Paresse.

Maverick arpente l’oasis. Ronchon. Sa mère est partie et Reicher n’est nulle part en vue. Quant à Fei, elle devait surement se reposer bien à l’ombre dans l’une des cavernes et il n’avait pas envie de la déranger en plein sommeil. Voilà donc notre jeune vieux qui se retrouve sans la moindre compagnie (même exécrable), sauf celle de l’astre diurne qui se fait un malin plaisir à lui rôtir la peau. Il crache par terre et continue son bout de chemin, les dents serrées, jusqu’à ce qu’il aperçoive un louveteau vautré sur le sable. Curieux, mais toujours irascible, il se rapproche de la dormeuse, sa queue claquant l’air.
— T’fous quoi poil de fraise !? Tu salues le soleil ? T’sais y va pas te répondre c’t’enfoiré…
Il souffle, dédaigneux, se postant à l’ombre d’un palmier, et observant le tas de poil avec un intérêt inhabituel. Fallait bien qu’il passe ses nerfs sur quelque chose.

Les yeux clos, elle avait entendu des pas s’approchés. Et une vois s’élevée.

— T’fous quoi poil de fraise !? Tu salues le soleil ? T’sais y va pas te répondre c’t’enfoiré…

Lethal ouvrit lentement les yeux, restant dans la même position, stoïque, fixant l’étrange loup. Etirant les pattes, elle soupira. Voila qu’on la tirait de ses rêveries. Elle roula sur le côté, se retrouvant dans une pose plus « normale ». Elle se contentait de regarder l’autre jeune. Ou peut-être était-il vieux… Elle pencha légèrement la tête sur le côté, les oreilles bien droites, toisant la chose.

Maverick regarde la loupiote lentement s'éveillé de son rêve, les paupières plissées et les sourcils froncés. Il grommelle dans sa barbe, avant de s'énerver, ne constatant pas de réponse de la part de l'intéressé.
— T'es sourde ? Ou trop débile pour m'répondre !?
Le regard insistant en rajoute... Et bientôt, c'est la goutte de trop. La goutte qui fait définitivement pencher sa patience, la renversant au sol.
— Qu'est qu'y a ? .. J'ai l'air d'Swiftkill la gentille pouffe ?!
Il se rapproche de la petite, se redressant, et sans façon, s'assoit sur elle.
— Si t'es si accroc à l'étalement au sol, j'peux t'aider, "partenaire".
Il grince sur le dernier mot, et effectue un mini bond avant de retomber sur la femelle, plus irrité que jamais.

Le petit vieux laisse la loupiote s’extraire de son emprise, constatant qu’elle a enfin une réaction. Pas trop tôt.
- J'peux savoir ce que tu m'veux au juste ? J'suis navrée si t'as eu une journée pourrie, mais vient pas m'faire chier pour évacuer tes pseudos-frustrations.
— Haha. Elle est bien bonne celle là. Navré.
Il considère la fille d’un œil distrait, bien qu’il soit surpris de voir tant de vocabulaire jugé familier dans sa bouche de paresseuse. Une sœur non identifié de Reicher ? Il ravale un soupir, faisant claquer sa langue par la même occasion.
— Pfeuh. C’est sur qu’une loque comme toi préfère s’endormir que d’faire quoique c’soit.
Un son semblable à un sifflement s’échappe de sa gorge, à mi chemin entre un ricanement et le « sssss » si typique au serpent. Bien que peu de choses semblent les différencier, Maverick ignore cette information. Il la repousse, même, plus agressif et cynique que jamais. Comme deux aimants se repoussant l’un l’autre.
— Qu’est ce que j’aurais put interrompre de si important ? Des fantaisies sur l’camp des hommes ? De ton prince charmant ? Ou des rêves de gamine ? Il s'avance, plantant ses yeux dans ceux de l'autre. D'solé princesse, mais vas falloir s'réveiller. Les rêves n'existent que pour être brisés.

Au moins, j'suis une loque qui a d'la gueule, pauvre tas.
— Une gueule à s’faire asseoir dessus, ouais. Réplique t-il, sarcastique.
La réaction de la femelle vient lui faire arcquer ses sourcils, et il replie une de ses pattes avant sur le coup de la surprise. Mais son air railleur et acariâtre revient bien vite.
- Ohhhh, car toi t'as aucun rêve ? T'es trop con pour en avoir en fait, c'ça ? Pauvre mec. J'te plains.
— J’t’emmerde. Ravale ta pitié et étouffe toi avec.
- J'doute que ta vie sois tellement bien. Tu ne t'évades pas dans tes rêves toi ? Tu n'as pas un monde dans lequel te réfugier ?
Il pouffe presque à la déclaration de l’autre. Presque. Il s’agit de Maverick. Rire lui est quasiment étranger.
— De quoi t’as à t‘évader ? Laisses moi rire… Vas te brosser le cul avec un cactus. P’être que tu comprendras qu’les rêves ne sont qu’ça après.
Il retrousse ses babines. Rêver. Il s'y était adonné... Et avait trouvé cela inutile. Et cruel. Rêver c'était se voiler la face. Et il n'avait pas envie de se construire un monde de mensonge. Non. Il affronte la tempête de face. Et il n'y pas de bouée de secours.
- Les rêves existent pour nous maintenir en vie.
Maverick regarde la petite s’en aller, et la hèle de loin. Un rictus lui tordant les babines.
— Ils existent pour t’asservir et t’mette sous perfusion. Et après t’oublies d’vivre. Et tu fini comme ça : une loque. Mentale du moins.

Elle explose, se retournant brusquement, et se jetant sur Maverick de toute sa ridicule masse.

- Mais ferme ta gueule putain !

La colère déforme ses traits, ainsi qu'une profonde tristesse. Lethal était là, les larmes aux yeux, mitigée entre fuir et lui faire bouffer le sable. Pour qui se prenait-il à la fin ?

- Etre une loque ? Rêver nous fais croire. Nous dis qu'il y a de l'espoir. Et moi, je veux croire en ça.

Elle recula, comme si le toucher de Maverick l'avait brûlé, alors qu'elle lançait un regard fragile au mâle.

- Je ne veux pas être bouffée par le vide.

Maverick tique au contact, montrant les crocs, soutenant le regard furieux de la femelle. Une seconde de plus, et il allait la mordre. Mais cela n’arriva pas. Au contraire, Lethal s’écarte de lui, comme touché par une révélation soudaine aux allure de piqure de frolon.
Etre une loque ? Rêver nous fais croire. Nous dis qu'il y a de l'espoir. Et moi, je veux croire en ça. Je ne veux pas être bouffée par le vide.
Laissé à moitié stupéfait par le changement d’attitude de l’autre, il se relève, méfiant et sincèrement perplexe.
— Tu rigoles là ? De nous deux, je devrais être celui qui s’pisse le plus dessus pour son putain d’avenir.
Crache t-il, mais sur une note subtilement moins agressive. Non. Ce qui domine sa carcasse, en cet instant, n’est pas la colère, mais plutôt un mélange d’agacement et de gêne. Les émotions, brutes et chaotiques s’entrechoquent dans son cœur. Pourquoi donc voyait-il dans cette pisseuse à moitié végétative un lointain souvenir de son propre état !? Il étouffe un grognement de dégout, une moue sombre et réprobatrice creusant ses traits. L’image que lui renvoyait cette énergumène attise beaucoup trop de choses qu’il aurait préféré garder enfouie…
— A force de trop trembler, on finit par tomber. Regardes toi ! J’commence à sérieusement m’demander si tu crois un seul mot de ce que t’as déblatéré…
Il souffle, bruyamment, et s’avance soudainement vers la loupiote. Comme pour la secouer. La mettre à l’épreuve, devant le fait accompli.
— Si tu crois sincèrement aux conneries que t’as dites, tu devrais pas trembler. Il détourne la tête, tentant d’ignorer le regard dérangeant de la folle. Alors trembles pas.
Finit-il sur une voix beaucoup moins forte, sonnant comme un conseil camouflé en ordre.

- … Je. J’tremble pas. J’veux pas trembler. Ces p’tains d’pattes m’écoutent pas. C’juste ça.
— … Ou peut être qu’elles t’écoutent trop. Finit Maverick sur une voix plus calme, bien que toujours grésillante, se reculant quelque peu. Il ne vit pas la même situation qu’elle, jamais il ne le pourra, tout comme jamais elle ne pourrait vivre sa situation… Il ne sait pas par où commencer, ce qu’il doit dire, ce qu’il ne doit pas dire… Alors il opte pour une honnêteté tranchante. De toute façon, il n’allait jamais par quatres chemins. Il soupir, reprenant la parole, mal à l’aise.
— Pffff… J’crois que t’as pas bien saisi. On tremble pas forcément que d’une seule façon. La peur c’est trembler. Et t’as peur. De quoi, j’en sais foutre rien…
Il voit bien que la femelle est bel et bien à cran dans son ciboulot. Un écho, une résonnance, un lien infime s’est établi. Et il ne peut pas l’ignorer. Parler de problèmes, de hantises, bien que ce soit des choses courantes pour lui, communiquer une compréhension quelconque reste encore inconnu de son expérience. Jamais personne n’a fait l’effort de voir, de ressentir, de palper la créature terrer derrière les rides et l’amertume. Et personne ne le ferait, sans doute. Alors pourquoi était-il encore ici, à contempler son interlocutrice non plus comme une source de dérangement, mais comme une personne dérangée, potentiellement ouverte ? Peut être étais ce justement ça. Les masques tombent, et avec eux, se révèlent la chair torturé, et les âmes effrayés. Et ça, cela change tout.
— Mais ça m’a l’air d'être putainement grave…
Il s'écarte un peu plus, lui faisant dos, immobile. Pas préparé à un rejet. Pas préparé à une nouvelle pique dans sa peau. Cela change tout ? Ou si peu ?
— Au moins, ton corps parles pour toi... Moi, je peux crever avant qu'il m'écoute.
Une moue déforme ses traits.

Elle l'écoute doucement, sans l’interrompre. Elle n'avait jamais aimé parler, mais écouter, ça, elle savait le faire. Lentement, elle sent ses pattes reprendre leur état normal, alors qu'elle toise Maverick d'une expression neutre. 

- Oh...

Ses oreilles tombent basses dans sa nuque, alors qu'elle détourne le regard. Au fond, peut-être était-elle vraiment égoïste, ou égocentrique. Elle n'en savait rien à vrai dire, tout était si flou. Elle ferme les yeux, lâchant un soupir.

- Au fait. C'quoi ton nom ?

Il attend. Rien ne vient. Dissonance. Ses oreilles s’agitent, à la recherche des reproches, encore plus concentré qu’auparavant. Toujours rien. Ses pupilles se dilatent peu à peu. Quelque chose va venir. Quelque chose doit venir.
- Au fait. C'quoi ton nom ?
La question le surprend et sa queue tique. Sorti de son attente aux allures de trance compulsive, il ronfle des narines. Son dos se redresse tandis qu’il regarde de biais la femelle qui aurait put dédaigner sa présence, ses yeux revenus à un état stable.
— Maverick.

Elle pencha légèrement la tête sur le côté face à l'attitude du mâle. Que craignait-il comme ça ? Bien que Lethal était prête à lui sauter dessus quelques minutes auparavant, elle était loin d'être en mesure de blesser l'autre Blackblood. Après tout, elle était taillée comme une brindille comparée à l'autre brun !

- Maverick.

Ah, il répondait tout de même à sa question. Lethie reposa ses yeux sur le dénommé Maverick, se redressant légèrement.

- Moi c'est Lethal.

Aucun sourire, aucun rictus, pas un tic. Aucune émotion ne venait déformer ses traits, son visage était seulement peuplé par un profond vide, un désert de réponses physiques.

- Pourquoi tu dis que ton corps ne t'écoutes pas ?

- Moi c'est Lethal.
— Grmmm.
Manière distingué de dire qu’il s’en fout légèrement. Ou qu’il a entendu. Qui sait avec lui, un grognement peut signifier milles choses. Relevant lentement ses paupières, il se tourne vers la femelle de manière à lui faire face, discrètement, à la fois interdit et méfiant de son attention nouvelle.
- Pourquoi tu dis que ton corps ne t'écoutes pas ?
Il ronfle à nouveau par ses naseaux, en profitant pour s’étendre sur le sol. La fraicheur du sable sous la couche exposé au soleil pouvait faire un bien fou à ses articulations, et il ne va pas se privé de pouvoir faire baisser sa température corporelle pour cause de début de conversation, quitte à mettre deux plombes à répondre. Le soleil, après tout, ne se gene pas pour cuire son échine. Pourquoi devrait-il se gêner, lui ? Après un certain laps de temps, temporairement soulagé, il tourne sa tête vers la dénommé Lethal. La fixant yeux dans les yeux, un sourire moqueur nait sur ses lèvres.
— A ton avis ? J’ai l’air d’une grenouille en pleine santé qui sautille dans sa marre ?

Lethal se laissa glisser sur le sol de l’oasis, collant sa tête contre le sable. Elle fixait Maverick d’un regard vide, lointain, comme embrumé. Elle se roula en boule, fuyant le regard de l’étrange loup.

- … Exactement.

Un bâillement suivit sa réponse, alors que ses yeux se fermaient tranquillement.

- .. Continue donc de croasser la grenouille… ~

Son ton était endormi, et à vrai dire, elle ne tarda pas à plonger dans un sommeil bien mérité. Après des nuits d’insomnie, la jeune louve avait enfin réussi à rejoindre le monde des rêves.

- … Exactement. Continue donc de croasser la grenouille… ~
Le sourire de Maverick s’efface lentement. Il fronce les sourcils, de nouveau irrité.
— Tu t’fous d’ma-
Mais déjà, la femelle est endorme d’un sommeil qu’on ne peut guère entravé. La gueule entrouverte sur le coup de la surprise, le malade se rapproche de Lethal, à la fois atterré et stupéfait. Il donne quelques coup de griffe dans le corps inerte, toujours sur le choc.
— Sérieuuuuuux meuf ?
Il soupir, levant les yeux au ciel, constatant la véracité et l’intensité de l’épuisement de la concernée. D’un mouvement hachuré, il passe par dessus la loupiote, la laissant à ses rêveries, blasé, bien qu’un éclat ironique résonne dans sa voix.
— Reste à ton sable et grille toi les miches si ça t’amuse, fraise. Moi j’vais aller m’tremper.

THE END.