Golden hour

Il fera froid, mais sans plus: le climat de l'Oasis - et du désert - différait de celui d'Inaria ou d'Alteron. Il ne ferait pas humide: l'air était sec. Le vent serait rare, mais apprécié. Et depuis le retour de l'eau dans la tranchée de dry river, depuis l'apparition d'un duvet sur ses berges et de jeunes pousses, on respirait mieux. Il n'y avait dans l'automne du désert que les changements de température.

JD se rappelait de l'époque où il voyageait encore, où il était témoin du pas des saisons par les feuilles des arbres qui se doraient ou par l'apparition de flocons. Parfois, l'hiver, lors d'une de ses nuits glaciales, l'oasis laissait se cristalliser une légère tombée de neige, qui disparaissait dans la matinée, aux premières lueurs de l'aube. Mais on vivait bien. Et on vivrait bien, si la tendance se maintenait.

Déjà sensible à la nature et à ses changements, JD observait le relief, inspectait la muraille, s'assurant que celle-ci était stable et que ses corniches ne menaçaient pas de tomber. Loin d'avoir l'expertise de feu son ami Chess en architecture ( ce-dernier était capable de construire un réseau de tunnels solide ! ), il avait toutefois les bases et les connaissances générales suffisantes pour assurer la stabilité de l'endroit. Il laissait à Fireblow et Swiftkill le loisir de s'occuper des membres de la meute et de leurs besoins: lui, s'attardait plutôt sur leur environnement de l'Oasis, sur son écosystème, sur sa flore... Il savait que chaque chose avait sa place.

Après tout, il avait réussi à deviner le mauvais présage lorsque les oiseaux de l'Oasis avaient disparus. En fait, ils ne s'étaient pas volatilisés: le tribut de la guerre opposant Inaria et Stoneclaws avait été une source suffisante de nourriture, pour eux. Il pouvait donc se fier aux oiseaux pour savoir si une guerre, un conflit ou un événement se produisait en dehors de leur désert. Car bien qu'ils y furent exilés, ils n'étaient pas sourds aux appels à l'aide ou aux protestations d'ailleurs. Certains membres de l'Oasis étaient prêts à tout pour défendre les autres, lui y compris.

Le soleil avança dans son cadran avant de peindre le ciel de sang. JD leva la tête, humant l'air, captant une odeur qui lui semblait familière. Elle évoquait un monde fertile et riche dans sa végétation. Une odeur printanière détonnant avec les effluves des plantes sèches de leur Oasis.

JD tourna sa tête, dressa ses oreilles et sa queue en voyant un loup s'approcher. Un loup éclairé d'orange par le soleil dans sa course.

Ses yeux semblèrent se raviver.
— Aîné Warbound, il lança alors, trottant vers lui. Certes ils n'avaient jamais été très proches - l'affaire "Salama" rendant leur entente difficile - JD n'était pas de ceux tenant les autres en rigueur.
— Vous venez donner des nouvelles ?

[ Bien sûr ! Je ne pouvais quand même pas expliquer une ancienne situation sans te donner de contexte! ]

— Pas vraiment, lui répondit Warbound. Je suis surtout venu en espérant repartir avec quelques futurs membres du Vallon, s'expliqua-t-il. On y est très bien. Au sourire de l'autre, JD l'imita, hochant la tête afin de lui montrer qu'il comprenait. On a même quelques sabres parmi nos effectifs. Cette-fois, sa tête eut un léger recul de stupeur. Un territoire où une meute acceptait à la fois loups et sabres ? Un élan de passé le saisi alors qu'il vit se succéder trois images d'un félin à la fourrure cotonneuse, aux yeux bleus et aux longues moustaches. Son sourire s’adoucit à la pensée que le chemin de Whitefeather pu croiser celui des habitants du Vallon.
— Bonechill, Coldsnap et vous avez choisi un bel endroit pour vivre, répondit le Beta en fermant ses yeux, s'imaginant ses anciens camarades de meute troquer la chaleur du désert impitoyable pour des terres fertiles et riches. Il rouvrit ses paupières en entendant un craquement, mais se détendit en constatant qu'il ne s'agissait que des os et ligaments que Warbound étirait.
— Mes félicitations pour votre promotion.
— Je vous remercie. Vous méritiez votre place en tant que Beta à l'Oasis, Warbound. Il eut un petit rire, frétillant faiblement la queue ( son amplitude articulaire était limitée au niveau de sa croupe ). J'espère un jour pouvoir mériter la mienne. Et en redressant la tête, il s'adressa au ventre de la conversation

— Je présume donc que les individus que vous désirez mener au Vallon sont les membres de votre famille ? Il hocha la tête, puis la pencha sur le côté, l'air inquisiteur.

— En tout cas ce qu'il en reste, souffla Warbound, les paupières fermées. JD ferma les siennes, secouant sa tête avec douceur.
— Estimez vous heureux de les avoir. Il se rappelait de Fei qui avait été complètement dépouillée de la sienne. Heureusement, ce n'était plus le cas de nos jours, car il avait pris place à ses côtés en tant que son compagnon, et le père de ses enfants.
— J'ai eu la surprise de découvrir deux mioches aux côtés de Lethal. JD rouvrit les yeux, dressant ses oreilles.
— Je veux qu'ils deviennent fort, ils auront de quoi manger là bas.
— Hm, je suis persuadé que le Vallon pourra leur prodiguer tous les nutriments nécessaires à leur croissance, acquiesça le voyageur en hochant la tête d'un mouvement succinct. Il avait l'habitude de l'air taciturne de l'ancien Beta. Il savait que ce-dernier n'était pas défini que par ses traits inflexibles; il était aussi doté de valeurs. Et bien qu'ils ne partageaient peut-être pas les même priorités, JD s'estimait heureux, lui, de s'adresser à un individu aussi riche en expérience.
— Puis ... Il faudrait que je fasse un détour pour voir ma fille, avant de retourner au Vallon ...
— Hmm, en effet. L'hiver approche, je suis persuadé que Salama pourra s'éclipser du site d'entraînement le temps d'un quadrant ou deux. Il continuait d'hocher la tête alors que Warbound chercha à le décontenancer.
— Et vous, Beta JailDream, la cigogne est passé ?
— _{Euuh !...}
Le Beta en question rouvrit ses yeux en abaissa ses oreilles dans un signe courtois, sentant un léger malaise le gagner. Il ne put s'empêcher de lever un petit sourire et d'échapper un rire léger.
— Je m'estime heureux de pouvoir revivre cette expérience. Il eut une pensée pour Vérité, sa fille aînée qui était partie tracer son propre chemin. Auprès d'eux, je veux dire. Son sourire s'agrandit, alors qu'il prenait des airs rêveurs. Fei s'avère être une mère formidable.

— Spear' était une mère géniale, elle aussi ... Et on me l'a prise.
JD secoua sa tête.
— Elle ne vous appartenait pas, Aîné Warbound. Il lui dit alors. Vous l'avez simplement rendue. Il ne fallait pas prendre ses proches ou sa famille pour acquis, car chacun de ces individus était libre de ses choix. Spearheart avait fait le choix de mentir à ses enfants. Elle avait fait le choix d'aller les voir afin de réparer les pots cassés, elle avait fait le choix de s'abandonner dans les bras d'un autre. Warbound cependant faisait allusion à sa mort prématurée. À son meurtre.

JD comprenait le sentiment de l'autre, mais il ne le partageait plus. Quand bien même fut-elle sa compagne, il ne fallait pas la prendre pour acquis, car, un jour ou l'autre, il aurait fini par la rendre.

— Vous l'avez connu il me semble ? l'interrogea Warbound. JD opina du chef.
— Bien entendu.

Aîné Spearheart - même si elle lui avait toujours dit d'arrêter de l'appeler ainsi - était aussi âgée que l'était feu sa mère, Shameless. Bien que de nature introvertie, il arrivait parfois à Shameless et à Spearheart d'échanger quelques mots, de se saluer, de se confier l'une à l'autre... Pour le peu que Shameless aimait se confier, l'occasion de converser entre les deux était incroyable.

Et puis, après la disparition de sa mère, JD avait connu Spearheart comme une mère troublée. Sa relation avec Lutec et Lani était une source de tracas incommensurable, et elle avait fini par lui avouer ses craintes. Il se sentait près d'elle, autant par le fait de partager le même sang maudit, autant par le fait de partager les mêmes craintes.

— Vous savez ... commença alors Warbound.
— Je rêve chaque nuit que je trouve celui qui lui a fait ça ... comme ça ... Et que je lui fait regretter d'être venu au monde. JD arrondit ses pupilles, déconcerté. Il pivota ses oreilles vers l'extérieur.
— Je suis... touché de savoir que vous me faites assez confiance pour me confier ceci, Aîné Warbound.
Il secoua doucement sa tête.
— Cependant, j'ignore si vous me faites assez confiance pour écouter mes conseils mais...

La vengeance ne fait pas revivre les morts.

La seule chose qui nous reste, après s'être vengé, ce n'est pas un sentiment d'accomplissement: c'est du sang sur les pattes.

JD connaissait bien le poids de ses mots. Il doutait que Warbound les laisserait couler sans réagir. Aussi lorsque ses yeux discernèrent ses muscles se crisper, il baissa les oreilles et sa queue. Mais pas la tête. Son museau demeurait droit, les yeux fixés sur le loup devant lui, inflexible.

— On a tous du sang sur nos pattes, JailDream, rétorqua Warbound en fronçant ses sourcils. Son museau se plissa alors: Qu'on le décide ou non, cela arrive toujours tôt ou tard. Spearheart ne reviendra pas. Et je serais heureux de m'assurer que lui non plus. Je n'aurais aucun remord, il ajouta, les oreilles dans le cran. JD nota des signes de nervosité et d'excitation, comme la patte de Warbound qui s'était mise à gratter le sol, à racler la roche et ses cailloux.
— Elle était enceinte ... La voix caverneuse de l'autre fit se raidir les muscles du Beta, qui écartait peu à peu ses paupières sur deux yeux écarquillés, prêt à toute éventualité.
On a éventrer une louve qui portait un petit ! Qui est capable de ca, hein, JD ?! explosa le blackblood en balayant le vent d'un puissant coup de patte, envoyant valdinguer un caillou contre la muraille. JD le suivit des yeux, avant de les planter de nouveau sur l'autre loup, cherchant à contrôler sa respiration. Il pouvait sentir sa rage.

Il trouvait son désir de se venger justifié, mais un tel désir ne pardonnait pas des actes irréfléchis. Il connaissait les symptômes et les prédispositions menant à la fureur. Il sourcilla légèrement, en reproche à l'explosion spontanée de Warbound. Ce-dernier semblait s'être calmé: Peu à peu, les crispation de son corps se détendirent. JD redressa donc ses oreilles, à nouveau en confiance:
— ... ... Vous n'aurez aucun remord soit, mais vous sentirez-vous enfin accompli ?
Il ne cilla pas.
— Êtes-vous vraiment prêt à consacrer vos dernières années à l'absolution de votre vengeance plutôt qu'à vous épanouir auprès de ceux que vous aimez ?

Il releva le sourcils, s'adoucissant, sans toutefois perdre le sérieux de ses traits.
— Réfléchissez à votre réponse, car ce n'est pas à moi que vous la donnerez...

... mais à vous-même.

JD maintenait sa queue haute au dessus de sa croupe, sans se rendre compte qu'il s'était coulé dans son rôle de dominant. Warbound avait beau être son aîné et avoir été supérieur à lui dans la hiérarchie, comme il ne faisait plus partie de la meute, il ne pouvait plus se permettre de louvoyer dans sa rage et sa colère en s'imaginant que ses tactique d'intimidation porteraient leurs fruits: s'il devenait une menace pour la sécurité de la meute, JD n'hésiterait pas à croiser l'émail avec lui, peu importe leur histoire en commun.

Pourtant, ce n'est pas la force des crocs qui fit se reculer la plus grand, mais la force des mots. Ces-derniers poussèrent Warbound à la réflexion, qui s'était assied, la queue au sol, secouée d'un tressaut de nervosité. Comme l'atmosphère semblait avoir changé, le beta se permit de pousser un soupir rasséréné, détendant les crispations dans ses pattes. Comme il n'y avait pour le moment plus rien à craindre, JD replia l'un de ses postérieurs au repos, et recourba sa queue vers le sol.

Warbound leva la tête: Qui protégera mes petites quand je ne serais plus là … il avait soufflé, sur une voix dépeignant le regret.
— Et mes gamins ? Qui me dit que le fait que ce monstre soit tombé sur Spear’ était du au hasard ? Qui me dit qu’il ne recommencera pas ?
JD eut un doux ballant de la tête. Il la releva lorsque l'ancien Beta s'était levé sur ses quatre pattes, le surplombant de sa taille. Ses yeux suivirent le mouvement de la patte qu'il leva avant de la poser sur son épaule. Un signe de rapprochement. Il releva le museau et les yeux, afin de les poser dans ceux du vieux mâle.
— Que feriez-vous si Fei était massacré de la sorte ? Expliquez moi … Les oreilles du Beta frémirent: parce que je n’en peux plus de vivre avec cette colère. Lentement, sans détacher son regard de celui de Warbound, le Beta leva sa patte gauche, la passa en dessous de celle sur son épaule et la repoussa dans une infinie lenteur.
— ... N'avez-vous jamais vu les cicatrices qu'elle a dans sa nuque ? Elle et aînée Spearheart avaient été attaquées aux frontières du Canyon. J'étais là pour traiter l'hémorragie.
Ses oreilles se pivotèrent vers l'extérieur, signe de l'inconfort qu'il vivait de la proximité de l'autre. Il se recula donc, afin de s'éviter de lever trop haut la tête pour maintenir un contact visuel avec son interlocuteur.

— L'été dernier, peu après votre départ, Alteron nous a envahis. Nous étions confinés dans la Grotte Lunaire et Fei a reconnu son assaillant parmi les loups d'Alteron. Il tourna sa tête pour relever faiblement sa courte queue déplumée. Il la sentait encore longue et fournie.
— Il y a un temps pour tout, aîné Warbound, lâcha JD, sur une étrange lassitude. Il agita légèrement sa queue, en souvenir d'autrefois.
Vous n'êtes pas confiné à vivre dans cette colère. Les commissures de ses lèvres se levèrent sur un sourire meurtri. Ce n'est pas facile de lâcher prise et de tourner les yeux vers le futur. Je vous comprends.
Il retourna la tête afin de regarder son interlocuteur.
— Même si je connais l'apparence, la voix et le territoire où habite son assaillant, rien ne m'oblige à le traquer. Il releva la tête. Ça ne veut pas dire que je ne croiserais pas l'émail avec lui si j'y étais contraint.
Il ferma ses paupières.
— J'ai déjà rendu ma compagne une fois. Je ne veux pas la rendre une deuxième fois. Pas ainsi.

C'est pourquoi je lui ai appris à se défendre: désormais, Fei sait que si jamais une situation la force à montrer les crocs, elle saura en faire usage.
Il rouvrit les yeux, jugeant son point exposé.

The End !