sourire discret, se réjouissant réellement de ce mouvement effectué en sa direction. Toutefois, le mot « famille » lui noua le cœur, sans qu’elle ne puisse comprendre pourquoi. Il eut l’effet d’une dague.

— D'ailleurs, je vais pas tarder. Je ne dois pas les laisser seuls trop longtemps.
— Oh, fit-elle, ses espoirs abattus.
— Et toi, tu dois pas retourner d'où tu viens ?

Toujours attristée, elle détourna légèrement son regard, sous l’effet d’un réflexe, pour ne pas que ses émotions soient lues. Sissi contempla alors obstinément le sol, les émotions du mot « famille » se mêlant à la réalisation du fait qu’elle était perdue.

— Eh bien... enfin... Pas vraiment, admit-elle. Personne ne m’attend, elle ajouta, éplorée.

La déception s'entendit franchement dans la voix de la petite lorsqu'elle lui annonça son départ prochain ; cela la peina à son tour, mais, elle n'avait pas le choix. Elle ne pouvait pas rester ici jusqu'au couché du soleil non plus, et la louvarde devait bien le savoir ! Calamité voulu lui offrir un sourire, ou du moins quelque chose pour lui remonter le moral, mais Sissi gardait son museau obstinément vers le bas, les yeux vers le sol.
- Eh bien...
Elle commença, toute hésitante.
- Enfin... Pas vraiment. Personne ne m’attend.
La brunette était revenue face à sa cadette, ne s'asseyant pas au sol mais arrêtant tout de même son attention vers Sissi. La curiosité avait cédé la place à une certaine forme d'inquiétude ou d'appréhension. Elle commençait à se sentir préoccupée par la situation de cette gamine, qui errait seule dans la Forêt noire en ayant peur de son ombre.
- Comment ça ? T'as pas de famille, de meute ?

Sissi sentit l’attention de Cal revenir se poser sur elle, et pour confirmer ses présomptions, la croisée arcticwolf releva légèrement la truffe afin de jeter un bref regard sur la brunette.

— Comment ça ? T'as pas de famille, de meute ?
— Enfin, si...! souffla-t-elle. La meute du Grand Nord.

Ensuite, la petite louve s’empara d’une pensée qui lui traversa l’esprit : la meute du Grand Nord, bien qu’étant son foyer d’intégration, ne viendrait pas la chercher. Personne ne viendrait éclairer son chemin. Sissi jeta un sourire oblique mêlé d’une sensation amère ; comme si goûter à son précédent sourire résultait en une saveur âpre.

— Je ne te retiens pas plus longtemps, lui confia-t-elle, en glissant un second sourire empreint d’amertume, mais généreux.

- Enfin, si...! La meute du Grand Nord.
La jeune louve souffla une réponse. Sa brièveté signifiait-elle qu'elle ne leur était pas attachée ? C'était bien possible, si elle caracolait ainsi sans bonne raison de le faire. Mais, si elle était encore en vie, alors que le Grand Nord lui semblait plutôt dur, c'était parce que l'on pensait à elle, non ? Calamité lui jeta un sourire, ne voulant pas trop qu'elle s'en fasse avec cela ; Sissi sourit en retour, mais son expression abordait une teinte étrange. Lorsqu'elle lui parla, Cal se demanda si cette touche n'était pas une sorte de tristesse de la voir partir. Mais, elle n'était pas bonne pour lire les gens, surtout pas les êtres comme Sissi. Elle acquiesça donc à sa "libération", voulant la rassurer par là qu'elle ne lui en voulait pas. Elle devait partir, mais ce n'était pas pour autant qu'elle allait disparaître subitement.
- Tu vas être correct pour retourner chez toi ?

Sissi s’agrippa un instant à son propre sourire, puis le laissa s’estomper, se dissiper en se mêlant au ciel, qui abritait bien des sourires envolés. Cal, d’ailleurs, lui fit cadeau d’un, puis fit mine d’acquiescer aux dernières paroles de Sissi.

— Tu vas être correct pour retourner chez toi ? s’enquit la brunette.

La croisée arcticwolf ne lui répondit pas de façon immédiate. Elle vaqua un moment dans ses souvenirs ; elle était toujours perdue. Toutefois, elle s’interdit d’imposer sa présence à Cal plus longtemps. Alors, esquissant un petit sourire tolérant (bien qu’il était faux), unissant clémence et compréhension, elle releva la truffe vers son amie.

— Oui! mentit-elle.

Sissi lui sourit et acquiesça, retrouvant un peu de son énergie naïve. Rassurée, son aînée échappa un " Tant mieux !" enthousiaste, se délogeant ainsi de toute responsabilité face à la louvarde. Elle savait bien que quelque chose clochait, avec elle, mais sa faible compréhension d'autrui ne poussait pas plus loin. Et, franchement, son attention était dirigée ailleurs, vers ceux qu'elle avait le devoir de protéger, sa meute, plutôt que sur une étrangère, même si celle-ci lui était tout à fait charmante. Soulevant sa patte, Calamité lui effleura les quelques mèches de son crâne, puis s'ébroua.
- Prends soin de toi, alors !
Et sur ses mots, elle se détourna puis partit dans un léger trot, histoire d'aller retrouver les siens.

— Tant mieux ! Prends soin de toi, alors ! lança-t-elle.
— Mh-hm ! acquiesta-elle naïvement, se détournant ensuite de Cal.

Les oreilles de Sissi pivotèrent vers la femelle brune, alors que le trot de cette dernière s’effaçait peu à peu, à mesure que Cal s’éloignait. Ensuite, la croisée arctic wolf hasardait un regard inquiet vers les arbres de la forêt, qui, soudainement, lui étaient devenus beaucoup plus effrayants que lorsque Cal l’accompagnait.