Déboulement

- Roi Kanshu, Roi Kanshu !!
Rugissait le gamin (qui n'était plus si gamin que cela) alors qu'il montait au galop la pente abrupte de leur repaire. Son empressement n'était point feint. D'ailleurs, son pouls l'aurait trahis, advenant qu'il mente sur l'urgence de la situation. Mais ce n'était pas le cas. Le fait qu'il venait de traverser la moitié de la savane (environ) à la course n'était pas étranger à sa respiration haletante., ni à ses muscles qui tremblotaient de partout, alors qu'il s'immobilisait enfin. Peu lui en aurait fallut pour s'effondrer, tout simplement. Mais il ne pouvait pas. Il avait un message d'une extrême urgence. C'est pourquoi, un quart de seconde après s'être enfin arrêté, il écartait de coups de pattes empressés (les joies de s'approcher de sa taille adulte!) les individus qui s'étaient précipités à sa rencontre, ne leur accordant aucune réponse, aucun regard, aucune considération. Il n'était pas là pour eux. Et son oeil droit le tançait horriblement, immonde amoncellement de chaire et de saignements. Inutile. Tournant désespérément de la tête, tentant d'utiliser son oeil valide, il essaya d’apercevoir, parmi cette cacophonie de silhouettes, celle hors et noire de leur monarque. Mais tout se confondait.
- ROI KANSHU !

Un rugissement se modula devant lui, mais il n'en perçut pas le sens, les mots se perdant dans la cacophonie environnante - ou n'était-elle que dans sa tête ? Tremblant, il leva la patte, s'essuyant la bouche d'une salive qui commençait à tourner acide.
- Shuya.
Sa tête se releva soudainement, lui causant un élancement si fort qu'il dû la rabaisser. Où était Kanshu ? Il lui semblait avoir entendu sa voix, mais à présent, il n'était pas sûr. Pris de doute, il tangua, évitant de s'effondrer seulement grâce à une épaule soudainement placée contre lui. Il crut reconnaître la silhouette beige de Shywane, mais n'en était pas certain.
- Shuuja, qu'y a-t-il?
La voix cette fois était définitivement proche de lui. Avec plus de lenteur, il leva le regard et vit enfin la silhouette massive du monarque. Un soupir de soulagement s'échappa de ses lèvres, comme ses muscles se détendirent imperceptiblement. Mentalement, il s'encouragea. C'était presque finit ; il ne lui restait plus que quelques paroles à prononcer. Une grande respiration, comme un plongeur s'apprêtant à sauter dans un fleuve glacial, puis il se jeta, d'une voix toujours tremblante en dépit de sa détermination :
- Shukka est mort.

Le silence. Puis, les murmures fusèrent autour de lui. Bourdonnement incessant. Bourdonnement venant amplifier son mal de tête, comme les voix se mélangeaient, comme les émotions entraient en collision dans un tourbillon violent. Rien de tout cela n'aidait à sa condition ; encore une chance que Shywane fut là pour le soutenir. Car tout autour de lui s'emportait dans un ouragan. Mais il s'était attendu à ce que Kanshu tempête furieusement contre lui. Pas qu'il s'arrête. Pas que, soudainement, son corps devienne fixe, que son regard se perde ainsi. Comme s'il venait de perdre pied avec la réalité.
- ... Shukka.
Le lionceau tendit les oreilles vers lui, avant de les ramener expressément vers l'arrière. Il ne cherchait plus à savoir. Le murmure sombre du monarque ne regardait que lui. Il chercha alors à détourner le regard (ou enfin, son oeil) ; mais au même moment, le feu revint dans celui de Kanshu. Shujaa resta immobile, retenant son souffle.
- Qu'est-ce qui s'est passé.
Il connaissait la réponse. Il l'avait assez rentré dans son esprit. Il entrouvrit la bouche.
- Je sais pas. Quand je suis arrivé, il était déjà mort.
Son museau oscilla légèrement vers la gauche, vers leurs terres.
- Au Delta. J'ai voulu m'approcher, mais on m'a sauté dessus. Des loups.
Il siffla, amer. Et termina :
- Inaria.

Sous son regard médusé, l'aura du sabre se modula, se noircit. En vent sembla se lever, presque tout, mais bientôt il devint bourrasque ; puis, avec la même rapidité, il se transforma en tempête. Tout autour de lui, le clan s'était tut, reculant de peur devant la transformation de Kanshu. Accompagnant les autres, son pilier se détacha de lui. Il demeura ainsi seul petit rocher au milieu d'une mer déchaînée. Et le rocher se brisa, balayer d'un coup sec pour aller s'échoir plus loin. Déjà monstrueusement affaiblit, Shujaa resta prostré au sol un long moment, tenta de reprendre son souffle, avalant l'air par coup sec. Par le biais du sol, il sentait la masse imposante s'amener vers lui, faisant presque trembler la plateforme du rocher. Mais il n'avait plus peur. Le mastodonte venait vers lui, pourtant il ne sentait plus les effets de la peur. Seulement ceux d'une douleur sourde, mais même cela en était venu à lui faire un cocon l'entourant, le protégeant. Il fronça les sourcils, ignorant l'élancement que causa ce mouvement à son oeil droit. Rassembla une patte sous lui, puis l'autre, les fixant plus solidement qu'on ne l'eut crut. Peut-être était-ce l'adrénaline, peut-être était-ce le fait d'avoir pris une résolution. Ou peut-être n'agissait-il qu'à l'instinct, répondant à la confrontation en refusant de ployer.
- ...Alors tu aurais dû être tué aussi.
La voix résonnait comme le tonnerre d'été, imposant nuages faisant entendre leurs rugissements imposants, mais ne pleuvant jamais. Il plissa les babines, décidé. Non pas à défier son monarque. Mais à se montrer résolut.
- Non ! Fit-il avec fermeté, crachant presque. Il n'allait point se laisser marcher dessus, pas après tant de chemin, pas après s'être révélé le messager des esprits ! Plus loin, Kanshu faisait à nouveau fuser sa patte, envoyant un coup puissant contre le rocher. Il s'approcha à nouveau de lui, menaçant ; Shujaa ne cilla plus, en dépit de sa position complètement à la merci du monarque.
- .. Heureusement pour toi, tu restes utile.
Sitôt cela dit, il se fit agripper, prisonnier du bon vouloir du roi.
- Parle aux esprits maintenant ou je te tue. Demande-leur si nous gagnerons.
- Je n'ai pas besoin de─
- DEMANDE-LEUR!
- JE N'AI PAS BESOIN DE LE FAIRE ! Rugit-il à son tour.
Indifférent, il était indifférent au pouvoir qu'avait Kanshu sur lui. Il s'était enfoncé loin, trop loin pour à présent se soucier du reste. Il s'était enfoncé dans son jeu, au point d'y dédier tout son être, au point qu'une confrontation comme celle-ci le fasse basculer à son tour. C'était la tâche à laquelle on l'avait destiné, et sous l'effet de cette tempête qui s'abattait sur eux, il ne pouvait rien faire hormis se laisser emporter par la bourrasque.
- ILS L'ONT DÉJÀ PRÉDIT ! Cria-t-il à nouveau, avant de reprendre avec une telle intensité que son ton ne pouvait que s'abaisser dans un grondement sourd. Ils ont déjà prédit la victoire, et c'est pourquoi je suis encore en vie. Shukka a été assassiné, et les esprits demandent VENGEANCE !

Sans un mot, Kanshu le relâcha. Arraché à son support, le corps rendu mou du félin s'effondra contre le sol. Au-dessus de lui, le sabre ne lui prêtait plus attention. Il ferma les yeux, soudainement détaché de la situation. Ses muscles le brûlaient de partout, chaque centimètre de peau le tiraillait sauvagement. Kanshu s'était remis à tempêter, proférant rugissements et ordres, balayant le sol de coups. Les mots se mélangeaient à ses oreilles, devenues trop sensibles, mais le sens demeurait clair : c'était un appel au combat. La guerre allait débuté. Il avait réussit. Cette seule pensée l’obsédait, alors qu'il sombrait doucement dans un sommeil comateux, loin de toute l'agitation.