Une petite escapade[Prio Howahkan]

Fidèle à son habitude, il déambulait dans le boisé, camouflé à demi par le couvert des arbres mais sentant aussi la caresse du soleil sur sa fourrure. Poussé par la brise, le feuillage rougissant des arbres déjà colorés oscillait lentement et emplissait l'endroit de bruissements éthérés. Le pas léger, le Fou se déplaçait en intégrant du sautillement dans sa démarche, bien qu'il ne semblait nullement précipité. Se baladant sans but sur le tapis végétal, il errait le pif au vent jusqu'à ce qu'il capte les effluves d'une bête plus grande qu'à l'habitude, indubitablement canin.
- Tiens donc...
Curieux par cette nouveauté, il modifia sa trajectoire et parti à la recherche de l'autre, trouvant bientôt sa silhouette contrasté à distance.

L'inconnu se retourna pour le regarder, sans méfiance aucune, brandissant même un sourire à son égard tout en le saluant de la tête. Howahkan lui rendit la pareil, alors que l'inconnu parla le premier :
- Bien le bonjour, je ne vous ai pas dérangé j'espère?
Pacifique, et poli de surcroît, voire même enjoué de sa compagnie ? Le croisé étira son sourire, se coulant naturellement dans son rôle de bouffon assagit, qu'il n'avait pas revêtit depuis bien longtemps.
- Certes non. À moins qu'être agréablement surpris par un être dans une balade sans but puisse être considéré comme dérangement.
Son expression perdit le sourire lorsqu'il leva son museau en le penchant vers le ciel, comme cherchant une réponse dans les cieux. L'ayant trouvé, il rabaissa la tête et ferma brièvement les yeux, le sourire retrouvé.
- Mais je ne crois pas.
Soulevant ses paupières, il prit le temps d'observer l'être devant lui, cherchant son image dans ses souvenirs, mais ne la trouvant point.
- Habitez-vous l'endroit ? Si oui, il m'étonne de ne vous y avoir pas déjà trouvé.

- Non, je n'habite pas ici. J'ai cependant récemment rejoins une meute dont le territoire s'étend non loin d'ici. Répondu le grand bicolore, la queue battant toujours l'air.
- Oh ! S'exclama le guérisseur, intéressé.
Il attendit d'autres paroles, mais l'inconnu préféra s'asseoir sur l'herbe dense et resta silencieux un moment, avant de reprendre dans un éclat de lucidité :
- Oh, en passant moi c'est Jarek.
- Ravi, fit le croisé. Je suis Howahkan, solitaire vivant dans les parages.
Prenant exemple sur son compatriote, il posa à son tour son séant sur le sol. Les yeux luisant toujours de curiosité, Howahkan passa en revu ce qu'il savait des territoires avoisinant puis, ayant cru bon d'éliminer les Blackbloods par la "petite" taille de Jarek, demanda :
- Dîtes moi, cette meute dont vous parlez, s'agirait-il d'Inaria ?

- Oui, en effet. Je les ai rejoins alors qu'une guerre faisait rage sur leurs terres alors ils se méfient encore de moi.
Ah, oui, la guerre. Il en avait eu vent, autant alors qu'il se réfugiait dans le territoire limitrophe, le verger rose, qu'autrefois, lorsqu'il était encore d'Alteron. Après tout, ç'avait été la guerre entre Inaria et Stoneclaw qui avait déclenché l'attaque de l'Oasis, bien qu'Howahkan ne doutait nullement que Rapier eut un jour lancé l'attaque contre ses ennemis même sans leur affaiblissement. Dévorée par sa rancune, elle l'aurait fait, un jour ou l'autre..
- C'est normal mais c'est lourd à la longue, reprit Jarek après une courte pause.
Le timberwolf secoua rapidement de la tête et reporta son regard vers le mâle, l'observant à nouveau plutôt que de laisser ses pensées divaguer.
- Oui, j'ai vécu pareille situation, autrefois.
Son regard s'était fait plus perçant; scrutateur; intéressé.
- Mais je doute que ce soit tant la méfiance qu'ils ressentent encore face à vous; après tout, vous les avez aidé, et le temps a passé depuis la guerre. Ne serait-ce pas plutôt de la distance ? Une distance légitime entre un nouveau venu et ceux qui se côtoient depuis leur tout jeune âge ?

Ses questions avaient été logiques, le raisonnement naturel qu'il empruntait suite aux dires de Jarek. Et pourtant, l'individu se ferma à lui, aussitôt. Il garda le silence, abordant soudainement une hésitation qu'il n'avait pas eu précédemment. Puis, une fois que l'inconfort lié aux paroles de l'arctique fut passé, le bicolore finit par dire :
- Je n'ai pas très envie d'en parler.
Ah; les oreilles d'Howahkan se dressèrent, rendues curieuses par ce soudain refus. Il pencha la tête vers la droite quelques instants, détaillant d'un oeil nouveau l'étranger, puis étira le cou pour lui demander avec plus de présence :
- Vraiment ?
Un mot posé, une question détachée, neutre, mais intéressée. Une invitation à poursuivre, ou à clore la discussion.

Son intervention ne rendit peut-être pas Jarek soudainement très enclin à partager ses pensées, mais le rendit au moins un peu plus loquace.
- Enfin, ce n'est peut-être que moi qui ne me sens pas tout à fait à ma place là bas. Je n'ai jamais fais partie d'une meute auparavant et j'imagine qu'il me faudra encore un peu de temps pour m'y habituer. Sinon, vous venez de loin?
Sa réponse restait dans des eaux prudentes et la question qu'il posait par la suite venait confirmer qu'il ne tenait nullement à poursuivre ce sujet. Bien que rendu de plus en plus curieux par ces esquives, Howahkan accepta de se laisser entraîner vers ce nouveau terrain ; peut-être que cela rendrait Jarek moins tendu.
- De loin ? Il pouffa légèrement. Si on veut. J'ai vécu au Désert, à la Jungle, dans les Plaines, au Grand Nord.. Et vous, renvoya-t-il, avez-vous beaucoup voyagé ?

- La plupart des endroits que vous avez mentionné m'ont vu y faire séjour. Je n'y ai pas vraiment vécu, j'étais plus poussé par un désir d'aventure que de curiosité réelle envers les meutes qui y vivaient, puis, j'ai fini par me lasser de la solitude et j'ai voulu savoir ce que c'était que de vivre en meute.
Le Corbeau hocha de la tête tout en l'écoutant, reconnaissant là un parcours que quelques âmes volages.
- En ce temps-là, de vagues rumeurs couraient sur la guerre, alors à venir à Inaria alors je suis allé leur donner un coup de patte.
Jarek s'arrêta net au moment où Howahkan sentait un sourire lui traverser le visage, signe qu'il avait lui aussi trouvé une certaine ressemblance entre sa dernière phrase et le sujet à éviter. Non désireux de pousser inutilement son interlocuteur, Howahkan rattrapa le sujet de manière biaisée.
- Vous êtes poussé par un certain sentiment d'héroïsme, alors.
Il inclina la tête, souhaitant en savoir plus sur cette analyse.
- Je serais curieux d'en connaître les raisons.

- En fait, je ne me suis jamais vu comme quelqu'un de vraiment héroïque, ni même d'important, mais ce que je voulais, c'était de me rendre utile.
Un refrain qui semblait se répéter chez plusieurs individus. C'était toujours mieux que de chercher à semer la terreur, comme chez d'autres, mais ce rêve manquait d'originalité. La suite lui fit dresser l'oreille un peu plus, déjà un poil plus personnel à Jarek.
- Je voulais être capable d'aider d'autres loups, d'exister aux yeux d'autres personnes que ma famille, que j'ai perdue de vue. Je suis allé les rejoindre parce qu'ils avaient besoin d'aide et que parfois, et bien, il suffit d'un seul individu pour faire pencher la balance. Honnêtement, je ne sais même pas si j'ai vraiment pu faire une différence.
- Mais, pour sûr, mieux vaut agir et croire que nos actions aident autrui plutôt que de stagner dans la solitude, pointa le guérisseur.
Son regard détailla pendant de longues secondes le loup bicolore. Puis, comme une feuille prise dans un brusque courant d'air, il changea de sujet, soudainement intrigué par un nouveau fait :
- Cependant, cette guerre, ne s'est-t-elle pas terminée avec la chute du barrage ?

- C'était une manœuvre volontaire imaginée par deux des nôtres, commença à expliquer Jarek. Les félins qui les...enfin, qui nous attaquaient étaient plus forts que nous et nous n'avions pratiquement aucune chance de vaincre quand le jeune fils de l'alpha, encore louveteau imagina ce plan avec un jeune d'un an.
L'individu bicolore avait soudainement retrouvé toute la joie du début de leur rencontre, voire plus, car il battait à présent de la queue avec vigueur. Un réel sourire étirait même ses traits ; mais cette fois, Howahkan ne partageait point son allégresse.
- Ah..
Il ferma les yeux quelques secondes, mais ne pouvant empêcher ses paupières de frétiller, il les rouvrit.
- La jeunesse Inarienne possède donc un fort esprit militaire ? Fit-il d'une voix faible.

- Esprit militaire? Questionna Jarek, visiblement surpris.
Il tenta ensuite de lui expliquer ce qu'il voulait réellement dire, ce qui fonctionna à moitié. Toujours mitigé, Howahkan eut tout de même le maigre soulagement de savoir qu'Inaria ne se développait pas dans l'art de la guerre, outre que pour sa défense.
- Ah, je comprends.
Il détourna la tête de biais, regardant plus loin.
- Mais je ne doute pas que les sabres eut une bonne raison de vous attaquez, eux. N'oubliez pas que, cet enfer, ils l'ont aussi vécu.

- Je ne sais pas ce qui les a poussés à attaquer. Je ne connais ni leurs mœurs, ni leurs antécédents. J'ai voulu leur demander. J'ai voulu savoir pourquoi ils étaient là, ce qu'ils cherchaient à obtenir par cette guerre, mais je n'en ai pas eu la chance. Commença à justifier Jarek.
Déboula ensuite un nombre bien important de paroles, dont la longueur et la complexité étaient bien signes que ces pensées traînaient dans son esprit depuis longtemps. Qu'il ne les avait peut-être jamais exprimé et, plus important, qu'il en avait besoin. D'ailleurs, suite à ses premières explications, le loup bicolore eut une hésitation. Rassemblait-il ses pensées ? Hésitait-il à lui en dévoiler le contenu ? Howahkan rassembla ses pattes sous lui, s'installant un peu plus confortablement dans l'attente.
- En fait...
Jarek finit par reprendre, ayant visiblement fait le tri de ses pensées. Il poursuivit sa réflexion, partageant encore plus intimement ses sentiments. L'écoute était intéressante, et ses pensées reflétaient bien les préoccupations d'un individu impliqué, altruiste, et qui ne pouvait s'empêcher d'avoir des doutes, des idéaux..
- Il n'y avait pas eu de conflits entre Inaria et Stoneclaw depuis de nombreuses années. Ce n'est pas un hasard que soudainement, la guerre soit revenue, laissa-t-il échapper, les yeux mi-clos. Il est bien possible que, peu importe ce que vous auriez pu dire, rien n'aurait arrêté cette folie.

À la vue de l'air de Jarek, le Corbeau se doutait qu'il venait là de lui apprendre une nouvelle information ; ainsi, il avait rejoint Inaria au coeur de la bataille, sans se douter que le conflit s'étalait depuis des décennies. Cela n'enlevait rien à son geste, mais l'éclairait tout de même d'une autre façon.
- Je n'étais pas au courant de ce fait...j'aurais quand même aimé pouvoir faire plus.
Howahkan émit un bref rire, aux arrêtes un peu plus grave qu'à son habitude. Son rire fana, et il répondit d'une voix lasse :
- Nous aimerions toujours avoir pu en faire plus.
Lentement, il déplia son corps, se redressa dans une position debout.
- Mais avec un peu de chances, des leçons seront tirées du passé et ce genre de tragédies sera proscrit du futur.