Sans autre but que de marcher.[Prio Saber]

Rôder, tourner sur les frontières, les garder, comme si elles étaient ses propres enfants. Enfants qu’elle déteste, qu’elle exècre, mais pour lesquels au rien au monde, elle ne voudrait faire de blessures si jamais ils avaient la chance d’appartenir à son clan. Son clan, sa famille, son petit monde à elle. Oui, elle s’y sentait tellement bien.
Son pas lourd et sa démarche masculine avait encore fait fuir les louveteaux et les loups frêles de son chemin, tous passant aussi loin que possible de son lieu de passage, de son chemin de ronde dès qu’ils le pouvaient, trop apeurés, ou trop effrayés même.
Mais qu’importe, elle faisait son travail, perdue dans ses pensées, elle ne vit même pas le chemin se dérober sous ses épaisses pattes. Soudain, comme la dernière marche qui manque à l’escalier, aucune terre meuble, aucune racine, rien n’était sous sa patte pour empêcher sa chute dans l’épaisse broussaille de la jungle alteronne.

«Grmbhbllll… »

Grommela-t-elle, se relevant, le pelage ébouriffé, avec quelques coupures, ecchymoses et feuilles retombants à terre, sûrement arrachées à son passage. Elle se secoua brièvement, regarda un peu plus en hauteur, le chemin qui lui avait faussé compagnie et voulu reprendre sa route. Reprendre sa route… Reprendre sa route j’ai dit !
Non, décidément, la louve ne pouvait plus bouger. Sa patte arrière droite était coincée dans un buisson plus qu’épineux. Et ces ronces acérées avaient bien l’intention de la retenir ici le plus longtemps possible. Excédée par tant de déveine, Saber se débattit un instant, laissant sa patte douloureuse, toujours coincée et d’où la souffrance lui parvenait en vagues. Et puis, vint le temps des insultes et des injures.

«Hrmmmmmm. Fuuuuu**. Des années d’entrainement et c’est trois petites épines qui te retiennent, tu es pitoyable ma vieille… »

Et oui, elle était tombée bien bas, elle qui avait tant d’ambitions. Si sa Reine la voyait, elle aurait bien des remords à l’avoir accueillie dans sa meute…

Essayant une nouvelle fois de se débattre sans succès, un brouhaha de feuillages et de buissons dérangés dans leur stature immobile se produisit derrière elle. Et c’est une silhouette bien familière qui lui apparut, celle du guérisseur du clan. Elle l’avait déjà fréquenté à plusieurs occasions, comme après des combats plus acharnés que d’habitude. D’ailleurs, c’était bien le seul loup qu’elle laissait mais avec une certaine appréhension tout de même, la toucher.

« Plus un geste. Il ne sert à rien de se débattre ainsi. »

Oui, bon d’accord. La louve se stoppa net dans son élan dévastateur et grimaça sous la douleur et sous l’injonction. Dieu sait qu’elle détestait les ordres, en encore plus quand un mâle se décidait la traiter ainsi. Mais puisque c’était pour sa santé, elle n’allait pas non plus rechigner.

« Hmrrrrr… »

Grommela-t-elle brièvement. Elle regarda le loup faire son affaire, entendit quelques coups de crocs, quelques bruissement de feuilles et de branches et puis soudain, la délivrance. La louve s’empressa de reprendre sa patte avant même que le guérisseur ne voir les blessures qu’elle avait pu se faire avant son arrivée. Cachant sa douleur, elle essaye de lui sourire tout en articulant un pénible :

« M… Merci. »

«Pardon pour mon attitude. Je ne devrais pas ordonner à plus fort que moi. »

Pourquoi il s’excusait ? Il était vraiment taré au point de s’excuser pour elle, ou alors il avait vraiment un grain pour se croire malpoli ? La louve le regarda, placidement puis avec une certaine curiosité. Lui qui baissait la tête, semblant vraiment gêné d’avoir eu à toucher une fois de plus la garde, il était vraiment une énigme vivante pour la louve qui n’avait pas pour habitude de cogiter sur ses propres congénères plutôt qu’à des stratégies de baston.

« Hmr ? »

Grommela-t-elle brièvement, avec une touche de curiosité qui rendit son grommelement légèrement plus aigu sur la fin. Il la regardait encore, mais cette fois-ci, avec ce même regard, LE regard du guérisseur et non pas du loup avec une âme. Il avait dû repéré sa patte qu’elle se retenait d’appuyer contre le sol.

« Si la douleur se fait trop intense, un rôle aussi important que de garder les frontières n'en sera que plus difficile. De plus, le temps risque de tourner à l'orage d'un instant à l'autre, il serait imprudent de risquer une infection. »

Une infection ? Elle avait déjà survécut à l’enfer, à la famine et aux maltraitances, ce n’était pas une simple épine qui allait lui causer la mort ! Et puis quoi encore ! La louve grommela encore quelque chose d’incompréhensible, tournant le dos au guérisseur, reprendre son tour de garde et surtout, s’éloigner de ce maniaque qui voulait à tout prix continuer à la toucher. Elle fit un pas, serra les dents. Puis un deuxième, clopina sur quelques autres avant de sévèrement boitiller avant de s’effondrer à moitié sur le sol en hoquetant. Comment un si petit bout pouvait lui faire aussi mal ?
Malgré son regard de battante tourné vers le guérisseur, on pouvait facilement y apercevoir désormais la lueur d’une larmichette qui se formait, d’un fin mur protecteur à la gouttelette qui tomberait à terre.

« J… Je crois que je vais avoir besoin de toi… »

Fort heureusement, le loup guérisseur était venu l’aider sans même une once d’hésitation malgré tout le dédain et le désintérêt que pouvait lui montrer la louve. Et en deux temps trois coups de dents, la douleur insupportable dans l’épine s’était volatilisée. Il avait à peine effleuré ses coussinets de son doux souffle tiède. Plus aucune gêne dans la patte, plus de chaleur et de sirène alarmante hurlant dans sa tête la souffrance qui rugissait dans sa patte. Soulagée, la louve se fit rouler ventre au sol, souffla un coup et regarda le loup commencer

«C'est tout. Ravi d'avoir pu être d'un quelconque secours. »

Et puis il se retourna, partant, regagnant sûrement le chemin en surplomb, ou même vaquant à un prochain patient. La louve était à la fois indignée et choquée, surprise et inquiète sur l’attitude de son sauveur. Pourquoi montrait-il tant de froideur face à des loups qui n’étaient pas souffrants ou malades ? Pourquoi ?

« Q… Qu’est-ce que tu fais ? »

Grogna-t-elle, sur un ton qui se voulait protecteur et attentif mais qui relevait plus d’une injonction pour le coup.

Spoiler:

Le guerisseur s'était retourné vers elle, à moitié, mais son regard profond plongé dans ses propres yeux l'avait fait frissonner. Il avait une telle force, une révolte enfouie et cachée à l'intérieur de lui, elle en était sûre. Plongé dans quelques réflexions difficiles, puisqu'elle n'en avait rarement l’occasion, elle n'entendit presque pas la réponse du mâle.

« Mais je m'en vais. Mon travail ici est terminé...sans compter le certain dédain que j'ai pu remarquer. »

Il reste quelques secondes sur place, Saber, elle, ne bougea pas non plus. Sa présence auprès du guérisseur était donc si désagréable que ça ? Était-elle repoussante ? Brusque ? Ou est-ce simplement sa faon d'être et de paraitre forte et de le rester en toute les circonstances qui l'avait ainsi fait réagir. Ce dont la femelle en était sûre, c'est que ça venait d'elle, et c'était bien la première fois que quelqu'un lui disait la vérité en face.
Oren rouvrit ses yeux puis repris lentement sa route, comme s'il attendait quelque chose, un signe, une parole, ou un geste de la louve. Désemparée et ressentant l'envie d'avoir encore compagnie de cet étrange loup qui ne montrait aucun signe d'affection ni d'une quelconque émotion, la louve se releva soudainement puis trottina jusqu'à lui, silencieuse. Elle accompagna sa démarche, son pas de marche pendant quelques foulées encore, puis, rongée par le remord d'avoir déplu, elle articula, sur le ton le plus doux et fragile qui lui aurait été possible de sortir de ses cordes vocales :

« Je... Désolée... C'est juste... Je... »

La louve baissa la tête, gênée de ce qu'elle voulait dire et qui n'arrivait pas à sortir de sa maudite gueule. Elle s'arrêta même de marcher, pour concentrer toute sa volonté dans un dernier mot, si dur à dire.

« Reste. »

Saber, rouvrit ses yeux de feu et chercha alors le regard du guérisseur, espérant, pour une fois, ne pas avoir encore laissé passer sa chance.

Debout et immobile, la louve, le regard tendu devant elle, il semble qu’une éternité s’était écoulée à une vitesse incroyable alors que le guérisseur se retournait pour la regarder. Elle qui semblait si dure, si forte et si invincible, un simple oubli aurait pu la faire tomber plus bas que terre aujourd’hui. Aà ce moment-là, une simple brise aurait pu la faire chavirer. Ce regard… Il y avait une lueur, au fond, tout une fond, d’une puissance inégalée…

«Si tel est votre souhait.»

Souhait ? Un “souhait” était donc un ordre plus doux ? Elle avait toujours eut l’habitude d’aboyer sur les larbins, de donner des ordres et de se faire obéir, par la voix ou par la force, mais jamais alors on ne l’avait écouté alors qu’elle parlait, tout simplement, de ce qu’elle voulait. Croisant le regard du guérisseur, la louve aurait pu devenir aussi rouge qu’une tomate si ses poils n’avaient pas camouflé sa peau. Gênée, et étrangement tremblante sur ses larges pattes, la louve tourna la tête et détourna son regard. Pourquoi lui ?

« Je… Tu n’es pas obligé de me vouvoyer… Tu sais… »

Saber releva sa tête, doucement, évitant de croiser le regard d’Oren. La sensation de son regard, sur elle, était tellement déroutante, pourquoi ressentait-elle ça ? Pourquoi avec lui ? Il lui semblait déjà avoir ressenti ce genre de sentiments, de sensations, mais quand ? Elle rit doucement, fermant ses yeux, elle était tellement bête, ou juste folle de réagir comme ça…

«Tu… Je… »

Saber, rouvrit ses yeux de feu et chercha alors le regard du guérisseur, espérant y trouver tout l’espoir et le courage de dire ces mots, toujours tellement difficile à sortir. Elle désirait tellement le connaitre, à l’intérieur, de l’intérieur, découvrir qui était vraiment ce loup.

Oren resta silencieux face à la louve, mais son regard, lui en disait long. Oui, une étrange conversation avait lieu entre les deux loups, par regards interposés. Les deux loups, au fond de leur doline, isolés de leur camarades semblaient bels et bien perdus, aussi bien dans leurs pensées que dans leur cœur, en tout cas, il en était certain pour Saber.
La louve s’approcha doucement de quelques pas du guérisseur, son regard de braise rougeoyait, non plus avec haine comme à son habitude, mais avec une chaleur agréable, comme l’âtre d’une cheminée par un rude hiver. Elle était si proche qu’elle sentait son souffle chaud se mélanger au sien, elle absorbait la moindre fragrance de son pelage et captait le plus petit reflet dans ses yeux hypnotiques. Elle frissona.

« Et… Et si on sortait de là, on sera bien mieux sur le chemin de ronde pour faire plus ample connaissance… Toi et moi. »

La louve sourit alors, légère et gaie comme elle ne l’avait plus été depuis des lunes. Depuis sa naissance. Un instant, en face d’elle, il ne lui semblait plus voir le guérisseur, mais l’ombre de son frère décédé. Elle ferma vite ses paupières pour chasser cette illusion et reprit, en donnant un léger coup de museau à Oren.

« Promis, cette fois-ci, je ferais attention aux ronces ! »

Pour appuyer ses mots, Saber trottina quelques foulées plus loin et leva sa patte arrière, symbole de sa libération grâce à lui. Il ne l’avait pas seulement libéré de la douleur, mais il l’avait aussi libéré d’une prison dans laquelle elle s’était elle-même enfermée. Il en restait encore quelques murs solides, mais, avec patience et paroles, ils finiraient par vite se fissurer…

Les deux loups avaient sans soucis regagné le chemin de ronde et sa sécurité apparente. Le cœur encore battant par tant d’émotion et d’évènement, la louve beige, qui n’avait pas l’habitude de s’intéresser autant à un loup, et encore moins un mâle pour d’autres aptitudes que celle de combat, avait entre les pommettes brûlantes, ne comprenant encore pas bien ce qui lui arrivait. Elle avait déjà ressenti un bien-être pareil, mais c’était il y a longtemps, tellement longtemps, bien avant qu’elle ait le droit de se souvenir, se souvenir du lui qui avait disparu, son frère, celui qu’elle avait du remplacer.

« Au fait...je veux bien faire connaissance, mais... »

Saber redressa vivement sa tête et ses oreilles, attentive au moindre signe que pouvait lui donner le guérisseur qui l’accompagnait. Même si les pommettes la brûlaient d’autant plus, elle ne pouvait s’empêcher de se demander qu’est-ce qui lui plaisait chez ce loup aussi atypique.

«… C'est que j'ai l'habitude d'observer plus que de discuter pour apprendre à connaître quelqu'un. Alors si tu as des questions, n'hésites pas. »

La louve alteronne resta silencieuse sur le coup. Des questions ? Observer au lieu de discuter, elle avait des méthodes similaires pour jauger un adversaire avant un combat, mais pour jauger les compétences de discussion ou d’amitié d’un loup, c’est vrai que ce système paraissait vraiment déséquilibré…

«Hmmm. Euh… »

Marmona-t-elle une première fois, détournant son regard, confuse.

«Je… Est-ce que tu as une famille… ? »

Famille… Ce nom, malgré sa simplicité sembla lui avait écorché horriblement la bouche. Elle en aurait presque grimacé si elle ne tenait pas autant à donner une bonne impression à Oren. Sa question était bête, mais elle avait déjà vu plusieurs fois le guérisseur (entre deux blessures et soins) en compagnie d’un jeune louveteau, et la question la démangeait. Qui disait louveteau impliquait souvent une compagne…

L’Histoire d’Oren semblait aussi triste et dramatique que la sienne. Rapier et ses sbires avaiit détruit des centaines de familles dans les environs, pour fonder une meute puissante basée sur l’agglutinement forcé de dizaines et de dizaines de meutes. En écoutant son histoire, la loue eut un pincement au cœur, elle aussi avait vécu cela, certes avec plus de détachement, mais avec tellement plus de sacrifices si on comptait qu’elle avait dû mettre à mort son propre père.

« Et toi, tu te plais ici ? »

Saber redressa vivement sa tête et ses oreilles, attentive. La question semblait l’avoir réveillée brusquement. Elle bégaya quelques mots incompréhensibles avant de murmurer, comme gênée ou honteuse.

«… Alteron est ma seule famille depuis des années. »

La louve alteronne resta silencieuse par la suite, ne sachant trop quoi dire. Elle n’avait pas eu pareille discussion depuis ses années de louveteaux, pendant les moments d’éveils, de rêveries et de jeux avec son frère et ses sœurs de portée. L’air évasif, distant, mais tellement amical d’Oren lui rappelait son défunt frère, tellement protecteur envers elle avant que tout ne change…
Et si… ?

«D’ailleurs, je crois que tu es le seul membre de la meute à oser m’adresser la parole. J’ai l’impression de ne pas avoir parlé depuis ma première lune ! »

Son regard pris un nouvel aspect : pétillant. Elle semblait avoir trouvé une fissure dans sa carrure, dans sa carapace rocheuse et froide. Oui, elle avait grandi trop vite et au fond d’elle, elle rêvait encore de ces moments insouciants de louveteaux : jouer, manger, se rouler dans la boue et avoir, derrière elle, le regard de ses parents, surveillant le moindre danger.

«C’est… gentil de faire attention à moi… »

«M..mais c'est normal quoi...enfin, c'est mon travail que de faire attention aux autres.. »

La louve le regarda, son regard fixe et droit planté sur le visage du guérisseur. Comment pouvait-il dire cela. Elle répliqua alors sèche, mais gardant une certaine douceur :

« Non, je parlais de faire attention à moi… en tant qu’individu, pas à cause de ton travail… »

Saber baissa alors légèrement la tête, un peu gênée d’oser le contredire, mais surtout de dévoiler comment elle ressentait la situation. Elle qui était toujours si droite, silencieuse et froide, elle n’avait jamais ressenti autant de chose en si peu de temps, et il fallait dire qu’elle ne savait plus trop où elle en était, comme si tout son petit monde, son monde de briques cimentées à l’extrême se fissurait lentement…

Ils marchaient toujours sur le chemin de ronde, un peu perdue dans la discussion et ses pensées, la louve se surprenait à ne pas trébucher sur les racines des différents arbres ou même de retomber dans les ronces en contrebas comme quelques minutes auparavant.

«Les autres, eux, ne veulent montrer leur supériorité que par la force, comme notre Reine. Peu savent utiliser les mots pour lutter, ou même forger des amitiés… Moi-même, je fais partie de ses brutes. »

Elle se courba encore plus, jusqu’à avoir l’impression que sa truffe touchait le sol alors qu’elle avançait encore. Lasse de ne se trouver que des points négatifs, mais surtout autant de différences avec le guérisseur, elle soupira.

«Peut-être que je suis malade alors, si je te parle comme ça aujourd’hui ! »

Elle le regarda, en biais, ses yeux pétillants sur la petite pique qu’elle venait de lui faire. Elle espérait juste qu’il rentrerait dans son jeu, lui qui ne voulait porter d’attention qu’à ses patients selon ses dires…