Rosée sous la Nuit

Il l'avait guidé jusqu'ici. Il l'avait convaincu de venir hors des terres du désert des Blackblood pour s'aventurer jusque là. Fei avait suivit docilement JD, meneur de la marche, jusqu'au verger. C'était des terres peu lointaines de celles des Blackblood, Fei avait déjà eu l'occasion de s'y rendre, par une fois ou deux, elle qui ne s'éloignait que rarement.
Ses grands yeux roses scrutaient la nuit comme ils savaient si bien le faire, elle rayonnait sous la lune montante, une fraicheur bienveillante s'installait. La blanche contempla les fleurs et les fruits du verger. Tout était rose, comme ses rares pointes de couleurs. La blanche sourit, ce lieu était incroyablement apaisant.

Elle secoua sa fourrure, pour se débarrasser des quelques grains de sables et de poussières restant de la traversée du désert. C'était dangereux pour elle de faire si longue route, mais la présence de l'autre loup la rassurant. Il avait tenu à lui faire voir du paysage autre que ces étendues de sables et de caillasses. Peut être même lui ferait-il découvrir des recoins secrets de ce verger ? Ce loup, bien qu'étant un Blackblood, Fei ne l'avait presque jamais vu à l'Oasis. Elle en déduisait qu'il devait être un grand voyageur. Ceci, elle l'enviait. Il devait avoir vu des choses plus qu'incroyable, découvrir le monde et les merveilles qu'il recèle ... Rien au monde ne ferait plus plaisir à Fei, mais cela était bien impossible, bien trop compliqué. Il faudrait se cacher chaque journée à l'ombre, ne sortir que la nuit, et continuer à chasser etc ...
Elle soupira en pensant à tout cela. Le monde était si vaste, elle si petite et si incapable de le découvrir, ne serait-ce qu'un fragment.

Fei regardait les pétales virevolter au vent. Se détachant, plusieurs voletèrent dans ce qui semblait être une danse nocturne, un ballet, un spectacle. Dont il n’existe qu’une seule et unique représentation, c’est une œuvre unique, jamais au monde des pétales ne danseront de la même façon, avec les mêmes mouvements, les mêmes ondulations. Elles formaient un petit tourbillon, puis un cercle, puis une volte, et retombèrent au sol, délicates et fragiles. Satisfaites de leurs prestations uniques.
Fei sourit très faiblement, presque imperceptiblement, une pétale s’était posé sur une de ses pattes. La pétale venant de l’arbre était aussi d’un rosé pâle, comme la patte de Fei. Ses yeux rosés fixèrent la pétale, elle se perdait dans les nuances de rose de celle-ci. Quand soudain, JD tourna sa tête vers elle, Fei sentit qu’il avait quelque chose à lui dire, alors elle leva également sa tête vers lui pour lire ce qu’il avait à dire.

- Quelque ‘ose ‘e vas pas ma’emoi’elle Fei ? ‘Ous ‘e ‘emblez ailleurs …

Fei fut un instant un peu surprise qu’il ait si vite capté son émotion. Mais a vrai dire, il semblait comprendre les choses bien plus vite que la plupart des autres loups. Comme s’il savait précisément comment décrypter chaque geste. Fei laissa le silence planer un instant, elle porta son regard à nouveaux sur les arbres en fleurs.

- Si seulement ‘e pou’ais être ailleurs …

Elle soupira, si seulement elle le pouvait. Être ailleurs qu’ici et qu’à l’Oasis, pouvoir aller ailleurs. Si seulement elle n’était pas albinos en plus d’être sourde. Pourquoi le sort du monde devait-il s’acharner sur elle ? Jamais donc elle ne pourra voir des choses magnifiques à des kilomètres, elle aura passé sa vie à l’Oasis, sans pouvoir aller ailleurs … Quel gâchis

Fei parut surprise de voir que JD avait senti son inconfort. Elle avait arrondi les pupilles, dressé les oreilles, puis, comme le temps avait passé, elle laissa son regard se couler vers les arbres du verger.

- Si seulement ‘e pou’ais être ailleurs …
- ... JD avait abaissé les oreilles, peiné, blessé de voir que cette pauvre âme semblait regretter sa condition. Mais une condition ne restait-elle pas une condition? Qu'est-ce qui empêchait Fei de parcourir le monde et de vivre des aventures? JD se mit à cogiter sérieusement. Il avait même sourcillé.

- Mais vous êtes ailleurs, il lui dit sur un sourire. Il s'était levé, tâtant le sol de ses coussinets. Il s'était tourné vers elle, s'étant campé vers l'avant:
- Ne sentez-vous pas la Terre qui vous soutient, comme elle est douce sous vos pattes? Il leva une patte au repos, balayant l'air d'un mouvement de queue. L'herbe qui elle, chatouille les ergots, et le vent qui gonfle les poils de la fourrure? il dit en dressant son poitrail, reculant sa tête, l'air noble. Il demeura un instant silencieux, profitant du toucher de la brise, fermant peu à peu ses yeux. Après s'être fait bercer par le vent, il tourna vers elle deux yeux dorés.
- ...J'en déduis que ce n'est pas la première fois que vous venez ici, n'est-ce pas?
Il leva une patte, désignant celles de Fei.
- Votre corps épouse la Terre du Verger comme si elle la connaissait depuis longtemps...
Il s'était rapproché, avait baissé sa tête.
- L'Oasis vous pèse-donc tant? il sourcilla. Non... Il secoua doucement sa tête.
- Il s'agit d'autre chose...
Il s'était de nouveau couché, face-à-face. Il réfléchit même à voix-haute:
- Qu'est-ce qui peut bien vous tracasser autant...

La dame blanche reporta son regard sur les lèvres de JD, celui-ci avait bien des choses à lui dire

- ‘Ais ‘ous êtes ailleurs. Ne sen’ez ‘ous pas la terre ‘ui ‘ous soutien, ‘omme elle est ‘ouce sous vos pattes ? L’he’be ‘ui elle, ‘atouille les ergots. Et ‘e vent ‘ui go’fle les poils ‘e la fou’u’ ?

Fei leva doucement les oreilles. Elle n’avait pas tout saisie dans son intégralité mais elle avait saisit l’idée qu’il essayait de lui transmettre. Il essayait de lui remonter le moral.

- ‘En déduis ‘ue ce n’est pas la première fois ‘ue ‘ous ‘enez ici, n’est ‘ pas ?

Elle fit un timide signe négatif de la tête, effectivement, ce n’était pas la première fois.

- ‘otre corps épouse la terre du verger, ‘omme si ‘ous la connaissiez depuis longtemps … L’Oasis ‘ous pèse don’ tant ? … Non … C’est aut’ chose …

Fei soupira, ce loup était décidément bien lucide. Il lisait en elle comme dans un livre ouvert. En réalité, il décryptait tout les signes qu’elle donnait, contrairement aux autres loups qui ne regarde que superficiellement. Il se coucha face à elle

- Qu’est ce ‘ui peut bien ‘ous tracasser autant ?

Fei semblait nerveuse. En fait, elle se demandait si elle devait lui dire … Lui dire que sa couleur n’avait rien de « naturelle ». Ce qui l’empêchait de parcourir le monde comme elle le souhaite. Elle se résigna. Ne sachant même pas qu’il avait déjà comprit pour sa surdité.

- … Parcourir seule le monde, ‘est trop dangereux pou’ moi … Je …

Elle soupira encore, hésitante.

- Je ne suis pas blan’ ‘e natu’ … Je ne peux pas rest’ sous le solei’. Et ainsi, c’est par obligation ‘ue je suis noctur’
Je ne suis pas blanche de nature … Je ne peux pas rester sous le soleil. Et ainsi, c’est par obligation que je suis nocturne.

Elle sentait presque les larmes lui monter aux yeux. Mais elle les ravala. Voulant rester fière malgré tout.

- Et même ‘i je voyagerais ‘ue la nuit, seule, je se’ais en danger. Pa’ce ‘ue … Je …

Elle marqua une longue pause. Hésitante. Sa voix tremblait, elle le savait, sa gorge était serrée.

- Je n’entends rien. Depuis tou’ours.

Fei tenta de rester fière, malgré toutes ses révélations peut onéreuses à son sujet. Voir même dégradante. Elle levait la tête, se redressait, ce n’était pas tant par élan d’orgueil, mais plutôt pour garder le peu de fierté qu’il lui restait.

- ‘Ous êtes albino’.

Elle ne put qu’hocher la tête. L’évidence était là. Son pelage n’était pas naturel, peut être qu’elle aurait dû être brune, noire, couleur sable, foncée comme sa cousine Nightrun … Qui sait. Après lui avoir dit qu’elle était sourde, elle ne pu que constater qu’il le savait déjà.

- ‘e Sais. Pou’tant, ‘ous arrivez à m’esspliquer ce detail.

Elle haussa un peu les épaules. Elle arrivait à expliquer, mais elle savait très bien qu’elle parlait mal. On se moquait d’elle à Inaria, alors qu’elle faisait des efforts inimaginables pour essayer de parler.

- ‘Arrive à esspliquer, mais mal, et ‘e le sais.

Il lui dit que ce n’était pas grave, et d’un coup de museau, il l’incita à se lever comme lui. Fei le fixa quelques instants, ses pupilles rosés du sang traduisait sa tristesse. Elle se leva malgré tout

- Mais cela ‘e ‘ous ‘uit pas autant ‘ue ‘ous le croyez. Le co’ ne dispose pas ‘ue d’un seul sens, ‘ous pou’ez ‘ous relayer sur les autres.

Il semblait convaincu de ce qu’il disait. Mais Fei avait depuis toujours relayé à ses autres sens. Elle n’en avait jamais eu le choix. Ce n’était pas forcément sa surdité qui la pesait, mais surtout son albinisme, et sa difficulté à parler.

- Et par la suite … ‘Ous mett’e a de’elopper des ‘abille’ées unique

Elle suivait des yeux la pierre qu’il faisait vaciller sur sa patte. Jamais elle n’avait vu un loup faire une telle chose. Ses oreilles étaient dressées, elle était intriguée, ses yeux eurent presque un regard d’enfant fasciné. Elle sursauta lorsque la pierre frappa le tronc. Elle ne fut bien sur par surprise par le bruit, mais par la vibration qu’elle en ressentie au sol. JD ria, elle lui sourit timidement en retour. Même si elle ne voyait pas quel genre de facultés elle pourrait développer.

- Je ne ‘ois pas ‘omment je ‘ourrais de’elopper des habille’ées avec deux handicaps …

Dit-elle, presque désolée de devoir lui dire ça.

- Il 'uffit d'y c'oi'e, Fei . ‘I 'la po''ibilité essiste il ne faut jamais l'éca'ter.

- Mais, essiste-t-elle seulement … ? Dit-elle dans un murmure.
La possibilité existait-elle seulement ? Que pouvait-elle donc bien en faire, de ces handicaps. L’albinisme, la surdité. Quelles genres de capacités peut-on seulement dévelloper avec ça ? Ca n’a rien d’un don. Ce n’est qu’une … Malédiction.

- 'endez vot' patte. 'ouchez. Vous sen'ez cette vib'a'ion lo'sque je pa'le ? Vous la sen'ez, mais vous ne l'en'endez pas. Vot' o'eille est inapte à t'aduir’ cette vib'ation en sons.

Fei dressa les oreilles. Attentive à ce qu’il disait. Les vibrations, ça oui, elle connaissait. Elle ne connaissait que ça pour traduire ce qu’il se passait autour d’elle. Toute sa vie se murait dans un silence. Fei vivait dans le silence. Elle ne connaissait pas le son de sa propre voix, ni même de ses amis les plus proches. Elle ne connaissait pas les sons plus simples qu’il existe au monde, un écoulement d’eau, la pluie qui tombe, le vent dans les feuilles … Rien de cela ne lui était connu. A la place, des mouvements de la terre, de l’air parfois, c’était tout ce dont elle était capable de ressentir. Elle fixait brièvement la gorge du loup, elle voyait bien sûr ses cordes vocales bougées à travers la peau et les poils. Les cordes vocales vibrent, font vibrer l’air, et procure un son. Son qu’elle n’entend pas, mais … Pourrait-elle … ? Le regard de Fei s’illumina quelques instants, JD était en train de la mener sur une voie, une voie qui lui montrerait comment comprendre et reproduire des sons.

° .. Les vibrations … Le son … Se pourrait-il que … °

Tandis qu’elle réfléchissait en elle-même, JD continuait

- Mais ce n'est pas le 'as de vot' corps.
Vous pou''iez entend'e les vib'ations d'un 'ongeu' sous terre. Je t'ouve qu'il s'a’it d'un vé'itable don pou' la chasse.

'uant à vos yeux... Il suffi'ait de les couv'i' d'un maté'iau 'ésistant à la lumiè'e du sole'. mais assez t'anslucide pou' y voi'...

Il semblait avoir la réponse à tout les problèmes … Ca semblait si simple … Au fond d’elle, Fei espérait qu’il avait raison. Elle resta plusieurs instants sans bouger, les yeux perdus dans le vague, elle réfléchissait. Fei était une louve intelligente, à défaut d’être physique, son mental était très performant. Étonnement, elle le devait à sa surdité qui lui a fait surdévelopper les autres zones de son cerveau afin de compenser. Puis soudainement, elle se débloqua. Elle leva sa patte, la fixa. Puis lentement, elle la posa sur sa gorge, et parla

- Les vib’asson de ma go’ge, devienne des sons à vos orei’. ‘I je pa’le mal, c’est parce ‘ue che ne connait pas tou’es les vib’assons à faire pou’ p’odui’e tout les sons ?

Pour l’instant, Fei se souciait peu de ses yeux. Son désir le plus cher depuis toujours, était bien évidemment d’entendre, de voyager à travers le monde, mais aussi de parler comme quelqu’un de normal. Elle éspérait que JD pourrait lui apporter les réponses à ses questions …

Lentement, quelque chose semblait naître en Fei. Comme si un voile s'était écarté, laissant enfin filtrer une parcelle d'espoir: elle semblait réaliser, qu'enfin, tout n'était pas perdu. Car en effet, dans les yeux rubis de la louve à robe fantôme, venait d'apparaître, très lentement, un éclat de lumière, un éclat de vie. Comme si elle avait été absente depuis plusieurs minutes, qu'elle resurgissait enfin des nappes brumeuses de son esprit, plus fraîche qu'avant. Elle s'était enfin décidée à bouger: comme circonspecte, elle observa sa patte qu'elle venait de lever, et, dans une infinie lenteur, la posa à sa gorge. Elle ouvrit la bouche, sur une voix qui tremblait à l'unisson de ses cordes vocales, comme si elle se découvrait enfin:

- Les vib’asson de ma go’ge, devienne des sons à vos orei’.
JD acquiesça d'un mouvement de tête affirmatif.
- ‘I je pa’le mal, c’est parce ‘ue che ne connait pas tou’es les vib’assons à faire pou’ p’odui’e tout les sons ?
- Tout à fait, il lui dit sur un sourire. Il avait redressé les oreilles, ouvert la bouche, de nouveau:
- Fei, comme vous lisez sur les lèvres ainsi que la mâchoire, vous pouvez comprendre les voyelles et les imiter. Mais ce n'est pas le cas de toutes les consonnes.
Ses yeux luisirent.
- Contrairement aux voyelles, il n'y a pas que les lèvres qui créent les consonnes.
Et, en prononçant ces paroles, JD entreprit d'expliquer à Fei les différences dans les sons, les vibrations, les voisements, une petite leçon sur l'anatomie, puis, sur les grondements qui pouvaient s'agir de bons indices sur comment prononcer certaines consonnes ( comme les r, les g, les k... ). Là n'était pas tâche facile d'expliquer à une malentendante les subtilités de la langue commune, mais un défi de la sorte seyait bien au Voyageur JD. Enchaînant démonstrations par dessus démonstrations, JD lui-même se surprit à mieux comprendre les sons qui l'entourait: certes sa surdité n'était peut-être pas à un stade aussi critique que celle de la femelle albinos, mais ses propres conseils pouvaient s'avéré vrais dans les deux partis. Pour une rare fois, JD se sentait exubérant, capable d'enseigner, de partager son savoir avec quelqu'un d'autre. Il sentit une bouffée de joie le saisir en voyant l'éclat dans les yeux de Fei se rallumer. L'éclat de la compréhension. L'éclat de ce désir de savoir. Et c'était tout ce qui comptait pour lui.

***

Fei avait dressée les oreilles au plus haut. Elle semblait comme une enfant à qui on apprend des choses fondamentales et incroyables de la vie. C’était presque le cas pour elle. Elle qui n’avait et n’aurait jamais la moindre idée de ce qu’un son peut être.

- ‘Out a fait. Fei, ‘ous lisez ‘ur les lèv’es ainsi ‘ue la machoire. ‘Ous pou’ez comp’end’ les voi’ielles et les imiter. Mais ce n’est pas le cas de ‘outes les con’onnes. Cont’ai’ement aux voi’ielles, il n’y a pas ‘ue les lèv’es ‘ui créent les con’nonnes.

Voyelles, consonnes … Ces mots n’avaient aucunes significations pour elle. Elle n’avait pas la moindre idée de ce que pouvait être la différence entre les deux. Et même si on le lui expliquait, pourrait-elle le comprendre sans jamais avoir entendu un seul son ? Le loup brun se lança alors dans des explications plus poussées les unes que les autres. Fei buvait toutes ses paroles avidement, enfin, elle les traduisaient du moins. Beaucoup d’informations passaient dans sa tête. Ainsi, les consonances vocales, les sons produits par des infimes placements subtils de la langue dans la bouche, vocalises, vibrements, grondements, chantonnement, sifflements … Son regard rosée ne quittait pas les lèvres de JD, elle était presque comme, absorbée. Une fois toutes ses énumérations terminées, un long silence plana. Fei était depuis toujours dans ce silence. Ce long silence durait depuis 7 longues années pour elle. Et durera jusqu’à la fin de sa vie. Peut être, un jour, qu’elle parlera comme les autres et qu’elle comprendrait mieux les gens. Mais, même au delà de cela, rien ne pourra lui donner l’audition. Un jour, quelqu’un lui a dit qu’entendre était une chose incroyablement merveilleuse dont on n’imagine même pas l’étendue. Non, on n’imagine pas cette étendue quand on est sourde depuis toujours. Plongée dans le silence. Depuis toujours et pour toujours. Fei sentit une vague montée en elle. D’y penser, rien ne la rendait plus triste au monde. Ses oreilles se couchèrent lentement, confuse, elle secoua ses mèches pour cacher son œil droit, qui laissa couler une larme.

- ‘A à l’air ‘i simple dit ainsi. J’ai pou’tant l’imp’ession que ça reste ‘a inssu’montable. J’ai tant de choses à ‘attraper depuis ‘outes ces années. Ou pe’sonne ne m’a chamais aidée.

Les oreilles de JD tiquèrent lorsqu'il ressentit d'elle une nouvelle vague la saisir. Il les abaissa, abaissant aussi ses sourcils sur un air navré. Fei semblait repenser à son état: sa tête s'était détournée lorsqu'une larme se mit à couler de son oeil. Elle secoua sa tête, laissant ses mèches pelucheuses recouvrir un de ses yeux.

- ‘A à l’air ‘i simple dit ainsi. J’ai pou’tant l’imp’ession que ça reste ‘a inssu’montable. J’ai tant de choses à ‘attraper depuis ‘outes ces années. Ou pe’sonne ne m’a chamais aidée.
- ...
JD baissa les yeux, sourcillant. Lorsqu'il croisa de nouveau les yeux de la femelle, ses oreilles s'étaient dressées, et ses yeux luisaient d'une détermination nouvelle.
- Ce n'est pas tout à fait vrai.
Il leva une griffe.
- Peut-être que personne ne pouvait vous aider car ils n'avaient pas les connaissances requises pour pouvoir le faire...
Il lui tendit un ravissant sourire.
- Après tout, il est indigne d'un gentleman de ne pas aider qui il peut, n'est-ce pas?

La blanche semblait ne plus savoir quoi faire. Devait-elle croire ce qu’il disait ? Que malgré tout c’était possible ? Elle avait eu la lueur d’espoir dans son âme quelques instants plus tôt. Mais la désillusion avait prit la place à présent. A ce jour, aucun loup n’était né sourd à part Fei. Comment les autres pourraient-ils l’aider, si c’était un premier cas depuis des générations entières ?

- ‘E n’est pas ‘out a fait v’ai. Peut e’te ‘ue pe’sonne ne pouvait ‘ou aider, car ils n’avait pas les connaissan’ ‘e’ises pou’ le fai’e.

C’est bien ce que Fei pensait à la seconde même. Il semblait lire en elle comme dans un livre ouvert. Ca en devenant troublant, et à la fois rassurant.

- Ap’ès ‘out, il est indi’ne d’un djentleman de ne pas aider ‘ui il peut, n’ess pas ?

L’albinos commença se poser plusieurs questions. Comment, comment se faisait-il qu’il en savait autant, contrairement aux autres loups ? Après tout, sa cousine Nightrun, son amie Spearheart, elles avaient déjà essayer d’aider Fei pour sa prononciation, elles l’avaient aider un peu mais rien de radicale car elles ne savaient pas comment s’y prendre. Lui semblait le savoir. Fei était intelligente, sa surdité avait développée tout ses autres sens, et il parait que cela améliore aussi les capacités intellectuelles. Elle s’osa a lui poser une question :

- Jidé, se’iez ‘ous ….

Elle s’interrompit, incertaine de savoir si elle voulait vraiment savoir ou non. Comment pourrait-il savoir si ce n’est autrement … Elle devait savoir.

- Se’iez ‘ous … Pa’ciellement sourd … ?

Si c’était le cas, cela expliquerait probablement l’origine de toutes ses connaissances sur le cas de Fei, et sa capacité à l’aider bien plus que personne n’avait jamais pu le faire au jour d’aujourd’hui.

- Jidé, se’iez ‘ous …. son petit cours avait porté ses fruits, car elle ne s'adressait plus à lui par " idé ", mais par son nom normal! Son air incertain toutefois, suffit à ternir de peu la fierté qu'il lui éprouvait. Ses deux oreilles pivotèrent vers l'arrière, alors qu'il appréhendait la suite.
- Se’iez ‘ous … Pa’ciellement sourd … ? lui demanda-telle enfin. Si l'extérieur de JD demeura serein, ce ne fut pas le cas de son intérieur: il sentit un frisson imaginaire le saisir, comme si la révélation d'une telle chose fut taboue. Comme si on lui avait ravi de tous ses mots, il abaissa la tête avec embarras, les yeux arrondis, le souffle coupé. Bouche-bée par la perspicacité de la louve, il avait entrouvert la bouche sur le silence:
- ...
JD s'était ensuite mué dans un court mutisme, alors que sa tête se tourna sur le côté, inclinée vers le bas et qu'un sourire à la fois résigné et triste éclairait faiblement ses yeux. Il acquiesça enfin aux paroles de Fei:
- ... C'est exact. sa tristesse ne venait pas du fait que Fei avait réussi à lire en lui, mais du fait qu'il avait toujours vu cette surdité partielle comme une redevance. Bien qu'il avait appris à vivre avec ce défaut, jamais il n'aurait cru qu'il aurait s'agit d'une qualité essentielle pour aider quelqu'un. Fei venait de lui faire voir une zone de lumière dans sa part d'ombre. Il en redressa même ses oreilles, quoique toujours embarrassé.
- Mais je ne suis pas né sourd, il expliqua alors. C'est une vieille blessure du temps où je n'étais encore qu'un inconscient.
Il eut un sourire sincère, alors qu'il relevait la tête vers elle:
- Ha-ha-ha, vous ne cessez de m'épater, Fei ; même Wornheart, mon ami d'enfance, n'a jamais été mis au courant.

A la révélation de la partielle surdité de JD, ce dernier semblait triste, il avait soudainement perdu cet entrain qui lui semblait naturel. Fei baissa les oreilles, confuse, et baissa ensuite les yeux une fois ses dires terminés. Elle se sentait assez mal après coup. Elle dit d’une voix faible :

- Dé’oler … Je n’au’ais pas du … Je de’vais m’o’uper de mes affai’ … Pas des vot’es.

Elle gratta la terre d’une de ses griffes, comme un enfant qu’on aurait mit au coin et qui serait honteux. Elle releva la tête en voyant un franc sourire du loup

- Vous ne ce’ez de m’épater, Fei, même Wo’nhea’t mon amie d’enfance, n’a jamais été mis au cou’ant

Fei fronça très légèrement les sourcils d’intérêt. Il semblait qu’il ne tienne pas à ce que cela ce sache. Pourquoi le cachait-il ? Après tout, peut être qu’il ne voulait simplement pas être considéré comme handicapé, au même titre que Fei, ce qui était compréhensible, mais la vérité était bien loin de ça visiblement.
Elle resta muette un moment. Elle le restait souvent à vrai dire, mais avec JD, elle se laissait aller à la parole, car il l’aidait justement sur ce point. Lui qui était entendant, elle avait envie a présent d’en savoir plus sur les sons du monde

- Ce ‘ue je sens pa’ vib’assion, ‘ui font vib’er mes o’eilles, ce sont des sons comment pou’ vous ?

Elle voulait essayer de s’imaginer des choses impossibles, de s’imaginer l’espace d’une seconde ce que pouvait être la similarité des sons aux oreilles des autres loups. Elle ne s'imaginait pas qu'il en existaient un nombre indéfinissable.

- Ce ‘ue je sens pa’ vib’assion, ‘ui font vib’er mes o’eilles, ce sont des sons comment pou’ vous ?
La question de Fei le désarçonna complètement. Comment répondre à ça? Par où commencer? JD se fondit alors dans un court mutisme, dévisageant Fei d'yeux arrondis. Aucune parole ne lui venait, cette fois. Stupéfait, vaincu, JD détourna les yeux, troquant sa stupeur pour un air lointain.

Son regard se glissa furtivement vers la louve avant de s'en détourner aussitôt. Elle attendait une réponse, et voilà qu'il était incapable de lui en donner une.


- ... ... Sa gorge restait nouée. Un vent s'était levé, faisant danser autour d'eux les branches des arbres du verger, cliqueter entre elles leur écorce, les bourgeons. Quelques fleurs ballottées par le vent se mirent à valser dans les airs, délicatement cueillies de leur promontoire. Le vent secoua aussi son immense collerette de poils. Il entrouvrit la bouche, tentant se délier les mots qui restaient coincés dans son gosier.
- _{Les vibrations...} marmotta-il, maladroit. Il reprit: À la base, le monde n'est qu'une succession de vibrations discordantes: les oreilles captent ces vibrations et les traduisent ensuite en sons. Mais non, c'est plus que cela. JD se résigna sur un soupir, courbant l'échine, refermant ses paupières sur un sourire serein.

- Les sons évoquent des émotions, des sentiments... Les oreilles sont sensibles à ces vibrations. ... ... Un son, c'est une voix, c'est le vent qui souffle, c'est un oiseau qui chante, c'est la familiarité qu'un proche emploie, c'est un appel, c'est la musique, le bruit de la pluie sur sa fourrure, le bruit des vagues sur la berge, le cliquètement des branches dans un arbre et le froissement de ses feuilles... Mais c'est aussi un cri, un appel, les pleurs, la rage, la colère, la fureur des mots, leur violence, c'est l'agonie, c'est impitoyable...
Il se tut, bercé par le vent, rouvrant ses yeux.
- C'est la beauté du monde, c'est sa cruauté. Un son assourdit ou détend... C'est à la fois un rêve et un cauchemar.
Il souffla, abaissant tout doucement ses oreilles qui s'étaient levées dans sa tirade.
- Entendre ou ne pas entendre, au final, n'est ni un cadeau, ni une malédiction. Le chêne ne deviendra jamais un roseau, et le roseau ne deviendra jamais un chêne.
Il lui rendit un sourire rayonnant.
- Je crois que ce que j'essaie de vous dire, Fei, est de se suffire de ce que nous sommes.

Alors qu'elle attendait une réponse, elle le regardait avec insistance. Elle attendant,de pouvoir lire quelque chose sur ses lèvres. Lui qui semblait pourtant tout savoir, la laissant sur un silence ... Fei détourna lentement la tête, sans le quitter des yeux. Est ce que sa question avait été si difficile que ça ?



Et alors qu'il semblait sans voix, JD retrouva l'inspiration. Et déployant un flot de paroles que Fei suivait avec attention. La description de ce que pouvait être un son la fascinait, alors elle ne perdit pas une miette de ce qu'il disait.

Des cris, des souffrances, de la joie, de la peur, des bruissements, des assourdissements ... La seul façon de Fei de se représenter cela, était de se l'imaginer comme des vibrations différentes. Une petite vaguelette pour un son doux, de grandes explosions pour des cris, un grand trait fin pour un souffle ...
Alors que le vent se levait, beaucoup de fleur se détachèrent et s'envolèrent. Les regardant valser, Fei tentait de s'imaginer ces vibrations en traits et vagues. Elle percevait le vent comme de grandes vagues légères ondulantes, douces et dansantes.



Son regard se perdit ensuite dans les pétales s'éloignant. Alors que JD termina sa longue tirade, elle prit le temps de réfléchir à ses paroles. Accepter ce que nous sommes ? Fei soupira, elle ferma les yeux quelques instants.
Lorsqu'elle les ré-ouvrirent, ils semblaient plein de détermination.

- Non ...

Elle regardait au loin, elle souriait légèrement, semblant convaincu parce qu'elle allait dire.


- Se suffire à ce 'ue nous sommes. Si c'était le cas, ch-, Jjjamais (le son "J" était encore assez difficile pour elle) Jje n'au'ais che'cher à entend'e votre savoir, et che, non, JJe, se'ais rester dans l'omb'e e moi même.

Elle prit une longue respiration, essayer de parler comme les loups normaux était un exercice difficile pour elle

- Si on se suffi'ait à nous même, on ne pou'ait pas évoluer, et grandi' dans son âme. On ne p'end'ais pas confiance en soi.

Elle fixa son regard sur un arbre non loin d'eux

- Si le 'oseau, hm, RRRrroseau ! Ne peux pas deveni' un chêne, 'ien ne l'empêche d'essayer, et de deveni' le plus fo' des Rrroseau.

Elle agrandit son sourire, elle se surprenait elle même à dire ce genre de chose. L'influence de JD sur elle semblait plus que bénéfique pour elle. Elle porta son regard sur ce dernier, et essayant de vaincre sa timidité, soutena son regard.

- On m'a dit un chour, "Essaye touch-TouJjjours, de viser la lune, caRRr même en cas d'échec, tu atte'is quand même pa'mis les étoiles.

Fei avait suivi sa tirade sans sourciller, assimilant les vibrations à des paroles, à un message, décortiquant les mouvements de ses lèvres et de sa mâchoire dans une syntaxe spécifique. Le message enfin passé, elle réfléchit: elle était l'une des rares à écouter, à emmagasiner l'information, puis, à la juger. Étais-ce une information constructive, ou seulement un avis superflu? Devait-on vraiment se suffire de qui nous étions ? Fei ne pensait pas ainsi. Alors elle fit valoir son opinion, sur un sourire doux, convaincue pour une rare fois de ses propres mots.

- Non ...
Ce fut à JD de se taire afin de l'écouter.
- Se suffire à ce 'ue nous sommes. Si c'était le cas, ch- elle s’interrompit, reprenant la syllabe- Jjjamais jje n'au'ais che'cher à entend'e votre savoir, et che- de nouveau - jje, se'ais restée dans l'omb'e e moi même. JD avait pivoté ses oreilles vers l'extérieur, puis, vers l'intérieur, attentif à la suite. Fei poursuivit.
- Si le 'oseau, hm, RRRrroseau ! -s’exclama-t-elle en cherchant à rendre puissante la consonne- ne peux pas deveni' un chêne, 'ien ne l'empêche d'essayer, et de deveni' le plus fo' des Rrroseau. enfin Fei osa tourner sa tête vers lui et soutenir son regard. JD se surpris à baisser les yeux un moment: il semblait perdre tous ses moyens devant cette louve.

- On m'a dit un chour, "Essaye touch- une troisième fois-TouJjjours, de viser la lune, caRRr même en cas d'échec, tu atte'is quand même pa'mis les étoiles ".
- Vous n'avez pas tort, Fei. Mais rien ne nous empêche d'être nous-mêmes - et de connaître ses limites - tout en continuant de s'épanouir; l'apprentissage est une part de nous, comme l'est la paresse.
Il leva les yeux vers les étoiles, son museau suivant le mouvement.
- Vous avez cette curiosité, ce je ne-sais-quoi qui vous différencie des autres, Fei.
Il posa de nouveau son regard doré dans le sien. Il leva un sourire chaleureux.
- Je ne doute pas quant à la réussite de votre cheminement. Si vous finissez comme une étoile, ce sera sans doute l'une des plus brillantes dans la nuit.
Il tressauta. Il abaissa sa tête, un peu embarrassé.
- Je... excusez-moi, il semble que la nuit nourrit ma prose, ha-ha-ha!...

Pour une des rares fois où Fei osait faire valoir son point de vue, on prenait vraiment en considération ce qu’elle disait. D’habitude, elle ne l’écoutait pas, ou peut être aussi qu’on ne l’entendait pas … Elle a beau être sourde, elle ne parle pas fort. En fait, c’est même plutôt l’inverse. Alors que JD acquiescait, il souleva un point :

- ‘Ous a’ez cette cu’iosité, ce che ne sais quoi ‘ui ‘ous différencie des autres, Fei.

Ce je ne sais quoi était peut être simplement ses handicaps. Aussi bien la surdité que l’albinisme. Après tout, c’est aussi eux qui ont fondé le caractère de Fei, qu’elle veuille ou non, ils sont partit intégrante d’elle-même. JD poursuivant, il dit qu’elle finirait sans doute comme la plus belle des étoiles dans la nuit. Embrassé, il tenta de s’inviter une excuse. Fei pour une fois fut contente de son albinisme : rosée de nature, on ne pouvait pas voir qu’elle rougissait en cet instant ! Elle baissa les oreilles un peu gênée mais dans le bon sens pour une fois. Levant un sourire amusé et un peu gêné également, un silence s’installa. Mais un silence doux. Après quelques instants, elle rouvrit le dialogue

- Cela dit, Jje crrRRois que sans vous, jjje n’aurais chamais eu toutes ces espérances. Ni cees nou’elles convi’tions.

Elle posa son regard sur l’horizon, semblant se concenter

- Je vous dois beaucoup, JD.

Dit-elle sans avoir hésité un seul instant sur aucune syllabe. Aucun trébuchage, aucune hésitation. D’où son air concentré avant, elle voulait en quelque sorte le remercier et lui prouver qu’il lui avait été d’une grande aide en formulant au mieux cette phrase.

Le silence qui les avait séparé quelques instants n'avait pas été embarrassant. Au contraire, il avait s'agit comme d'un silence mérité, d'un temps de pause, d'un temps de repos: ni lui ni elle s'en étaient plein. Leur confiance nouvelle attisait aussi leur relation: tout deux semblaient beaucoup plus confortables à l'idée de parler à l'un et à l'autre. Même, Fei s'osa à le complimenter, ce qui lui fit un peu détourner les yeux.
- Cela dit, Jje crrRRois que sans vous, jjje n’aurais chamais eu toutes ces espérances. Ni cees nou’elles convi’tions.
Il ne pensait pas vraiment comme elle: il n'avait rien fait qui aurait pu changer de manière drastique l'opinion qu'avait fait sur elle même. Aussi il ne dit rien, abaissant les oreilles, un peu embarrassé par cette brève éloge.
- Je vous dois beaucoup, JD. il en eut le souffle coupé. Fei avait détourné ses yeux à elle pour regarder de nouveau l'horizon. Elle affronterait son futur, advienne qui pourra. JD, lui s'était contenté de secouer doucement sa tête, fermant ses yeux.
- Inutile de me remercier, je ne suis qu'un simple catalyseur dans cette histoire, Fei.

Fei ne comprenait pas pourquoi JD ne voulait pas reconnaitre sa part de responsabilité dans son histoire. Il ne se disait que simple catalyseur, pourtant c'était bien plus que cela, pour Fei il était l’élément manquant pour la réaction se produise.

- Pour'uoi êtes vous si modeste ? N'a'eptez vous jjjamais les co'pliments ?

Lui adressant un petit sourire timide. Elle prit cependant un air un peu plus rave et sérieux pour la suite :

- Est-ce en 'apport avec le fait 'ue vous ne dites pas 'otre nom d'initié ...

Peut être Fei avait-elle touché une corde sensible, comme pour la surdité partielle de JD. Mais après tout, ceci la taraudait trop pour ne pas savoir. Elle qui rêverait d'avoir des tatouages et un nom d'initié, elle ne comprenait pas comment avec 3 tatouages, on pouvait renié ceci.

- Pour'uoi êtes vous si modeste ? N'a'eptez vous jjjamais les co'pliments ?
- ... !
Il abaissa l'une de ses oreilles par réflexe, celle qui portait les plumes de geai-bleu, malaisé par la perspicacité de son interlocutrice. Il n'osa pas baisser les yeux, simplement reculer la tête.

- Est-ce en 'apport avec le fait 'ue vous ne dites pas 'otre nom d'initié ...
- ... Il inclina la tête vers le bas, sur un sourire navré, un peu vide, voire meurtri par les dures années de sa courte vie. Il clôt les yeux au souvenir de sa propre existence lorsqu'il n'avait pas tout perdu. Il les rouvrit, un peu à contre-coeur.
- Je ne mérite pas toute cette attention... Ce nom, ces marques - il fit en levant la patte, caressant du bout des coussinets l'une de ses joues marquées par les tatouages orange - tout ce prestige qui semble venir avec de bêtes couleurs vives... Je ne les mérite pas.
Il secoua doucement sa tête, se massant les tempes, avant de déposer sa patte au sol, un peu revigoré par une nouvelle confiance.
- Comment dire..., le message qu'elles ont pour moi n'est pas le même que celui des autres anciens garde d'élite. Auparavant plus le nombre de traits était élevé, plus on vantait sa force. À mes yeux, le nombre de traits ne signifie qu'une chose: la complicité qu'a eu le loup envers son humain.
Il soupira, levant sa tête, les yeux posés sur les étoiles.
- En toute franchise, Fei, je ne me considère même plus comme un garde d'élite. Tous ces conflits, ces ressentiments avec Inaria... Tout ça ne me concerne plus.
Son regard se glissa de nouveau sur Fei.
- Si je ne dis pas mon nom d'initié, c'est parce-que je l'ai renié. Certains s'entêtent encore à m'appeler ce nom que je portais autrefois en grande estime mais... ce n'est plus le cas d'aujourd'hui.
Il secoua sa tête, redressant timidement les oreilles. Il baissa les yeux, les releva, visiblement nerveux.
- Mon nom d'initié est Jailed Dreams, qui se traduirait à " Rêves Emprisonnés ". Mon humain a vu de moi une partie inventive et créative. Il a voulu exprimer que j'étais capable de saisir mes rêves, mes songes, mes idées, et de les concrétiser. à ces mots, JD leva un sourire serein, se remémorant la chasse au mammouth où il avait maladroitement grimpé sur le pachyderme.

Alors que les autres élites s'attaquaient à ses pattes, plus ou moins en accord avec leur humain, JD se précipitait vers l'avant de la bête. Il voyait le mammouth se cabrer et lui perdre son appui, lâcher la fourrure du mammouth laineux pour retomber ventre le premier sur la courbe d'une de ses défenses d'ivoire. Lorsque le mammouth écrasa solidement le sol, JD vacilla d'un côté, parvint à se rattraper de justesse sur l'un de ses avant mains, et, dans un éclair de génie, brisa le bout de la défense sur laquelle il se tenait afin de le pivoter sur lui même et de le lâcher, perçant l'oeil du gargantuesque pachyderme. Une telle réflexion venant d'un canidé n'était pas une chose commune au sein des initiés habituels. Voire même, de tout autre loup.

L'air serein et son sourire s'affaissèrent dans un visage neutre, empreint de nostalgie.
- Peu après l'initiation, j'ai laissé ma douce mourir au profit d'une réaction impulsive. Je ne mérite pas ce nom.
Il clôt les yeux.
- Je me considère déjà chanceux de pouvoir aider ceux à qui j'ai tourné le dos tant d'années auparavant... Simplement en tant que JD, le Voyageur.

Fei avait encore touchée un point sensible en mentionnant ce fait. Mais bien qu’elle savait que cela allait sans doute ressasser de durs souvenirs, elle ne pouvait pas rester avec cette question dans son esprit indéfiniment …. Elle était prête à en accepter les conséquences et les révélations qu’ils en découleraient … Elle retint sa respiration l’espace d’un instant. Écoutant le début d’une longue tirade explicative … Il expliqua qu’il ne méritait pas tout cela, qu’il ne se considérait plus comme un garde élite, Fei haussa presque les épaules mais se retint, qui encore à l’Oasis se considérait comme un véritable garde d’élite et non pas comme des reniés et bannis ? Fei elle-même n’a jamais été une garde d’élite après tout. Juste, une oméga faisant partit de la race des loups géants …
La blanche redressa les oreilles, bien qu’elle soit sourde, pour lire son véritable nom d’initié, Jailed Dreams. Rêves emprisonnés, voila qui sonnait bien triste pour un loup qu’elle connaissait pourtant si calme et souriant … Des choses ont dû se passer au camp, et cela a été un tournant dans sa vie … Tout ces souvenirs étaient visiblement douloureux, mais Fei ne pouvait pas comprendre, le camp, l’entraînement, les chiens, les maîtres … Tant de choses qu’elle n’aura jamais l’occasion de connaître, contrairement à tout ses camarades … JD lui parla de son ex-compagne, avec laquelle Vérité est née, celle-ci était morte … Cela devait être très dur …

- Je me con’idère déjà chan’eu de pouvoir ai’er ceux à ‘ui j’ai tou’n le dos aupa’avant … Simplement en tant ‘ue JD le Voyageur.

Aider pour s’aider soi même à se repentir, était-ce ça ? Fei se laisser glisser sur le sol frais, ses pattes fines commençaient à fatiguer. Elle prit le temps de réfléchir à tout ce qu’il lui avait dit. Finalement se demanda s’il était judicieux de répondre quelque chose.

- Malg’é tout cela, ‘ous ne pou’ez vous détacher de votre nom … Si vous vous faite appe’er Jjidé. C’est comme … Si vous ne vouliez pas ou’lier. Sinon, vous vous feriez appe’er par un aut’e nom ou diminutif.

Ce n’était pas tant une question, elle pensait cela, peut être à juste titre. Peut être que c’était une manière de ne jamais oublier ses erreurs du passé, pour mieux avancer à présent ?

- C’est bien de se ren’de compte de ses erreurs, et de vouloi’ les répa’er … En aidant les aut’es, et ce genr’ de chose …

Finit-elle par dire pour appuyer ses dernières paroles. Elle voulut le réconforter un peu, il semblait à présent si neutre, qu’il devait en cacher une vieille douleur qui ne s’estompe jamais.

- On fait tous des erreurs. Ce’taines sont mal’eu’eusement plus graves que d’aut’es, mais on ne le sait pas avant de le comp’end’e que s’en était une.

- Malg’é tout cela, ‘ous ne pou’ez vous détacher de votre nom … Si vous vous faite appe’er Jjidé. C’est comme … Si vous ne vouliez pas ou’lier. Sinon, vous vous feriez appe’er par un aut’e nom ou diminutif.
En effet, elle avait l'oeil: Si "JD" avait choisir de se départir de son nom entier, il n'avait pas cherché à s'en détourner complètement: il aurait pu refuser de prendre conscience de son année au Clan du Loup pour continuer à se faire appeler Lance ou Llancelot par ses proches. Au contraire, il avait choisi de garder une part du nom, une toute petite part pour se rappeler le chemin qu'il avait fait. Des obstacles qu'il avait franchi. De la douleur qu'il avait subi.
- C’est bien de se ren’de compte de ses erreurs, et de vouloi’ les répa’er … En aidant les aut’es, et ce genr’ de chose … Reprit Fei. On fait tous des erreurs. Ce’taines sont mal’eu’eusement plus graves que d’aut’es, mais on ne le sait pas avant de le comp’end’e que s’en était une.
- Je comprends, et vous avez raison, Fei: j'ai choisi de garder le nom ou disons, le 'sobriquet' de mon nom d'initié. Si je n'avais jamais vécu tout ce que j'avais vécu là-bas, je ne serais pas le même aujourd'hui.
Il leva la tête, habitué à ses mèches retombantes, se rappelant de la crête qu'il portait lorsqu'il était plus jeune.
- Ma vision du monde était minimaliste. Je serais sans doute un adulte irresponsable ou un stratège de guerre. Souffrir a été nécessaire, je crois, pour devenir meilleur.
Il se retourna vers le femelle, plus souriant.
- La seule chose différenciant un débutant et un maître, est que ce-dernier a accumulé plus d'échecs que le débutant.
Il se recula un peu dans sa collerette, comme embarrassé.
- Je suis ravi d'avoir pu vous aider ou vous ouvrir une voie, mais vous êtes celle qui a décidé de vouloir l'emprunter. Vous faites le chemin; je me contente de vous épauler.