Sang d'Encre.

Depuis un moment, un sacré moment, Anton, le père de Wagtail, était revenu miraculeusement d'entre les morts -ou des disparus, tout dépend de votre avis-. Ensuite, le départ d'Inaria, Lorien avait voulu les suivre mais toute sa famille c'était opposé à cette fuite. Ils voulaient retrouver ou attendre le retour d'Icepaws, Lorien n'avait pas eut d'autres choix que de rester sur place. Wagtail était absent, Siemy présente mais que physiquement, le reste de la famille, Lorien ne les connaissait pas.
Alors il s'était enfermé dans une sorte de bulle. Il n'avait personne pour penser à lui, alors tant qu'à faire, autant disparaître le plus possible. Il en venait parfois à se sentir coupable d'exister: Il savait combien c'était dur pour Wagtail, toutes ces recherches et toutes ces escapades, ces journées passées à essayer de trouver de la nourriture dans la boue et la flotte, tout ça pour Lorien et Siemy !...
Oh, Siemy... Pas de soucis, elle était un tel rayon de soleil. Même un nuage plus noir que la nuit n'aurait pas put l'empêcher de briller. Elle illuminait la vie de Wagtail, malgré tout: Lorien le sentait bien. Sans elle, qu'est-ce que le chasseur ferait, au fond ?
Mais...
Siemy était un rayon de soleil. Quelque chose que, généralement, on est content de voir, qu'on apprécie.
Lorien n'était qu'une tâche d'encre. Noire. Sombre. Invisible, qu'elle soit dans l'ombre ou la lumière. Une tâche d'encre ambulante, qui était juste là, sur une feuille. Comme si on avait voulu écrire mais que le stylo avait bavé, et voilà qu'on a une grosse tâche d'encre au milieu de la feuille.

Il était très intelligent. Beaucoup trop pour son âge. Il le savait, il brillait d'une toute autre lumière que sa soeur.
Mais bon sang.
Qu'est ce qu'il se sentait différent.
Et seul.
Oh, si seul...

Il aurait bien aimé rester sur Inaria, cela dit, plus tôt que de bouger au Verger. Il y avait jamais personne, au verger. Même s'il avait voulu se faire des amis, non, il n'y avait personne. Pourtant, Lorien était quelqu'un de très sociable qui se faisait très facilement à la compagnie des autres.
Darjeeling, le loup du Nord qu'il avait croisé peu de temps avant l'inondation. Il l'aimait bien, lui.
Mais maintenant, il était sûr de ne jamais le recroiser.
Et de rester seul.
Ah ah ah ! Seul.

Briller.
Seul.
Encre.
Différent.
Seul.
Seul.
Briller.
Différent.
Seul.

- J'en peux plus, assez !!
Lorien était allongé contre une pierre, à l'écart des autres, il se tint la tête tant il n'en pouvait plus de tout ces mots qui lui courraient dans la tête.
Toujours les mêmes.
Il avait mal.
Il se surpris lui-même d'avoir crié aussi fort. Avec un peu de chance, personne n'aurait entendu.
Avec beaucoup de chance, quelqu'un l'aurait entendu et se ramènerais.
La présence des autres ne le faisait pas se sentir mieux. Mais il avait bon espoir que, au bout d'un moment, la solitude s'évapore et qu'il retrouve une vie presque normale.
Il serra les crocs.
Puis serra sa tête.
Avec un peu de chance, elle allait exploser.
Mais rien ne vint. Il attendait cette détonation dans sa tête, son crâne se briser puis s'ouvrir, laissant finalement son sang se verser pour mettre fin à cette solitude qui le rongeait. Mais rien de tout ça: il chopa juste un bon mal de crâne et sentit sa mâchoire se paralyser à cause de la pression qu'il avait exercer dessus.
Wow, Lo', qu'est-c'que tu fous, là ?
T'as raison.

Il laissa tomber ses pattes et déserra ses crocs.
Il n'avait pas beaucoup de chance.
Et en plus il avait mal à la tête.
Il soupira.

Putain.
Lorien avait beaucoup de chance.
- Lorien. Q-quelque chose ne va pas ?
Son grand-père c'était ramené prêt de lui. Lorien se redressa d'un coup, tout sens en alerte, les oreilles dressées, les yeux ronds comme des billes. Il avait mal à la tête. Bon sang, qu'il avait mal à la tête.
- Non, avait-il fait presque sèchement. Se rendant compte d'à quel point son ton avait été dur, il sourit doucement. Un sourire presque forcé, effacé. Non, non, tout va bien !
Puis il s'assit correctement, faisant face à son grand-père.
Son grand-père ?
Il avait encore du mal à réaliser. Un grand mâle à qui vous ressemblez énormément débarque, comme ça, du jour au lendemain en disant "bonjour je suis ton grand-père !"
Lorien avait de la chance d'avoir un grand-parent en vie. Mais il était encore trop mal à l'aise avec lui. Il pétrit le sol avec ses pattes, mal à l'aise.
- Toi, ça va ?

- C-ca va. Oui , ça va. Son rictus s’effaça. N-ne me ment pas s'il te plait... Je suis ton grand père , j'ai connu beaucoup de choses ... Bonnes et mauvaises. Je peux peut-être t'aider ... ? E-enfin si tu veux bien de la compagnie , d'un vieux croûton comme moi...
Lorien sourit légèrement, mais franchement. Il haussa les épaules, détournant les yeux. Il faisait de la peine à hésiter et bafouiller comme ça, comme s'il était vraiment vieux et impossible à trimbaler. Whitewind était vieille, peut-être pas autant balafrée, certes, mais tout de même, et elle avait réussit à faire le chemin le long de la rivière en dirigeant une meute entière. Certes, Anton ralentissait la troupe, mais au fond, Lorien le comprennait.
- Si, ça va. Puisque j'te le dis. Y a pas de raisons que ça aille pas, pas vrai ? Puis il plongea ses prunelles bicolores dans celles de son grand-père. Je réfléchissais juste. J'ai un peu mal à la tête, par contre, il posa sa patte sur son front, j'ai pas de fièvre, pourtant. Ca peut donner de la fièvre, les mal de tête ? Avait-il demandé en faisant mine d'être un enfant stupide et ignorant. Bien sûr qu'un mal de crâne ne cause pas la fièvre, c'est la fièvre qui cause le mal de crâne. Mais ça pouvait peut-être faire plaisir à son grand-père de lui apprendre des trucs. Peut-être que le loup balafré se sentirais mieux à son égard.

- Eh bien , je pense oui. Je ne m'y connais pas en maux mais... J- je crois qu'ils sont souvent accompagnés de fièvre.
Pourtant, vu la tronche de ton torse, on pourrait penser le contraire... Songea Lorien en arquant légèrement un sourcil. Il acquiesça silencieusement, enlevant sa patte de son front.
- Nous avons beaucoup marché. Tu es peut-être déshydraté ? As-tu soif ? J'ai entendu de l'eau , non loin d'ici.
Il tourna sa langue dans sa bouche puis fit mine de mâcher. En effet, il avait soif. Un peu d'eau ne serait pas du luxe.
- C'est vrai qu'on a fait un sacré bout de chemin. De l'eau, tu dis ? Demanda-t-il en l'incitant à le mener jusqu'à la rivière.
Oui, parce que la troupe suivait une rivière pour atteindre l'Oasis. Mais, pour faire plaisir à Anton, Lorien continua son jeu du gars un peu largué.

- Je peux te porter. S-si tu es fatigué.
- La nature m'a donné des pattes et une jeunesse, fit Lorien en se levant, prêt à suivre son grand-père. Puis, il se rendit compte qu'il avait dit quelque chose qui n'était pas du niveau du "petit gars un peu bête", il se dépêcha donc d'ajouter: Enfin, c'est que que me dit maman quand elle veut me porter ! Et il enchaîna sur un sourire gêné.

- C'est par ici.
Lorien manqua de lâcher un "je sais" un peu agacé. Il suivit son grand-père et, bientôt, ils arrivèrent prêt de la rivière. Elle coulait bien plus doucement qu'à Inaria, probablement parce qu'ils étaient plus loin de la source. L'inclinaison du terrain pouvait jouer, aussi. Si ça se trouve, ils avaient un peu monté ? Lorien n'avait pas vraiment fait attention.

En tout cas, il était bien heureux que quelqu'un soit avec lui, au moins pour quelques minutes. Ca le soulageait, mais pas complètement: être obligé de jouer un rôle l'agaçait, et dans sa tête, il se sentait toujours aussi seul.
Il se pencha en avant, baissant la tête pour laper la surface de l'eau. Il eut envie de lancer un peu d'eau sur son grand-père, histoire de démarrer un jeu ou quelque chose, mais il s'abstint. Même si Anton n'était pas un grand-papi sévère, Lorien devina qu'il aurait du mal à se prendre au jeu. Il laissa tomber l'idée et se contenta de doucement frapper la surface de l'eau.