Redresser le tir

— Tu vois, ce type est bouché.
— How dare--!!
— Impossible de le laisser affronter ce monde seul.
— ... ...
Havelock referma sa gueule, baissant sa tête, vaincu. Au fond de lui, il ne voulait pas laisser partir Howhakan. C'était lui qui lui avait permis de quitter Alteron, de s'éviter la mort. Et c'était lui qui l'avait cotôyé, qui l'avait aidé à s'avancer, à marcher pendant leur long voyage. Car être atteint de cécité ne rendait pas la chose facile.

Chaque son, chaque sensation, chaque nouveau relief devait être entendu ou touché de sorte à l'habituer avant de pouvoir continuer à cheminer. Mais voilà, c'était tout ce qu'il s'agissait: de lui. Et Howhakan ne lui appartenait pas. Howhakan n'appartenait à personne, et il savait qu'Howhakan ne pourrait jamais ressentir la même chose que lui à son égard. Ils ne partageaient pas les mêmes émotions - c'était à se demander si le terne en possédait seulement.

Et à cette pensée en amena une autre. C'était Gunthaer qui lui vint à l'esprit. Lui aussi possédait une âme similaire, légère, jouant des mots comme d'une instrument, et se détachant de tout ceux autour de lui. Gunthaer, c'était un loup qu'il n'avait jamais touché. Qu'il n'avait jamais " vu ". Un loup insaisissable... comme l'était Howhakan, au final.
— Bon, alors.. J'vais y aller..
— Home sweet home, eh Calamité ?
Et elle s'éloigna, le laissant à côté de l'autre mâle, qui souffla, comme une brise dans le vent:
— Bonne route, milady. Je vous souhaite le meilleur.
Havelock leva un demi-sourire, fermant ses yeux, faisant demi-tour.
— Et toi, tu te souhaites pas à toi le meilleur?

— Ah, ce n'est pas le sujet du jour ! fit un Howhakan qui le dépassa de bon train. Bien que de mauvaise foi, Havelock obtempéra à son silence en baissant sa tête et marchant à sa suite, sa queue balayant ses jarrets.

Ce n'était pas le sujet du jour. Évidemment. Et ça ne le serait pas demain non plus. Qui sait ce qui se tramait réellement dans la tête de ce loup à la voix sympathique ? À la démarche sautillante ? Havelock releva sa tête, sentant le vent décrire les formes du loup devant lui.

Au final, rien ne changerait jamais.

Howhakan était toujours devant lui, loin devant, insaisissable, volant dans son propre monde, muet au sujet de son propre bonheur, sourd à l'idée que quelqu'un s'inquiète à son propos. Même, insistant que la raison pourquoi il restait était pour rester auprès de lui - pour l'aider dans ce monde.

Est-ce que ça signifiait qu'il était la cause de ses tourment? De son inertie? De ses non-dits? Lentement, Havelock secoua sa tête. Comment il pouvait lui rendre la pareille s'il était - apparemment - la raison qui empêchait l'autre de vivre une vie profitable ?

Il leva les yeux - vainement, son regard se teintant d'une pointe de chagrin. Le chagrin de savoir que peu importe les gestes qu'il ferait, la situation resterait la même. Le vent sembla décrire une autre forme derrière lui.

Une forme aux muscles creux et à la respiration sifflante. Et juste ainsi, Havelock ferma ses yeux, profitant de ce rare moment de quiétude, marchant à la suite de son camarade, désireux de retrouver le confort de leur Territoire.