Baby Steps

Sa raison pour retourner à son havre de paix était bien moins noble que celle de l'autre louve. Une raison égoïste qui l'avait poussé loin des terres d'Alteron, le temps d'une halte. Il en avait glissé un mot aux concernés - au roi, la reine ♪ et le p'tit prin ♪ ce ♪ - avant de s'en aller. Bien qu'il ne souciait pas du nombre de temps qu'allait durer son absence, il promit à un individu en particulier qu'il ne repartirait pas pendant une année au complet. Il avait simplement besoin de s'aérer. De s'éloigner de la forêt de séquoias et de ses branches qui s'enchevêtraient et lui bloquaient le ciel. L'image d'un ciel couvert par le plafond d'une grotte lui vint à l'esprit. Une grotte sous-marine...

Il secoua sa tête. Enfin arrivé. Le ciel au dessus. Le ciel orange, qui suscitait d'autres souvenirs. Il fronça les sourcils. Si Oren avait brisé le barrage de la rivière de ses souvenirs, de les sentir couler incessement n'avait rien de profitable. En foulant les plateaux rocheux, il s'interdit de penser à autre chose que l'arrivée à sa destination.

À l'arrivée, il passsa une patte dans ses cheveux, poussa un soupir et se laissa tomber du haut de son promontoire pour fendre la surface bouillante de l'eau.

L'avantage de sauter tête la première devait être la profondeur du cratère. Si à Alteron l'eau du marais ou de la source centrale lui arrivait aux coudes, l'eau du bassin thermal était capable de l'envelopper au complet sans le moindre accroc. Mieux encore, il était caspable de tourbilloner sur lui-même, sans heurt. Il ouvrit ses paupières, scanna les profondeurs subaquatiques et donna un coup de patte afin de se projeter vers la surface. Même en le voulant très fort, il savait qu'il ne pouvait pas atteindre le coeur du bassin.

Il lui semblait que ce-dernier s'étendait sur quelques mètres encore, à une chaleur insoutenable, bien loin en dessous du niveau de la mer. Il se mouva de quelques pagaies avant de fendre à nouveau la surface et de prendre une grande bouffée d'air. Ses mèches détrempées lui retombant sur les yeux, il se tint immobile un moment alors qu'il sentait ses oreilles se mouver sans en comprendre la raison. D'une des pattes qui le maintenait à la surface, il leva les mèches devant ses yeux avant d'arrondir les pupilles et reculer brusquement la tête.

— Again?!

— It's gotta be a joke!? éclata Sunshine en retour.
— _{Just my luck...} maugréa Gun à mi-voix, dévoilant ses dents dans un rictus forcé. Si les circonstances avaient été différentes - si son humeur avait été meilleure - il aurait volontiers accueilli la louve avec sa légèreté habituelle, mais cette fois, le coeur n'y était pas. Il n'avait pas quitté Calamité à la forêt noire dans le but de la rejoindre à Alteron ; il était venu à son havre de paix pour se rassembler, pas pour échanger. Chacun soutint le regard de l'autre:
— Are you always here or what?! elle l'accusa, le piquant au vif. Sa gueule s'entrouvrit sur une riposte.
— ...!! Mais le feu dans ses yeux sembla s'atténuer.
— ...
Au lieu d'ajouter quoi que ce soit, Gun détourna les yeux et referma sa gueule. Sunshine ouvrit brusquement la sienne sur une violente quinte de toux. Chacun sursauta : lui se recula, les oreilles dans le cran, et elle décrivit un cercle autour de lui sur la berge avant de tremper sa patte dans l'eau. Il la suivit des yeux un instant, incertain de comprendre. Si son regard s'était teinté d'une impression confuse d'abord, il s'envenima ensuite. Ses yeux se plissèrent. Non. Il ne voulait pas que son havre de paix soit teinté d'une autre présence. Il ne voulait pas l'entendre tousser, il ne voulait pas la voir à côté, il ne voulait même pas la sentir. Mais il n'y pouvait rien. La seule chose qu'il pouvait faire, c'était partir. Mais partir, alors qu'il voulait se détendre dans les sources chaudes ? Il secoua doucement sa tête, redressant ses oreilles au dessus. Et lentement, il se laissa glisser sur le dos (ou presque, la croupe plus immergée que l'était son tronc), flottant à la surface de l'eau, s'assurant de plonger ses oreilles dans l'eau bouillante du bassin pour entendre les sons gênants se déformer ensuite. Il poussa un soupir, détendant ses muscles, à la recherche de son insouciance - son détachement habituel.
— Hufff...

Il lui semblait que le bruit blanc autour avait sur lui comme un effet apaisant. Plus que le bruit blanc était la chaleur qui endormait peu à peu sa vigilance. Aidait aussi les vapeurs autour. Il leva l'une de ses pattes, par habitude, voyant la vapeur de chaleur s'y échapper en long filons translucides. Mais au lieu d'en profiter, de seulement prendre le temps pour soi, il ressentait un tic dans l'une de ses oreilles, qui trahissait la sérénité qui cherchait à l'envelopper. Sa curiosité était bien l'une des seules choses à le gêner. Aussi se jeta-t-il sur le flanc afin d’immerger sous l'eau, ouvrant grand ses yeux, curieux de voir ce que fabriquait la louve dans les profondeurs. Il se tenait immobile, comme en suspension, les touffes de sa fourrure dansant très lentement dans les courants thermiques du bassin.

Ses oreilles captaient les sons déformés que faisait Sunshine en se déplaçant. Elles captaient aussi le tintement que faisaient les bulles et les rayons du soleil en se reflétant à la surface. Il la regarda un instant, pencha sa tête, et donna un coup de l'encolure, relevant ses épaules dans un fluide mouvement afin de s'avancer en apesanteur, le plus discrètement possible.

Peut-être que ce genre de compagnie était vraiment ce qu'il lui fallait, qui sait.

Il s'approcha en ondulant du corps, repliant ses pattes avant contre celui-ci, se glissant près de l'autre à son insu. Il ne s'approchait pas trop vite, toutefois. Il gardait une certaine distance afin de lui éviter tout sursaut. Il voulait la voir bouger, se mettre à son aise, l'oublier complètement... Il décrivit un demi-cercle, tout en observant son ballet en apesanteur. Il trouva un certain charme à ses mouvements ralentis et à ses mèches volumineuses qui valsaient à son tour, comme des algues.

Il comprit qu'il s'était trop approché lorsqu'elle ouvrit soudain ses yeux, les figea sur lui et ouvrit de nouveau grande sa gueule, échappant un filon de bulles. Lui brisa l'aérodynamisme de sa forme en reculant sa tête et son poitrail, un peu incommodé par la réaction exagérée, et voltigea vers l'arrière lorsqu'elle s'enfuit à larges mouvements de pattes. Il s'arrêta de tourner en s'équilibrant convenablement, allant à sa suite. S'il l'avait pu, il aurait souri : il se sentait comme un animal en chasse, mais au lieu de vouloir occire sa proie, il lui semblait bien plus amusant de la poursuivre - à condition d'aller prendre une bouffée d'air d'abord. C'est ce qu'il fit.

Elle-même monta à la surface avant de replonger. Aussitôt en dessous, elle s'enfuit à nouveau et il la talonna, saisi par le goût du jeu. Elle avait bien plus d'acuité à nager que lui : ses pattes palmées aidait à ce que ses déplacements soient fluides et furtifs, alors que lui se contentait de s'avancer par saccades, ou, s'il ondulait, si lentement qu'il ne troublait pas le courant de l'eau. Sunshine fendit l'eau dans son zigzag, suivie de près par Gun qui fournissait l'effort. Soudain, la louve ralentit. Lui-même ralentit, ondulant avec plus de prudence, incertain de savoir s'il devait s'approcher ou non. C'est alors que la louve fit volte-face, comme pour le regarder. Confus par ce revirement de situation, Gun boxa l'eau en panique, eut le réflexe de faire demi-tour avant de décoller d'une vrille.

Il entendit le son déformé du courant brisé et des mouvements épars de l'eau, signe que l'autre s'était lancé à sa poursuite. Gun sentit son coeur s'emballer. Il ignorait s'il s'agissait d'excitation ou de peur véritable, mais l'anticipation de la chose l'électrisait de partout, aussi il se mit à pagayer l'eau de ses pattes plus fort afin de s'éloigner plus rapidement. Il sentit une décharge d'adrénaline l'électriser de la queue à l'échine lorsqu'elle effleura sa queue de son museau. Qu'arriverait-il lorsqu'elle l'attraperait? Il n'eut pas le temps d'y penser qu'il eut l'impression que son corps lui criait de lui donner de l'oxygène. Ainsi lorsque Sunshine émergea pour reprendre son souffle, il la suivit de peu, reprenant le sien, se sentant comme ragaillardi après s'être défoulé autant. La chaleur, les couleurs et la vapeur aidait. Gun tapota l'eau du bout de ses coussinets, les yeux rieurs, -quoique cachés en dessous de ses cheveux mouillés.
— Hah hah hah! Not bad ! Il dressa ses oreilles hautes sur sa tête, et de son autre patte, releva ses mèches. You were pretty good ! Where did you learn to swim like that ♪ !

Elle-même leva l'une de ses pattes pour balayer les mèches de son visage. Les siennes étaient bien plus longues, cela dit. Et plus épaisses : Gun préférait de loin garder le cheveu léger que de s'encombrer d'une crinière aussi volumineuse. Dans son métier, ce genre d'apparats était plutôt désavantageux ; d'où la nécessité de se trimmer et de s'entretenir régulièrement.

Sunshine lui avoua venir d'Inaria, où elle vivait près d'un lac. Gunthaer releva l'information avec soin. Comme ça, elle ne faisait pas partie de l'Oasis en tant que blackblood, comme les autres ? Elle se racla la gorge et souligna sa passion pour la natation. Lui s'était mis à rigoler, comme complice. Il n'avait aucun mal à croire qu'elle puisse préférer l'eau à la terre, surtout après avoir constaté la présence de palmes sur ses pattes. Toutefois, il préféra faire preuve de prudence:

— « Really ! Never took you for an Inarian.
Il se mit à nager en direction de la berge et de ses plateaux, choisissant de nouveau un qui était détrempé - et donc qui avait un équilibre de chaleur et de sécurité. « I could have pegged you for an arctic wolf, actually. »
Il se coucha sur la pierre plate, laissant la fine pellicule d'eau au dessus se glisser entre les pores de ses doigts.
— « Then again, you don't seem like the type to enjoy frolicking in the snow. Or ice-cold waters. »

Il savait apprécier la légèreté de leur échange. Elle aussi, car elle baissait sa garde. C'était sans doute un effet secondaire à la satiété : celle d'endormir l'esprit. En effet, elle poursuivait la discussion, comme si sa gêne, son embarras et son malaise de leurs précédentes rencontres s'étaient détachés d'elle à la seconde où elle avait mis la patte dans l'eau.

— My mate was persuaded I was from the North, like him, lui dit-elle alors. But he changed his mind after seeing me in the snow ~
Entre-temps, elle l'avait imité dans son flegme, se laissant à son tour flotter sur le dos. Gunthaer, de son côté, nota l'information dans un coin de sa tête : elle n'était pas originaire du Nord, mais son compagnon l'était. Il sourcilla. Ce Gremlin ( car elle faisait bien mention du Gremlin, n'est ce pas? ) venait du nord ? Mais comment un être aussi chétif pouvait-il supporter les températures impitoyables de la montagne ?
— I don't know what's worst, Snow, or Inaria.
La réflexion de Sun lui suscita un rire:
— Ha ha !
Il répondit, le ton badin.
— I know : how about Inaria covered in snow ?

Elle détestait Inaria autant qu'elle détestait la neige. Cela signifiait qu'elle s'était peut-être introduite dans l'Oasis des blackblood afin d'éviter de vivre l'hiver. Il eut un sourire, comme pour lui-même. Quelle égoïste, mine de rien. Abandonner toutes ses attaches et changer de territoire afin de s'éviter un bête malaise. Décidément, lui et elle partageaient bien plus de points communs qu'elle ne voulait l'admettre.

• - I know : how about Inaria covered in snow ?
  - It's what I call a nightmare.
  
  Affirma la femelle, les yeux fermés. Inaria n'avait rien pour lui inspirer la joie, et la neige non plus, d'autant plus, d'étranges rêves enneigés en compagnie d'un certain loup polaire n'avaient rien d'une partie de plaisir non plus. Enfin, elle prit une grande inspiration, ouvrant ses yeux à demi, rivant ses iris sur le ciel, un brin pensive, de se remémorer Inaria, ainsi que Chess avaient encore bon de la réduire au silence pour la plonger en d'incessantes réflexions, si bien qu'elle en oublia presque le loup violacé. Elle se laissa simplement flotter un moment avant de finalement reporter son attention sur Gun.

—  It's what I call a nightmare.
— ... No kidding, de simplement répondre Gun, pensif. Imaginer le territoire d'Inaria enseveli sous la neige lui tira un rictus. Il les imaginait bien, remplumés d'une nouvelle fourrure, chercher à s'avancer dans des kilomètres de neige. Il eut une brève pensée pour une louve qui n'éprouvait pas ce problème. À cette pensée toutefois, l'éclat dans son regard sembla se modifier. Encore ce stupide phénomène. Celui des souvenirs. Était-ce vraiment ainsi que vivaient les autres individus? Quelle plaie. Il secoua sa tête. La chaleur et l’oisiveté de leur échange étaient sa seule source de réconfort.

— I'm not really familiar with nightmares, but in my case, I've always enjoyed singing.

How you say...
Il leva le menton, arquant haut ses sourcils.
— “La musique adoucit les mœurs ?”

— A friend of mine always wanted me to sing, lança la louve en guise de réponse. His voice was horrible. I'm not as bad, but I'm none of a singer.
— Hard to believe.
Gunthaer se roula d'un trait, ventre vers le sol, cette fois. Il donna quelques coups de pattes afin de se maintenir à la surface, puis, l'eau le porta vers le haut, comme s'il y flottait.
— Humour me! I'm curious to hear what you sound like. Ne lui vint pas à l'esprit qu'elle aurait pu s'étouffer dans son chant comme elle en avait fait la démonstration plus tôt.

— Aww c'mon ! What are you so afraid of !
Il se mit à tapoter l'eau de ses pattes antérieures, comme s'il dansait.
— I'll even join in ! What do you say ?