État de découvertes

Il avait plu, la veille. Emmitouflé dans la tanière, serré contre cette famille qu'on n'aurait jamais cru aussi nombreuse, il avait pu profiter de la chaleur et la sécheresse alors qu'on entendait la pluie martelé le sol en dehors. Pas que la pluie l'eut dérangé : âgé d'à peine quelques semaines, il n'avait pas toute la sensibilité nécessaire à savoir s'il aimait la pluie ou non. En fait, c'était la première fois qu'il en avait eu conscience. Mais sa maman avait tenu à le garder à l'intérieur, avec les autres ; son papa l'avait appuyée, arguant qu'il serait toujours temps d'aller au dehors le lendemain.

Voilà donc ce qu'il faisait, si peu de temps après le levé du soleil. Surmontant les individus étendus sur le sol de la tanière, il avait réussi à se frayer un chemin jusqu'à l'extérieur, pointant son museau hors de l'abris pour trouver une forêt calme, encore inactive. Ouvrant tout grand les yeux, il vit le ricochet des rayons contre les gouttes d'eau tapissant la végétation, reste de l'averse mélangée à la rosée. Un peu dans la lune, dû à son jeune âge, il avançait avec grande lenteur, tout obnubilé qu'il était par le scintillement des herbes.

- Hé dis donc, tu es déjà levé toi ? Tonna une voix au-dessus de lui.
Il sursauta et leva immédiatement le museau, se tordant presque le coup pour regarder vers le haut. Il y avait là un mâle, d'une couleur rousse et beige, qu'il n'avait ni vu ni entendu arrivé avec ses faibles sens. Mais, ses traits s'éclairèrent aussitôt d'un sourire puis qu'il n'était nullement effrayé par le mâle (après tout, son père faisait probablement le double de son poids!).
- Mhhm, non ! Piailla, ayant encore des difficultés avec sa prononciation.
Le mâle se mit en mouvement et Nohas le suivit du regard, tournant tout son cou et son corps pour suivre Sharpwit.
- C’est la première fois que tu vois de l’eau sur l’herbe le matin ? Ca s’appelle la rosée.
Bien qu'il comprit un peu plus l'intonation que tous les mots, le loupiot porta un nouveau regard sur les gouttelettes d'eau, écarquillant au mieux ses petits yeux.
- La rosée.
Il tendit une patte, ce qu'il n'avait pas encore osé faire avant l'arrivée de l'adulte, pesant avec une délicatesse qu'il n'avait pas encore perdue sur une plante. La feuille ploya sous son poids et fit rouler quelques gouttes jusqu'à sa pattes : il réagit au contact en poussant un cri aigu. Son corps eut un sursaut, excité, et il tendit à nouveau la patte pour toucher à d'autres feuilles, avec plus de brusquerie cette fois. Bien expressif, il avait un grand sourire sur ses traits et bougeait avec vigueur autour de sa nouvelle découverte. Entre deux petits rires, il s'exclama avec enthousiasme :
- Froid !

Tout concentré qu'il était, il ne faisait plus attention au mâle au-dessus de lui. Il fallut que ce dernier s'exprime pour que Nohas cesse d'être obnubilé par les gouttes d'eau et ramène son attention vers l'adulte.
- Oui, froid et … Mouillé surtout ! L’eau ça mouille, regarde !
Alors, Nohas "regarda", incertain de devoir regarder une sensation. Mais Sharpwit le prit par surprise, le faisant à nouveau sursauter, en se laissant tomber sur le flanc :
- Mais ça ne fait pas mal ne t’inquiète pas !
Nohas s'approcha de façon circonspecte, au départ bien peu rassuré par le grand mâle. Puis, il se dit qu'ainsi, la forme de son corps ressemblait bien à celle de sa mère, étendue ; alors, sans plus de crainte, il avança des quelques pas restant et enfonça vivement son museau dans la fourrure humide. Aussitôt, le froid se propagea à lui, aussi rapidement que cette sensation de "mouillé", qui rappelait les lèches de sa mère.
- Hum !
Il s'exclama, perplexe, alors qu'il se reculait du "cobaye". Il y réfléchit quelques instants, la mine toute chiffonnée, trillant ses connaissances, ses souvenirs et ses goûts. Puis, étant arrivé à une conclusion, il se dérida :
- Mieux chaleur ! Chaleur-maman !

Un bruit sorti de la bouche de l'adulte, "rire", transmettant une joie dont Nohas ne comprenait peut-être pas l'origine, mais qu'il pouvait quand même ressentir.
- Oui c’est vrai ! Si tu aime la chaleur, tu aimeras l’été : il y a toujours du soleil et il fait chaud.
Il avait comprit presque tous les mots utilisés, mais ne sachant pas ce qu'était un "été", il lui était bien difficile de saisir le sens de sa phrase. Néanmoins, associant désormais "été" à chaleur et soleil, le loupiot se dit que ça ne devait pas trop désagréable.
- L’été c’est dans pas très longtemps, tu verras, je suis sûr que ça te plaira ! Ajouta Sharpwit.
- Dans plusieurs.. "nuits" ?
Un questionnement hésitant, comme il tentait encore de comprendre l'écoulement du temps et tentait de le mesurer par les "nuits", ce moment où il faisait noir et ils étaient tous regroupés dans la tanière. Puis, songeant à comment il lui serait plaisant d'avoir beaucoup de chaleur, et pas beaucoup de pluie, il demanda :
- Été-chaleur. Pas froid-mouillé ? Pas d'eau, "rosée" ?

- Beaucoup de chaleur, pas beaucoup d’eau. C’est l’époque qu’on appelle « l’été ». Ca dure beaucoup de nuits aussi l’été !
Le petiot hocha de la tête, buvant aux paroles de son aîné. L'été lui semblait plus qu'attirant !
- Moi ce que je préfère c’est l’époque qu’on appelle « hiver », mais c’est dans très très longtemps ! Mais si tu aime la chaleur, toi tu n’aimerais pas l’hiver.
- Froid-mouillé ? Répéta le petiot, comme pour saisir le concept de ce nouveau mot, "hiver". Non !
Son visage se chiffonna. L'hiver ne lui plaisait pas. Et cela suivait l'été, la chaleur ? N'en ayant nullement envie, il question Sharpwit à ce sujet, les sourcils encore froncé :
-Faire quoi, si pas aimer hiver ?

L'adulte évasa sa réponse, haussant des épaules en s'exprimant sur la fatalité des saisons. Nohas fit la moue à la réponse, puis cette mimique lui ayant chatouillé le museau, il éternua. Sharpwit continua de parler, le rassurant que, s'il n'aimait pas l'hiver, il pouvait toujours rester dans la tanière. Mais rester dans la tanière... Il aimait sa tanière, puisque c'était chaud, et rempli de gens, mais pas au point de passer tout son temps dedans ! Il n'avait pas encore découvert tout le monde, alors, pas question de rester dans la tanière ! Et dès qu'il eut cette idée en tête, tout son corps se mit à le démanger.
- Mais pendant l’hiver, il y a ce qu’on appelle la neige. C’est plutôt amusant la neige !
L'écoutant à moitié, le loupiot se mit à gigoter et sautiller sur place. Il fouilla le par-terre du museau, sa queue secoua l'air avec joie. À ses côtés, Sharpwit entreprenait de lui expliquer le concept de la neige. Captivé l'espace d'un instant, Nohas s'imagina ladite couverture blanche. Il poussa une brève exclamation surprise, comme émerveillé par sa vision, puis changea d'opinion et murmura « Mais tout  blanc, c'est triste ! ».
- Enfin, tu verras par toi-même n’est-ce pas ? Termina l'adulte. Tu as l’air d’aimer découvrir les choses.
- Mmmh-mh ! Acquiesça-t-il, opiniâtrant du chef.
Puis, plein d'espoir, il alla se planter devant le mâle en levant son museau vers lui, yeux grands ouverts.
- Découvrir maintenant ?!

Le grand adulte ne fut pas aussi emballé que lui à l'idée d'aller découvrir, mais jeune comme il était, Nohas ne se rendait pas bien compte des expressions d'autrui. À tout le moins, lorsque Sharpwit lui demanda d'aller approuver leur sortie par ses parents, le jeunot n'eut pas la présence d'esprit de protester : l'idée d'une rébellion ne s'était pas encore frayée un chemin jusqu'à lui.
- Mhhmhh! Acquiesça-t-il, simplement, comprenant plus ou moins ce qu'on lui demandait.
Comme l'adulte ne voulait pas venir avec lui, Nohas se dépêcha à entrer dans la tanière, bousculant les corps sans trop de ménage. Heureusement, la masse imposante de son père n'était pas tapie dans le fond de la grotte : sinon, Nohas aurait probablement réveillé tout le monde. Attaquant son père à l'oreille, il le força à s'éveiller, sans trop lui en expliquer la raison, et, quelques instants plus tard, la petite créature qu'il était sortait de la tanière avec à sa suite le gros Blackblood. Beaucoup plus lent - et endormi - que son fils, Banehowl secoua lentement son encolure volumineuse puis laissa échapper un bâillement. Bien que venant visiblement de s'éveiller, il posa un regard chaleureux sur Sharpwit, ne lui en tenant pas rancune.
- Que me vaut un réveil si matinal ?

Le guérisseur salua son père, chose que Nohas n'écouta qu'à moitié, se contentant de battre de la queue lorsqu'il reconnu son nom dans les nombreux sons. Il comprit que, grosso modo, Sharpwit demandait la permission à son paternel d'aller à la découverte du monde. Une fois que le mâle aux couleurs sables eu finit, Nohas s'empressa d'ajouter, en élevant ses pattes avant du sol :
- Dis ouiiiiiii !
Il se réceptionna tant bien que mal, ayant encore des difficultés avec sa coordination, ce qui provoqua un bref rire chez Banehowl. La voix caverneuse du mâle s'éleva alors, toujours aussi agréable que précédemment.
- C'est tout ? Se moqua-t-il un peu, taquinant Sharpwit de l'avoir réveillé pour cela. Je n'y vois pas de problème.. Essayez de me le rapporter en un morceau; enfin..
Et son regard se porta sur son fils, qui trépigna aussitôt sur place, content d'avoir son attention.
- Essaie de ne pas trop faire de bêtises.
- Ouiii ! S'empressa-t-il d'acquiescer, ignorant complètement ce à quoi il s'était engagé.

Tout excité qu'il était, Nohas n'écouta plus trop ce que lui disait son père, ni ce que répondait Sharpwit. Il réussit quand même à capter le signal de départ de son compagnon de jeu, et détalla sans plus tarder. Il ne savait point où aller, mais ce n'était pas bien grave ! Heureusement, Sharpwit ne le laissa pas s'enfuir sans rien faire, et très vite, il le rejoignit pour le diriger (autant qu'il le pouvait).