Lendemain de veille

L'inquiétude passée, savoir que son attitude perturbait ne serais-ce qu'un peu Oren le fit s'en régaler. Sa queue derrière trahissait son sourire insouciant, remuant d'une doux ballant, manifestant son amusement.
— You're going to have to wait a little.
Sai riposta à sa place:
— Oh, juste deux saisons. Et puis c'est mon affaire hein avec qui je me tiens. Gunthaer se mit à dodeliner sa tête et remuer les épaules, rigolant sous cape. Il devait avouer que leur relation familiale était tout, sauf ennuyante. Il se sentait diverti, et donc par la même occasion, en possession de ses moyens. Ses lèvres s'ouvrirent sur un sourire à la fois espiègle, à la fois malicieux.
— Come on, I'm just teasing ~ Il susurra, tout en ajoutant du poids dans ses pattes afin de faire légèrement ployer la tête de Sai. Plaisanterie à part, il les décroisa ensuite et les posa fermement au sol, se hissant debout. La pauvre semblait déjà endormie, confortablement installée contre lui. Il l'observa un instant, cessant le frétillement de sa queue, avant de relever la tête et se tourner vers Oren. Il mima des lèvres.
— ....
Il se décala avec douceur, sans brusquer ses mouvements, habituant peu à peu la jeune femelle à son absence. Il ferma ses yeux, tout sourire.
— ....

Le milieu de nulle part était plutôt près d'un cours d'eau, lui-même situé au centre du territoire, en fait. De par son emplacement stratégique, Gunthaer doutait qu'il lui ( à Sai ) arrive quoi que ce soit: le chant de l'aube n'avait même pas encore été lancé, signifiant que la majorité des loups d'Alteron devaient encore dormir à poings fermés. Il n'y avait que lui, Oren et probablement quelques gardes lève-tôt qui étaient debout, et à l'affût.

L'idée de réveiller les pauvres loups fatigués lui vint à l'esprit, mais il préféra chasser sa pensée d'un mouvement de la patte - qu'il utilisa aussi pour inviter Oren à lui emboîter le pas. Gun avait d'abord prit les devants en caracolant, mais quelque chose le fit se raviser et le pousser à aller à rebrousse-poil. Après s'être arrêté à la hauteur de l'autre mâle, il reprit le pas à ses côtés, cette fois. Il profita d'ailleurs de leur proximité pour l'embêter: il enfouit son museau dans sa nuque et se mit à lui ébouriffer la fourrure, avant de relever la tête pour pouvoir lui atteindre les oreilles, cette fois.

— To be honest, I didn't expect you to be up and about so fast ~ Il lança sur un sourire remplis de sous-entendus. Il le devança d'un bond, le sourire un peu plus franc.
— What did you have in mind ? Did you want to go back to sleep or are you awake for good ? Il remua la queue. See? I'm asking you !

— I think I'm awake for good, thanks, lui dit Oren, amusé par les enfantillages de son partenaire. Gun se redressa - il avait fléchi des pattes pour lui couper le chemin - et lui céda le pas, avant de le lui emboîter, avec plus d'énergie cette fois.
— Well then ! il répondit, sans perdre la nature de son sourire. Si Oren sembla s'égarer dans les souvenirs de leur croisade à la forêt noire, Gunthaer revivait pour une rare fois un moment dans le présent, trotinnant avec entrain. Encadrés par les hauts séquoias de la forêt, l'air frais lui semblait un rare confort dans la densité du territoire. Il se surprenait à apprécier l'herbe et la terre sous ses coussinets, alors qu'il n'avait jamais eu l'habitude d'y penser seulement.
— It's good to see you here again.
— Right back at you. Gun ramena sa tête vers l'arrière, les traits rieurs. Il entrouvrit un oeil plein de malice: Though I could care less about the "here".

Il se colla contre l'autre mâle.
— Territory's a bit cramped, yeah ? Il se mit à le pousser, légèrement d'abord, le déviant de sa trajectoire. Let's go someplace open. Loin du couvert des arbres.

Oren se laissa guider sans broncher, arrachant un sourire ravi (et malicieux) à son camarade à la fourrure pourpre. Ils s'échangèrent un bref regard. Celui d'Oren était légèrement inquiet. Compréhensible : il avait conscience non seulement de la réputation de l'autre, mais aussi de son vrai fond - de son absence de fond - et de son penchant pour la surprise. Il ne se laissa pas abattre longtemps, facilement parasité par l'enthousiasme de l'autre.

— Are we there yet ? À Gun de lever le menton, feignant l'innocence.
— Hmmm~? il fit, sans lui porter de regard. Il eut un sourire espiègle à son tour, lui donnant un coup de queue sur le museau alors qu'il prenait les devants accélérant son trot.
— Were we going somewhere in particular ? I'm sorry, I thought we were only taking a walk.

En voyant son comparse se rembrunir, Gun aplatit ses oreilles sur la tête, mi-figue, mi-raisin. Se soucier d'autrui était définitivement plus compliqué que les autres le laissaient paraître. Bien que son absence de compassion lui rendait la tâche difficile, il avait mit un point d'honneur à “bien traiter” son jouet, et à fournir les efforts nécessaires pour le maintenir en bon état. C'est pourquoi il revint sur ses pas, se colla et lui et le poussa gentiment, comme pour lui remonter le moral.

— Come on ... “Someplace open”, remember ?
En accélérant la cadence de son pas, il s'éloigna de l'ombre du couvert des arbres pour s'avançer dans la lumière pure du soleil qui se levait, foulant l'escalier de pierre qui menait au flanc du Volcan. Il avait l'impression qu'il n'y était pas allé depuis un an, très exactement. À la seconde où il posa la patte sur le sol recouvert de scorie, une image l'électrisa, un goût âpre envahit sa gueule et tout ses sens s’affûtèrent d'un seul coup.

Gunthaer s'immobilisa. De la peur? De l'anticipation? Il l'ignorait. Il fronça ses sourcils, serrant ses crocs dans sa mâchoire, s'avançant d'un pas. Et à ce pas, l'image de Calamité aux prises des pattes de Cue se fit plus nette. Il s'avança d'un autre pas. Il pouvait presque sentir le sang qui coulait de son front. Un autre pas, cette fois, il entendit sa voix. Il ferma ses yeux. Au fil de ses pas, il sentait l'image, le récit qui le hantait peu à peu se détacher de lui. Cette situation ne le concernait pas – ou ne le concernait plus. Il n'avait pas à trimballer des déchets dans son esprit. Et son esprit était ailleurs. Plus il s'approchait du flanc du volcan, plus il se sentait libre de ses anciennes – fausses – responsabilités, retrouvant sa sérénité au profit d'une nouvelle lumière. La lumière de l'aube.

Arrivé au sommet du flanc ( mais certainement pas au sommet de la montagne ), il leva la tête pour regarder le disque solaire bien apparent se hisser au dessus de l'horizon. Il sentit comme une chaleur l'envahir. C'était une sensation étrange, celle de se sentir présent et de ne faire qu'un avec son corps. Lui qui avait l'habitude d'ignorer son sens du toucher – excepté lorsque son travail le demandait – sentir ce-dernier s'affoler à cause d'un facteur thermique lui semblait complètement absurde. Il n'y avait bien qu'Oren pour lui faire apprécier ce genre d'absurdité.