De Griffes et de Mains

[Hiver - An 4]

Combien de temps maintenant ? Combien de temps depuis qu'elle était arrivée ici, on ne sait comment ni pourquoi ? Combien de temps depuis que sa mère adoptive était morte ? Et son frère ? Depuis combien de temps errait-elle comme un fantôme que personne ne voyait ? Silverine bouillonnait depuis un moment. Elle s'était faite à la solitude, mais pas au fait de n'être qu'un pion inutile dans le clan. Pourquoi ne voulaient-ils pas lui faire confiance ? La seule chose qu'elle faisait, c'était errer aux frontières pour empêcher un éventuel intrus de s'introduire. Et puis, elle le faisait d'elle-même. On ne lui en avait jamais donné la charge. Comme le Baobab des Shamans, elle servait un peu de décoration. Moins encore : elle n'était pas symbolique. Ou si, peut-être. Symbolique d'une honte que certains Stoneclaw avaient à son égard.

Silverine avait donc pris une décision. Ca n'allait pas marcher à coup sûr, mais au moins, cela la libérerait. Puisque personne ne lui attribuait de rôle, elle allait le chercher elle-même. Et elle allait directement s'adresser à Kanshu. Elle savait qu'elle risquait gros en faisant cela, le roi n'était pas quelqu'un de très ouvert. Surtout lorsqu'il s'agissait de s'adresser à une humaine... Mais qui ne tente rien n'a rien. Et elle n'avait déjà rien à perdre.

La jeune femme se rendit alors sur le gros rocher qui était en quelque sorte le quartier général des Stoneclaw. Kanshu était sûrement dans le coin ; ce n'était pas la période pour chasser, et cela serait étonnant qu'il y ait, comme par hasard, à ce moment précis, une urgence dont le roi devait s'occuper. Surtout que la plupart du temps, c'était les autres sabres qui s'en occupaient.

Silver s'assit finalement, regarda autour d'elle : il était tôt, la plupart étaient donc sûrement encore en train de dormir. Elle attendrait, alors... Elle n'allait pas non-plus tous les réveiller en appelant leur bon roi.

C'est en entendant un étrange bruit que Silver, partie dans ses pensées, finit par revenir à la réalité. Depuis combien de temps s'était-elle absentée ? Est-ce qu'elle avait raté quelque chose ? Probablement que non, sa méfiance naturelle - même si elle pouvait parfois être un défaut - ne lui avait jamais fait faux bond. Elle secoua légèrement la tête tout en fronçant des sourcils et releva ses yeux émeraude pour apercevoir, plus loin, au fond... Des ombres. Des grosses ombres.

Pattes Pâles se releva souplement, et dans un pas qui se voulait assuré, progressa jusqu'à ce qu'elle gardait en vue. En se rapprochant, les formes devinrent plus distinctes : les couleurs, les signes particuliers des différents sabres présents... Puisqu'en effet, c'était des sabres. Qu'est-ce que cela pouvait être d'autre, de toute manière ? Ils étaient sur leur territoire. Silverine accorda un peu plus d'importance à l'un des Stoneclaw présent : enfin, elle l'avait trouvé. Kanshu. Il avait beau être le roi, il lui semblait aussi qu'il était le plus flemmard... Un peu à l'image de son clan, songea secrètement la jeune femme, retenant un sourire. Sourire qu'elle ne put dissimuler davantage lorsque son brave roi, l'apercevant, décida de s'approcher d'elle dans une position tout à fait ridicule. Cependant, c'est la voix grondante de Kanshu qui lui fit reprendre son sérieux. Et rapidement...

Kanshu a écrit:

- Pattes-pâles! Il est tôt! Que fais-tu debout!!

Tôt ? Le soleil s'était levé il y a quelques heures déjà... Visiblement, ils n'avaient pas la même vision des choses... Silverine se concentra un instant, chercha ses mots, reformula une fois, deux fois, cinq fois dans sa tête et s'apprêtait à répondre lorsque son roi prit la parole à sa place.

Kanshu a écrit:

- Qu'importe. Gratte-moi le ventre.

La pseudo-sabre écarquilla les yeux de surprise. Quoi ?! Elle avait attendu, et tout ce qu'elle recevait en retour, c'était... Le droit de gratter son roi ? Il n'avait pas des épouses, pour ça ?! Silverine voulut lui faire la remarque, mais elle s'avisa, se contentant de plisser le nez. Ce ne fut pas pour autant qu'elle réalisa les désirs de Kanshu. Elle s'assit en tailleur en face de lui, à l'envers, croisa les bras et lui fit comprendre qu'elle n'était pas venue ici pour ça. Mais d'un côté, il ne fallait pas trop qu'elle joue avec le feu. Maintenir un certain équilibre entre l'obéissance et ses désirs n'allait pas être chose aisée.

- Je dois parler à vous.