Sens familiers

Pnj joué: Havelock

À cause de sa condition, il n'avait jamais vraiment daigné s'éloigner de la protection que lui conférait le col flamboyant, le fyord et le gisement de cristaux. La présence d'Howahkan dans la meute était pour lui une source inépuisable de courage. Récemment, même, il l'avait mené en dehors des Terres du Vallon, en direction de la plaine où ils avaient croisés leur (ancienne ?) princesse, Calamité. C'était déjà un exploit d'avoir habitué son corps à se rappeler du relief du terrain en dehors de leur territoire, plus encore de revoir ( enfin, façon de parler... ) Calamité.

Sans Howahkan, il lui semblait que s'aventurer plus loin que les points de rencontre habituels était impossible. Il s'agissait d'une réticence justifiée: étant non-voyant, Havelock ne s'adaptait pas aussi vite que ses compères canins - et félins. Il ne fallait pas habitué ses yeux, mais toute l'étendue de son corps et de son ouïe avant de se sentir confortable quelque part. C'était déjà un miracle pour lui d'avoir quitté la jungle d'Alteron, d'avoir traversé les plaines, d'avoir élu domicile au verger rose... Savoir qu'il ne connaissait pas par-coeur les terres du Vallon était pour lui un affront.

Ses récents tourments lui avait fait prendre conscience de ses actions, et de la force de celles-ci. À cette pensée, il fronça les sourcils, pivotant ses oreilles vers l'avant. Il n'était pas insignifiant. Son handicap n'était pas aussi nuisible qu'il le pensait. Il n'en était pas moins d'un loup: il avait été élevé comme un loup, avait vécu parmi des loups - quoique... - et continuerait à vivre comme tel. Et un loup, ça piste, ça hurle, ça chasse, ça vit en meute, c'est grégaire, ça s'entoure; c'est ce qu'il faisait.

Aujourd'hui toutefois, il s'était éloigné du regroupement habituel pour tester les eaux. Il avait du mal à s'imaginer s'éloigner de ses pistes habituelles et s'aventurer dans l'inconnu. Et pourtant, aujourd'hui, l'idée lui paraissait sensée.

Après avoir traversé un long sentier parsemé de fleurs, il se dirigea vers la roselière aquatique. Il la savait basse de Terre: l'odeur qu'elle dégageait lui décrit un contrebas quelques mètres devant son sentier, s'étendant loin, beaucoup plus loin dans les Terres. Il lui crut même capter l'odeur de Pins. Il en avait entendu parler de Xavier ainsi que de Bonechill: au delà de la Terre des Roseaux se trouvaient les Pins d'émeraudes, ainsi que le meilleur gibier qui soit. " Bien mieux que celui des forêts d'Inaria ", avait ajouté Bonechill avec une pointe de fierté.

Havelock se ratatina sur lui-même, pivotant ses oreilles dans sa nuque, se risquant un pas vers la corniche, dernier obstacle avant de fouler les terres semi-aquatiques de la roselière. Il se risqua à étirer sa patte, ouvrit sa longue, recula sa tête en la rentrant dans son poitrail. Décidément... Il se risqua un autre petit pas, d'un bref mouvement des postérieurs, plaquant la queue entre ses cuisses.

Il ouvrit la bouche et claqua sa langue. l'écho du son lui renvoya l'image du relief. Un peu plus confiant, il étira sa patte un peu plus, le ventre à ras le sol, se risquant à la poser en bas de la marche. Il grimaça en sentant l'humidité et la viscosité du sol, avant de redresser les oreilles- et la croupe. Pour des raisons qu'il ignorait, la sensation de fouler un tel terrain lui procurait un sentiment de sécurité. Alors, mu de ce nouveau sentiment, il défléchit ses antérieurs et ses postérieurs et se permit de s'arracher à l'herbe fraîche de la clairière pour se planter fermement dans la vase.

En s'avançant, un roseau l'effleura, le faisant sursauter. Il rigola avant de reprendre sa marche, prudemment. Il se rappelait de la Jungle Alteron et du marais aux nénuphars. Certes l'eau - il leva la patte pour s'assurer qu'il s'agissait bien de l'eau - ne semblait pas aussi sale que celle du marais, sa composition, sa texture, son odeur, voire, lui inspirait un sentiment de satiété. Il leva haute sa tête parmi les roseaux, délogeant sa queue entre ses jambes pour la recourber lentement vers l'extérieur.

Ses narines captèrent une nouvelle odeur, un peu plus familière que le reste, le faisant se crisper sur lui-même. Ce n'était pas l'odeur du loup qui le dérangeait - il s'agissait après tout d'un autre membre de la meute (quoique plus jeune) qu'il avait l'habitude de ne pas croiser souvent - , mais  l'odeur de ce qu'il tenait.

Ses oreilles s'abaissèrent, il eut un mouvement de recul et il claqua de nouveau sa langue. L'écho lui décrivit la forme des roseaux, et, au milieu, une forme éphémère s'approchant. Il redressa les oreilles et abaissa la queue, avant de tourner sa tête dans une direction au hasard ( ce n'était pas comme s'il avait besoin de regarder son interlocuteur dans les yeux, après tout ).
— ... Qu'est-ce que t'as en gueule ?
Il secoua sa tête. C'est vrai. Il en oubliait les politesses:
— Hey salut: qu'est ce que t'as en gueule? Il renifla l'air. Ça lui revenait, c'était
— Anne-Fergus machin-chouette ? mmmouais. C'était presque ça.

Ses oreilles se dressèrent d'un seul coup en entendant la surface de l'eau se briser sous un poids moyen. De nouveau, il claqua sa langue. L'écho lui décrivit une forme qu'il ne connaissait pas. Certes  il était un bon chasseur, il n'avait jamais réellement chassé ou approché des oiseaux. Aussi la forme lui fit plisser les yeux d'inconfort. Le ton de l'autre lui vrilla les oreilles.
— Arelan. Fergal. Liam. Mac. Duncan.
Havelock hocha la tête, sur un sourire en coin.
— C'est ce que j'ai dit. Anne-fergus,... machin...
— A-re-lan si vous préférez. _Oh fit Havelock, à part. _{C'est en trois temps. A-re-lan} Et bonjour. Bien qu'il ignorait s'il allait s'en souvenir, A-re-lan semblait être un patronyme plus facile à utiliser que... Anne-fergus machin. L'autre fléchit de ses postérieurs afin de s'accroupir et de prendre une bonne bouffée d'air - il semblait à Havelock d'entendre son tonus musculaire plus nettement que son rythme cardiaque, étrangement - et s'adressa de nouveau au loup marron, sur une voix aux tons secs.
— Et ce que je tenais, c'est un canard.
En entendant sa voix, Havelock put tourner correcter sa tête afin de lui faire face- geste bien inutile, mais on ne se débarrassait pas de ses habitudes facilement.
— Un canard ? Il renifla l'air. Il arrivait à sentir les... roseaux, les autres loups, la vase de la roselière, la boue, la moisissure, une odeur caractéristique de lichen, et... quelque chose de pincé. Une odeur pincée qu'il associa au " canard ". Rien à voir avec les effluves caractéristiques d'un cervidé ou d'un quelconque ongulé.
— Est-ce que ça se mange ? Je ne sais pas ce que c'est.

Le ton de l'autre sembla s'adoucir en se montrant nettement plus loquace:
— En effet, c'est comestible et délicieux même, il répondit avec un certain éclat. Les œufs encore plus, il ajouta avant de claquer sa langue, ce qui fit aussitôt se dresser raides les oreilles du non-voyant. Elles remuèrent,s e pivotèrent vers l'extérieur avant de revenir à l'avant, se détendant.
— C'est un oiseau...à peu près gros comme un bon lapin... ça fait un bruit atroce, on dit qu'il cancane.... _{Qu'il cancanne....} on les entends plus souvent ici. Ça sait nager, on les trouve souvent sur l'eau, ils nichent sur les rives, où l'on peut, avec un petit de discrétion et de ruse, surprendre parfois une canne sur son nid ou un canard en train de dormir, mais c'est plus rare.
Havelock tressauta, avant de fléchir sur ses pattes, les yeux écarquillés:
— Les Coincoins ! Il lâcha aussitôt. Il claqua de nouveau la langue pour se situer, inclina la tête vers le bas - vers le ..."coincoin" en question - penchant la tête sur le côté.
— Tu veux dire que les coincoin sont gros comme des lapins ?? Il ourla ses oreilles derrière.
— Merde au boucan qu'ils font j'avais l'impression qu'ils étaient plus grands... Il leva un sourire, redressant la tête, s'enquérant de la suite:
— Et c'est quoi leurs... "zeux" ?
Peut-être que Bonechill ne déconnait pas en parlant de " meilleur gibier qu'à Inaria ". Bonechill avait beau n'avoir jamais été à Inaria, les rumeurs sur ses terres fertiles n'étaient pas inconnues de ceux à Alteron, à son époque. À l'idée de chasser une proie " comestible et délicieuse ", Havelock se sentit brûler d'enthousiasme.

Loquace? Plutôt moulin à paroles! Car en effet, A-re-lan entreprit de lui expliquer en détails la composition des zeux dont il était question.
— Hm. Comment l'expliquer. Contrairement aux loups et autres vivipares qui donnent naissance à leurs petits ben... "normalement", les oiseaux et autres ovipares pondent des œufs dans lequel se trouve le bébé qui n'est encore, à ce que j'ai pu comprendre, pas encore vraiment vivant.
— .... .... Les oreilles d'Havelock cette fois retombèrent de chaque côté de sa tête, alors qu'il tira les babines dans un rictus exaspéré. Il allait quand même pas...?
— Les œufs sont assez ronds, souvent un peu ovales. Eh oui. Leur taille dépend de l'espèce, tout comme leur couleur... Encore cette histoire de couleurs, songea Havelock en ronflant des narines, quoiqu'un peu amusé par la passion qui s'était emparée de l'autre loup. Décidément!... Hum, en tout cas, les œufs sont fait d'une couche à la fois dure et fragile, la coquille. Dans la coquille, le blanc, liquide visqueux légèrement dégueu quand on y est pas habitué...mais on apprécie vite. Quelque part flottant dans le blanc, le jaune, autrement dit, le trésor, le nectar d'un œuf.
On aurait dit qu'il décrivait quelque chose d'abstrait, d'inaccessible, qui volait dans les airs, fluctuant avec le monde et ses couleurs. Havelock enviait ce sentiment de rêveries. S'il lui arrivait parfois de mêler des odeurs à d'autres pour s'imaginer des combinaisons de parfums et d'arômes, imaginer l'espèce de chimère que lui décrivait l'autre requérait un peu plus d'imagination.
— Le jaune est un liquide bien moins visqueux que le blanc, protégé par une espèce de peau de rien du tout, comestible elle aussi. Quand à son goût...
Les oreilles d'Havelock frétillèrent en entendant le changement de ton.
— --Tu dois m'entendre baver comme pas possible ?
— Ben en fait... lâcha le chasseur en étirant son sourire, goguenard.
— Eh bien, ça te laisse imaginer que c'est franchement un délice...et mon péché mignon, je dois bien avouer !
— ...Ça doit l'être si t'es capable de broder autant de mots pour décrire de la bouffe, ricana Havelock, de bonne foi malgré tout. Il haussa les épaules, pivotant une oreille vers l'arrière en entendant les clapotis distinct d'un animal qui se déplaçait dans l'eau.
— Moi, j'ai jamais vraiment pensé à prendre le temps de décrire ce qui me tient en vie. Je la chasse et la mange, c'est suffisant.
Il détourna la tête, attentif aux bruits autour. Il claqua la langue.
— Aussi, je t'entends pas que baver. T'es essoufflé? Il fronça les sourcils. No... that's not it... ses oreilles remuèrent encore. Il hésitait. Il n'arrivait pas à déterminer s'il entendait un tonus musculaire hypertrophié, ou un rythme cardiaque précipité.

— Alors c'est quoi ?
— ... hmmm ...
Havelock pencha sa tête sur le côté, puis sur l'autre.
— _{Les muscles ... les fils sont noués ? Mais  pas depuis récemment}, continuait Havelock pour lui-même. Il tressauta.
— Tu as quel âge ? Ses oreilles se dressèrent d'un seul coup. Tu t'entraînes ?? Avait-il moins d'un an? C'était dangereux de s'entraîner avant que l'ossature ne soit complètement solide !

Un entraînement, c'était une activité constante qui durait à peu près un demi-cadran. Les fibres musculaires ( ce qu'Havelock disait être des "fils" ) devaient être réchauffées avant de produire de l'élastine - composante favorisant l'élasticité dans les muscles. Bien qu'Havelock ignorait tous les détails - il restait un loup après tout - il n'était pas sans savoir que s'entraîner avant maturité était responsable de plusieurs maux articulaires.

Bien sûr, comme ne pas s'entretenir amenait des congestions respiratoires - qu'Havelock pouvait entendre, se traduisant par une respiration creuse - trop solliciter ses muscles n'était pas mieux, pouvant mener à des contractures musculaires douloureuses - qui amplifiaient le rythme de leur tonus -.  

— Pour une fois qu'on me demande pas si je suis malade...
— C'était ma prochaine question.
— En effet, je m’entraîne ...encore très peu de temps et aucun loup de mon âge ne pourra supporter la comparaison.
— ...T'es vraiment stupide de croire que tu fais ça pour la bonne cause, cingla Havelock, exaspéré en entendant l'autre se rengorger ainsi. Bien qu'il n'avait pas perdu son rictus, ses commissures s'étaient crispées d'incertitude: A-re-lan était capable d'enfiler les mots pour lui expliquer ce qu'était un canard et un oeuf, mais il ne comprenait pas le danger qu'impliquait de se moquer de sa propre santé ?

Les oreilles basses, manifestant son malaise, Havelock se rendit compte de la sévérité de ses mots. D'un autre côté, il n'avait jamais été doué pour prendre les choses avec des pincettes. Il n'était pas " théâtral ", comme un certain loup à la fourrure terne. Lui vint alors une idée:
— Écoute, je pense que tu devrais consulter un guérisseur. Sa tête s'était redressée avec ses oreilles, reprenant du poil de la bête. Um, Howhakan serait bien placé pour te dire quoi faire pour t'éviter des douleurs futures... Les lèvres pincées, il eut un petit sourire compatissant.
— Si t'as du bol tu risques de pas souffrir le martyr, adulte.

Bien que la situation de l'autre l'inquiétait - il étaient camarades de la même meute, après tout - Havelock ne put rien ajouter au " pfeuh " de l'autre. Il n'était pas guérisseur, donc il ne pouvait pas le prévenir de la cévérité des douleurs et de la mauvaise croissance des os et du thorax de l'autre. Il savait les symptômes- il les entendait- mais décrire ce qu'il entendait n'était pas toujours chose facile.

Il aurait pu dire " tes muscles vont se mettre à pulser " ou " la surface de tes os va se mettre à grincer ", mais ce genre de commentaire lui parraissait complètement loufoque. Et à défaut de ne pas vouloir se ridiculiser à raconter " n'importe quoi ", il se tut, résigné.
— ...
Il abaissa ses oreilles et détourna la tête. Bon. Plus rien à faire ici, je suppose. Il se tourna de nouveau vers A-re-lan, quoique les oreilles basses, cette fois.
— Donc, ouais. Il ajouta, se hasardant un peu. Tu devrais faire attention. Il leva un sourire maladroit.
— Et puis euh, merci d'avoir pris le temps de répondre à mes questions... À propos du canard. Et des oeufs, il ajouta, s'assurant que l'autre l'avait bien compris. Il leva une patte et entreprit déjà de s'éloigner.
— T'aurais pu ne pas le faire.

[ But of course ^w^ ]

— J'aurais pu. Mais j'aurais eu l'air d'un abruti terminé, qui laisse un loup sans daigner lui répondre... je ne suis pas un mal élevé, tout de même. Et puis... j'aime bien étaler ma science dès que je peux
— T'aurais pas eu l'air d'un abruti. Juste normal. Pas tout le monde qui m'écoute.
— Sur ce... fit l'autre, avant de faire un autre mouvement qui déplaça l'air.
— Bo' vournée, il dit, la gueule désormais obstruée par sa charge.
— Bo' vournée, A-re-lan, lui répondit Havelock en frétillant brièvement la queue sur sa croupe. Un signe de tête, un claquement de langue - qui lui décrivit le plus jeune en train de s'éloigner avec son canard en gueule - puis, il reprit la marche en arquant la nuque, dans la direction opposée à l'autre, en vue de s’enfoncer plus loin dans la roselière.

Même s'il avait été incapable d'expliquer à Arelan l'étendue de son inquiétude, il se sentait fier de s'être éloigné des sentiers battus pour s'engager dans un lieu qu'il ne connaissait pas. Et pour une rare fois, il avait l'impression que ces terres et ses sensations qui lui étaient inconnues étaient... d'un étrange réconfort.