Illusions et vérités.

La dernière chose dont elle se souvenait, c’était l’intense fatigue qui avait ébranlé son corps, qui l’avait fais sombrer, pour l’une des rares fois, dans un sommeil profond. Roulée en boule au coin du feu, les limbes de son sommeil furent bientôt déchirés par les crocs d’un monstre invisible.
Et soudain, elle se réveilla en sursaut. Hors d’haleine, le cœur battant la chamade, elle jeta un regard angoissé autour d’elle. Le feu était mort. Et dans le rond de pierres ne crépitait plus que quelques braises. Ses oreilles se plaquèrent lentement le long de son crâne alors qu’elle fermait à moitié les yeux de terreur. Elle était livrée à la nuit. Elle était à la merci de toutes les ombres. Ses paupières se fermèrent brusquement, tous les muscles de son visage se tendant tant elle forçait sur ses pauvres yeux. Avec un peu de chance, quand elle les rouvrirait, le noir aurait disparu.
Mais c’était faux. Et plus elle réalisait qu’elle ne pouvait rien faire, plus la panique grandissait en elle. Violemment, elle se leva d’un bloc, tremblante comme jamais, détalant le plus rapidement possible. Pour aller où ? On ne pouvait pas fuir la nuit après tout… Peu importe ! Elle courrait aussi vite qu’elle le pouvait, bondissant pour échapper à ses propres chimères. Et bientôt, sans même s’en rendre compte, elle arriva où il dormait. Sans même attendre un signe de sa part, Lethal se coucha à ses côtés, se plaquant à son flanc et cachant sa tête dans son cou. A nouveau, elle ferma les yeux le plus fort possible, cachant un peu plus son museau dans la fourrure de Maverick.

La nuit n'a jamais été un moment adulé chez le réfractaire, mais, au moins, sous ces latitudes, une température plus clémente régnait dans l'air, ne faisant pas grincé son métabolisme comme un robot mal huilé. Il siégeait non loin d'un tipi en presque bordure du camps, allongé contre une sorte de planeur terrestre -les chiens appelait ça un traineau-, dans un angle tel que le vent ne lui chatouillait pas la tête. Visiblement, son "voisin" ne possédait aucun animal, et c'était une des raisons, en plus du relatif éloignement de l'habitat, qui avait ponctué son choix d'emplacement. La foule et les odeurs folles de l'épicentre de l'activité bipèdesque, très peu pour lui. Aussi, il n'avait pas tardé à s'endormir malgré sa méfiance naturelle, la fatigue et le confort de la zone prenant le pas sur ses réserves.
Et c'est dans ce sommeil grandissant que sa comparse de séjour vint le trouver, venant se coller à lui, de telle façon que ses réflexes de détection de contact physiques assez développés ne mirent pas longtemps à se mettre en route. Il ouvre un oeil, puis baille, avant de s'apercevoir que ses mouvements sont légèrement restreints.
— Mrrmrbeuhdequoi? Articule t-il, à demi endormi, mais l'odeur de la peur lui titillant suffisament le museau pour qu'il daigne faire un effort pour émerger de son sommeil. Une autre odeur se joint à celle ci peu après, et il ne faut pas longtemps pour que Maverick fasse le calcul. La bouche toujours empâtée, cherchant ses mots, il n'ose pas bouger, de peur de déloger la petite chose effrayée calée contre lui et répondant au nom de Lethal. Une étrange impression de déjà vu emplit son cerveau. C'est finalement après quelque infructueux essais que des paroles intelligibles sortent de sa gorge.
— Qu'est c'qui va pas? Sans doute pas la meilleure question du monde à poser, mais le jeune ne pense pas que faire un simulacre de blague soit préférable.

Il avait bougé. Elle l’avait senti. Ou du moins, entendu. Logée contre son flanc, les oreilles plaquées contre lui, elle pouvait entendre son cœur battre et son corps grincer à chacun de ses mouvements. Et elle, eh bien, elle tremblait toujours, roulée en boule contre son compagnon de voyage, les yeux résolument clos. Lentement, un murmure empli de sommeil vint percuter ses tympans, alors que la curiosité l’emporte sur elle, la forçant à ouvrir un œil pour rencontrer le regard de Maverick…. Pour le quitter quelques secondes plus tard. Elle enfouit alors un peu plus sa tête dans sa fourrure, tentant de disparaître complètement.

- Je…

Sa voix était étrangement faible, étouffée par la boule logée au creux de sa gorge. Pendant un moment elle agite ses babines, sans qu’aucun son ne les franchisse. Dans un soupir, qui s’apparentait plus à un sanglot, étranglé, elle se redressa, sortant enfin son museau de sa fourrure, n’osant pas croiser son regard. Sa tête pencha lentement sur le côté, alors qu’elle gardait les yeux fermés, et qu’enfin sa voix se faisait entendre.

- … M’laisse juste pas seule…

Son regard rencontre brièvement celui de la femelle alors qu'il tente d'étirer son cou. Ce moment est bref, aussi furtif qu'un battement d'aile de papillon, mais la détresse qu'il peut lire dans les prunelles de Lehtal lui retourne le coeur. Il ne savait pas quoi faire. Alors, quand elle détourna ses yeux des siens, aussi vite qu'elle les eut rencontrés, il lâcha presque un soupir, figé dans sa propre ignorance.

- Je…
Il lui semblait qu'il pouvait entendre le sanglot étouffé d'une âme confuse, et, un coeur battant. Son coeur sembla vouloir y répondre, tapant contre les parois de son poitrail, comme un animal affolé, un oiseau cherchant à se libérer des barreaux de sa cage pour rejoindre son compagnon, qui lui, semblait vouloir pénétrer dans sa prison de chair. Il retient sa respiration, fébrile.
- … M’laisse juste pas seule…
— Ok. Echappe t-il, d'une voix basse, presque aussi discrète que la première, comme si une octave de trop aurait put la plonger dans une angoisse encore plus viscérale. D'un réflexe, d'un mouvement inconscient de la patte, lent, il la serre un peu plus contre lui, hésitant. Des souvenirs de son enfance font écho à la scène, et le loup qu'il est ne sait qu'une seule manière d'y remédier. Ok. Réitère t-il, sa voix lancé au creux de l'oreille de sa compagne, affirmant sa présence dans la nuit. J'suis là. J'suis toujours là. Chuchote t-il, sachant que c'est à son tour d'apporter du réconfort à un être qui a peur du noir.

La pauvre petite chose effrayée qu’elle était se lova un peu plus contre lui, les yeux mi-clos, cherchant le chemin de l’aube. Elle était faible. Elle avait peur. Peur de tout, peur de rien. Peur de choses qui n’existaient pas. Peur d’exister. Peur de disparaître. Peur d’être dévorée par la nuit. Peur de brûler au petit jour. Peur. Elle avait simplement peur. Et elle s’accrochait, comme elle le pouvait, à ses rêves. A ses petites boules de lumières qui gravitaient en permanence autour d’elle. Et elle les suivait, elle les suivrait jusqu’à la fin. Peut-être était-ce ce qu’elle faisait maintenant, à ce moment même, alors qu’elle se cachait dans l’ombre de la seule personne présente pour elle.

« Qu’est ce que j’aurais put interrompre de si important ? Des fantaisies sur l’camp des hommes ? De ton prince charmant ? Ou des rêves de gamine ? D'solé princesse, mais vas falloir s'réveiller. Les rêves n'existent que pour être brisés.
Ils existent pour t’asservir et t’mette sous perfusion. Et après t’oublies d’vivre. Et tu fini comme ça : une loque. Mentale du moins.»

Lentement, elle ouvre les yeux, bravant l’obscurité, une boule immense toujours logée au fond de sa gorge.

- … Mave..

Elle tremble. Comme à leur première rencontre, son corps ne l’écoute pas. Son corps ne l’écoute jamais. Et quand elle veut être brave, comme son père, aussi forte et joyeuse que sa mère, son corps ne la suit pas. Et ce soir, elle aurait voulu être ainsi.

- … Tu n’as pas changé d’avis sur les rêves… ?

Il la sentit frétillé un peu plus, et eut un bref moment de panique, qu'il repoussa immédiatement. Ce n'était pas le moment de douter. Lethal souffrait. Il pouvait le sentir à chacune des vibrations se répercutant contre son corps encore fragile, à chaque petit tremblement qu'elle échappait. Elle avait besoin d'un pilier, pas d'une faible barricade dont les fondations étaient sapés. Il rit intérieurement, jaune, à cette pensée. L'ironie ne semblait pas avoir de limite ; il tenait plus de la ruine que d'un château fort. Résolument, malgré tout, il entreprit de se forcer à ne se concentrer que sur les minces mouvements de la femelle. Attentif, présent. Il pouvait au moins faire cela, pour l'instant…

- … Tu n’as pas changé d’avis sur les rêves… ?
La voix de sa comparse le trouble. Le mensonge semble vouloir s'insinuer dans sa phrase à venir, se coller à sa langue, tout en le torturant à la simple possibilité de l'évoquer. Il a le sentiment qu'il devrait le faire, juste pour pouvoir apaisé l'écorchée siégeant à ses pattes, mais il n'y arrive pas. Son esprit s'interpose avec son désir. La vérité, si cruelle, et pourtant si sincère et dénué d'arrière pensée sort alors de sa bouche.

— Non. Il se tait alors, comme effrayé par son propre mot, le pouvoir qu'il pouvait avoir sur la créture de chair près de lui. Il laisse échapper un court grondement de frustration, presque une plainte. Comme la parole le répugne parfois. Comme elle est faible, capricieuse et instable, dans un univers où tout n'est que sensation et subjectivité. Après avoir repris son souffle, il continue, cependant, combattant le gout de bile remontant sa trachée. 'Coute, moi, les rêves m'ont jamais apporté rien d'bon… Mais, moi j'suis pas le monde. Il toussote légèrement, à la fois gêné et étrangement apaisé par cette simple vérité sortant de sa bouche, une sensation bizarre venant lui obstrué la gorge, grandissante au fur et à mesure de son avancée. L'important, ça d'vrait être ce que toi tu penses des rêves. Ou… d'quoi ce soit qui t'obsède à ce point, j'suppose… Loin, bien loin semble les jours où le jeune malade criait à la mort, priant pour que chaque âme l'entende… Etre entendu ne valait pas d'être écouté, de toute façon. Et il avait le sentiment que Lethal faisait bien parti de ce très petit groupe d'être vivants aussi recherchés que craint.