Mauvais calcul...

Des bonnes idées, le bison en avait déjà eu des tas… Mais traverser cette plaine n’était vraisemblablement pas une de celles-là ! Alors pourquoi ? Tout simplement parce que c’était un raccourci pour rejoindre les siens ! Au début, Arado ne voyait qu’une étendue neigeuse à perte de vue. Mais bien vite, il aperçut quelques colonnes de fumée qui s’élevaient au loin. Les bipèdes ! C’était leur village… Le bison n’était pas suicidaire, il resterait à bonne distance. Mais encore fallait-il traverser cette plaine…

Il jeta un nouveau regard dans les environs, s’assurant qu’aucun prédateur ne le pistait. Puis il reprit sa lente marche dans la neige, prêtant attention au moindre bruit étranger ou à la moindre odeur suspecte. Il aurait dû suivre les siens, même si le chemin était plus long… Mais son âme d’aventurier explorateur semblait prendre le pas sur la raison. Peu importe, les rencontres sont plus rares en cette saison. Les bipèdes sont moins actifs et certains prédateurs hibernent. Arado pourrait écourter ce voyage par une petite course mais ce serait gaspiller de l’énergie pour pas grand-chose… Par ailleurs, lenteur rime souvent avec discrétion.

La discrétion ! Un concept qui semblait échapper totalement à ce truc qui se mit soudainement à foncer sur Arado ! Ce dernier se figea. Un prédateur ? Dans ce cas il avait une drôle de notion de la traque et la furtivité… Un piège ? Pas impossible, il s’agissait de considérer toute les options. Et puis, plus ça se rapprochait, plus ça ressemblait vaguement à un loup ou quelque chose du genre. Il s’agissait d’être prudent…
Le bison se tourna afin de faire face à l’inconnu. Il baissa la tête et se mit sur la défensive, prêt à charger. L’une de ses pattes avants raclait la neige et le sol, la menace potentielle finit par s’arrêter à quelques mètres et, surprise, prit la parole pour saluer l’herbivore !

Humpf ?

Le gros mâle n’avait pas entendu les premières paroles de l’inconnu et c’était sans doute mieux ainsi. Néanmoins, il crut à une blague. Ou plutôt une diversion… Mince, Arado n’avait pas pensé à ça ! Tout en gardant l’inconnu dans son champ de vision, il scruta rapidement les alentours. Son odorat lui indiquait également des bipèdes mais la source de ces effluves emblait être celui qui se trouvait en face de lui. C’était peut-être l’un de ces « loups » apprivoisés que les humains utilisent ?

Que veux-tu donc, loup ? Et reste à distance, ne t’approche pas ! Ou sinon…

Il esquissa un coup de tête, comme une sommation. L’herbivore était tendu, quoi de plus normal après tout ? Son instinct de survie sonnait l’alerte rouge…

Qu’est-ce que ? Arado eut un léger sursaut ! Un truc non identifié venait de lui passer entre les pattes pour rejoindre l’inconnu. Visiblement, c’était aussi un prédateur, mais en beaucoup plus jeune… Le présence d’un chiot rassura un peu le bison, les deux inconnus ne semblaient pas être là pour la chasse… Le jeune interrogea son congénère qui n’apporta aucune réponse. Quant au principal intéressé, il préférait rester muet…

Mais à la grande surprise de l’herbivore, le plus âgé fit les présentations ! Ce dernier s’appelait Hunter et était bien l’un de ces « loups domestiques » qui vivait avec les bipèdes. Et idem pour le plus jeune. Les deux « loups » ne se montraient pas agressifs mais plutôt curieux. D’ailleurs, la dernière question arracha un sourire à Arado qui releva la tête afin de reprendre une posture moins « menaçante ».
Décidément, cette question revenait souvent ces derniers temps. L’arrivée du troupeau sur ces territoires ne passerait pas inaperçu au printemps…

Ce que je suis ? Je me nomme Arado et je suis un bison ! En bon herbivore, je suis souvent traqué par les bipèdes… Il désigna à son tour le village d’un mouvement de la tête. Et par les loups !

La situation était plutôt paradoxale : la proie se présentait aux prédateurs. Enfin, si les siens attirait la curiosité plutôt que l’agressivité, c’était toujours ça…

Arado observa le bref échange entre les deux canidés d’un œil moqueur. Le plus jeune s’était empressé de rappeler fièrement son âge mais son congénère l’avait bien vite remit en place… D’ailleurs, au vu de son comportement, ce dernier passait pour un dominant. Peut-être occupait-il une place importante pour les siens ou les bipèdes ?
Bref, le bison ne se sentait plus vraiment menacé. Enfin pas par ces deux-là en tout cas… Pourtant, Hunter sembla avoir un long moment de réflexion qui intrigua fortement la montagne de muscle. A quoi pouvait-il bien penser ? Dans tous les cas, c’était visiblement si plaisant que le loup finit par se baver dessus ! Arado était à deux doigts d’un bon fou rire mais fut interrompu par le plus jeune qui en avait profité pour se rapprocher. Après une rapide séance de reniflage, la conclusion tomba sèchement : le bison sentait drôle !

Quoi ?!

Arado se demandait comment le prendre. Il posa son regard sur le plus jeune et l’observait avec insistance. Qu’est-ce qu’il entendait par « drôle » ? Les deux canidés avaient un comportement étrange et la suite n’allait pas arranger les choses, surtout les paroles de Hunter qui semblait se perdre dans ses propres mots… « Pas faim » et « herbivores » ? Ces deux-là étaient herbivores ?!
Silencieux, le bison eut un léger mouvement de recul. Puis il fut pris d’une profonde hilarité, un fou rire incontrôlable ! C’était un rire sourd, gras, qui résonnait dans la plaine. Et il lui fallut plusieurs minutes pour se calmer et finalement reprendre la parole :

Des herbivores ? C’est une blague ! Le bison se rapprocha jusqu’à venir coller son museau contre celui du plus jeune et le renifla. Après quelques instants, il bougeait la tête afin de pouvoir faire de même avec Hunter et lança, ironique : Je serais vraiment curieux de voir ça !
En bon ruminant, Arado régurgita un peu d’herbe qu’il s’empressa de mâcher à nouveau. Toujours en maintenant son museau proche du plus âgé des loups, il inspira profondément et souffla une bonne quantité d’air exactement comme Hunter l’avait fait avec le plus jeune il y a quelques minutes.

Vous êtes sûr de ne pas avoir faim ? Sinon je peux partager… Ah, et vous aussi vous sentez "drôle"!

Le ton n’était pas menaçant mais plutôt joueur et un peu provocateur. Par « partager », le bison pensait surtout à la purée d’herbe qu’il mâchait depuis quelques secondes…