Parce que c'est toujours compliqué.[Prio Uzuru]

Quelques semaines avaient passé depuis le retour des guerriers Stoneclaw, dépités et aux rangs très éclaircis. Vardan était le nouveau Roi, mais rien n'avait vraiment changé, si ce n'était que la nourriture était légèrement plus abondante... grâce aux nombreuses pertes encourues... Moins de bouches à nourrir, donc plus à manger...
Uzuru lança un coup de patte rageur dans une brindille. Si cela n'avait pas suffit de perdre la guerre, il avait aussi fallu que sa mère fasse partie des nombreuses victimes. Et en plus de cela, elle était bel et bien morte sous les coups de ces chiens, et non emportée par les eaux, avec l'espoir qui lui serait resté de la voir reparaître un jour après s'être échouée sur les rives de la nouvelle rivière...
Comme c'était le cas de Kasha et Altan, revenus seulement quelques jours plus tôt alors qu'on commençait à les croire perdus eux aussi, malgré que, à en croire les dires, les rescapés avaient clairement entendu le mâle à la crinière rouge annoncé son intention de récupérer la tigresse noire avant de retourner chez eux.
C'est d'ailleurs face à ce héros du jour que le chaton roux se retrouva au cours de ses tribulations. Il lui montrait le dos et sa contenance indiquait un niveau de fatigue qui commençait tout doucement à s'effacer chez les guerriers revenus depuis longtemps.
Uzuru ne sut trop quoi dire, songeant qu'il ferait peut-être mieux de laisser le grand mâle en paix après toutes les épreuves dont il sortait seulement.

Toujours indécis quant à ce qu'il convenait de faire, l'hésitation ne lui fut plus permis lorsque Altan se retourna enfin pour faire face à l'intrus qui venait troubler sa tranquillité. Le surprenant un peu, le grand mâle lui offrit un gentil sourire, bien que las et dépourvu de joie débordante - ce qui semblait on ne peut plus normal.
- Tu tiens le coup?
Uzuru haussa les épaules, baissant les yeux pour observer ses pattes dont il faisait jouer les griffes sur la terre sèche.
- 'Faut bien... Répondit-il, blasé.
Qu'est-ce-qu'il pouvait d'autre que de "tenir le coup" de toute façon ? Pleurnicher sur son sort partagé par d'autres chatons ne l'aiderait en rien à remonter la pente. Son deuil avait duré quelques jours, le temps que Vardan monte sur le trône, et maintenant ne lui restait plus que l'amer regret que ce soit le parent qui comptait le plus pour lui (et inversement) qui lui est été pris.
Le chaton ne souhaitait pour autant pas la mort de son père. Mais s'il avait eu le choix, valeur des guerriers ou non, il n'aurait eu aucune hésitation.
Uzu releva finalement ses yeux turquoise sur le rescapé, un peu curieux tout de même.
- Et toi... ?

- J'ai perdu mon Roi et quelques personnes qui sans être vraiment des amis, comptaient pour moi. Je n'ai bien entendu rien contre Vardan, mais...je m'ennuie de Kanshu...De Kanshu et du temps où je n'avais rien vu de la guerre. ..Mais bon, on ne peut pas revenir en arrière alors je suppose que nous devons tous tenir et c'est tout.
Uzuru ne s'était pas attendu à ce que le mâle déverse sur lui tant de trouble contenu. Quant à lui, il ne pouvait dire s'il regrettait Kanshu. C'était tout ce qu'il avait connu et à vrai dire il ne s'en était jamais vraiment approché. En outre, Uzu ne se souvenait même pas du défunt Roi avant qu'il ne vire cinglé. Par conséquent, le changement lui semblait plutôt une bonne chose, mais il était trop jeune pour voir les différences entre les règnes que chaque candidat aurait pu mettre en place.
Une fois que le chaton aurait parfaitement mis derrière lui le passé, il comptait bien redoubler d'effort pour faire honneur à la mémoire et aux principes de Kesso et montrer de quoi il était capable.
La tête d'Altan apparaissant soudain très près le sortit de ses songes, le faisait reculer un peu dans un sursaut.
- Je suis content que tu sois là, ça fait du bien de voir des vivants après toutes ces morts.
Uzuru avait beau essayé de l'imaginer, il fallait bien qu'il avoue qu'il n'avait absolument aucune idée de ce que les adultes racontaient lorsqu'ils évoquaient justement "l'horreur de tous ces morts".
- C'était si affreux que ça ? Questionna-t-il, circonspect.

- T'es certain de vraiment vouloir le savoir? Si oui je n'ai aucune objection à t'en parler, mais en gros, oui, c'était si affreux que ça.
Ce fut au tour d'Uzuru d'hésiter. Les mots de l'adulte l'avait inconsciemment tendu. Il s'assit pour reprendre contenance et fixa l'horizon derrière le grand mâle le temps de réfléchir. Il repensa à sa mère, et à ses plans. Et il songea qu'il ne serait pas capable de classer l'affaire sans savoir.
Le chaton reposa des yeux luisants mais brillants d'une détermination sans équivoque sur son camarade plus âgé.
- Oui. Je veux savoir comment ma mère est morte. Proclama-t-il d'une voix forte, trahie seulement par le tremblement de ses oreilles.

Uzuru n'eut pas besoin d'insister, de plaider jusqu'à ce qu'Altan soit bien obligé de céder. Le mâle ne fit rien de ce que le chaton aurait pensé d'un autre adulte. Il lui raconta juste, tout dans les moindres détails, sans chercher à alléger l'histoire, à cacher les les détails les plus horrifiques.
Uru fut subjugué par les vagues de mots, transporté dans une forêt qu'il ne connaissait que de l'extérieur, au milieu de créatures dont il ne pouvait que s'imaginer l'apparence car il n'en avait jamais vus.
Il appris comment sa mère était morte. Au champ d'honneur, si c'était la moindre consolation. Mais sa rancoeur grandit, et à ce moment là naquit une une petite flamme de haine qui ne demandait qu'à être nourrie pour mieux consommer le jeune sabre. Un jour il ferait payer aux loups ce qu'ils avaient fait à sa mère.
Le reste du récit l'intéressa incidemment moins, mais il nota tout de même l'évocation de l'horreur qui devait régner sur le champ de bataille. Mais Uzuru manquait de l'expérience nécessaire pour visualiser précisément ce que les mots suggéraient. Pour lui les mots "massacre", "carnage" avaient peu de sens. Ils savaient leur sens, mais pas leur réalité.
Ensuite l'adulte s'engagea dans la narration de son acte de sauvetage envers Kasha, une tigresse qu'Uzuru admirait et respectait beaucoup, à l'évidence. Altan mentionna son meilleur ami et fils de l'Ombre, et héritier ?
Le chaton en fut confus, il ne voyait pas de qui il pouvait s'agir et pourtant il pensait avoir croisé tout le monde... Surtout avec tous les morts...
Finalement le grand mâle se coucha au sol, exténué, se retrouvant ainsi au niveau d'Uzuru.
- Ce n'est pas une belle histoire, mais tu as demandé à l'entendre. D'ailleurs, pardonne mon incessant bavardage.
Le petit s'assit, fixant pensivement son camarade plus vieux.
- Non... Mais je devais savoir. Affirma-t-il paisiblement, bien que la rage bouillait déjà dans son corps encore bien jeune pour de telles émotions. Merci... de m'avoir raconté. La plupart n'aurait pas voulu, je pense...

(Woot, incruste! )


Vardan souffle, un poids discret retentissant dans sa poitrine alors que les mots de Altan se perdent dans les airs et dans son coeur. Lui même était venu pour accueillir le guerrier revenu au clan, et le jauger de sa propre personne. Mais par respect pour les deux sabres, il ne s’était pas profilé dans la conversation pour le moment, restant en retrait en attendant que le mâle ait finit son récit peu joyeux au plus jeune, lui rapportant les faits, brut et cruels.
- Ce n'est pas une belle histoire, mais tu as demandé à l'entendre. D'ailleurs, pardonne mon incessant bavardage.
Vardan baille, laissant les tensions de son corps s’envoler, oubliant ses propres maux pour rencontrer le guerrier en face à face. Le roi ébroue sa crinière, et s’avance lentement vers ses sujets, saluant Altan d’un maigre signe de tête avant de poser ses yeux sur le plus petit. Il l’avait vu une ou deux fois… Un rejeton de Badgi, si sa mémoire était bonne.
- Non... Mais je devais savoir. Merci... de m'avoir raconté. La plupart n'aurait pas voulu, je pense...
— Non. La plupart auraient préféré se complaire dans l’ignorance pour mieux fuir la réalité… Commence t-il, se plantant non loin de son interlocuteur. Le monarque darde ses prunelles dorées dans celles de ce dernier, son air austère radoucit par un semblant d’estime et de compassion. C’est courageux de ta part chaton. Il redresse la tête à ces mots, regardant cette fois ci le revenant. Altan. Heureux de te revoir parmi nous. J’ai crut comprendre que ton absence était du à un sauvetage…
Le souverain savait le nom de l’heureuse élue, mais préférait entendre le guerrier le dire de lui même, et s’expliqué devant lui. Il ne craignait pas vraiment d’être déçu… Mais sa nature méfiante et rigide demandait des raisons pour pouvoir être calmée.

- Non. La plupart auraient préféré se complaire dans l’ignorance pour mieux fuir la réalité…
Uzuru sursauta et se tourna précipitamment vers le nouvel arrivant. Le nouveau Roi. Qu'est-ce-qu'il fichait ici ?
Vardan plongea son regard dans les yeux écarquillés du chaton, dont l'anxiété venait de grimper de plusieurs crans. Mais à son grand étonnement, le visage du Monarque s'adoucit quelque peu.
- C’est courageux de ta part chaton.
- M-merci...
- Altan. Heureux de te revoir parmi nous. J’ai crut comprendre que ton absence était du à un sauvetage…
- En effet. Je suis allé au secours de Kasha. Elle a été emportée par les flots...pas que je puisse douter de ses talents, mais ses blessures m'ont fait craindre pour sa vie. Je me suis dis que si je pouvais sauver au moins une vie...
Uzuru regarda les deux adultes échanger des politesses et des explications, toujours sous le choc de l'intervention surprise de Vardan. Il allait vraiment falloir qu'il apprenne à maîtriser sa nervosité, ou son plan ne fonctionnerait jamais...
Et maintenant que sa mère n'était plus là, il n'avait plus que lui-même sur qui compter...

Le monarque regagne son expression naturelle –c’est à dire, une face sérieuse au point d’en être austère- ne désirant pas s’étancher plus sur la situation du chaton, qui, semblait-il, n’était pas tout à fait remis de son entrée en scène. Il avait délivré son opinion, au jeune de prouver qu’il n’avait pas eut tort de la vanter.

Il reporte son regard sur le guerrier, les oreilles dressées, accueillant sa révérence avec une certaine satisfaction. Le temps seul dirait si celle ci était sincère, ou une formalité que Vardan devait imposer à un réfractaire. Son pouvoir n’était pas encore bien installé, et il savait que sa venue au trône ne faisait pas que des admirateurs ou loyaux soldats. La jalousie, ce fruit amer, avait déjà empli certaines bouches du clan… Comme Sahau. Il fronce les sourcils, légèrement contrarié à ce souvenir, cet obstacle dans son sillage. La voix d’Altan le sort de sa rêverie momentanée, et le roi bombe le torse, une fierté subtile emplissant son cœur à l’entente de mots révélant une certaine unité entre ses sujets. C’était de cela qu’ils manquaient cruellement… En plus d’autres membres, bien sur.

— Bonne initiative. Lâche t-il, d’une voix rauque, peu habitué à délivrer des compliments. Ses vibrisses s’agitent brièvement, son expression se faisant neutre. Cela valait sans dire que si l’action d’Altan n’avait pas porté ses fruits, il ne l’aurait guère qualifié de bonne. S’étancher sur des cadavres n’était d’aucune utilité. Fort heureusement, le guerrier avait réussi, ce qui n’apportait que des avantages. D’autant plus que Kasha était parmi de la comité secrète de sabres –trop rares, trop peu nombreux- estimés du nouveau roi.

— Perdre quelqu’un de sa trempe aurait été une épine de plus dans nos pattes. Ses yeux s’allumèrent d’une légère étincelle. Est-elle rétablie ? La compassion n’était pas vraiment ce qui animait sa curiosité, mais son camarade n’avait pas besoin de la savoir. Et autant dire que Uzuru était passé en second plan dans l’esprit de Vardan.