Premiers pas vers l'inconnu

Elle roupillait là, sur ce gros caillou entremêlé de lianes, depuis un bon moment déjà. Installée aussi confortablement qu'un jaguar, mais avec peut-être une touche manquante d'élégance et d'agilité, Cal' n'avait planifié en dégager avant longtemps. Après tout, monter-là n'avait point été un jeu d'enfant, même si certains troncs déracinés lui avaient facilité le parcours. Enfin, il y avait quand même bien une raison pour laquelle les loups étaient des animaux terrestres : ils n'étaient pas supposé s'élevé à plus de quelques centimètres du sol. Même ici, à environ sa taille et demi de haut (quand elle était debout), ses perceptions commençaient à être brouillée. 'fin, peut-être n'était-ce que le manque d'habitude, qui conditionnait son esprit à se répéter sans cesse que cette élévation lui était bizarre. Bizarre et inconfortable. Mais ! Le sommeil se trouvait un peu partout, dans son cas à elle, et au moins ce rocher avait l'avantage de capter bien plus la lumière qu'elle n'y serait parvenu en restant à sa base. Et le sommeil, par-dessus toute chose, était sacré.

Cependant, certaines gens ne semblaient pas encore avoir compris ce principe de vie. Ou peut-être n'étaient-ils point au courant de sa présence. Dans tous les cas, leur bref échange ne mit pas beaucoup de temps à la sortir de sa léthargie. Aussitôt, elle voulut y replonger, mais bien vite les mots montèrent vers elle et virent s'infiltrer dans ses tympans, se logeant entre sa fatigue et elle. Ou plutôt, érigeant une solide barrière entre le monde onirique et son pauvre esprit qui désirait tout sauf être éveillé. Après de longues minutes à tenter de se rendormir, sans succès, et d'écouter d'une oreille involontaire Kriss chialer, pendant qu'Oren tentait de le tempérer, la Princesse décida qu'il était encore préférable qu'elle se lève et fasse quelque chose de sa vie, plutôt que de rester prostrée à geindre que le sommeil la fuyait. Du coup, la jeune femelle s'étira longuement, bailla dans un grognement, puis parvint à descendre en trois bonds de son perchoir. Cheminant de quelques pas dans la végétation, elle parvint bientôt à voir les silhouettes des deux loups et s'approcha dans un soupir refoulé. Elle regarda d'abord Oren, l'aîné, guérisseur de surcroît et le salua d'une légère inclinaison de la tête.

- Oren. Puis elle se retourna vers la petite boule de poils, et éleva inconsciemment la queue ; comme un mouvement de protection envers sa royauté, devant cet ennemi potentiel. Puis, elle abaissa légèrement le cou, pour mieux orienter son regard vers Kriss. Tant de mots pour dire si peu, ou en dire si long sur un esprit fermé ! Elle pencha la tête de côté, curieuse, et son oreille tiqua vers le haut. Tout les mômes de la Reine sont-ils huppés sur leur qualité de langue, ou toi et l'autre Shank n'êtes que des exceptions ?

En vu de l'air s'affichant sur le visage du si jeune loup, Calamité fut prise d'un certain regret. Certes ses lamentations lui avaient définitivement aigri l'humeur, mais ce n'était pas pour autant qu'il était juste de rabaisser Kriss au sol -- enfin, même s'il y était déjà. Son attitude n'avait pas été juste mais portée par l'irritation du moment; toutefois, il se pouvait qu'elle ait un peu trop de fierté pour s'excuser aussitôt au loupiot. Ou, peut-on aussi dire, elle n'eut pas le temps de le faire avant qu'Oren n'intervienne à sa défense, en tant qu'observateur impartial.

- En fait, je doute que tous les mômes soient ainsi, mais je me demande bien ce qu’il y a de mal à avoir un langage soigné.

La tête légèrement penchée sur le côté, la louvarde contemplait le guérisseur et tentait d'analyser et d'évaluer ses propos, sans faire attention au manège que faisait Kriss, sur son nénuphar. Elle n'entendit ainsi pas ce qu'il grommela entre ses crocs (ce qui était presque aussi bien) et songea à ce qu'elle pouvait répondre. Oren avait, après tout, une certaine (grande) dose de véracité dans ses propos. Qu'est-ce qu'il y avait de mal dans cela ? La réponse lui filait entre les pattes pour le moment, mais si elle s'en était trouvée irritée, c'était peut-être parce qu'il y avait vraiment quelque chose. À vrai dire, elle n'aurait pas tellement plus apprécier la même attitude chez un adulte; on dirait que puisqu'ils étaient deux gamins, deux concurrents pour le trône, c'était encore pire. Gardant cette idée en tête, Cal finit par lancer la première impression qui lui était venue à l'esprit en croisant les deux frères :

- C'est pas vraiment un mal. Sauf qu'il y en a un qui parle sans penser, et l'autre pense trop pour agir.

Et comme pour démentir ses propos, un grand "splash" se fit aussitôt entendre. Calamité eut à peine le temps de détourner vivement la tête vers l'origine du bruit que la silhouette sombre de Kriss disparaissait dans les flots glauques. Criant un " Merde !" bien fort, la louvarde se précipita au bord de l'étang et scrutait les remous. Elle en était encore à se demander si elle devait plonger à son tour ou non (bien que l'idée de manquer de se noyer à nouveau ne l'intéressait guère..) quand le loupiot agrippa enfin la terre ferme et se hissa avec difficulté. Calamité se recula de quelques pas, afin de lui laisser place. Elle lança un bref regard à Oren, l'air de lui demander "On fait quoi ? Il va bien ?" puisque le guérisseur, c'était lui, puis se reprit. Si elle voulait un jour commander, c'était à elle de prendre en main la situation. À nouveau, elle s'approcha par mouvement prudent et abaissa sa nuque pour arriver à la hauteur du petit mâle.

- Ça va ? Lança-t-elle d'un air désolé.

- Il y a eu plus de peur que de mal, laisse-lui un moment.
Le temps d'une respiration, d'un clignement de paupière, la louvarde fut rassurée par ces propos. Après tout, c,était vrai que Kriss n'avait pas l'air trop mal en point : il semblait capable de bouger et ne se tordait pas de douleur. Pendant un instant, il semblait simplement hébété, au point que Cal ne se demande s'il était en état de choc. Heureusement, il se mit bientôt à tousser, cracher du liquide, ce qui devait bien être un bon signe.. Si ? Dans le doute, elle se référa à l'attitude d'Oren ; comme son air professionnalisme n'était pas trop affecté, elle se dit que la situation n'était pas tant alarmante. De fait, la quinte de toux finit par diminuer puis s'éteignit pour de bon, laissant le louveteau fatigué mais en bon état. Finalement, Oren reprit comme si tout était à nouveau normal et commenta sa précédente remarque :
- Et puis pour ce qui en est de parler sans penser ou trop penser pour agir, je crois qu’il y a toujours possibilité de s’améliorer, après tout, ceux dont il est question ont la vie devant eux.
Préférant réfléchir avant de répondre, elle garda le silence.
- Vous pensez réellement qu’il est possible de s’améliorer cela malgré l’écrasante fatalité présente ?
Malgré tout, un sourire pointa sur son visage et elle dû se retenir à temps de rouler des yeux, préférant finalement lancer un regard à Oren l'air de dire "tu t'occupes de ça". Comme s'il s'était rendu compte de son expression, Kriss se tourna un peu plus vers elle, l'air piteux mais voulant s'expliquer :
- Mais, vous savez, c’est souvent la tare de quelque chose qui se traduit par une certaine aisance à parler. Excusez-moi, je m’égare, je, …désolé.
La petite femelle haussa les épaules pour chasser ces excuses avec désinvolture, n'en voyant pas l'utilité. À vrai dire, son esprit avait accroché aux pensées transmises, c'est-à-dire ce boulet qui semblait l'avoir retenu depuis la naissance mais n'empêchait pas des espoirs de se former. De quelle tare pouvait-il bien parler ? Suspendant une première phrase, Cal se retourna vers le guérisseur et commenta avec un certain air de regret :
- Sauf que, c'est triste de les voir comme ça si jeunes. Ils devraient simplement gambader partout et avoir du plaisir, plutôt que rester dans leur bulle illusoire..

- Quelle fatalité petit? Il y a toujours possibilité d'apprendre. Lorsqu'on apprend à se connaître soi-même, on peut apprendre à connaître les autres, quand on apprend ce dans quoi on excelle, on peut apprendre à se rendre utile et quand on apprend à s'apprécier soi-même, on apprend qu'on a de la valeur malgré tout ce qu'on peut nous dire. Et puis, comme je le demandais à la demoiselle auparavant; qu'y a-t-il de mal à bien parler? Qu'y a-t-il à excuser, tout le monde a droit à son opinion non? Et puis il n'y a nulle honte à être soi-même.

Elle avait écouté le guérisseur parler, murée dans un silence pensif comme elle laissait ces paroles se tailler un chemin à travers son esprit. Des mots de sagesse avec lesquelles elle tombait en accord, peut-être pas aussi endiablés que ceux qu'elle-même aurait produit, mais peut-être aussi meilleurs. Calamité se tut donc, ne sachant pas spécialement quoi dire, ni comment le dire, et préféra rester en retrait - pour l'une des seules fois dans sa vie. Lorsque Kriss admit (à nouveau) sa faiblesse et mentionna avoir froid, la loupiotte afficha une mine désolée sur son visage, mais comme Oren s'était d'abord proposé à le réchauffer, elle n'esquissa de gestes. Finalement, comme la situation s'éternisait, elle en vint à la conclusion qu'elle n'était décidément pas vraiment à sa place en ce moment, et qu'il serait préférable qu'elle les laisse seuls. Peut-être qu'un tête à tête aiderait Kriss d'une certaine façon. Elle s'éloigna donc de quelques pas, puis s'éclaircit la gorge et déclara :

- Si tout est sous contrôle, je vais vous laissez. Porte toi bien, Kriss.

Un air contrit vint s'afficher à son visage suite à cette pensée. Elle espérait vraiment qu'il puisse aller mieux, se sentant mal que cela n'était pas le cas. Puis elle se figea dans son mouvement, lorsqu'elle se rappela qu'elle pouvait peut-être aider d'une certaine façon. Oren avait beau être le guérisseur, il ne pourrait probablement pas quitter le loupiot et le laisser mourir de froid le temps d'aller chercher un remède. Elle tint donc à s'assurer, avant de partir :

- Avez-vous besoin de quelque chose ? De nourriture, peut-être ?

Comme elle s'en doutait, Oren ne manqua pas de saisir l'opportunité d'avoir un peu de nourriture pour le jeune en sous-alimentation. Cela ne la dérangeait pas vraiment, d'où le fait qu'elle l'eut proposé, mais elle doutait parvenir à attraper un repas convenable avant très longtemps : disons que si elle était encore en entraînement de chasseuse, ce n'était pas pour rien. Elle préférait donc confier ce rôle à un autre.. dans l'idée peut-être aussi d'aller poursuivre sa sieste, interrompue par Kriss et Oren. Oui, bon, disons que la paresse lui collait un peu à la peau en cette lourde journée d'été.

- Très bien, je vous envoie ça dès que possible.

Sur ces derniers mots, elle salua donc le duo qui s'était à présent collé ensemble, l'ignorant quelque peu. Roulant des yeux, Calamité s'en détourna une nouvelle et fit lentement claquer sa queue dans les airs, comme elle retournait au séquoia couché. Rendue là, elle trouverait bien quelqu'un pour venir leur porter de la nourriture.