Un simple passage, éphémère

Elle ne faisait que suivre les frontières. Seulement les suivre. Consciemment. Prudemment. Elle savait ce qu'elle risquait, si elle se faisait prendre, si on la retrouvait. Elle n'aurait pas dû être ici, elle le savait. Elle avait quitté l'endroit, avait fait son choix. Elle avait déserté, trahi. Trop tard pour revenir en arrière. De toute façon, elle ne voulait revenir en arrière.

Mais si cela était aussi vrai qu'elle le prétendait, pourquoi restait-elle ici, sous les arbres de la jungle ? Pourquoi se sentait-elle attiré par l'endroit ? Elle espérait que ce n'était que nostalgie. Que l’inévitable regret passager, après n'importe quelle décision importante. Après tout, elle avait passé toute sa vie (ou presque) dans cette forêt. Elle l'avait vu grandir, rire, jouer. Normal qu'elle ressente ce besoin d'y retourner, au moins pour une dernière fois.

Au moins, elle ne se laissait pas attendrir par la familiarité de l'endroit. Ce n'était plus chez elle, ici. Même si elle n'avait aucune haine à l'égard de ses anciens compagnons, ce n'était pas pour autant que cela était réciproque. Elle ignorait la raison qui avait été donné à sa disparition, si on l'avait cru morte, enlevée.. ou simplement traîtresse. Mais, à présent, elle ne pouvait pas baisser sa garde, et devant se méfier de chaque buisson, aussi lourd que ce nouvel état de méfiance devait être.

Sur ses gardes, elle repéra l'odeur de la nouvelle venue avant de parvenir à l'entendre. L'odeur portait la trace d'Alteron, mais lui restait complètement inconnue. Cependant, elle provenait d'une jeune femelle, pas encore mature. Cela expliquait peut-être pourquoi elle ne la connaissait pas, puisqu'elle n'avait pas été présente pour voir naître la nouvelle génération -- pas plus qu'elle n'avait été présente pour voir naître la précédente, comme elle s'en rendait à présent compte. Chaque fois, elle avait été en retrait dans le désert. Alors qu'elle jonglait avec cette pensée, l'individu s'était assez rapprochée pour l'interpeller ;
- Hep toi là-bas !
La voix était indubitablement femelle, et jeune. Déjà plus apaisée à l'idée, Calamité s'arrêta et se tourna lentement vers elle.
- T'fous quoi à baisser les épaules ? T'es suivie ou quoi ?
- Non, répondit-t-elle.
Cela, au moins, était vrai. Retrouvant ses habitudes d'autrefois, à l'époque où elle était une princesse d'Alteron, et non une fugitive, Calamité prit quelques instants pour détailler la nouvelle venue, qui en dépit de ses paroles brusques ne semblait pas agressive - et de toute façon, ce n'était qu'une loupiotte. Cependant, son observation ne dura pas bien longtemps : très vite, elle recula sa tête, sous l'effet de la surprise, en laissant échapper un léger " Oh !". Avec la sombre atmosphère de la jungle, elle n'avait pas immédiatement remarqué le physique de la femelle, hormis le tracé blond qui contrastait avec le reste de son pelage. Mais à présent que c'était le cas, nul doute : cette femelle ressemblait trop clairement à Gunthaer.
- Je ne sav-..
Elle s'interrompit. Elle ignorait qui en était la mère, tout comme elle ignorait l’existence de cette portée.. Mais le violet était ainsi.
- Tu es la fille de Guns.
Il n'y avait point de question dans sa réplique, pas avec un tel physique.

La violette était apparemment très réactive, s'étant d'abord rapprochée à la course, pour ensuite commenter la moindre des phrases de la brune de "QUOI?" insistants. Loin de se laisser brusquer par ces manières, Calamité l'ignora, poursuivant ses observations pour elle-même. Comme si elle l'avait compris, ou cherchait à se montrer moins insistante, Robin s'était assise ; cela ne dura toutefois pas longtemps, car dès que le verdict tomba sur sa paternité, la jeune se releva d'un bond brusque. De surprise, son aînée se distança d'elle, alors que Robin crachait :
- QUOI ?
L'ancienne princesse la regardait en haussant des sourcils, intriguée par une telle réaction. Pourquoi était-elle devenue si agressive, avec le poils hérissé, à la mention de Gunthaer ? Pour autant qu'elle sache, Guns ne devait pas la connaître particulièrement, puisqu'il n'était pas resté bien longtemps dans la jungle. Mais, elle n'en savait rien. Et en voyant l'attitude rageuse de la violette, il ne faisait nul doute qu'elle connaissait son père, ou du moins en partie. Calamité se demanda alors ce qu'il avait bien pu lui faire, pour se mériter telle réaction. Sans réellement être certaine de si elle voulait le savoir ou non. Gunthaer n'était point innocent, il avait commit quelques atrocités, et elle en avait malheureusement conscience. Mais, malgré cela.. Il était le seul qu'elle avait accepté à ses côtés.
- En même temps, commença alors Robin, la ramenant au présent. C'est un peu, obvious, je crois ...
Les sourcils de la beige tressaillirent au mot anglais, ne comprenant pas tout à fait pourquoi elle lui avait emprunté, s'il l'énervait autant. Elle en profita aussi pour détailler à nouveau la loupiotte, donc la silhouette massive et masculine retenait du sang de Direwolf.
- N'est-ce pas.. Répondit Cal d'un air détaché, observant toujours la blondinette.
La tension semblait l'avoir quitté, un peu, ou alors elle faisait des efforts pour moins la rendre apparente. Rendue peut-être un peu plus curieuse, la jeune femelle lui demanda :
- Pourquoi une telle réaction ?

La petite louve, du moins face à Calamité, semblait chercher à la scruter du regard, l'analyser dans les moindres recoins de son âme. La brunette soutint ces yeux inquisiteurs, fronçant légèrement les sourcils face à cette attitude défiante, oubliant pour un moment qu'elle n'était plus la supérieure de l'autre. Finalement, sans mentionner ses déductions, Robin recula sa tête, et c'est à ce moment que Cal reprit ;
- Pourquoi une telle réaction ?
- Pourquoi-- !!!? Fit aussitôt l'autre, avant de s'interrompre brusquement.
Sa réaction était éloquente, manifestant à quel point la question n'avait pas besoin d'être posée, tant la réponse était évidente. Mais la jeune prit alors un long moment de silence, se rassoyant dans une attitude complètement fermée. Était-ce parce qu'elle ne voulait pas se dévoiler à une inconnue, parce qu'elle avait du mal à trier toute sa rage.. Ou bien parce qu'elle n'avait jamais pensé à de réelles raisons ? À défaut de pouvoir la pousser à répondre, car de toute façon Robin était déjà assez agressive sans devoir en rajouter, Calamité attendit que le verdict tombe.
- Parce que c't'un connard.
- Rien de moins.. Souffla Cal, dubitative.
En même temps, elle-même l'envoyait fréquemment balader. Elle se rappela alors de sa jeunesse, où les paroles embrouillées et contradictoires de Guns l'énervaient au plus haut point. Cela pouvait encore être le cas, parfois, lorsqu'il ne faisait qu'empirer le chaos de sa propre pensée, mais depuis, elle avait mûri et développé un lien beaucoup plus profond avec le violet. Peut-être que Robin n'était que bloquer à cette étape d'incompréhension rageuse, encore.
- Il ne m'a même pas dit que c'était mon pater quand jl'ai croisé.
La brunette camoufla un sourire, y reconnaissant sans mal le genre de "détails" que Guns pouvait "oublier" de mentionner. Pour elle, c'était amusant, mais elle réalisa alors que cela ne devait être le cas de Robin.
- Et puis j'ai pas eu d'famille, c'est de sa faute. J'ai plus d'soeur, c'est d'sa faute, pour sûr.
Cela, par contre, la surprit. Que s'était-il passé ? Mais avant qu'elle n'ait pu demandé des spécifications, la violette cracha un vide "Et puis merde quoi.", comme si elle se cherchait en vain des excuses à sa haine. Le silence tomba, mais l'atmosphère n'en était pas plus paisible ; Robin semblait toujours aussi agitée.
- C't'un mâle c'pour ça.
Avait-elle finalement lâché ce qui la rongeait tant ? À tout le moins, ce fut une affirmation assez aveugle pour faire réagir Cal, qui s'exclama :
- Quelle raison stupide !
L'incompréhension perçait dans sa voix plus que le désir d'insulter la jeune. C'était une excuse facile, gratuite, sans support. Pour sûre, Cal ne se porterait pas première ambassadrice du respect dû aux mâles. Elle aurait toujours une estime plus haute envers les femelles. Mais ce n'était pas pour autant qu'elle dénigrait la gente masculine, pas plus que "Il est con parce que c'est un mâle" ne trouvait écho chez elle. Il lui en faudrait plus pour croire en la culpabilité de Guns, dans cette histoire. Toutefois.. Voir la petite si rageuse, malgré son tout jeune âge, était désolant. Elle voulait bien l'aider, mais l'écouterait-elle ?
- Guns n'est pas vraiment le père idéal, mais est-ce que tu peux le blâmer de ne pas avoir d'instinct paternel très prononcé ? Il reste quelqu'un de bien.
Elle pencha la tête vers le côté, regardant la jeune avec une moue désolée.
- Pourquoi tu le blâmes pour ta soeur ? Qu'est-ce qu'il a fait ?

- PUTAIN ! Explosa la gamine.
Calamité se redressa, grandissant son aura, écartant sa posture. Ses oreilles se dressèrent vers l'avant, rigide, et ses sourcils se rejoignirent sur son front.
- Bordel de-- !! Surenchérit-t-elle, tournant sur elle-même, comme incapable de se tenir en place.
Puis, sans avertissement, elle bondit sur son aînée et la percuta aux épaules. Reculant sous l'impact, Calamité écarta brusquement ses pattes arrières et reprit prise sur le sol, accusant le choc. Ses crocs se serrèrent, elle déplaça son épaule sur le côté comme pour se préparer à frapper la blondinette et s'en dégager, mais dû s'interrompre.
- Parce qu'il faut bien envoyer sa rage contre quelqu'un ! Contre qui veux-tu que je m'énerve si ce n'est ce connard ? Hein ?
Les paroles dîtes, Robin s'écarta d'elle tout aussi rapidement et s'assit sur le sol, comme si tout était normal. Mais, outre ses inspirations profondes, pour se calmer, elle restait bouillonnante.
- Je ne sais même pas comment Fran est morte. Un grand manque de surveillance de la part des nourrices encore. Quant à lui... LUI.
Cal souffla lentement, désolée pour la mort de la jeune. Elle-même ressentait encore la perte de ses frères. Elle s'était obstinée à ne pas s'accuser pour celle d'Horreur, mais au fond, la culpabilité lui pesait toujours, quelque part. Le regret était là, le poids de savoir que, s'il s'était trouvé là, sous les crocs de la rouge, en cet instant, c'était de sa faute. Mais elle s'était forcée à s'en rétablir, à aller de l'avant, à laisser tomber sa peine et foncer.
- Il ne m'inspire rien, reprit la violette.
Calamité abaissa la tête et soupira. Ses raisons n'avaient nulle logique autre que la haine, et la petite était trop bornée pour s'en rendre compte. Mais pouvait-elle vraiment l'aider à le réaliser, elle, la fugitive, qui ne serait dans sa vie qu'une brève fraction de temps ?
- Tu connais le terme famille toi peut-être.
Robin la fixait, abordant une grimace sur son visage. Était-ce de la curiosité, ou simplement de l'amertume face à la "chance" d'autrui ? Cal garda le silence un moment. Le sujet précédent, soit Guns (et la haine envers les mâles), n'était pas abandonné. Elle voulait réellement essayer de modifier la perception de la jeune. Mais peut-être que celle-ci avait besoin d'en savoir plus sur sa vie à elle, pour comparer ?
- Si on veut, fit-elle lentement.
Puis, mesurant ses paroles, surtout qu'elle ne voulait pas se dévoiler entièrement à la jeune, elle précisa :
- Ma mère n'a jamais été là pour nous, elle nous a toujours détesté. J'étais très proche de mon père, mais il était souvent absent. Quant à mes frères, deux d'entre eux sont morts.
Elle eut un discret sourire, ne cherchant pas à paraître du genre à s’apitoyer sur son sort. Ce n'était pas du tout le cas, et elle avait réussit à être heureuse dans cette meute un peu dysfonctionnelle - du moins, pour un temps.
- Mais j'ai trouvé une meilleure mère chez les nourrices, et assez d'individus pour me faire une nouvelle famille, au sens large.
La jeune adulte fit un pas vers l'avant, puis s'assit face à sa cadette, retrouvant son calme.
- Tu sais, rager inutilement contre tout le monde, ça ne te sert à rien.

Son histoire sembla pendant un moment adoucir la jeune rebelle, comme si sa souffrance passée en faisait un être d'un nouvelle intérêt. Mais lorsqu'elle mentionnant qu'elle avait à présent trouvé mieux, son interlocutrice se durcit, expulsant bruyamment son air. Le bref moment de compassion avait disparu, sa hargne était revenue. Mais elle semblait tempérée, ou du moins, peut-être plus épuisée.
- Et alors ? A quoi ça sert de rester la bouche ouverte à attendre quelque chose des autres ? Jeta-t-elle, tout de même violemment.
Calamité plissa des babines, dans une esquisse de moue désolée. Robin s'approcha à nouveau d'elle, la fixant de son regard rubis; la beige soutint son expression. Elle acquiesçait totalement avec la jeune femelle sur ses dires, mais elle ne manquait de remarquer la rancoeur qui venait tâcher cette sagesse naissante.
- Parce qu'tu l'sais c'qu'il faut faire p'être toi ? La défia Robin. Conneries. Ya rien à faire. Rien à changer, surtout.
La brunette laissa l'air s'échapper de ses poumons, dépitée.
- Ohcomeon, rajouta la blonde.
Cal dressa ses oreilles ; son ton de voix était différent. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre pourquoi, car la jeune se laissa alors tomber vers l'arrière.
- ... !
Ses sourcils se haussèrent et sa bouche s’entrouvrit. Incertaine si elle devait être inquiète ou non, elle se porta vers l'autre de quelques bonds rapides. Arrivée presque au-dessus d'elle, Calamité la détailla et constata qu'elle était encore consciente, manifestant quelques grognements. Quelque soit la raison de sa chute, elle ne semblait pas en danger, et transpirait encore de son humeur sombre. Mettant de côté son inquiétude, la jeune adulte s'assit à nouveau près d'elle, et reprit d'un ton posé :
- Je n'attend rien des autres. Mais je vais chercher ce que je veux.
Elle ne se rendit compte de l'ironie de ses propos qu'après les avoir prononcé. Ils lui étaient venus naturellement, parce que c'était ce qu'elle avait toujours pensé d'elle-même; cependant, les derniers évènements l'avaient détrompés. Avait-elle déjà laissé la vie en solitaire lui effacer ces moments d'indécisions et de perdition, au point qu'elle ne se reconnusse pas dans le pessimisme de Robin ? Ses babines s'écartèrent d'un sourire et elle ferma les yeux, secouant la tête en riant doucement.
- Ou du moins, j'essaie.
Elle avait essayé de se faire croire que c'était le cas, que c'était ce qu'elle avait toujours fais. Mais c'était un mensonge, et elle ne devait pas l'oublier. Si soudainement, sa liberté lui était revenue, et qu'elle avait choisi l'orientation de sa vie, ce n'était pas pour autant que les doutes passés pouvaient être effacés. Rouvrant les yeux, elle regarda avec une nouvelle maturité Robin.
- Et ça, c'est une leçon que Guns m'a apprise, spécifia-t-elle, tentant de la faire changer d'avis sur ce paternel.

- Et ça, c'est une leçon que Guns m'a apprise.
Le fragile moment de paix se brisa.
- Tu voulais en venir à là depuis le début ouquoi ? Explosa la jeune.
Elle bondit à nouveau sur ses pattes et le tourbillon revint, destructeur.
- Il t'as sauvé la mise et tu te sens obligé de lui rendre la pareille hein ? HEIN ?
La louvarde rageait et lui crachait sa rancune, mais quelque chose avait changé en elle. Elle semblait s'être tempérée, ou alors avait épuisé ses réserves et ne pouvait plus fournir autant. Calamité avait raidit son corps, observant la jeune avec une nouvelle méfiance, maintenant qu'elle savait que l'autre pouvait l'attaquer. Cependant, ce fut plutôt les paroles haineuses que les gestes qui lui firent serrer la mâchoire.
- Merde, mais calmes-toi, fit-elle avec une certaine dureté.
Robin détourna la tête, frustrée.
- Tsssss...
Calamité rentra la tête dans son poitrail et s'ébroua de la nuque. Ses oreilles tressaillirent, manifestant son léger agacement. Mais elle décida de ne pas en tenir grippe à la gamine, et souffla pour évacuer le dépit de voir Robin ainsi. Puis, déliant son stress, elle roula ses épaules et détendit son corps, alors que Robin semblait s'être calmée d'elle-même.
- Et dans tout c'bordel, c'quoi ton nom ?
L'ancienne princesse garda le silence, analysant la situation. Mais, cela était inutile ; elle s'était déjà résignée à demeurer incognito, pour éviter tous troubles futurs - pour elle comme pour Robin.
- Mmh.. Mieux vaut que tu le saches pas. Ça t'attirerait des ennuis, je crois.
Elle lui fit une moue désolée, mais son regard demeurait fixe, décidé. Pour adoucir sa réponse, et par sa propre curiosité, elle demanda en inclinant légèrement la tête :
- Je peux savoir ton nom, ou ce ne serait pas équitable ?

La femelle lui pouffa au visage.
- T'es sérieuse ? Ohcomeon, quand on est madame je donne des leçons on donne son nom de maître oujenesaisquoi.
Calamité balança la tête de côté et tourna ses oreilles vers l'arrière, irritée. Évidemment, elle se rendait compte que sa réponse pouvait passée pour présomptueuse, mais elle n'avait d'autres choix. C'est en voulant se rattraper qu'elle demanda le nom de la violette, mais se fit rejeter sur un ton boudeur :
- Là, tu te fous de moi. Et oui, ça ne serait absolument pas équitable.
L'adulte secoua à nouveau la tête, son regard déviant sur le côté. Non, elle ne pouvait rien lui dire, tant pis si cela signifiait ne pas savoir le nom de cette loupiotte. Guns le saurait peut-être, de toute façon. Cependant, Robin n'avait pas dit son dernier mot :
- Ton surnom au moins ?
Aussitôt, Cal nia.
- Ce serait trop facile, il est toujours utilisé.
Cependant, l'idée n'était pas mauvaise. Levant le museau vers le ciel, elle réfléchit à la question, puis trouver la réponse.
- Hum, mais j'en ai un autre, que seulement quelques utilisent.
Elle ramena son regard sur la louvarde un bref instant, la jaugeant, ou alors songeant aux dis êtres l'ayant utilisé.
- Callie.

- Callie ? C'est mignon.
L'adulte répliqua à la remarque d'une grimace. Oui, "mignon". C'était bien pour cela que très peu de gens utilisaient ce surnom, et que d'ordinaire elle préférait "Cal", qui sonnait beaucoup moins enfantin. Cependant, "Callie" lui semblait un compromis acceptable entre dévoiler sa vraie identité et ne rien dire du tout, et cela sembla aussi satisfaire la violette, qui avait retrouvé son sourire.
- Moi c'Robin. Et niveau surnom ... Fran m'appelait Rob...
Calamité avait d'abord entrouvert la bouche d'un sourire à la mention du nom, puis un air grave était venu le remplacer, comme elle mentionnait sa soeur défunte.
- Rob, alors, fit-elle en hochant de la tête.
Le silence retomba pendant quelques instants, durant lesquels Calamité observait sa cadette. Celle-ci ne mit cependant pas longtemps avant de se lever à nouveau, cette fois pour venir s'asseoir à ses côtés.
- Et t'es une aventurière c'est pour ça que tu veux rester anonyme ? Lança-t-elle subitement, bien que c'était à prévoir.
Et, au grand dam de Cal, cette question ne faisait que précéder l'avalanche.
- Oh ! Oh ! A moins que tu t'es fait quelque chose de vraiment mal dans les parages ! Mais t'es d'ici au départ au moins ?
Le ton se modifia alors et devint un peu moins pressant, mais Robin continuait de l'engloutir sous ses pensées sans lui laisser le temps de placer un mot. Plutôt que de s'en sentir irritée ou épuisée, Calamité choisit de s'en amuser, se remémorant son même enthousiasme de jeunesse.
- Ah, euh. Tu sais, jsuis pas du genre balance, alors tu peux y aller. Heiin … Callie ? Tenta-t-elle de l'amadouer la femelle, lui faisant les yeux doux. T'es aussi tête brûlée que moi jcrois. Et j'aime ça.
Si l'aveu surprit Calamité, ce n'est point par ce qu'il exprimait, mais parce que Robin, une femelle qui justement était tête brûlée et fermée, puisse le dire. Cal lui fit un sourire, l'encourageant dans cette voie.
- Même si nos opinions divergent hein.
Calamité eut un petit rire, secouant la tête.
- Je l'étais, plutôt. Je le suis un peu moins depuis quelques temps ! Mûrir, grandir, tu sais, plaisanta-t-elle.
Ou alors, c'était douter et souffrir, les mots adéquats. Mais elle refusait d'y penser, gardant son sourire. Elle n'avait pas voulu que les paroles de Robin parviennent à l'amadouer, mais, inévitablement, elle avait pu constater le caractère de Robin, et semblait pouvoir lui faire confiance. Ce qui ne voulait pas dire tout lui avouer, du moins pas dans son entièreté.
- Oui, je suis née ici, et non, je n'ai rien fait de mal, enfin, pas vraiment, grimaça-t-elle.
Trahir sa famille et sa meute entrait probablement dans la catégorie des "quelques choses de vraiment mal", mais à proprement parlé, elle n'avait pas "mal fait". Au contraire, elle avait eu (et avait toujours) l'impression d'avoir "bien fait", en dépit de la culpabilité et de la lourdeur d'avoir quitté les siens. Mais elle ne désirait pas tenter d'expliquer tout cela à Robin, pas sans trahir son identité, alors elle reprit les mots précédents de la jeune pour spécifier :
- Je suis partie à cause de divergences d'opinions, si on veut !

- Oh. Vraiment ? Le fait d'avoir ses propres idées, ça peut nous mener à quitter le clan ?
Rendue un poil prudente face à ses réponses, Calamité se contenta pour le moment d'hocher de la tête. De toute façon, elle se doutait que Robin n'avait pas encore finit, puisque la jeune était un moulin à parole. Cependant, l'agitation l'avait réellement désertée, cette fois. Elle semblait comme.. alourdie. Cette attitude contrastant fortement avec celles précédentes, Cal se demanda "pourquoi?". Elle doutait que ces paroles puissent à ce point déprimer la violette, mais, savait-on jamais. Peut-être qu'elles avaient donné naissances à diverses pensées peu réjouissantes.
- En quoi t'étais pas d'accord avec les loups d'ici ? Finit par demander Robin.
Elle abordait un fin sourire en coin, mais celui-ci perdit rapidement de son éclat, comme la femelle détournait le regard.
- Parce que … Jcomprends en même temps...
Sa phrase aurait dû donner suite à une autre, mais il n'en fut rien. Interloquée, Cal fronça légèrement des sourcils, mais Robin l'évitait toujours. Pire, la louvarde fut comme traversée d'un frisson désagréable et commenta simplement d'un "Hm.". Après quelques instants passés à la fixer, sans avoir de réponse, Calamité décida de détourner un peu Rob de ses souvenirs et reprit :
- J'ai adoré grandir ici, mais en vieillissant, j'me suis aperçue que tout n'était pas aussi beau que j'le croyais. J'me serais contentée de rester ici, avec mes proches, pour toujours. Mais ça leur suffisait pas. Les guerres ont commencés. Et finalement.. J'ai pas pu, alors je suis partie.
Son regard s'était fait vague à son tour, plongeant dans ses souvenirs. Puis, elle eut une moue et haussa des épaules, s'éloignant de ses fantômes pour revenir à Robin.
- Et toi ? Tu n'as pas l'air si bien que ça.

- Moi ?! Riposta Robin, retrouvant la violence de plus tôt.
Mais elle se calma quasiment aussitôt, et son attitude devint largement moins agressive. Elle abaissa même la tête et parvint à acquiescer.
- Mouais.
Puis, elle commença à s'ouvrir, un minimum.
- Je n'ai pas franchement de potes dans le coin ni de famille. Et puis...
Même Calamité, qui n'était pas la plus sensible des louves, parvenait à déceler qu'un plus gros morceau se cachait derrière ce début de phrase. Mais Robin sembla alors se refermer un peu, comme elle s'allongea au sol et rentra sa tête entre ses épaules. Cal tendit les oreilles, s'apprêtant à la relancer, lorsque la violette poursuivit d'elle-même :
- Tu sais, ma colère n'est pas si injustifiée que ça.
Et à nouveau, elle s'arrêta. Ses mots n'avaient pas été précipités, ni emplis d'une douleur atroce, mais il y avait quelque chose, quelque chose qui signifiait "il y a un évènement qui me pèse". Et que Robin, si peut habitué à s'ouvrir, ne pouvait peut-être pas tout dire d'elle-même; bien qu'elle eut fait une progression depuis le début de leur rencontre, pour sûr. Mais ce n'était pas complètement fini. Le regard qu'elle leva vers elle témoigna de tout ce non-dit, miroir des émotions qui la traversaient. Sensible à cet appel à l'aide silencieux, Calamité se leva pour s'approcher un peu plus de la blondinette, abaissant son visage et son corps vers elle.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?

Robin se rétracta à la question. S'enfonçant d'abord entre ses épaules, il ne lui fallut peu de temps avant de sursauter - pour quelle raison ? - et se lever brusquement, l'expression complètement affolée. Son regard passait d'angoisse à dureté, puis distance. Et la violette recula en vitesse, ne laissant à peine le temps à Calamité de réagir qu'elle heurtait déjà un arbre, s'y stoppant. Et là, elle resta immobile, comme en équilibre au-dessus d'un gouffre quelconque. La louve brune avait fait quelques pas dans sa direction, pour la rattraper, mais s'était elle aussi arrêtée. Enfin, timidement, Robin posa à nouveau son regard contre elle, reprenant contact avec la réalité.

- J'aurais voulu être plus facile à vivre. Lança-t-elle, comme avec une soudaine lucidité.

Éphémère. Elle pressa brusquement ses paupières l'une contre l'autre et s'élança. En quelques bonds, elle fut à la hauteur de Calamité et se jeta contre elle, ne lui laissant pas le temps de riposter alors qu'elle s'enfouissait entre ses pattes. Et alors que la jeune adulte s'adaptait à son arrivée en la réceptionnant comme elle le pouvait, Robin se laissa aller et éclata en gros sanglots. Pendant une fraction de secondes, Calamité ne sut comment réagir : elle avait côtoyé bon nombre d'individus depuis sa jeunesse, avait tissé des liens serrés avec eux, avait ri, avait philosophé. Mais pleurer ? Elle-même n'avait aucune facilité à pleurer, pas après avoir été élevée comme Princesse. La mort d'Horreur, puis de Malheur, et les assassinats de l'hiver, tout cela avait un peu changé la donne. Elle avait apprit à s'ouvrir -- mais envers sa famille seulement. Envers Désastre seulement. Parfois Guns et Howahkan l'avaient écouté dans ses moments sombres. Mais elle n'avait pas habitude d'être triste (du moins, c'était le cas avant les guerres), donc d'être consolée. Et parallèlement, elle n'avait aucune habitude de consoler. Elle s'amusait avec ses nombreuses connaissances ; elle ne venait pas régler leur problème. Aucun de ses plus proches amis ne pleuraient - Astre, Guns, Howahkan, son père, Brush.. Et elle avait toujours fuit ceux trop faibles, qui se prosternaient dans leur malheur.

La situation était donc nouvelle, autant pour Robin que pour elle. Surtout entre deux inconnues. Ou peut-être cela était précisément la raison pour laquelle Robin s'était ouverte ? Quoiqu'il en soit, la décharge d'énergie et de sentiments reçue suffit à Calamité pour s'ouvrir à son tour et elle se repositionna autant qu'il lui était possible, avec Robin entre les pattes. À présent assise, elle étreignit la louvarde avec une force nouvelle, plus grande qu'elle aurait normalement employée, mais comme pour lui prouver avec vigueur qu'elle était là, présente, à ses côtés. Qu'elle ne partirait pas, qu'à défaut de savoir que dire, elle demeurerait à l'écoute.

Elle entourait la petite de ses pattes, enfouissant son museau dans sa chevelure blonde. Le temps passa ; la vigueur de leur étreinte s'adoucit, mais leur contact restait présent, total. L'ouragan était passé, et les pluies qui le suivaient diminuèrent jusqu'à finalement s'épuiser. Une autre aurait pu s'éterniser entre ses pattes, mais pas Robin ; en même temps, elle avait déjà repoussée énormément ses limites. Ainsi, lorsque ses larmes se tarirent et qu'elle commença à remuer, Callie déplaça légèrement les pattes pour lui permettre de se dégager. Mais Robin ne fit que relever la tête, plongeant son regard encore humide dans les pupilles orangées de son aînée. Puis, elle se frotta les yeux, et sembla malaisé un instant en constatant leur proximité, et le silence qui régnait entre elles. Mais elle ne fit que s'éloigner de quelques centimètres, se distançant à peine de Calamité. Elle entrouvrit la bouche, d'abord en vain, puis pour dire un vague "Ahem... Ce--" avant de pouvoir retrouver ses mots.
- Ça restera entre nous si je te le dis … ?
Calamité haussa un sourcil ; allait-elle connaître les terribles raisons de Robin ? Elle l'encourageant en hochant de la tête, un peu par réflexe. Évidemment, sur le coup, il ne lui venait pas à l'esprit de le dévoiler à quiconque ; mais si elle y avait réellement réfléchit, elle aurait pu penser envisager un jour de le dévoiler à Guns. Mais sur le moment, le secret de Robin serait bien gardé.
- Je ne sais pas si c'est utile, mais-- peut-être arriverais-je mieux à analyser la situation passée.
À son tour, la brunette remarqua la nouvelle éloquence de la cadette -- ou alors, son ton plus posé et moins violent. Elle semblait réellement avoir changé, avec cette épisode ; le coeur de Cal se réchauffa à cette pensée, elle qui pourtant n'avait jamais réellement accorder d'importance à consoler autrui.
- Tu veux m'en parler ? Demanda-t-elle, dans le but d'ouvrir doucement Robin.