Encore elle !

Encore elle !
{An 4, Automne ; Priorité à Dagger}



Campé sur son territoire auto proclamé, le prince d’Alteron compte ses trophées, surplombant une dune de sable base. Malheureusement, la meute des loups poissons s’était avéré bien pauvre en effectifs, et les queues et autres extrémitités poilues arrachés en signe de conquete n’affluaient donc guère à ses pattes. Cela rendait Shank irrité et terriblement fébrile. L'occasion si unique de faire ses preuves se solderait-elle que par un aussi piètre butin ? Car pour lui, les esclaves ne servaient à RIEN. Trop faibles pour représenter un réel défi et trop utiles pour servir les divers desseins des loups plus haut gradés, ils étaient, quelque part, encore plus inutiles que les omégas, sur lesquels on pouvait au moins se défouler les nerfs. Un oméga. Voilà justement ce dont il a besoin ! Se levant de son promontoire, il ordonne au malheureux désigné (en ce cas, Lur) de veillé sur ses possessions, et se dirige d’un pas soutenu vers les environs. Trop occupé à chercher des potentiels défouloirs, il ne remarque pas la petite silhouette sombre en plein dans sa trajectoire, et la heurte violemment.
— HEY T’PEUX P-TOI ?!!
Il retrousse instinctivement ses babines devant l’individu, encore plus à cran par sa seule vue, et nullement impressionné par son air sinistre. Voyez vous, Shank ne recule pas, en bonne tête de mule qu’il est. Même quand il serait plus sage de pliez bagage et de s’éloigné devant l’assassine la plus en vogue de l’expédition, et accessoirement un membre de la troupe d’élite d’Alteron, le poignard de la reine : Dagger.

Le contact initié par Shank ne tarde pas à faire son effet. Hérissé, l’autre le fusille du regard, aidé de ses orbes mauves. Regard qu’il lui rend bien, détaillant la réaction aggressive de la femelle avec un mélange de nervosité et d’adrénaline. A cran, il l’est. Mais il ne s’agit pas (encore) de sauté sur n’importe qui. Sa mère ne serait surement pas contente s’il abimait un de ses sujets gratuitement, le lendemain d’une victoire éclatante. Sauf qu’il y avait un autre problème qui s'insinue à travers son raisonnement très sommaire : cette louve n’est pas n’importe qui. L’adversaire officieuse du prince dans le cercle d’attention de sa bien aimée mère le toise, puis, comme ennuyée par sa présence, revient à un état de stoïcisme rare.
- Prince, par ses temps-ci il n’est pas bon de vouloir sauter sur quiconque. Surtout quand vous connaissez mal qui vous avez en face de vous.
Il grogne légèrement, indécis. Autant face à la retombée de menaces gestuelles que ses propres désirs. L’attaquer ? Il en meure d’envie. Mais la reine apprécie cette hurluberlue, pour une raison sans doute trop obscure pour lui. C’est vrai quoi, cette femelle faisait peine à voir : elle était si fine qu’il pourrait la casser en deux s’il s’asseyait sur elle le ventre rempli ! Bref, encore septique de la raison de tant d’égards à son encontre, le jeune prince ne démord pas, et reste planté en face de sa rivale, la queue légèrement relevée, répliquant du tac au tac.
— Je saute sur qui j’veux d’abord ! J’ai b’soin d’trophées !
Déclare t-il, comme si cela expliquait tout. Peut être que tout ce que le fils ainé de Rapier attend, c’est une preuve du grand prestige de cette soi disante experte à la tuerie. Et quoi de mieux que de se jeter (littéralement) dans la gueule du loup ?
— Et toi tu m’connais p’ être ?!
Ou peut être qu'il est tout simplement stupide.

Inconscient du danger, de la menace que représente réellement la femelle, le prince ne fait pas attention à sa garde et à sa posture, laissant sa némésis avec un champ d’action quasi infini sur son corps. Présomption mélangé à la lenteur d’esprit typique du louvard gris et une jalousie naissante ayant achevé leur travail, il ne reste plus à l’assassine qu’à faire le sien. Chose qu’elle ne tarde pas à exécuter. D’abord vienne ses coups de patte semblables à des pichenettes d’insecte désagréable. Il montre les crocs, prêt à ordonner de stopper son petit jeu, énervé, jusqu’à ce que les membres frêles et sombres de l’autre disparaisse complètement de sa vue, et qu’une vive douleur lui entaille le dos. Pris au dépourvu, à la fois apeuré et enragé comme une bête surprise, il se secoue, son coup puissant supportant une tête à la recherche d’une cible.
- Vous parlez trop pour le peu d’actions que vous faites novice.
Il la voit à nouveau. Enfin. Juste en face de lui. Avec du sang sur la gueule.
- Votre garde est bien trop ouverte, j’aurais très bien pu planter mes crocs au lieu de vous frôler avec ma patte.
Son sang. Une question passe fugitivement dans son esprit : comment a t-elle fais ça ? Mais, malheureusement, son instinct est plus fort que les minces réflexes réflexifs qu’il possède et qui commencent à se développer plus profondément dans ses cellules. Repoussant l’emploi de matière grise avec acharnement dans un recoin de son cerveau, les paroles de sa mère, la rage et la soif de domination l’emportent, sans pitié.
- Sachez que l’habit ne fait pas le moine. Ne sous-estimez jamais vos adversaires.
Il ne l’entend déjà presque plus. La bouche de Dagger s’agite dans le vide. Ses mots entre par une oreille et ressorte par l’autre. Raclant la terre comme un taureau prêt à charger, il relève les babines, et se met en position d’attaque. Un moment s’écoule, où le silence, opaque, s’installe entre les deux belligérants. Puis, avec une vitesse insoupçonnée pour sa carrure, le prince fonce vers elle, la percutant de plein fouet. Il referme sa mâchoire sur l’un des monceaux de chair le plus proche, serrant à s’en casser les dents, en profitant pour essayer de l’écraser avec le reste du poids de son corps. Dominer. Faire mal. Fracasser. C’est tout ce qui compte en cet instant fatidique.

Face à elle le jeune n’écoutait rien. Tout cela se lisait sur son visage. Il était déboussolé, il ne parvenait certainement pas à comprendre une si petite créature avait réussi à lui mordre si facilement le dos. Intérieurement Dagger soupira. La nouvelle génération était bonne à rien. Plus le temps passait et plus les jeunes ne servaient à rien. Shank fixa les babines rouges de l’assassine. Il était en rage de voir son propre sang dans la gueule de quelqu’un d’autre. Et surtout dans la bouche d’une petite si calme. Dagger sentit le mâle ne plus en pouvoir, il allait bondir.

Il était large d’épaule mais ses pattes semblaient plus agiles. Même si cet abruti n’était pas une lumière son physique lui permettait d’être le chouchou de la Reine, donc il était entraîné. Mais sa bêtise l’avait certainement empêché d’écouter à fond les leçons de son mentor. Dagger était prête à lui montrer sa force insoupçonnée. Alors elle ne bougea pas, l’attendant. Bien évidemment elle se le prit de plein fouet. Il était impatient de planter ses crocs dans sa chair, il était avide de pouvoir, de domination. Sans même faire attention Shank prit le premier morceau de chair à sa portée, il ne fit donc pas la différence entre un point vital et une blessure superficielle. Dagger ne tenait pas à être amochée elle lui se protégea donc de sa patte, son « bras » plus exactement, juste en dessous de son épaule. Elle n’était pas très dodue comme louve, donc pas beaucoup de chair. Pour le reste de son corps le jeune tenta de le basculer sur la femelle pour l’écraser littéralement. Mais elle ne l’entendait pas de cette oreille. Certes il la tenait fermement à la patte droite, mais elle n’avait pas dit son dernier mot. Bien au contraire, ce n’était que le début.

Son museau très fin n’eut aucun mal à se faufiler sous la gueule du mâle, et là, elle attrapa sa peau au niveau de la gorge. Juste la peau pour ne pas non plus le tuer. Elle tira, un coup, deux coups. Puis dans un élan elle se laissa tomber sur le sol et grâce à sa vitesse elle glissa sous le corps du louvard. Le tenant bien à la gorge et celui-ci ne lâchant pas sa prise, elle arriva donc à sa fin. Le faire basculer.

Elle enfonça davantage ses crocs et son regard mauve le transperça. C’était une gentille proposition pour lui dire de lâcher sa patte. Dagger grogna, les oreilles plaquées, ils étaient toujours liés. Le poignard de la Reine apprenait donc la vie au fils de la Reine. Rien que de voir le gros tas devant elle, elle ne put s’empêcher de soupirer intérieurement, encore et toujours. Vraiment les autres c’était pas son truc, rien n’était mieux que la solitude.

Comment réagir quand votre cerveau vous refuse l’accès à d’autres comportements ? Comment adopter un autre point de vue quand votre mère vous as dis de ne ployer le genou devant quiconque qu’elle ? Comment canaliser une rage si intense par des brides de pensées ? Shank ne sait pas. Il ne sait pas, et cela l’énerve. Il sens, à la lisière de sa conscience, qu’il rate quelque chose. Une chose mise hors de sa portée. Ce n’est pas faute d’avoir essayé de contenter les appétits de sa mère pourtant. Mais rien à faire. Un blocage persiste, installé en fier bastion, imprenable. Il déteste y penser. Il déteste ne serais ce que le reconnaitre. Un fort n’a pas besoin de ça. Ou, tout du moins, c’est ce qu’il n’a cesser de se persuader. Mais devant lui, une petite créature l’a touché, l’a entaillé, l’a fais saigner de ses crocs. Profitant même de son aveuglement, elle l’a retourné comme une crêpe, et lui quémande maintenant de la relâcher, lui tirant la peau du cou de ses tenailles minuscules.
— Grrrrrr...
Ce n’est pas sa place de demandé cela. Il est un prince ! Il est le fils de Rapier ! Un prince ne saigne pas ! Et encore moins un être fort, fruit de la grande reine !!!
Tout cela ne fait aucun sens. Il ne comprends plus.
Dans un élan de défi magnifique, le louvard lâche la patte de l’assassine pour mieux saisir sa tête. Utilisant instinctivement son poids et l’élan procuré par le mouvement pour transformer leur propre masse en massue, il l’entraine dangereusement vers le sol, visant à l'assommer. Littéralement. Un grand choc survient, résonnant dans son corps et celui de son adversaire, signe de l'accomplissement de son éclat soudain. Tenant toujours la tête de Dagger entre sa gueule, il la domine de sa masse, presque allongé sur elle, fébrile, mais fier. Tout du moins, pour l’instant.

Shank grogne entre ses crocs, sa salive se déversant allègrement sur sa prise tandis qu’il résiste à l’envie de broyer sa proie. Ses instincts, à lui aussi, sont violents et primaires. C’est d’ailleurs grandement grâce à eux qu’il a réussi à déstabiliser son adversaire, et se tient maintenant au dessus d’elle, la queue haute, dominant. Leur lutte ressemble à une danse bien instable, où celui qui as le dessus est sitôt renversé et trainé dans la poussière. Deux bêtes à la soif de sang prononcé, et pas facilement impressionnables. Bien évidemment l’expérience du poignard joue contre lui. Et c’est avec une certaine nervosité fébrile qu’il constate que le sangsue ne lâche pas prise, comme si le simple fait de s’éloigner de sa peau la brulerait. Il souffle bruyamment, envoyant sans doute une bonne rasade de bave dans la figure de Dagger. Même ainsi elle n’abandonne pas. Si les circonstances n’avaient pas été les mêmes, il aurait sans doute admiré la persistance de la femelle. Mais voilà : les circonstances dépassent le jeune prince. Déboussolé, il se raccroche à son envie de domination, jaloux, perdu, ignorant les points communs qui semble unir les deux combattants dans cet affrontement stérile.

Elle bondit à nouveau, comme éveillé d’un long sommeil. Il s’y attend presque, et resserre dangereusement son étreinte sur son crâne, menaçant de faire couler le sang de l’assassine à tout instant. Il sent ses lames, minuscules, percer sa peau. Des coups, aussi, plus légers encore, entaillent son ventre. Il émet un son puissant, rauque, semblable à un râle, écho de celui du parasite accroché à son cuir animal. Tous deux sont dans une impasse.
N’y pouvant plus, il décide de faire cesser les titillements irritants des pattes arrière de Dagger, levant une de ses pattes avant pour lui porter un coup puissant en plein dans l’estomac, lâchant sa prise sur sa tête, mimiquant la femelle dans sa prise de point stratégique en déportant sa mâchoire sur sa nuque. Enfin, il use de son autre antérieur comme un repoussoir de la plus dangereuse de ses armes : ses crocs. Il persiste, frénétique, donnant de plus en plus d’ampleur à ses coups, cherchant à propulser le tête de la louve comme un projectile de catapulte. Ses grognements se sont amplifiés, d’autant que son étreinte. Le sang du poignard macule bientôt ses canines, tandis qu’il s’agite contre le sol, frénétique, cherchant à expulser la tique par tous les moyens possibles dans un vacarme croissant.

La tension est au maximum. La louve lâche sa gorge tandis qu’il continue à s’acharner sur sa gorge et sa tête, perçant tout de même un morceau de peau, un filet de sang coulant à présent sur son pelage ébène.
Un coup, unique, surgit, réponse à son agression. La douleur suit, ombre du mouvement acéré du poignard. Shank émet un gémissement bref, entre surprise et souffrance. Il sent les pans frontaux de ses babines écartées par l’ivoire, maintenant suivi d’un bout de sa truffe. Il ferme momentanément les yeux, avant de lâcher subitement prise et de repousser une bonne fois pour toute la nuisance d’un coup puissant d’épaule, sa gueule maculé d’hémoglobine et de salive mélangée. Il se tient toujours sur ses quatre pattes, mais de peu, résistant obstinément à la fatigue, les brulures croissantes de sa peau et sa chair mises à nues et le gout atroce de défaite qui flotte sur sa langue. Une sensation étrange lui parcoure le dos. Son poil se hérisse légèrement tandis qu’il tourne autour de l’endroit où s’est déroulé leur joute, bête en cage, jusqu’à ce que ses membres ne veuillent plus avancer. Ainsi il reste planté tel un soldat de plomb, incapable de faire un pas de plus vers l’assassine, son regard prenant des nuances encore inconnues. La peur. La haine. Finalement, il rugit, perdant patience.
— C’bon, d’gage, t’as gagné !
Dégouté, il se détourne, ses orbes bleus promettant pourtant une belle menace à l’intention de Dagger avant qu’il ne rompe totalement le contact visuel. Une menace de vengeance.

Se détournant de Dagger, le prince ne voit pas le sourire qui anime soudainement les traits de sa Némésis. Le fait qu’il l’a blessé ne le réconforte pas le moins du monde, obnubilé et oppressé par son sentiment d’échec et de fierté perdue. Trop honteux et enragé pour la regarder en face, il s’attend à ce qu’elle déguerpisse, comme il lui a ordonné, colérique. L’air s’engouffre dans ses plaies béantes, ravive ses nerfs, le fait crisper ses mâchoire et ses dents.Un moment s’écoule où il menace de faiblir et de s’avachir à terre, tel un coquillage échoué par les remous. Il se rattrape de justesse, reprenant son souffle, conscient qu’il saigne également du cou. Il grogne, et tourne un instant les yeux que pour mieux constaté que la femelle n’a pas décampé. Un silence lourd s’empare de son être, taisant les pulsions remontant à la surface à la vue de l’assassine. C’est de peu qu’il entend les paroles qu’elle prononce.
- Voyez jeune prince vous avez encore beaucoup à apprendre. Mais je suis certaine que l’aboutissement d’efforts fera de vous un grand Roi.
Pendant un moment, Shank se contente de la dévisager, enregistrant ses mots avec lenteur. Indécis, retenant toujours ses émotions derrière un masque semblable à celui du poignard, bien que beaucoup moins impénétrable, le préféré de Rapier se lèche légèrement les babines. Il va sans doute récolter une belle cicatrice. Cette perspective ne l’enchante pas autant qu’elle ne l’aurait fait tantôt. Pour la première fois, il goute à la défaite, et le plat est dur à avalé…
— Compte là d’ssus, brindille.
La femelle pourrait être sur qu’il y aurait un retour, loyauté ou non. Il glisse un regard vers l’endroit où celui de Dagger pointe, agacé qu’elle ne parte toujours pas, et renâcle, tremblant presque tant il se contient. Il comprend finalement le message muet, et grogne, lançant un dernier regard meurtrier à son homologue.
— Tssssss.
Émettant toute sorte de sons et gongorismes, les dires de la tueuse embrumant déjà son esprit, il balaye le sol de la queue, prenant sa révérence forcée avec frustration, ses pas pesant lourd sur le sable fin. Maintenant, il doit trouver un oméga ET un guérisseur… Décidemment, cette expédition était une hécatombe pour le premier né de la reine.